Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 8 mai 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, et, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de sa situation administrative et de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2304575 du 26 juin 2023, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2023 sous le n° 23MA03081,
M. A... B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2304575 du 26 juin 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté pris par le préfet des Bouches-du-Rhône le 8 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement et l'arrêté attaqués, ce dernier en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français, sont insuffisamment motivés ;
- la décision attaquée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle constituant une violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il est parfaitement intégré à la société française, qu'il justifie d'une insertion professionnelle exemplaire, et qu'il a noué des liens importants en France, pays où il est entouré de l'intégralité de sa famille puisque seul son père est toujours présent en Algérie ;
- la décision attaquée méconnaît les articles L. 435-1 et L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale au regard de sa situation personnelle résultant notamment de son statut de compagnon au sein d'Emmaüs ; en outre, il dispose de garanties de représentation ; la durée d'un an de l'interdiction de retour est, en tout état de cause, disproportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant devront être écartés par adoption des motifs du premier juge.
II - Par une requête, enregistrée le 21 décembre 2023, sous le n° 23MA03082, M. A... B..., représenté par Me Gilbert, demande à la Cour, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative :
1°) de surseoir à l'exécution du jugement n° 2304575 rendu par la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille le 26 juin 2023 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la mesure d'éloignement en litige risque d'entraîner pour lui des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens énoncés dans sa requête présentent un caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 janvier 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas sérieux et de nature à justifier le sursis à exécution du jugement du 26 juin 2023.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par deux décisions du 27 octobre 2023.
Un courrier du 26 février 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Martin.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 16 avril 1987 et de nationalité algérienne, a été interpellé par les services de police de Marseille et placé en retenue administrative le 8 mai 2023. Par arrêté du même jour, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée
d'un an à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire. Dans l'instance
n° 23MA03081, M. B... relève appel du jugement du 26 juin 2023 par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté, et dans l'instance n° 23MA03082, il demande que soit prononcé un sursis à exécution de ce jugement en application de l'article R. 811-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le tribunal administratif de Marseille, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments invoqués par les parties, a motivé de manière suffisante, au point 7 du jugement attaqué, sa réponse aux moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation. Par suite, ce jugement n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. (...) ".
4. L'arrêté attaqué vise notamment les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ainsi que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicables à la situation de M. B.... Cet arrêté précise par ailleurs que l'intéressé, né le 16 avril 1987 et de nationalité algérienne, n'est pas titulaire d'un titre de séjour en cours de validité et ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, qu'il n'entre dans aucune des catégories d'étrangers pouvant bénéficier d'un titre de séjour de plein droit, qu'il est célibataire, sans enfant, et qu'il n'est pas dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où réside notamment son père. Ce faisant, en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français, il est suffisamment motivé, et ce alors même qu'il ne mentionne pas l'ensemble des particularités de la situation du requérant. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui déclare être entré en France au cours du mois de décembre 2020, est accueilli depuis le 22 décembre 2020 au sein de la communauté Emmaüs de Cabriès, où il a travaillé en qualité de ripeur puis a pris en charge le poste de vendeur de meubles, au titre duquel il a donné toute satisfaction. Toutefois,
M. B..., célibataire et sans charge de famille, n'établit pas l'existence de liens suffisamment intenses, anciens et stables en France, en se bornant à produire les documents d'identité de membres de sa famille qu'il présente comme étant sa sœur, sa grand-mère, son beau-frère, un oncle et des cousins et cousines, ainsi que des attestations de clients et membres de la communauté Emmaüs évoquant ses qualités professionnelles, seules deux de ces attestations mentionnant laconiquement une relation amicale nouée avec l'intéressé.
M. B... n'établit pas davantage être dépourvu d'attache dans son pays d'origine, où il a vécu jusqu'à l'âge de 33 ans, et où réside son père. Dans ces conditions, en dépit de la circonstance que le requérant a suivi une formation de sensibilisation aux gestes qui sauvent, l'arrêté contesté portant obligation de quitter le territoire français, eu égard à son objet et à ses effets, n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris. Dès lors, en prenant cet arrêté, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni commis d'erreur manifeste d'appréciation.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ",
" travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ". Et aux termes de l'article L. 435-2 de ce même code : " L'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles et justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention
"salarié", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. ".
8. Les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Ce faisant, M. B... ne peut utilement se prévaloir des dispositions citées au point précédent des articles L. 435-1 et
L. 435-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'encontre de l'arrêté attaqué, ce d'autant plus, non seulement, que par cet arrêté, le préfet ne s'est pas prononcé sur une demande d'admission au séjour, mais également, de surcroît et en tout état de cause, qu'à la date de la décision attaquée, l'intéressé ne justifiait pas de trois années d'activité ininterrompue au sein de la communauté Emmaüs de Cabriès, et que cette activité ne saurait davantage être regardée comme répondant à des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels justifiant que le préfet fasse usage de son pouvoir discrétionnaire de régularisation. Enfin, à supposer qu'il ait entendu soutenir qu'il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français en application des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au motif qu'il devait se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, M. B... n'établit pas qu'il entrait dans l'une des catégories, fixées par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, ouvrant droit à la délivrance d'un titre de plein droit.
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée
d'un an :
9. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".
Et aux termes de l'article L. 612-10 de ce code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. (...) ".
10. Il résulte de ces dispositions que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, il lui appartient d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans les cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle.
La durée de cette interdiction doit être appréciée au regard des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
11. En premier lieu, il ressort de l'arrêté attaqué que le préfet des Bouches-du-Rhône, après avoir refusé d'accorder un délai de départ volontaire à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et après avoir indiqué que celui-ci ne justifiait d'aucune circonstance humanitaire particulière, lui a, en application des dispositions précitées de l'article L. 612-6 du même code, interdit le retour sur le territoire français et a fixé la durée de cette interdiction à un an, au motif qu'il a déclaré être entré sur le territoire français en décembre 2020, qu'il ne démontre pas y avoir résidé habituellement depuis cette date, qu'il ne justifie pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, qu'il est célibataire sans enfant et qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales dans son pays d'origine où réside notamment son père, nonobstant la présence de sa sœur en France. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'interdiction de retour sur le territoire français serait insuffisamment motivée.
12. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; (...) ".
13. A supposer que M. B..., qui soutient que le préfet ne pouvait se fonder sur la circonstance qu'il ne présente pas de garanties de représentation suffisantes en ce qu'il n'a pas présenté de passeport en cours de validité ni d'un lieu de résidence permanent, ait entendu soulever l'exception d'illégalité de la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire, il ressort toutefois de l'arrêté en litige que le préfet s'est également fondé, pour prendre cette décision, sur la circonstance que M. B... n'a pas justifié être entré régulièrement en France et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour, ce qui a permis à l'autorité administrative de regarder comme établi, en l'absence de circonstance particulière, le risque qu'il se soustraie à la décision d'éloignement dont il fait l'objet. Par suite, un tel moyen ne peut qu'être écarté.
14. En troisième et dernier lieu, comme exposé au point 6, le requérant ne justifie pas de liens suffisamment anciens et intenses avec la France. Son hébergement et son action au sein de la communauté Emmaüs de Cabriès depuis le 22 décembre 2020 ne caractérisent par ailleurs pas une circonstance humanitaire justifiant que la mesure d'éloignement dont il a fait l'objet ne soit pas assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français, dont la durée fixée à un an, compte tenu des éléments précédemment exposés, n'est pas disproportionnée.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par conséquent, être rejetées.
16. Le présent arrêt se prononçant sur l'appel formé par M. B... contre le jugement du 26 juin 2023, ses conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Il n'y a donc plus lieu d'y statuer.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23MA03082.
Article 2 : Les conclusions de la requête n° 23MA03081de M. B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Gilbert et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 avril 2024.
N° 23MA03081, 23MA03082 2