Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Boubenna, représentant Mme C... et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... F..., alors âgée de 88 ans, a été admise le 1er février 2018 au centre hospitalier de Digne-les-Bains, sur les recommandations de son médecin traitant indiquant qu'elle présentait une altération de son état général avec dyspnée et cyanose. Un scanner réalisé le 5 février 2018 a révélé la présence d'un foyer de pyélonéphrite rénal droit. Retrouvée inconsciente le 12 février 2018, elle a fait l'objet d'un examen tomodensitométrique qui a signalé la présence d'un hématome sous dural et d'un oedème cérébral. La patiente est décédée le 15 février 2018. Saisie par Mme C... et Mme D..., filles de la défunte, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) a rendu le 9 juillet 2020 un avis rejetant leur demande d'indemnisation. Une réclamation préalable indemnitaire du 3 décembre 2020 a été adressée au centre hospitalier de Digne-les-Bains, donnant lieu à une décision implicite de rejet. Par un jugement du 21 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille, retenant une perte de chance de 10 % d'éviter la survenue de l'accident vasculaire cérébral à l'origine du décès, a condamné le centre hospitalier de Digne-les-Bains à payer à Mme C... et à Mme D... la somme de 400 euros en réparation du préjudice subi par Mme B... F... et la somme de 500 euros à chacune en réparation de leur préjudice personnel. Les requérantes, agissant en leur nom personnel et leur qualité d'ayants-droit de leur mère décédée, demandent à la cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait droit que partiellement à leur demande.
Sur la responsabilité :
2. Il résulte de l'instruction, en particulier de l'expertise ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que le décès de Mme F..., hospitalisée le 1er février 2018, a pour cause la survenance d'un accident vasculaire cérébral hémorragique récidivant, dû au traitement anti-coagulant par Pradaxa que suivait la patiente, atteinte de fibrillation auriculaire depuis 2014. Si le service des urgences du centre hospitalier a constaté, le 1er février 2018, que Mme F... souffrait d'un sub-œdème pulmonaire et d'une arythmie par fibrillation auriculaire, le dossier médical de la patiente ne comprend aucune observation médicale sur la période du 2 février au 11 février 2018. Seul un examen par tomodensitométrie a été pratiqué le 5 février 2018, révélant en particulier un foyer de pyélonéphrite rénale. L'expert relève que cet examen aurait dû être étendu au crâne, en présence de signes d'alerte que la famille de Mme F... avait portés à la connaissance de l'équipe médicale, tels que des troubles neuropsychologiques et d'asthénie physique que présentait l'intéressée en plus de son infection urinaire. Cet examen approfondi aurait permis la découverte de l'hématome sous-dural chronique dont souffrait l'intéressée, qui est une complication classique du traitement anticoagulant qu'elle prenait. Il aurait conduit, en conséquence, à l'arrêt immédiat de l'administration du médicament Pradaxa auquel aurait pu être substitué un traitement anticoagulant rapidement réversible. Or, ce n'est que le 12 février 2018, date à laquelle Mme F... a été retrouvée inconsciente dans son fauteuil, qu'un scanner a été réalisé en urgence et a mis en évidence un hématome sous-dural étendu, avec images de saignements anciens et récents, fronto-pariéto-occipital droit, avec effet de masse et déviation importante de la faux, œdème cérébral et probable début d'engagement, confirmant ainsi les constatations faites par la famille sur la dégradation de son état de santé. Ces éléments sont ainsi de nature à établir un défaut de surveillance et une faute dans l'organisation du service public hospitalier de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Digne-les-Bains.
3. Si l'expert mentionne qu'il est très difficile de savoir si l'arrêt du Pradaxa dès le début de son hospitalisation aurait permis de stopper un saignement en cours ou d'éviter une récidive de l'hématome sous-dural, l'expert souligne cependant que l'absence de surveillance médicale, en dépit des inquiétudes exprimées par la famille, et le défaut d'extension de la tomodensitométrie à la sphère cérébrale, qui aurait permis la découverte de l'hématome, ont fait perdre à Mme F... une chance de survie. L'expert a précisé que cette perte de chance pouvait être estimée, compte tenu de l'âge de l'intéressée et des antécédents cardio-vasculaires qu'elle présentait, de quelques mois à trois ou quatre ans. Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas certain que l'accident vasculaire cérébral ne serait pas advenu en l'absence de retard fautif dans l'arrêt du traitement Pradaxa, c'est à bon droit que les premiers juges ont évalué la perte de chance d'éviter la survenue de son accident vasculaire cérébral à l'origine de son décès, à un taux, qui n'est critiqué par aucune des parties en appel, de 10 %.
Sur l'évaluation des préjudices :
4. Il résulte de l'instruction que l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation a évalué à 3 sur une échelle allant de 1 à 7 les souffrances endurées par Mme F... du fait de l'accident vasculaire cérébral survenu, en les qualifiant de modérées. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce poste de préjudice en l'évaluant à la somme de 400 euros, compte tenu du taux de perte de chance fixé à 10 %.
5. Mme C... et Mme D..., qui n'établissent, ni même n'allèguent, qu'elles résidaient au domicile de leur mère, n'apportent aucun élément de nature à établir que le tribunal administratif de Marseille aurait fait une insuffisante appréciation du préjudice moral et d'affection qu'elles ont subi du fait du décès de celle-ci en l'évaluant, compte tenu du taux de perte de chance retenu et non contesté de 10 %, à la somme de 500 euros chacune.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme C... et Mme D... ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille n'a fait droit que partiellement à leur demande.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
7. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la mutualité sociale agricole Alpes Vaucluse qui, régulièrement mise en cause dans la présente instance, n'a pas produit de mémoire.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Digne-les-Bains, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme C... et Mme D... demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme C... et de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt est déclaré commun à la Mutualité sociale agricole Alpes Vaucluse.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à Mme E... D..., au centre hospitalier de Digne-les-Bains et à la mutualité sociale agricole Alpes Vaucluse.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2024.
N° 23MA00163