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14/06/2024 | FRANCE | N°22MA02242

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 juin 2024, 22MA02242


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La SARL Cebio a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer, à titre principal, la décharge ou subsidiairement, la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 et de mettre à la charge de l'administration fiscale une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Par un jugement n° 1905979 du 10 juin 2022, le tribunal ad

ministratif de Nice a, par son article 1er, jugé que le montant de la cession des titres du 6 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Cebio a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer, à titre principal, la décharge ou subsidiairement, la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 et de mettre à la charge de l'administration fiscale une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1905979 du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a, par son article 1er, jugé que le montant de la cession des titres du 6 décembre 2018 par la SARL Cebio serait imposé selon le régime des plus-values à long terme prévu à l'article 39 duodecies du code général des impôts sur une base imposable égale à 3 968 956 euros, par son article 2, déchargé la SARL Cebio de la différence entre la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 et celle qui découle de l'article 1er et, par son article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 9 août 2022, 17 janvier 2023 et 11 avril 2023, la SARL Cebio, représentée par Me Parant, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice ;

2°) de la décharger du paiement de la somme de 1 159 860 euros au titre de l'impôt sur les sociétés de l'année 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les titres qu'elle a cédés le 6 décembre 2018 doivent être qualifiés de titres de participation dès lors que les critères de possession durable et d'utilité sont remplis.

Par mémoires en défense enregistrés les 16 décembre 2022, 14 mars 2023 et 17 avril 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête de la SARL Cebio.

Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de commerce ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vincent,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Cebio, société holding, a cédé le 6 décembre 2018, 2 240 des 2 274 actions qu'elle détenait dans le capital de la SELAS LBM Bioesterel. Elle a, dans un premier temps, déclaré la plus-value en résultant en tant que plus-value à court terme imposable à l'impôt sur les sociétés. Le 17 juin 2019, elle a réclamé le bénéfice de l'exonération prévue au a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts, les titres cédés revêtant, selon elle, la nature de titres de participation. Sa réclamation ayant été rejetée par une décision du 28 octobre 2019, la société a saisi le tribunal administratif de Nice de conclusions tendant à la décharge ou subsidiairement, à la réduction de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018. Par un jugement du 10 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a, par son article 1er, jugé que le montant de la cession des titres du 6 décembre 2018 par la SARL Cebio serait imposé selon le régime des plus-values à long terme prévu à l'article 39 duodecies du code général des impôts sur une base imposable égale à 3 968 956 euros, par son article 2, déchargé la SARL Cebio de la différence entre la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2018 et celle qui découle de l'article 1er et, par son article 4, rejeté le surplus des conclusions de la requête. La SARL Cebio interjette appel dudit jugement et demande à la Cour, dès lors qu'il est apparu, en phase d'exécution, que la décharge prononcée par l'article 2 du jugement précité n'était susceptible de conduire à aucun dégrèvement, de la décharger de la totalité de la cotisation mise à sa charge au titre de l'impôt sur les sociétés de l'année 2018.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la qualification de plus-value à long terme :

2. Aux termes de l'article 39 duodecies du code général des impôts dans sa version alors applicable : " 1. Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme. / 2. Le régime des plus-values à court terme est applicable : a. Aux plus-values provenant de la cession d'éléments acquis ou créés depuis moins de deux ans. (...); b. Aux plus-values réalisées à l'occasion de la cession d'éléments détenus depuis deux ans au moins, dans la mesure où elles correspondent à des amortissements déduits pour l'assiette de l'impôt. (...) ; (...). / 3. Le régime des plus-values à long terme est applicable aux plus-values autres que celles définies au 2 (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que, le 23 février 2010, la société Bioesterel, ayant pour objet l'exploitation de laboratoires d'analyses médicales, a absorbé, d'une part, la société Ana Biologie et, d'autre part, la SARL LABM Pré du Lac dont étaient associées, notamment, la SARL Cebio à hauteur de 875 parts et Mme A..., gérante de la SARL Cebio, à hauteur de 291 parts. Du fait de la méthode d'évaluation retenue (100 parts de la société Bioesterel pour 56 parts de la société LABM Pré du Lac), la SARL Cebio est, à cette date, devenue détentrice de 1 562 parts dans le capital social de la société Bioesterel. Il résulte également de l'instruction et notamment des ordres de mouvements produits par la requérante, que la SARL Cebio a, par la suite, acquis, dans le capital de la société Bioesterel, 119 parts le 21 avril 2016, 83 parts le 29 avril 2016, 428 parts le 24 mai 2016, 39 parts le 9 juin 2016 et 43 parts le 24 janvier 2017, soit un total de 2 274 parts. Sur ces 2 274 parts, 2 231, acquises en 2010 et 2 016, étaient détenues depuis plus de deux ans à la date de la cession du 6 décembre 2018. Il résulte de ce qui précède que 2 231 parts sur les 2 240 cédées constituent, au sens des dispositions précitées, des plus-values à long terme, les 9 parts restantes devant, en revanche, être qualifiées de plus-values à court terme.

En ce qui concerne la qualification de titres de participation :

4. En vertu des dispositions du a quinquies du I de l'article 219 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés, le taux d'imposition du montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation est fixé, sous réserve de la prise en compte d'une quote-part de frais et charges dans le résultat imposable, à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007. Les mêmes dispositions énoncent : " Les titres de participation mentionnés au premier alinéa sont les titres de participation revêtant ce caractère sur le plan comptable (...) ". Aux termes de l'article R. 123-184 du code de commerce : " Constituent des participations les droits dans le capital d'autres personnes morales, matérialisés ou non par des titres, qui, en créant un lien durable avec celles-ci, sont destinés à contribuer à l'activité de la société détentrice ". Sur le plan comptable, les titres de participation sont ceux dont la possession durable est estimée utile à l'activité de l'entreprise, notamment parce qu'elle permet d'exercer une influence sur la société émettrice des titres ou d'en assurer le contrôle. Une telle utilité peut notamment être caractérisée si les conditions d'achat des titres en cause révèlent l'intention de l'acquéreur d'exercer une influence sur la société émettrice et lui donnent les moyens d'exercer une telle influence. Une telle utilité peut aussi être caractérisée lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la société acquéreuse de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité.

S'agissant de la possession durable :

5. Il résulte de l'instruction que la fusion à laquelle il a été procédé en 2010, dans un contexte de réforme de la biologie médicale, a été motivée par la volonté des sociétés concernées, dont la SARL Cebio qui était associée de la société LABM Pré du Lac, de mutualiser, dans une perspective durable, les coûts générés par l'activité de plusieurs laboratoires ainsi que les formations professionnelles, d'améliorer la productivité en garantissant aux patients le respect de normes de haute qualité et de garantir, grâce à un partage du travail et de compétences entre les différents membres de la société, le maintien d'un service continu. Il résulte également de l'instruction que la majorité des actions cédées ont été acquises en février 2010 dans le cadre de la fusion précitée, soit il y a plus de 8 ans à la date de la cession du 6 décembre 2018, et ont été, du reste, inscrites, ainsi que cela résulte des bilans produits, au compte 261 " titres de participation ". Si l'administration fiscale fait valoir que ces titres devraient être qualifiés de titres de placement au regard de leur rentabilité financière, une telle rentabilité, dès lors qu'elle n'est qu'accessoire et ne remet pas en cause l'intention initiale de possession durable, n'est pas de nature, à elle seule, à exclure la qualification de titres de participation. En outre, la circonstance que la SARL Cebio soit une société holding dont l'objet est la gestion d'un portefeuille n'est pas, non plus, de nature à exclure une telle qualification. Enfin, si l'administration fiscale soutient également que le critère de possession durable ne serait pas rempli dès lors que la SARL Cebio n'a, postérieurement à la cession du 6 décembre 2018, pas acquis de nouvelles parts au sein de la société Bioesterel, cette circonstance, afférente à des éléments postérieurs aux conditions d'achat des titres cédés, est, en tout état de cause, sans incidence. Il résulte de tout ce qui précède que le critère de possession durable est rempli.

S'agissant du critère d'utilité :

6. Ainsi qu'il a été dit précédemment, si l'utilité de l'acquisition des titres s'apprécie notamment par l'influence ou le contrôle que la détention de ces titres permet à la société acquéreuse d'exercer sur la société émettrice, elle peut aussi être caractérisée, en particulier s'agissant d'une société d'exercice libéral, lorsque les conditions d'acquisition des titres révèlent l'intention de la première de favoriser son activité par ce moyen, notamment par les prérogatives juridiques qu'une telle détention lui confère ou les avantages qu'elle lui procure pour l'exercice de cette activité.

7. Il résulte des pièces 12 bis et 12 ter nouvellement produites en appel par la requérante, que Mme A..., gérante de la SARL Cebio, est devenue, à compter du 17 mars 2010, cogérante de la société Bioesterel puis, lors de la transformation de cette dernière en société d'exercice libéral par actions simplifiée le 19 février 2011, directrice générale déléguée de celle-ci. S'il résulte du procès-verbal de transformation précité que la société Bioesterel comptait alors 17 directeurs généraux délégués, il résulte de l'article 18 des statuts de la société Bioesterel que : " Tout Directeur Général ou Directeur Général Délégué dispose du même pouvoir de représentation que le Président. Ainsi, tout Directeur Général ou Directeur Général Délégué représente la Société à l'égard des tiers et est investi des pouvoirs les plus étendus pour pouvoir agir en toutes circonstances au nom de la Société (à l'exception des décisions significatives visées à l'article 17 (m) qui ne pourront être prises et mises en œuvre que par le Président), dans la limite de l'objet social et sous réserve des pouvoirs que la loi et les statuts attribuent à la Collectivité des Associés ". Il résulte de ce qui précède que Mme A..., à supposer même, ainsi que le fait valoir l'administration fiscale, qu'elle ait été désignée à ces fonctions à titre personnel au regard de sa profession de biologiste, disposait, tant en 2010, du fait de sa qualité de cogérante de la société Bioesterel que depuis 2011, en sa qualité de directrice générale déléguée de cette société, des pouvoirs les plus étendus au sein de cette dernière société. Par suite, alors même que la quotité détenue par la SARL Cebio dans la société émettrice, soit 1,59 %, était faible, l'actionnariat étant toutefois très éclaté, la participation prise par la SARL Cebio permettait donc à cette dernière de bénéficier de prérogatives juridiques particulièrement importantes au sein de la société Bioesterel. Il suit de là que le critère d'utilité est également rempli.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les titres cédés le 6 décembre 2018 doivent, à l'exception de 9 titres qui ne peuvent recevoir la qualification de plus-value à long terme, être qualifiés de titres de participation. Par suite, la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a dénié auxdits titres la qualification de titres de participation. Il y a lieu, par suite, d'annuler ledit jugement et de décharger en conséquence, la société requérante de la cotisation primitive établie au titre de l'impôt sur les sociétés de l'année 2018 sauf en ce qui concerne 9 parts acquises le 24 janvier 2017, lesquelles restent soumises au régime des plus-values à court terme.

Sur les frais d'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 2 000 euros qui sera versée à la SARL Cebio en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1905979 du tribunal administratif de Nice du 10 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La SARL Cebio est déchargée de la cotisation primitive d'impôt sur les sociétés au titre de l'année 2018 dans la mesure précisée au point 8 du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance de la SARL Cebio est rejeté.

Article 4 : L'Etat versera à la SARL Cebio la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Cebio et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2024.

N° 22MA02242 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02242
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-03-02 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Revenus des capitaux mobiliers et assimilables. - Plus-values de cession de droits sociaux, boni de liquidation.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ISAIA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;22ma02242 ?
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