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14/06/2024 | FRANCE | N°23MA00717

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 juin 2024, 23MA00717


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le préfet de la Haute-Corse a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la Sarl Marina d'Oro et M. A... B..., et lui a demandé de constater que les faits établis par le procès-verbal constituent la contravention prévue et réprimée par l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, de condamner la SARL Marina d'Oro et M. B... au paiement de l'amende prévue par le décret n° 2003-172 du

25 février 2003, d'ordonner la remise en état des lieux, sous astreinte de 1 000 euros par j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Haute-Corse a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la Sarl Marina d'Oro et M. A... B..., et lui a demandé de constater que les faits établis par le procès-verbal constituent la contravention prévue et réprimée par l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques, de condamner la SARL Marina d'Oro et M. B... au paiement de l'amende prévue par le décret n° 2003-172 du 25 février 2003, d'ordonner la remise en état des lieux, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, et de l'autoriser à procéder d'office, aux frais du contrevenant, à la remise en état des lieux.

Par un jugement n° 2200166 du 23 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a relaxé la Sarl Marina d'Oro et M. B..., des fins de poursuites diligentées à leur encontre pour contravention de grande voirie et a rejeté les conclusions du préfet de la Haute-Corse au titre de l'action domaniale.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars 2023 et 18 janvier 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 janvier 2023 ;

2°) et de faire droit aux demandes du préfet de la Haute-Corse tendant à la condamnation de la Sarl Marina d'Oro et de M. B..., au titre de la répression des contraventions de grande voirie, ainsi qu'à la remise en état des lieux, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, de l'autoriser à y procéder d'office aux frais des contrevenants, et au paiement, chacun, de l'amende prévue par le décret n° 2003-172 du 25 février 2003.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal n'a pas communiqué les pièces transmises le 9 janvier 2023 en méconnaissance du principe du contradictoire ;

- il est insuffisamment motivé ;

- le tribunal a méconnu son office en se limitant à constater que la délimitation des lais et relais côté terre n'avait pas été réalisée régulièrement et en jugeant, sans le justifier, que les installations en litige ne seraient pas implantées sur le domaine public maritime ;

- il a estimé à tort que la limite du domaine public maritime n'était pas déterminée avec exactitude ;

- le critère de l'atteinte par les plus hauts flots et la circonstance tenant à ce que les constructions ne seraient pas atteintes par les plus hautes mers sont sans incidence ;

- l'arrêté préfectoral du 21 août 1986 a procédé à l'incorporation au domaine public maritime des lais et relais de la plage sur laquelle sont implantées les installations litigieuses ;

- ces installations sont installées sur les lais et relais de la mer ;

- le plan de prévention des risques inondations (PPRi) de la commune de Ghisonaccia n'a pas vocation à délimiter le domaine public.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 décembre 2023 et 16 février 2024, la Sarl Marina d'Oro et M. B..., représentés par Me Jeanjean, concluent, à titre principal, au rejet de la requête du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et demandent à la Cour :

1°) à titre subsidiaire, si la Cour entrait en voie de condamnation, de ramener le montant de l'amende à de plus juste proportion ;

2°) de mettre à la charge, de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que les moyens soulevés par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Gimenez, représentant la Sarl Marina d'Oro et M. B....

Une note en délibéré présentée pour la Sarl Marina d'Oro et M. B... a été enregistrée le 3 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé le 25 janvier 2022 à l'encontre de la Sarl Marina d'Oro et de M. B... sur le fondement d'un constat, réalisé le 9 avril 2021, relevant la présence sur le domaine public maritime, sans droit ni titre, d'un kiosque bar d'une superficie de 16 m², d'une piscine et de ses abords d'une superficie de 725 m², d'une extension des abords de la piscine sur une surface de 180 m², d'une surface de 200 m² de terrasse commerciale, ainsi que de 15 m linéaires de clôture grillagée et de 135 m linéaires d'enrochements. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du jugement du 23 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a relaxé la Sarl Marina d'Oro et M. B..., des fins de poursuites diligentées à leur encontre pour contravention de grande voirie et a rejeté les conclusions du préfet de la Haute-Corse au titre de l'action domaniale.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, pour écarter l'appartenance au domaine public maritime du lieu d'implantation des installations en litige, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a pris en compte la photographie aérienne jointe au constat d'occupation du 9 avril 2021, ainsi que la consultation du site Géoportail. Elle a également estimé que le plan de délimitation du domaine public maritime annexé à l'arrêté du 21 août 1986 ne permettait pas de situer avec précision la limite de ce domaine au droit des parcelles en cause, que la SARL Marina d'Oro et M. A... B... faisaient valoir, sans être sérieusement contestés, que leurs installations se situent à 47 mètres du rivage de la mer et qu'elles n'ont jamais été recouvertes, même par les plus hauts flots et qu'en s'appuyant sur le règlement du plan de prévention du risque inondation de la commune, approuvé en janvier 2018, même en cas de perturbation météorologique exceptionnelle, les parcelles en cause ne seraient pas atteintes par la mer puisqu'elles ne sont pas identifiées par ce plan. Le premier juge a ainsi suffisamment motivé le jugement attaqué et n'a pas méconnu son office.

3. En second lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

4. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires doit être regardé comme reprochant au tribunal de ne pas avoir prononcé la réouverture de l'instruction pour communiquer les pièces transmises par le préfet de la Haute-Corse, le 9 janvier 2023, après la clôture de l'instruction fixée par une ordonnance du 17 mai 2022. Toutefois, à supposer même que le préfet n'était pas en mesure de les produire antérieurement, ces pièces constituées par le plan de la délimitation partielle du domaine public annexé à l'arrêté du 21 août 1986, le rapport d'enquête publique du 25 juin 1986, le certificat d'affichage de l'arrêté prescrivant cette enquête, ce même arrêté, un reçu du 25 avril 1986 et une lettre du 8 avril 1986 de la cellule littorale de la direction départementale de l'équipement de la Haute-Corse n'étaient pas susceptibles d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

5. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ". Aux termes de l'article L. 2111-4 du même code : " Le domaine public maritime naturel de l'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; / (...) / 3° Les lais et relais de la mer : / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) / Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le domaine public maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés ". Aux termes de l'article R. 2111-5 du même code : " La procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières est conduite, sous l'autorité du préfet, par le service de l'Etat chargé du domaine public maritime. (...) / Les procédés scientifiques auxquels il est recouru pour la délimitation sont les traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques ".

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative ". Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, le juge administratif, saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, enjoint au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et peut, s'il l'estime nécessaire, prononcer une astreinte en fixant lui-même, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le point de départ de cette astreinte, sans être lié par la demande de l'administration.

7. Pour constater que l'infraction, à caractère matériel, d'occupation irrégulière du domaine public, est constituée, le juge de la contravention de grande voirie doit déterminer, au vu des éléments de fait et de droit pertinents, si la dépendance concernée relève du domaine public. S'agissant du domaine public maritime, le juge doit appliquer les critères fixés par l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques et n'est pas lié par les termes d'un arrêté, à caractère déclaratif, de délimitation du domaine public maritime, adopté sur le fondement des dispositions réglementaires en vigueur relatives à la procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières. L'appartenance d'une dépendance au domaine public ne peut résulter de l'application d'un tel arrêté, dont les constatations ne représentent que l'un des éléments d'appréciation soumis au juge. Le bien-fondé des poursuites pour contravention de grande voirie n'est donc pas subordonné à la légalité d'un tel acte ni d'ailleurs à son opposabilité.

8. Il résulte de l'instruction, en particulier d'une étude d'un hydrologue hydraulicien réalisée le 6 février 2024, ainsi que le reconnait explicitement le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, que les parcelles cadastrées C 2400 et C 712 étaient bordées, dans les années 1950 et 1960, par une étendue d'eau dont la source se trouvait dans un bras du fleuve Orbo et du ruisseau d'Alzeta, et que ces étendues ont été comblées par des aménagements humains effectués jusqu'en 1975. Par ailleurs, le maire de la commune de Ghisonaccia atteste que le sable a été apporté de la main de l'homme par les anciens propriétaires de la parcelle avant que la société Marina d'Oro n'en devienne la propriétaire. Si le ministre soutient que ces aménagements " ont permis à la mer de conquérir ce territoire ", outre que le phénomène physique ne reçoit aucune explication, il résulte également de l'instruction, et notamment de l'étude précitée, que dans la période contemporaine récente, la mer n'a pu recouvrir, même au cours d'évènements exceptionnels, ces terrains. Elle n'a pu, en conséquence, de plus fort, y constituer, dans cette période, et en particulier entre 1975 et 1986, date de l'arrêté préfectoral de délimitation du domaine public maritime, des lais et relais de la mer de nature à avoir étendu le domaine public maritime.

9. Dans ces conditions, et alors même que la délimitation opérée par l'arrêté préfectoral du 21 août 1986 a inclus ces terrains comme appartenant au domaine public maritime naturel, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a relaxé la Sarl Marina d'Oro et M. A... B... des fins de poursuites diligentées à leur encontre pour contravention de grande voirie.

Sur les frais d'instance :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 2 000 euros au titre des frais exposés par la Sarl Marina d'Oro et M. B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E:

Article 1er : La requête du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la Sarl Marina d'Oro et à M. B... une somme globale de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la Sarl Marina d'Oro et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Corse.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2024.

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N° 23MA00717

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00717
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Analyses

24-01-03-01 Domaine. - Domaine public. - Protection du domaine. - Contraventions de grande voirie.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SCP SVA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;23ma00717 ?
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