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12/04/2024 | FRANCE | N°23MA00711

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 12 avril 2024, 23MA00711


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la société A... B... et M. A... B..., et a demandé à la juridiction de condamner les intéressés au paiement d'une amende et à la remise en état de la plage de Cala Rossa / Tramulimacchia, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, en autorisant l'administration à y procéder, le cas échéant, d'office.



Par un jugemen

t n° 2200222 du 23 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de B...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, la société A... B... et M. A... B..., et a demandé à la juridiction de condamner les intéressés au paiement d'une amende et à la remise en état de la plage de Cala Rossa / Tramulimacchia, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, en autorisant l'administration à y procéder, le cas échéant, d'office.

Par un jugement n° 2200222 du 23 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a relaxé la société A... B... et M. A... B... des fins de la poursuite.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 mars 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 23 janvier 2023 ;

2°) de condamner la société A... B... et M. A... B... au paiement de l'amende prévue par le décret du 25 février 2003 ;

3°) de condamner la société A... B... et M. A... B... à remettre en état de la plage de Cala Rossa / Tramulimacchia, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, en autorisant l'administration à y procéder, le cas échéant, d'office.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le local de restauration et la terrasse en litige ont bien été implantés sur les lais et relais de la mer constituant le domaine public maritime tel que défini par l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi que cela est établi par les planches et photos produites et par l'annexe cartographique de l'arrêté préfectoral du 24 avril 1981 ;

- au demeurant, il n'est pas établi que les parcelles en cause n'appartenaient pas au domaine privé de l'Etat au 1er décembre 1963 ;

- l'occupation de la plage par des matelas et parasols mis à disposition des clients par le personnel, qui ne sont pas retirés par ceux-ci à l'issue de leur utilisation et qui a été constatée par procès-verbal, n'est pas autorisée par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, qui vaut schéma de mise en valeur de la mer ; en tout état de cause, elle constitue une occupation privative irrégulière du domaine public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 décembre 2023, la société A... B..., représentée par Me Poletti, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'environnement ;

- le code pénal ;

- la loi n° 63-1178 du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime ;

- le décret n° 72-879 du 19 septembre 1972 ;

- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société A... B..., dont M. A... B... est le gérant, exploite une paillote dénommée Tra Di Noi sur les parcelles cadastrées section C n° 1331 et 740 de la commune de Lecci. Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré les intéressés au tribunal administratif de Bastia, comme prévenus d'une contravention de grande voirie, à raison de la présence, sans titre l'autorisant, de ce local de restauration démontable, d'une terrasse, de matelas de plage et de parasols sur le domaine public maritime naturel de la plage de Cala Rossa / Tramulimacchia. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relève appel du jugement de la magistrate désignée près le tribunal du 23 janvier 2023 ayant relaxé la société A... B... et M. A... B... des fins de la poursuite.

Sur la régularité des poursuites :

2. Aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : " Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal. / (...) / La notification est faite dans la forme administrative, mais elle peut également être effectuée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. / (...) ".

3. L'administration justifie que le préfet a dûment fait faire notification de la copie du procès-verbal constatant la contravention, en date du 26 janvier 2022, à la société A... B... et à M. A... B..., par courriers recommandés avec accusé de réception, datés du 27 janvier 2022 et réceptionnés le 4 février 2022.

Sur la matérialité de la contravention :

En ce qui concerne le local de restauration et la terrasse :

4. D'une part, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2132-3 du même code : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 2111-4 de ce code : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : / 1° (...) le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; / (...) / 3° Les lais et relais de la mer: / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. / (...) ".

6. Pour constater que l'infraction, à caractère matériel, d'occupation irrégulière du domaine public, est constituée, le juge de la contravention de grande voirie doit déterminer, au vu des éléments de fait et de droit pertinents, si la dépendance concernée relève du domaine public. S'agissant du domaine public maritime, le juge doit appliquer les critères fixés par l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques. A cet égard, pour les lais et relais constitués avant la promulgation de la loi du 28 novembre 1963 relative au domaine public maritime, l'article 2 de cette même loi prévoit leur incorporation au domaine public maritime, laquelle incorporation est opérée, en application du décret visé ci-dessus du 19 septembre 1972, par arrêté préfectoral. L'acte d'incorporation des lais et relais de mer au domaine public maritime n'ayant pas un caractère réglementaire, son illégalité ne peut être invoquée par la voie de l'exception que dans le délai du recours contentieux.

7. Il résulte de l'instruction que, par arrêté du 24 avril 1981, régulièrement publié au recueil des actes administratifs du département de la Corse-du-Sud n° 3 du mois de juillet 1981, à l'encontre duquel le délai de recours est échu si bien que ne peut être invoquée son illégalité, le préfet de la Corse-du-Sud a incorporé au domaine public maritime, sous réserve des droits des tiers, les lais et relais de la mer de la plage de Cala Rossa sur le territoire de la commune de Lecci. Ceux-ci comprennent une bande de sable et quelques pins à l'arrière ainsi que cela ressort de la notice explicative de l'arrêté et tels qu'ils figuraient sur le plan, sous forme de photographie exploitable, annexé à cet acte. Aucun élément ne permet de supposer que le plan produit comme tel par l'administration ne serait pas celui annexé à l'arrêté. Contrairement à ce qu'a retenu la magistrate désignée près le tribunal administratif et sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise ou une visite des lieux, il ressort de ce plan, qui comporte un tracé de la limite de ces lais et relais côté terre, et des planches de superpositions que produit le ministre, que le local de restauration et la terrasse litigieux sont bien implantés sur les lais et relais de la mer qui ont été incorporés au domaine public maritime. Si la société A... B... et M. A... B... soutiennent que ce terrain d'assiette ne serait pas issu d'un retrait de la mer ou d'un apport d'alluvions par celle-ci intervenu avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 novembre 1963, cette circonstance est dès lors, en tout état de cause, inopérante. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que les parcelles auraient appartenu, à la date de l'incorporation, non pas au domaine privé de l'Etat mais à un tiers privé au sens des dispositions précitées du 3° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques, notamment par prescription acquisitive. Les installations litigieuses se trouvent dès lors, en vertu de ces dispositions, sur le domaine public maritime.

En ce qui concerne le mobilier de plage :

8. Aux termes de l'article L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques : " L'accès des piétons aux plages et leur usage libre et gratuit par le public sont régis par les dispositions de l'article L. 321-9 du code de l'environnement ". Aux termes de l'article L. 321-9 du code de l'environnement : " L'accès des piétons aux plages est libre sauf si des motifs justifiés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de protection de l'environnement nécessitent des dispositions particulières. L'usage libre et gratuit par le public constitue la destination fondamentale des plages au même titre que leur affectation aux activités de pêche et de cultures marines ".

9. L'installation et l'utilisation à titre précaire et temporaire d'accessoires de plage par les piétons n'excèdent pas le droit d'usage qui est reconnu à tous sur la dépendance du domaine public maritime qu'est la plage, en vertu des dispositions combinées des articles L. 2122-1, L. 2124-4 du code général de la propriété des personnes publiques et de l'article L. 321-9 du code de l'environnement, quand bien même ce matériel ne serait pas la propriété des usagers concernés et aurait été mis à leur disposition par des tiers dans l'exercice d'une activité commerciale, dès lors qu'il est utilisé sous leur responsabilité, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu'il est retiré par leurs soins après utilisation.

10. Contrairement à ce que soutiennent la société A... B... et M. A... B..., il ressort sans ambigüité des photos produites par l'administration que le mobilier de plage en litige, au regard de son uniformité et de son installation organisée aux abords immédiats de la paillotte, est usuellement mis à disposition des clients de l'établissement par celui-ci, ainsi que cela a d'ailleurs été relevé le 20 juillet 2021 au terme du procès-verbal de contravention de grande voirie faisant foi jusqu'à preuve contraire. Sont ainsi produits des commentaires de clients laissés sur les réseaux sociaux, dont l'un au moins, daté du 3 juillet 2021, fait référence à la location de transat. Cette installation constitue une occupation privative sans titre du domaine public maritime en lien avec l'activité commerciale de la société, dès lors, au regard des nombreuses photos de transats installés et vides produites par l'administration, qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce matériel serait utilisé sous la seule responsabilité des clients, pour la seule durée de leur présence sur la plage et qu'il serait retiré par leurs soins après utilisation.

11. Il résulte de ce qui précède que, tant en ce qui concerne le local de restauration et la terrasse, d'une part, que le mobilier de plage, d'autre part, c'est à tort que la magistrate désignée près le tribunal administratif n'a pas retenu que les faits mentionnés par le procès-verbal du 26 janvier 2022 étaient établis et constituaient une infraction au regard des dispositions citées ci-dessus du code général de la propriété des personnes publiques. Il appartient dès lors à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande présentée par le préfet de la Corse-du-Sud devant ce tribunal.

Sur le montant de l'amende :

12. Aux termes de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal (...) ". Aux termes de l'article 1er du décret du 25 février 2003 : " Toute infraction en matière de grande voirie commise sur le domaine public maritime en dehors des ports, et autres que celles concernant les amers, feux, phares et centres de surveillance de la navigation maritime prévues par la loi du 27 novembre 1987 susvisée, est punie de la peine d'amende prévue par l'article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5e classe. / (...) / L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de contrevenants ". L'article 131-13 du code pénal dispose : " (...) Le montant de l'amende est le suivant : (...) / 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5ème classe, (...) ".

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la société A... B... et M. A... B... au paiement d'une amende d'un montant de 1 500 euros chacun.

Sur la réparation domaniale :

14. Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, le juge administratif, saisi d'un procès-verbal de contravention de grande voirie accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, enjoint au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et peut, s'il l'estime nécessaire, prononcer une astreinte en fixant lui-même, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, le point de départ de cette astreinte, sans être lié par la demande de l'administration.

15. Au vu de ce qui précède et dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la société A... B... et M. A... B... à procéder à la remise en état du site par l'enlèvement des installations édifiées ou positionnées sur le domaine public maritime dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai. L'administration pourra procéder d'office à cette remise en état aux frais et risques des contrevenants en cas d'inexécution dans ce même délai.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bastia a relaxé la société A... B... et M. A... B... des fins de la poursuite pour contravention de grande voirie engagée à leur encontre par le préfet de la Corse-du-Sud. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement et de faire droit, dans les conditions exposées ci-dessus, auxdites poursuites.

Sur les frais liés à la première instance :

17. Les conclusions présentées par la société A... B... et M. A... B... en première instance au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, quant à elles, qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement de la magistrate désignée près le tribunal administratif de Bastia du 23 janvier 2023 est annulé.

Article 2 : La société A... B... et M. A... B... sont condamnés au paiement d'une amende de 1 500 euros chacun.

Article 3 : Il est enjoint à la société A... B... et M. A... B... de remettre dans son état naturel la partie du domaine public maritime irrégulièrement occupée dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard. A l'expiration de ce délai, l'Etat est autorisé à faire exécuter d'office cette remise en état, aux frais et risques des contrevenants.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société A... B... et M. A... B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative devant le tribunal administratif de Bastia sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la société A... B... et à M. A... B....

Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2024.

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N° 23MA00711

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00711
Date de la décision : 12/04/2024
Type de recours : Contentieux répressif

Analyses

Domaine - Domaine public - Consistance et délimitation - Domaine public naturel - Consistance du domaine public maritime.

Domaine - Domaine public - Protection du domaine - Contraventions de grande voirie.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : POLETTI

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-12;23ma00711 ?
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