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09/04/2024 | FRANCE | N°22MA01697

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 09 avril 2024, 22MA01697


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association syndicale libre (ASL) de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Hameau de Caïs a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner la commune de Fréjus à lui verser la somme de 182 208 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2019, date de sa réclamation indemnitaire préalable, avec capitalisation desdits intérêts, en réparation des préjudices résultant des inondations récurrentes de certaines villas située

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association syndicale libre (ASL) de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Hameau de Caïs a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner la commune de Fréjus à lui verser la somme de 182 208 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 octobre 2019, date de sa réclamation indemnitaire préalable, avec capitalisation desdits intérêts, en réparation des préjudices résultant des inondations récurrentes de certaines villas situées au niveau de la partie basse de la rue du Vallon d'Or, au sein du périmètre de cette ZAC, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Fréjus d'effectuer les démarches et formalités nécessaires auprès de l'Etat pour l'installation d'un bassin de rétention sur le terrain militaire situé à proximité et, enfin, de mettre à la charge de la commune de Fréjus une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Par un jugement n° 2000515 du 21 avril 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 16 juin 2022 et les 1er juin et 5 juillet 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs, représentée par Me Alvarez, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 avril 2022 ;

2°) à titre principal, d'enjoindre à la commune de Fréjus de faire effectuer les travaux préconisés par l'expert judiciaire, dans son rapport du 10 décembre 2018, soit l'approfondissement du bassin de rétention de 30 cm environ, et la fourniture et la pose d'un cadre en béton armé de section (largeur 1,50 mètre / hauteur 1 mètre), depuis l'aval du bassin de rétention jusqu'au vallon y compris les ouvrages de tête et de sortie ainsi que l'évacuation en décharge publique des canalisations existantes (deux buses de 600 mm et une buse de 400 mm) ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Fréjus à lui verser cette somme de 182 208 euros, majorée des intérêts de droit à compter de la date de sa première demande d'indemnisation formée le 14 octobre 2019, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité ;

4°) d'enjoindre à la commune de Fréjus d'effectuer les démarches et formalités nécessaires auprès de l'Etat pour qu'un bassin de rétention soit installé sur le terrain militaire situé à proximité, selon les préconisations de l'expert judiciaire ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Fréjus la somme de 4 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens, en application de l'article R. 761-1 du même code.

Elle soutient que :

- elle est recevable à modifier ses conclusions dans son premier mémoire complémentaire et il ne s'agit pas de conclusions nouvelles ;

- la responsabilité pour faute présumée de la commune de Fréjus est engagée dès lors que le bassin de rétention à l'origine du dommage est un ouvrage public et qu'elle a la qualité d'usager ;

- si la qualification d'ouvrage public n'était pas retenue pour ce bassin de rétention, la responsabilité sans faute de la commune de Fréjus serait engagée à raison de l'insuffisance manifeste du réseau d'évacuation des eaux pluviales ;

- la commune de Fréjus a commis une faute en autorisant l'implantation du lotissement malgré l'insuffisance du bassin de rétention ;

- contrairement à ce qu'alléguait la commune de Fréjus dans ses mémoires en défense produits devant le tribunal administratif de Toulon, elle dispose du droit d'agir en justice et sa demande de première instance était recevable ;

- la commune de Fréjus ne pouvait pas lui opposer la prescription quadriennale et sa demande de première instance a été présentée dans les délais ;

- en indiquant qu'elle ne rapportait pas la preuve d'un dommage et d'un lien de causalité, le tribunal administratif de Toulon a tiré une conclusion erronée de l'analyse des pièces versées aux débats ;

- c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon s'est prononcé sur la négligence dont la commune de Fréjus a fait preuve en autorisant la construction du lotissement ;

- son préjudice s'élève à la somme de 182 208 euros correspondant aux travaux de reprise du bassin ;

- contrairement à ce que fait valoir la commune de Fréjus dans son mémoire en défense, sa demande afférente à la mise en place d'un bassin de rétention sur le terrain militaire situé à proximité du Hameau de Caïs est recevable.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 3 mai et 9 juin 2023, la commune de Fréjus, représentée par Me Bernard-Chatelot, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions nouvelles présentées par l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs dans son mémoire complémentaire sont irrecevables ;

- le bassin de rétention créé par l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs pour les besoins de ses membres, financé par ces derniers, est depuis l'origine un ouvrage privé ;

- l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs ne démontre ni l'insuffisance du réseau public, ni qu'elle aurait commis une faute en autorisant l'implantation du lotissement ;

- si, selon les termes de sa requête, c'est " au regard des conclusions de l'expert " qu'elle entend lui réclamer la somme de 182 208 euros correspondant au coût des travaux de reprise du bassin, ces travaux ne sont, du propre aveu de cet expert, pas de nature à résoudre le problème ; il est inenvisageable d'utiliser des fonds publics pour financer des travaux dont l'inutilité est avérée ;

- si l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs demande à la Cour d'enjoindre à la commune de Fréjus d'effectuer les démarches et formalités nécessaires auprès de l'Etat pour qu'un bassin de rétention soit installé sur le terrain militaire situé à proximité du lotissement Le Hameau de Caïs, il n'entre pas dans l'office du juge administratif de faire droit à une telle demande.

Par une ordonnance du 12 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 12 juillet 2023, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Mokrane, substituant Me Bernard-Chatelot, représentant la commune de Fréjus.

Considérant ce qui suit :

1. L'association syndicale libre (ASL) de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Hameau de Caïs expose que, depuis plusieurs années, les propriétaires des villas situées dans la partie basse de la rue du Vallon d'Or, au sein de cette ZAC, subissent des inondations récurrentes. Par exploit du 16 mars 2017, huit de ces propriétaires ont fait assigner l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan en désignation d'un expert. Par une ordonnance du 26 avril 2017, le juge des référés a fait droit à leur demande et a ordonné une expertise aux fins de rechercher tous éléments relatifs aux causes et conséquences des désordres subis par ces propriétaires et, après les avoir décrits, de dire si les travaux hydrauliques réalisés jusqu'alors par l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs étaient adaptés et suffisants. A la demande de cette ASL, ces opérations expertales ont été étendues à la commune de Fréjus, par une ordonnance rendue par le même juge des référés le 11 avril 2018, avant que l'expert judiciaire ne rende son rapport le 10 décembre suivant. Le 14 octobre 2019, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs a demandé à la commune de Fréjus le versement de la somme de 182 208 euros correspondant au coût des travaux de reprise du bassin de rétention, qui, selon cet expert judiciaire, serait en l'état inadapté, et qu'elle effectue les démarches et formalités nécessaires auprès des services de l'Etat pour qu'un autre bassin de rétention puisse être installé sur le terrain militaire situé à proximité du lotissement Le Hameau de Caïs. L'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs relève appel du jugement du 21 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté le recours qu'elle avait déposé suite au silence gardé par le maire de Fréjus sur cette réclamation indemnitaire préalable et qui tendait aux mêmes fins que celle-ci.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

2. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel (Conseil d'Etat, 8 février 2022, n° 453105, B ; Conseil d'Etat, 10 avril 2019, n° 411961, B).

3. Par ailleurs, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public (Conseil d'Etat, Assemblée, avis 29 avril 2010, n° 323179, A).

S'agissant du réseau d'évacuation des eaux pluviales :

4. D'une part, aucune disposition législative ou réglementaire, ne prévoit, et aucun principe n'impose, que les communes ont l'obligation de recueillir l'ensemble des eaux de pluie transitant par leur territoire afin d'éviter que les eaux de ruissellement n'atteignent les propriétés riveraines édifiées dans l'axe de leur écoulement naturel. D'autre part, par les pièces qu'elle verse aux débats, y compris le rapport de l'expert commis par le juge des référés du tribunal de grande instance de Draguignan, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs n'établit pas que le réseau d'évacuation des eaux pluviales présenterait une quelconque insuffisance ou inadaptation qui aurait joué un rôle causal direct dans l'aggravation des inondations en cause. La responsabilité sans faute de la commune de Fréjus ne saurait donc être recherchée à ce titre.

S'agissant du bassin de rétention :

5. Il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport d'expertise déposé au greffe du tribunal de grande instance de Draguignan le 10 décembre 2018, que les inondations dont sont victimes, en cas de pluie, les propriétaires des villas situées dans la partie basse de la rue du Vallon d'Or résultent d'écoulements d'eaux provenant du bassin de rétention des eaux pluviales du lotissement, celui-ci ayant une capacité insuffisante pour un événement pluviométrique de fréquence décennale. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la commune de Fréjus serait propriétaire de ce bassin de rétention réalisé dans le cadre de l'opération de construction du lotissement Le Hameau de Caïs, ni qu'à l'issue de cette opération, celui-ci aurait été transféré dans le domaine public communal. Il ne résulte, en outre, d'aucun élément versé au dossier que la commune de Fréjus serait responsable de son entretien ou que cet ouvrage, aurait été conçu afin de répondre à d'autres besoins que ceux de ce lotissement. Si, dans son rapport, l'expert judiciaire indique que la destination de ce bassin de rétention " a évolué depuis sa construction du fait de l'augmentation des apports extérieurs en liaison avec le développement de l'urbanisation et de l'imperméabilisation des sols pour donner à cet ouvrage le caractère d'ouvrage public ", il n'appartient pas à un expert de se prononcer sur des questions de droit, et notamment sur la nature privée ou publique d'un ouvrage. En tout état de cause, la seule circonstance que, compte tenu de la topographie des lieux, ce bassin de rétention puisse recueillir de tels apports est insuffisante pour le regarder comme ayant été affecté à l'usage direct du public ou aux besoins d'un service public. Il s'ensuit que ce bassin de rétention n'est pas un ouvrage public. Dès lors, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs n'est pas fondée à rechercher la responsabilité sans faute de la commune de Fréjus du fait des défauts de conception qui affectent ce bassin de rétention.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

6. L'ASL de la ZAC du hameau de Caïs, qui soutient que le maire de Fréjus aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de sa commune en autorisant l'implantation du lotissement Le Hameau de Caïs, malgré l'insuffisance du bassin de rétention, ne produit, à l'appui de ces allégations, aucun document, ni autorisation d'urbanisme, pas plus qu'elle ne se prévaut de la méconnaissance d'une disposition spécifique du code de l'urbanisme. Ce faisant, elle n'établit pas que la délivrance de l'autorisation d'urbanisme afférente aurait joué un rôle causal direct dans la survenance des inondations en cause. Par suite, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs n'est pas fondée à rechercher la responsabilité pour faute de la commune de Fréjus.

7. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense par la commune de Fréjus, l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction.

Sur les dépens :

8. La présente instance n'a pas donné lieu à dépens au sens des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

9. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Fréjus, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une quelconque somme au titre des frais exposés par l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs et non compris dans les dépens.

11. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'appelante une somme de 2 000 euros à verser à la commune intimée.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs est rejetée.

Article 2 : L'ASL de la ZAC du Hameau de Caïs versera à la commune de Fréjus une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association syndicale libre (ASL) de la zone d'aménagement concerté (ZAC) du Hameau de Caïs et à la commune de Fréjus.

Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

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No 22MA01697

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01697
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-01-02-02 Travaux publics. - Notion de travail public et d'ouvrage public. - Ouvrage public. - Ouvrage ne présentant pas ce caractère.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : BERNARD-CHATELOT

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22ma01697 ?
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