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15/03/2024 | FRANCE | N°22MA03069

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 15 mars 2024, 22MA03069


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :





Mme K... E..., M. C... E..., M. D... E..., Mme I... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à payer à Mme K... E... la somme de 4 516 euros au titre de son préjudice économique et la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme I... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. D... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. C... E..., la somme de 30 000

euros au titre de son préjudice moral et à Mme G... E... la somme de 5 000 euros au titre de...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme K... E..., M. C... E..., M. D... E..., Mme I... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à payer à Mme K... E... la somme de 4 516 euros au titre de son préjudice économique et la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme I... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. D... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. C... E..., la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et à Mme G... E... la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral.

Par un jugement n° 2000655 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat (ministère de l'intérieur) à payer à Mme K... E... une somme totale de 34 516 euros, à Mme I... E... une somme de 30 000 euros, à M. D... E... une somme de 30 000 euros, à M. C... E... une somme de 10 000 euros et à Mme G... E... une somme de 5 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la cour d'annuler le jugement du 13 octobre 2022 du tribunal administratif de Toulon et de rejeter la demande présentée par les consorts E... devant ce même tribunal.

Il soutient que :

A titre principal, sur l'absence de lien direct et exclusif entre la faute et le dommage :

- à titre liminaire, il renvoie à ses écritures de première instance et à celles du préfet du Var dans lesquelles il exposait que le brigadier-chef B... avait reçu l'ordre de déposer son arme de service à l'armurerie mais avait dupé sa hiérarchie quant à l'exécution de cet ordre ;

- la cause déterminante du décès des deux victimes est celle tenant aux motivations personnelles et à l'acte criminel commis par le brigadier-chef B... et non celle tenant à un prétendu défaut de surveillance de la remise de son arme par l'intéressé ;

- aucun élément ne permettait aux services de la police nationale d'anticiper les faits que le brigadier-chef B... allait commettre ;

- la faute commise par le brigadier-chef B... doit être considérée comme une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service et il renvoie, sur ce point, à ses écritures produites en première instance ;

A titre subsidiaire, sur l'évaluation des préjudices :

- le tribunal a fait une évaluation excessive des préjudices moraux des demandeurs.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2023, Mme G... E..., M. C... E..., M. D... E..., Mme I... E... et Mme K... E..., représentés par Me Carlhian, concluent :

1°) à titre principal, par la voie de l'appel incident, à la condamnation de l'État à payer à Mme K... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme I... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. D... E... la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. C... E..., la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et à Mme G... E... la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, et au rejet de la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

2°) à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement attaqué et au rejet de la requête du ministre de l'intérieur et des outre-mer ;

3°) en toute hypothèse, à la mise à la charge du ministre de l'intérieur et des outre-mer de la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne sont pas fondés ;

- le tribunal a fait une évaluation insuffisante des préjudices moraux qu'ils ont subis.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me de Soussa, substituant Me Carlhian, représentant les consorts E....

Considérant ce qui suit :

1. Dans la nuit du 5 au 6 août 2017, M. A... B..., brigadier-chef à la brigade anti-criminalité (BAC) de Toulon, a tué, avec son pistolet de service, l'ancien amant de sa compagne, M. F... H..., puis M. J... E..., ami de ce dernier, qui tentait de s'interposer. Mme K... E..., M. C... E..., M. D... E..., Mme I... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à payer à Mme K... E..., épouse de M. J... E..., la somme de 4 516 euros au titre de son préjudice économique résultant des frais d'obsèques de son époux et la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme I... E..., mère de M. J... E..., la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. D... E..., père de M. J... E..., la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice moral, à M. C... E..., frère de M. J... E..., la somme de 30 000 euros au titre de son préjudice moral et à Mme G... E..., belle-sœur de M. J... E..., la somme de 5 000 euros au titre de son préjudice moral. Par un jugement n° 2000655 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat (ministère de l'intérieur) à payer à Mme K... E... une somme totale de 34 516 euros, dont 4 516 euros au titre de son préjudice économique et 30 000 euros au titre de son préjudice moral, à Mme I... E... une somme de 30 000 euros, à M. D... E... une somme de 30 000 euros, à M. C... E... une somme de 10 000 euros et à Mme G... E... une somme de 5 000 euros. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel de ce jugement tandis que, par la voie de l'appel incident, les consorts E... demandent à la cour de leur accorder une meilleure indemnisation.

Sur la compétence de la juridiction administrative :

2. Il est constant que M. B... a assassiné avec son arme de service M. H..., l'ancien amant de sa compagne et M. E..., ami de celui-ci, pour des mobiles personnels. Toutefois, il résulte de l'instruction que M. B... avait conservé cette arme alors qu'il avait été placé en arrêt maladie du 7 au 20 juin 2017 inclus et du 26 juin 2017 au 16 juillet 2017, puis prolongé jusqu'au 6 et 14 août de la même année, contrairement aux énonciations de la note de service n° 203/15 du directeur départemental de la sécurité publique du Var qui dispose que :

" Le fonctionnaire de police qui bénéficie d'une interruption de service supérieure à celle du repos cyclique ou hebdomadaire doit réintégrer à l'armurerie du service son arme ainsi que les chargeurs et munitions ". Certes, son supérieur hiérarchique, eu égard aux difficultés psychologiques dont lui avait fait part M. B..., a demandé à ce dernier, par un message SMS adressé le 26 juin 2017, de ramener son arme. Mais la remise effective à l'armurerie n'a pas été vérifiée, le supérieur hiérarchique se fiant à un échange de SMS avec l'intéressé, jusqu'alors reconnu comme un agent de confiance, indiquant qu'il allait déposer son arme de service. Durant la période courant de cette date jusqu'au 4 août 2017, aucun contrôle n'a été réalisé, alors même que la note n° 171/2016 du directeur départemental de la sécurité publique du Var prévoit un contrôle régulier des armes détenues par les policiers absents du service. La circonstance que M. B... ne l'ait pas remise lui-même alors qu'il avait indiqué le faire est, dans ces conditions, sans incidence dès lors que, ainsi que le prévoient les instructions applicables, la remise des armes est soumise à la surveillance et au contrôle direct du supérieur hiérarchique ou de l'agent désigné à cet effet. De même, la note du directeur général de la police nationale du 18 novembre 2015 relative au port de l'arme individuelle par les policiers actifs hors service dans le cadre du contexte d'état d'urgence suite aux attentats du 13 novembre 2015 et qui ouvre la possibilité aux agents de conserver leur arme de service à leur domicile, n'a ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l'exécution d'un ordre d'un supérieur hiérarchique demandant à un agent de restituer son arme de service. Un défaut de surveillance et de contrôle est donc imputable à l'administration. Dans ces conditions, les crimes commis par M. B..., alors même que leur motivation leur conférait le caractère d'une faute personnelle, n'étaient, en l'espèce, pas dépourvus de tout lien avec le service. La responsabilité de l'Etat pouvait donc être recherchée devant les juridictions administratives.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité de l'Etat :

3. Ainsi qu'il a été dit au point 2, un défaut de surveillance et de contrôle est imputable à l'Etat. Dès lors, contrairement à ce que soutient le ministre, la responsabilité de l'Etat est entièrement engagée sans que puisse être opposée aux victimes la faute commise par M. B..., ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal.

En ce qui concerne les préjudices :

4. Eu égard à la nature du préjudice dont il est demandé réparation ainsi qu'aux circonstances soudaines et violentes dans lesquelles est survenu le décès de M. E..., le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice moral subi tant par Mme K... E... que M. D... E... et Mme I... E... en l'évaluant à la somme de 30 000 euros chacun.

5. En revanche et eu égard aux circonstances qui viennent d'être rappelées, il a fait une évaluation insuffisante de celui subi par M. C... E..., frère de la victime, en l'évaluant à la somme de 10 000 euros. Il en sera fait, à cet égard, une juste appréciation en le fixant à la somme de 15 000 euros.

6. Enfin, c'est à tort que le tribunal a accordé la somme de 5 000 euros à Mme G... E..., la belle-sœur de M. J... E..., dont le préjudice moral n'était pas justifié alors même que celle-ci n'était par ailleurs pas un ayant droit du défunt.

7. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est uniquement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamné à payer une somme de 5 000 euros à Mme G... E... et, d'autre part, que les consorts E... sont uniquement fondés à soutenir que l'indemnisation accordée à M. C... E... par ce même tribunal doit être portée à la somme de 15 000 euros. Il y a lieu, dès lors, de réformer en ce sens le jugement attaqué.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'intérieur et des outre-mer une somme globale de 1 500 euros à verser à Mme K... E..., à M. C... E..., à M. D... E... et à Mme I... E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions ayant le même objet présentées par Mme G... E..., partie perdante, doivent être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : L'indemnité à laquelle le ministre de l'intérieur et des outre-mer a été condamné à payer à M. C... E... par le tribunal administratif de Toulon dans son jugement du 13 octobre 2022 est portée à la somme de 15 000 euros.

Article 2 : L'article 5 du jugement du tribunal administratif de Toulon du 13 octobre 2022 est annulé.

Article 3 : La demande présentée par les consorts E... devant le tribunal administratif de Toulon est rejetée en tant qu'elle tend à la condamnation de l'Etat à payer une indemnité à Mme G... E....

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 13 octobre 2022 est réformé en ce qu'il est contraire à la présente décision.

Article 5 : Le ministre de l'intérieur et des outre-mer versera à Mme K... E..., à M. C... E..., à M. D... E... et à Mme I... E... une somme globale de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme K... E..., à M. C... E..., à M. D... E..., à Mme I... E... et à Mme G... E....

Copie du présent arrêt sera adressée au garde des Sceaux, ministre de la justice et au préfet du Var.

Délibéré après l'audience du 22 février 2024 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2024.

2

N° 22MA03069


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA03069
Date de la décision : 15/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-02-03 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Services de police.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : CARLHIAN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-15;22ma03069 ?
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