La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/03/2024 | FRANCE | N°22MA01919

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 15 mars 2024, 22MA01919


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon :



- d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur lui a refusé l'autorisation d'exploiter des parcelles lui appartenant situées sur le territoire de la commune de Carcès et de Monfort-sur-Argens, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux déposé le 30 novembre 2018 ou, subsidiairement, d'abroger cet arrêté ;


<

br> - d'enjoindre à l'administration de procéder à un réexamen de son dossier sous astreinte de 100 euros ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon :

- d'annuler l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur lui a refusé l'autorisation d'exploiter des parcelles lui appartenant situées sur le territoire de la commune de Carcès et de Monfort-sur-Argens, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux déposé le 30 novembre 2018 ou, subsidiairement, d'abroger cet arrêté ;

- d'enjoindre à l'administration de procéder à un réexamen de son dossier sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement ou, subsidiairement, d'abroger l'arrêté du 1er octobre 2018 sous astreinte de 300 euros par jour de retard.

Par un jugement no 1901187 du 6 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a, par son article 1er, admis l'intervention en défense de l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Pedini, par son article 2, annulé l'arrêté du 1er octobre 2018 et la décision de rejet du recours gracieux de M. B..., par son article 3, enjoint au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur de réexaminer la demande de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, par son article 4, mis à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à payer à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par son article 5, rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. B... et, par son article 6, rejeté les conclusions de l'EARL Pedini présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 6 juillet 2022, l'EARL Pedini, représentée par Me Dumolié, demande à la cour d'annuler ce jugement du 6 mai 2022 du tribunal administratif de Toulon, de rejeter la demande de M. B... et de mettre à la charge de ce dernier la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement du tribunal est entaché d'irrégularité dès lors qu'il n'a pas visé le récépissé du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 24 février 2022 et que ce pourvoi constituait une circonstance de fait et de droit nouvelle qui aurait dû conduire à la réouverture de l'instruction ;

- les premiers juges ont méconnu leur office en procédant à un contrôle normal de la légalité de la décision du préfet, alors qu'il s'agit d'un contrôle restreint ;

- le tribunal s'est exclusivement fondé sur la circonstance que la résiliation du bail a été prononcée à ses torts en raison de manquements de nature à compromettre la bonne exploitation des parcelles louées ; ces éléments ont trait à l'exécution du bail rural et non au contrôle des structures et n'avaient pas à être pris en compte ;

- le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux du 24 novembre 2020 et l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 24 février 2022, postérieurs à la décision du préfet, ne pouvaient constituer des éléments d'appréciation ;

- le tribunal a commis une erreur d'appréciation des faits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 septembre 2022, et une pièce enregistrée le 2 février 2024, M. B..., représenté par Me Galmard, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'EARL Pedini au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le jugement du tribunal n'est pas entaché d'irrégularité ;

- le tribunal ne s'est pas prononcé au regard de la législation sur les baux ruraux mais au regard de la législation sur le contrôle des structures et plus particulièrement sur l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime ; la résiliation du bail est justifiée par les manquements commis par l'EARL Pedini avant et après l'arrêté du 1er octobre 2018 ;

- la décision litigieuse a été prise par une autorité incompétente ;

- la décision n'a pas été précédée d'une procédure contradictoire en méconnaissance de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration ;

- elle est entachée d'un défaut de motivation ;

- la commission départementale d'orientation de l'agriculture a donné un avis favorable à sa demande ;

- la décision a méconnu les dispositions des articles L. 312-1 et L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime et de l'article 3 de l'arrêté du 30 juin 2016 portant schéma directeur régional des exploitation agricoles ;

- la résiliation du bail rural aux torts de l'EARL Pedini, prononcée par jugement du 24 novembre 2020 du tribunal paritaire des baux ruraux, et confirmée le 24 février 2022 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, est justifiée ;

- son opération n'était pas soumise à autorisation préalable au regard de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime, dès lors qu'il remplissait les conditions de capacité et d'expérience professionnelle requises, que son projet de reprise des parcelles n'avait pas pour effet, à lui seul, de ramener la superficie de l'exploitation du preneur en-dessous du seuil de contrôle et qu'il n'est pas un exploitant pluriactif ;

- le préfet s'est à tort fondé sur la circonstance que la viabilité de l'exploitation de l'EARL Pedini était compromise ; il a irrégulièrement pris en compte la reprise concomitante des terres appartenant à M. B... pour estimer que la superficie de l'exploitation du preneur était ramenée en-dessous du seuil de contrôle.

Par un mémoire enregistré le 25 septembre 2023, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire indique s'en remettre à la sagesse de la cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., propriétaire de parcelles de vignes situées sur le territoire des communes de Montfort-sur-Argens et de Carcès, a donné à bail rural ces parcelles à l'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) Pedini. Le bail rural conclu le 5 juillet 2011 expirant le 6 juillet 2020, M. B... a souhaité reprendre ses terres pour les exploiter lui-même. Sa demande d'autorisation d'exploiter ses terres a cependant été rejetée par arrêté du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur du 1er octobre 2018. Par un jugement du 6 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision du 1er octobre 2018 du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. L'EARL Pedini relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. Dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

3. Il résulte de l'instruction que l'EARL Pedini a produit, le lendemain de l'audience du 20 avril 2022, une note en délibéré, indiquant notamment au tribunal administratif de Toulon qu'elle avait décidé de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 24 février 2022, lequel a confirmé la légalité de la résiliation du bail rural qui lui avait été consenti par M. B.... Conformément aux principes rappelés au point précédent, le tribunal a visé cette note sans l'analyser. Dès lors que cette note informait clairement le tribunal de l'existence de ce pourvoi en cassation, ce dernier n'a pas entaché l'arrêt d'irrégularité en ne visant pas spécifiquement la preuve de ce pourvoi enregistrée au greffe le 22 avril 2022 qu'il a au demeurant visé dans le cadre de la mention figurant dans le jugement " vu les autres pièces du dossier ".

4. Par ailleurs, la seule circonstance que l'EARL Pedini ait, postérieurement à la clôture de l'instruction, formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt précité de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, au demeurant rejeté par un arrêt de la cour de cassation du 25 janvier 2024, ne saurait caractériser une circonstance de fait ou de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement dont le tribunal aurait dû tenir compte, à peine d'irrégularité.

5. Par suite, les moyens tirés par l'EARL Pedini de l'irrégularité de ce jugement doivent être écartés.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime : " I. - Sont soumises à autorisation préalable les opérations suivantes : (...) 2° Quelle que soit la superficie en cause, les installations, les agrandissements ou les réunions d'exploitations agricoles ayant pour conséquence : a) De supprimer une exploitation agricole dont la superficie excède le seuil mentionné au 1° ou de ramener la superficie d'une exploitation en deçà de ce seuil (...) ". Aux termes de l'article L. 331-3-1 du même code : " I. L'autorisation mentionnée à l'article L. 331-2 peut être refusée : 1° Lorsqu'il existe un candidat à la reprise ou un preneur en place répondant à un rang de priorité supérieur au regard du schéma directeur régional des structures agricoles mentionné à l'article L. 312-1 ; 2° Lorsque l'opération compromet la viabilité de l'exploitation du preneur en place (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que pour refuser à M. B... l'autorisation d'exploiter la surface de 6 hectares 96 ares et 49 centiares sur les parcelles situées sur le territoire de Montfort-sur-Argens et de Carcès, le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur s'est fondé sur la circonstance que l'opération envisagée par M. B... était de nature à compromettre la viabilité économique de l'exploitation agricole de l'EARL Pedini, titulaire d'un bail rural arrivant à expiration le 6 juillet 2020.

8. Cependant, les premiers juges ont considéré qu'à la date de la décision attaquée, l'EARL Pedini avait commis divers manquements de nature à compromettre la bonne exécution du fonds, caractérisés notamment par un entretien défaillant des parcelles viticoles, constaté par M. B... avant l'édiction de la décision, et qui s'est poursuivi les années suivantes. Le dossier de demande d'autorisation d'exploitation présenté par M. B..., qui a fait suite au congé, adressé par ce dernier au preneur, aux fins de reprise des terres à l'échéance du bail rural, souligne le mauvais état de ces parcelles, la nécessité de procéder à un important entretien des vignes, dégradées par la présence de végétations et atteintes de maladies tel que le mildiou. Les manquements relevés ont donné lieu à la résiliation du bail rural aux torts du preneur par un jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Brignoles du 24 novembre 2020, confirmé par un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 24 février 2022. Ainsi, le tribunal a, par ces éléments, recherché si le rejet de la demande de M. B... avait pu être opposé par le préfet dans le but de sauvegarder la viabilité de l'exploitation du preneur en place, conformément au 2° de l'article L. 331-3-1 du code rural et de la pêche maritime. Ce faisant, il n'a pas confondu la législation relative aux baux ruraux et celle qui concerne le contrôle des structures agricoles et n'a pas méconnu le principe d'indépendance de ces législations.

9. Il ressort des éléments exposés au point précédent que les dégradations des parcelles viticoles qui faisaient l'objet de la demande de reprise de M. B... ont été constatées par ce dernier avant l'édiction de l'arrêté préfectoral. Le jugement du tribunal paritaire des baux ruraux et l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, certes postérieurs à l'arrêté préfectoral litigieux, sont de nature à corroborer une situation de fait préexistante, et soulignent notamment le défaut d'entretien des parcelles et les dommages causés à de nombreux ceps de vignes, sans qu'ait d'incidence la circonstance que la cour d'appel ait, d'une part, écarté des débats un procès-verbal de constat du 16 août 2018, d'autre part, jugé insuffisamment précis le procès-verbal de la séance de la commission départementale d'orientation agricole. Au demeurant, ces procès-verbaux, antérieurs à la décision litigieuse et faisant état du mauvais entretien des parcelles par l'EARL Pedini, sont corroborés par les pièces précitées du dossier et pouvaient ainsi servir également d'éléments d'information, dès lors qu'ils ont été soumis au contradictoire. Par suite, les premiers juges n'ont méconnu ni l'étendue de leur office ni de leur contrôle qui relève, contrairement à ce que soutient la requérante, d'un contrôle normal, en se fondant sur ces éléments pour apprécier la légalité de l'acte en cause.

10. Il résulte de ce qui précède que l'EARL Pedini n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé l'arrêté du 1er octobre 2018 par lequel le préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a refusé à M. B... l'autorisation d'exploiter des parcelles lui appartenant situées sur le territoire des communes de Monfort-sur-Argens et de Carcès, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EARL Pedini demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'EARL Pedini la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de l'EARL Pedini est rejetée.

Article 2 : L'EARL Pedini versera à M. B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'exploitation agricole à responsabilité limitée Pedini, à M. A... B... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée au préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 22 février 2024, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2024.

N° 22MA01919


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01919
Date de la décision : 15/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

03-03-03 Agriculture et forêts. - Exploitations agricoles. - Cumuls et contrôle des structures.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : GALMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-15;22ma01919 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award