Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 8 août 2019 par laquelle la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa maladie.
Par un jugement n° 1904859 du 13 décembre 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 février 2023, M. A..., représenté par Me Cesari, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement du 13 décembre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 8 août 2019 ;
3°) d'enjoindre à la société Orange de prendre en charge les arrêts de travail et soins liés à ses pathologies au titre de la maladie professionnelle et de mettre à jour le montant des salaires et mesures connexes pour la période des congés de maladie ordinaire ;
4°) de mettre à la charge de la société Orange une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 dès lors que sa maladie et son aggravation sont en lien avec les fonctions exercées pour la société Orange ;
- par la décision contestée, la société Orange a statué uniquement sur le refus d'imputabilité de la dorsalgie et de la lombalgie par l'absence de correspondance avec les critères du tableau des maladies professionnelles n° 97 et 98 et ne s'est pas prononcée sur le lien entre ces maladies ou leurs aggravations avec ses fonctions de téléconseiller ;
- le lien entre les aggravations de ses maladies résulte du laxisme, voire même des refus délibérés de la société Orange à adapter son poste de travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2023, la société Orange, représentée par l'association d'avocats à responsabilité professionnelle Baker et McKenzie, conclut au rejet de la requête de M. A... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le moyen tiré du défaut de motivation est irrecevable dès lors qu'en première instance, M. A... n'a invoqué que des moyens de légalité interne ;
- le juge administratif peut procéder d'office à une substitution de base légale de la décision contestée dès lors que le pouvoir d'appréciation de l'administration est identique lorsqu'elle met en œuvre les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 et celles de l'article 21 bis de la loi de 1983 et de son décret n° 2019-122 du 21 février 2019, entré en vigueur le 24 février suivant ;
- l'autre moyen soulevé par M. A... n'est pas fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2019-122 du 21 février 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux ;
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;
- et les observations de Me Cesari, représentant M. A... et de Me Perche, représentant la société Orange.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., agent public de l'Etat, employé par la société Orange depuis 1991, a successivement occupé les postes de promoteur de réseau, de technico-commercial, de responsable gestion de la maintenance immobilière et, en dernier lieu, de téléconseiller. Il a commencé à souffrir d'une lombalgie chronique, diagnostiquée dans les années 1990 qui a évolué en discopathie dégénérative et en arthrose. Le requérant a demandé, le 1er octobre 2018, à la société Orange la reconnaissance de l'imputabilité au service de ses pathologies. La commission de réforme a rendu un avis défavorable le 4 juillet 2019. Par une décision du 8 août 2019, la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service des pathologies dont souffre M. A.... Ce dernier relève appel de l'article 1er du jugement du 13 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 8 août 2019.
Sur l'irrecevabilité du moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision en litige :
2. Lorsque, postérieurement à la clôture de l'instruction, le juge informe les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative cité ci-dessus, que sa décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, cette information n'a pas par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction. La communication par le juge, à l'ensemble des parties, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office n'a pas non plus par elle-même pour effet de rouvrir l'instruction, y compris dans le cas où, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen. La réception d'observations sur un moyen relevé d'office n'impose en effet au juge de rouvrir l'instruction, conformément à la règle applicable à tout mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction, que si ces observations contiennent l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction.
3. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... n'a soulevé un moyen de légalité externe que dans sa réponse au moyen relevé d'office par le tribunal, enregistrée le 9 novembre 2022, postérieurement à la clôture d'instruction fixée au 20 mai 2022 à 12h par une ordonnance du 5 mai 2022. Par suite, le moyen de légalité externe tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée qui n'est pas d'ordre public, invoqué pour la première fois devant la Cour, se rattache à une cause juridique distincte de celle afférente aux moyens de légalité interne invoqués en première instance dans le délai du recours contentieux. Il constitue ainsi un moyen nouveau, irrecevable en appel.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les dispositions applicables :
4. Lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressée ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
5. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction applicable avant sa modification par le II de l'article 10 de l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants (...). Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; ".
6. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983, créé par le I de l'article 10 de l'ordonnance précitée du 19 janvier 2017, en vigueur depuis le 21 janvier 2017, et désormais codifié à l'article L. 822-20 du code général de la fonction publique : " I. Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article (...) / IV. -Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / (...) VI. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités du congé pour invalidité temporaire imputable au service mentionné au premier alinéa et détermine ses effets sur la situation administrative des fonctionnaires (...) ".
7. L'application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 étant manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant notamment les conditions de procédure applicables à l'octroi du nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, ces dispositions ne sont donc applicables, s'agissant de la fonction publique de l'Etat, que depuis l'entrée en vigueur, le 24 février 2019, du décret susvisé du 21 février 2019. Il en résulte que les dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017, sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 21 février 2019, soit le 24 février 2019.
8. Dès lors que les droits des agents en matière d'accident de service et de maladie professionnelle sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu ou la maladie a été diagnostiquée, la situation de M. A..., dont les pathologies ont été diagnostiquées le 15 janvier 1997, soit avant le 24 février 2019, est régie par les conditions de fond prévues avant l'entrée en vigueur des dispositions législatives et réglementaires relatives au nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service, soit celles de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.
9. Il ressort notamment des motifs de l'arrêté contesté que la société Orange a refusé de reconnaître l'imputabilité au service des pathologies dont souffre M. A..., au visa de la loi du 11 janvier 1984, du décret du 14 mars 1986 et du décret du 4 février 2014 tout en estimant que les pathologies dont ils souffrent ne sont pas imputables au service au motif qu'elles ne correspondent pas aux critères du tableau des maladies professionnelles n° 97 et 98. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 8 que l'arrêté en litige ne pouvait trouver son fondement dans les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Toutefois, le pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité administrative en vertu des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 est le même que celui dont l'investissent les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Les garanties dont sont assortis ces textes sont similaires, M. A... ayant au demeurant bénéficié de la consultation de la commission de réforme qui a émis un avis le 4 juillet 2019. Dans ces conditions, et comme le fait valoir la société Orange, il y a lieu de substituer ces dispositions à la base légale retenue par l'arrêté contesté.
En ce qui concerne l'appréciation du caractère imputable au service :
10. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
11. M. A... a occupé des fonctions de promoteur réseau pour la société orange de 1991 à 1994, de responsable concepteur de 1994 à 1996, de responsable de gestion de maintenance de 1996 à 1998, de chargé d'opération en détachement au conseil général des Alpes-Maritimes puis de téléconseiller depuis 2001. Il ressort des pièces du dossier, notamment des certificats médicaux produits par le requérant qu'une scoliose lombaire et une hyperlordose lombaire avec une ébauche de discopathie C6-C7 et L3-L4 ont été diagnostiquées le 15 janvier 1997, qu'il a bénéficié d'arrêts maladies en 2007, 2012, 2013, 2014 et 2018 en raison d'une lombalgie aiguë, et que cette dernière a évolué défavorablement en discopathie dégénérative ainsi que cela ressort du résultat de l'IRM du rachis-lombo-sacré daté du 7 mars 2018. Le 4 juillet 2019, la commission de réforme a rendu un avis défavorable à la reconnaissance du lien avec le service des pathologies de dorsalgie et de lombalgie. Si M. A... soutient que dans le cadre de ses fonctions d'agent spécialisé en téléinformatique, il devait transporter et installer des matériels informatiques particulièrement volumineux et lourds à l'aide de chariots élévateurs, les certificats précités ne se prononcent pas sur le lien avec le service de ses pathologies. Les fiches émanant de l'institut national de la recherche et de la sécurité produites par le requérant et indiquant que des travaux de manutention peuvent causer des sciatiques par hernie discale sont des documents généraux qui ne permettent pas d'établir un tel lien.
12. M. A... soutient également que l'aggravation de cette pathologie en discopathie et arthrose est liée à l'absence d'adaptation de son poste par la société Orange. Il ressort des pièces du dossier que dès le 21 juin 2005, le médecin du travail qui l'a examiné dans le cadre d'une visite de reprise a préconisé l'aménagement de son poste de travail par l'installation de l'agent en retrait de l'ambiance sonore du plateau de travail, la fourniture d'un siège récent, plus adapté à sa pathologie, de lui laisser passer la possibilité de passer en position assis-debout, recommandations réitérées le 12 octobre 2005. Il ressort également de ces pièces que la société intimée a procédé à l'aménagement du poste de travail du requérant en mettant en œuvre les recommandations de la médecine du travail par l'acquisition, le 15 octobre 2015, d'un tapis de souris gel, d'un repose poignet gel, de deux écrans identiques par l'inscription en mai 2017 de l'intéressé à une formation " identifier les postures sur écran afin de limiter l'apparition des TMS " et par l'achat d'un bureau réglable en hauteur électrique le 5 novembre 2018 après devis reçu le 23 octobre 2018 et étude de poste du 24 septembre 2018. Ainsi, s'il est constant que la société Orange a mis en place des mesures de protection dix ans plus tard, à partir de 2015 alors que les premières préconisations de la médecine du travail dataient de 2005, il n'est pas établi que les pathologies de M. A... auraient été aggravées par cette mise en œuvre tardive alors que comme dit au point 11, sa lombalgie aiguë a évolué défavorablement en discopathie dégénérative constatée par une IRM du rachis-lombo-sacré du 7 mars 2018.
13. Compte tenu de ce qui a été aux points 10 à 12, il ne ressort pas des pièces du dossier que les pathologies de M. A... présenteraient un lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de celle-ci.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision 8 août 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
15. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de M. A....
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la société Orange, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à M. A... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Orange en application desdites dispositions.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Orange présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la société Orange.
Délibéré après l'audience du 23 février 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 mars 2024.
N° 23MA00351 2
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