La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/06/2024 | FRANCE | N°23MA00905

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 juin 2024, 23MA00905


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Polonio a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel la préfète des Alpes-de-Haute-Provence lui a ordonné la consignation d'une somme de 1 068 000 euros et a prononcé à son encontre une astreinte de 1 500 euros par jour ainsi qu'une amende administrative de 15 000 euros, pour n'avoir pas déféré à la mise en demeure de suppression d'une installation de stockage de déchets sur le territoire de la commune d'Entrevaux.<

br>


Par un jugement n° 2104278 du 16 février 2023, le tribunal administratif de M...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Polonio a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel la préfète des Alpes-de-Haute-Provence lui a ordonné la consignation d'une somme de 1 068 000 euros et a prononcé à son encontre une astreinte de 1 500 euros par jour ainsi qu'une amende administrative de 15 000 euros, pour n'avoir pas déféré à la mise en demeure de suppression d'une installation de stockage de déchets sur le territoire de la commune d'Entrevaux.

Par un jugement n° 2104278 du 16 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a ramené le montant de la consignation à la somme de 1 011 040 euros, modifié en conséquence le montant du solde de restitution à l'achèvement des travaux d'évacuation, et rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 avril 2023 et 15 janvier 2024, la SARL Polonio, représentée par Me Barbaro, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors qu'il omet de répondre aux moyens tirés, d'une part, de ce qu'il n'y a pas de stockage de déchets sur le site, d'autre part, de ce que la méthode de calcul du volume de terre en cause n'est pas justifiée, notamment quant à la densité moyenne retenue ;

- elle n'a déchargé que de la terre sur le site, avant mise en culture, et non des déchets ;

- le volume de terre déchargé, qu'elle justifie par la production d'une étude et de factures, est bien inférieur à celui pris en compte par la préfecture, qui pour sa part n'est pas justifié ;

- le coût lié au transport et à la gestion des terres est également évalué de façon excessive, dès lors notamment qu'aucun traitement n'en est nécessaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 décembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 11 mars 2022 dans l'instance enregistrée sous le n° 20MA02615 ;

- elle est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Après le constat, par l'inspection des installations classées, de l'usage par la SARL Polonio des parcelles cadastrées section C n° 890, 891 et 931 sur le territoire de la commune d'Entrevaux pour le stockage de terres de déblais de chantier, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence, par trois arrêtés du 19 septembre 2018, a mis la société en demeure de régulariser sa situation au regard de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement et a prononcé des mesures conservatoires ainsi qu'une suspension d'activité. Par un arrêté du 27 mars 2019, il a fait obligation à l'exploitant d'évacuer les déchets stockés et de remettre les lieux en l'état, sous un délai de six mois. Après que l'inspection des installations classées a constaté qu'aucun déchet n'avait été évacué, la préfète a prononcé, par arrêté du 18 mars 2021, la consignation d'une somme de 1 068 000 euros correspondant au coût de prise en charge, de transport et de mise en installation de stockage de déchets inertes des volumes en cause, une astreinte de 1 500 euros par jour jusqu'à remise en état du site, ainsi qu'une amende administrative de 15 000 euros. La SARL Polonio doit être regardée comme relevant appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant ramené le montant de la consignation à la somme de 1 011 040 euros et modifié en conséquence le montant du solde de restitution à l'achèvement des travaux d'évacuation, en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation de ce dernier arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. La société requérante avait fait valoir, en première instance, qu'elle ne pouvait être regardée comme étant la société productrice des terres déposées sur les parcelles en cause mais, contrairement à ce qu'elle soutient, elle n'avait pas cherché à contester la qualification de déchets au sens des dispositions du code de l'environnement, donnée à ces terres de déblais. En tout état de cause, il ressort du jugement attaqué, et particulièrement de son point 4, que les premiers juges, en écartant le moyen soulevé par la société requérante, se sont également explicitement prononcés sur cette question. Par ailleurs, alors qu'il n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties et que la requérante ne critiquait pas précisément la densité de la terre à laquelle se référait l'administration, le tribunal a répondu, au point 7 de sa décision, au moyen tiré de ce que le calcul des masses de terre en cause était, de façon globale, assis sur une méthode erronée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. D'une part, aux termes des dispositions de l'article L. 171-7 du code de l'environnement : " I.- Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet (...) de l'enregistrement (...) requis en application du présent code, (...), l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, (...) / II.- S'il n'a pas été déféré à la mise en demeure à l'expiration du délai imparti, (...), l'autorité administrative ordonne la fermeture ou la suppression des installations ou ouvrages, la cessation de l'utilisation ou la destruction des objets ou dispositifs, la cessation définitive des travaux, opérations, activités ou aménagements et la remise des lieux dans un état ne portant pas préjudice aux intérêts protégés par le présent code. / (...) ". Aux termes de l'article L. 171-8 du même code, dans sa version applicable : " II.- Si, à l'expiration du délai imparti, il n'a pas été déféré (...) aux mesures ordonnées sur le fondement du II de l'article L. 171-7, l'autorité administrative compétente peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives suivantes : / 1° Obliger la personne mise en demeure à s'acquitter entre les mains d'un comptable public avant une date déterminée par l'autorité administrative du paiement d'une somme correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser. / (...) / 4° Ordonner le paiement d'une amende administrative au plus égale à 15 000 euros, (...), et une astreinte journalière au plus égale à 1 500 euros applicable à partir de la notification de la décision la fixant et jusqu'à satisfaction de (...) la mesure ordonnée. (...) / Les amendes et les astreintes sont proportionnées à la gravité des manquements constatés et tiennent compte notamment de l'importance du trouble causé à l'environnement. / (...) ".

4. D'autre part, aux termes des dispositions des articles L. 511-1 et suivants du code de l'environnement, les " installations de stockage de déchets inertes " sont soumises à la législation des installations classées pour la protection de l'environnement et notamment à une procédure d'autorisation simplifiée. Aux termes de l'article L. 541-1-1 du même code pris pour la transposition de la directive n° 2008/98/CE, le déchet est défini en ces termes : " toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire ". Aux termes de l'article L. 541-4-2 de ce code qui assure la transposition de l'article 5 de ladite directive : " Une substance ou un objet issu d'un processus de production dont le but premier n'est pas la production de cette substance ou cet objet ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l'article L. 541-1-1 que si l'ensemble des conditions suivantes est rempli : / - l'utilisation ultérieure de la substance ou de l'objet est certaine ; / - la substance ou l'objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes ; / - la substance ou l'objet est produit en faisant partie intégrante d'un processus de production ; / - la substance ou l'objet répond à toutes les prescriptions relatives aux produits, à l'environnement et à la protection de la santé prévues pour l'utilisation ultérieure ; / - la substance ou l'objet n'aura pas d'incidences globales nocives pour l'environnement ou la santé humaine./ Les opérations de traitement de déchets ne constituent pas un processus de production au sens du présent article ".

5. En premier lieu, il est constant que la société Polonio s'est défaite des terres de déblais qu'elle a prélevées sur des chantiers pour les déposer sur les parcelles en cause contre une redevance financière dont elle s'est elle-même acquittée auprès du GFA des Graviers, propriétaire des terrains, conformément aux termes d'une convention conclue le 9 mai 2017. Alors même qu'elles ne seraient pas polluées, ces terres constituent donc nécessairement des déchets, au sens de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement, et non le " sous-produit " d'un " processus de production ", au sens de l'article L. 541-4-2 du même code. Leur dépôt sur les parcelles litigieuses était dès lors soumis à la législation des installations classées pour la protection de l'environnement.

6. En deuxième lieu, pour déterminer le montant de la consignation, correspondant au montant des travaux ou opérations à réaliser, la préfète a dans un premier temps déterminé la masse de terres entreposée, en retenant une surface concernée de 17 800 m², correspondant à la zone précisément définie par l'inspecteur des installations classées dans son rapport du 13 novembre 2020, une hauteur de remblai de 2 mètres ainsi que prévu par la convention de mise à disposition évoquée ci-dessus et une densité moyenne de la terre de 1,5 tonnes par m3, ramenée à 1,42 tonnes par m3 par le tribunal au regard d'une documentation produite en ce sens par l'administration. Si la requérante critique le volume pris en compte en se prévalant d'une analyse de géomètre, celle-ci est assortie de réserves fortes quant à l'absence de constatation de l'état initial des lieux et de connaissance précise de l'emprise des dépôts, de telle sorte qu'elle ne remet pas en cause la pertinence des données ainsi retenues. Celles-ci ne sont pas davantage utilement critiquées par la production de tableaux établis en interne par la SARL Polonio et, pour la première fois en appel, de factures établies sans garantie d'exhaustivité par le propriétaire des parcelles et ne mentionnant pas les volumes de terre en cause. La requérante n'apporte par ailleurs aucune critique quant à la densité moyenne retenue. Il y a dès lors lieu de confirmer la masse retenue par le tribunal administratif de 50 552 tonnes. La préfète a, dans un second temps, multiplié cette masse par le coût de prise en charge des déchets en installation de stockage de déchets inertes pratiqué dans le département d'origine des terres, de 15 euros la tonne, et par celui de transport et de chargement, évalué à 5 euros la tonne. En soutenant que les terres en cause étant propres, aucun traitement n'en sera nécessaire, la requérante ne critique pas utilement les coûts retenus, qui ne font référence à aucune dépollution.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt rendu par la cour le 11 mars 2022, que la SARL Polonio n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Polonio est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Polonio, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au GFA des Graviers.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-de-Haute-Provence.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la cour,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2024.

2

N° 23MA00905

bb


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00905
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Pouvoirs du préfet.

Nature et environnement.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CABINET MSELLATI-BARBARO

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;23ma00905 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award