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29/02/2024 | FRANCE | N°23MA00071

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 29 février 2024, 23MA00071


Vu la procédure suivante :



Procédure antérieure :



La société Compagnie de gestion du matériel (ci-après Cogemat) a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 avril 2022 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre une amende d'un montant de 4 000 euros pour non-respect de son obligation de déclaration préalable de détachement d'un salarié, d'enjoindre à l'administratio

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Vu la procédure suivante :

Procédure antérieure :

La société Compagnie de gestion du matériel (ci-après Cogemat) a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 avril 2022 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé à son encontre une amende d'un montant de 4 000 euros pour non-respect de son obligation de déclaration préalable de détachement d'un salarié, d'enjoindre à l'administration de suspendre ses contrôles ou, à défaut, de surseoir à l'adoption de sanctions administratives jusqu'à ce que les discussions en cours entre les autorités françaises et monégasques aient abouti et qu'elles soient convenues d'une lecture commune sur l'application des dispositions relatives aux salariés détachés et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2203179 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de la société Cogemat.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 10 janvier 2023 et un mémoire complémentaire enregistré le 31 janvier 2024 qui n'a pas été communiqué, la société Cogemat, représentée par Maîtres Desplanques et Langlais, demande à la Cour :

1°) à titre principal, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice, de saisir, au besoin, le ministre des affaires étrangères et d'annuler la décision du 27 avril 2022 ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement et de diminuer le montant de l'amende prononcée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier, d'une part, en ce que le tribunal a soulevé d'office un moyen d'ordre public sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations et, d'autre part, en ce qu'il est insuffisamment motivé ;

- la sanction a été prise au-delà de l'expiration du délai de prescription ;

- les principes de légalité, de sécurité juridique et de proportionnalité ont été méconnus.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 juillet 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention générale du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale ;

- l'accord du 9 juillet 1968 entre la Principauté de Monaco et la France relatif aux transports routiers ;

- le code du travail ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Vincent,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Langlais pour la société Cogemat.

Une note en délibéré, présentée par Maîtres Desplanques et Langlais, a été enregistrée le 9 février 2024 pour la société Cogemat.

Considérant ce qui suit :

1. Lors d'un contrôle opéré le 24 janvier 2020 sur le chantier de construction " Iconic " à Nice, les services de l'inspection du travail ont relevé, s'agissant d'un salarié employé par la société de droit monégasque Cogemat, qu'aucune attestation de détachement relative à ce salarié n'avait été établie par cette dernière. Par une décision du 27 avril 2022, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur a prononcé une amende d'un montant de 4 000 euros à l'encontre de la société Cogemat pour manquement à son obligation de déclaration préalable de détachement. La société requérante interjette appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de cette sanction administrative.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 611-7 du code de justice administrative : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué (...) ".

3. La société requérante fait valoir que le tribunal a soulevé un moyen d'office sans avoir, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations. Il résulte des écritures de première instance que la société Cogemat avait soulevé le moyen tiré de ce que la sanction administrative litigieuse avait été prononcée au-delà du délai de prescription de deux ans fixé par les dispositions de l'article L. 1264-3 du code du travail. En estimant que ce délai de prescription avait été interrompu par la lettre par laquelle la procédure contradictoire avait été engagée, les premiers juges n'ont pas soulevé d'office un moyen mais répondu, au regard des pièces du dossier, au moyen qui leur était soumis et n'avaient, dès lors, pas à inviter les parties à présenter leurs observations en application des dispositions précitées du code de justice administrative.

4. En second lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

5. D'une part, les premiers juges ont, en procédant, aux points 8 et 9 du jugement, à l'analyse des deux conventions bilatérales susvisées entre la France et la Principauté de Monaco, suffisamment répondu au moyen tiré de ce que l'intéressée n'était pas tenue, du fait desdites conventions et de leur interprétation par les autorités monégasques, à une obligation de déclaration.

6. D'autre part, si la société requérante soutient que les premiers juges n'ont pas apporté une réponse suffisante au moyen tiré de ce que l'amende n'était pas proportionnée, il ressort des écritures de première instance que, si la bonne foi de l'intéressée était alléguée, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité n'avait pas été soulevé en tant que tel et que seule était demandée l'annulation de la sanction prononcée à l'exclusion de toute minoration.

Sur le bien-fondé du jugement :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1264-3 du code du travail : " (...) Le délai de prescription de l'action de l'administration pour la sanction du manquement par une amende administrative est de deux années révolues à compter du jour où le manquement a été commis (...) ". Par ailleurs, l'article L. 8115-5 du même code dispose que : " Le délai de prescription de l'action de l'autorité administrative pour la sanction du manquement par une amende administrative est de deux années révolues à compter du jour où le manquement a été commis ".

8. La société requérante soutient que, le manquement ayant été constaté le 24 janvier 2020, le délai de prescription expirait le 24 janvier 2022.

9. D'une part, si le ministre du travail fait valoir que le délai de prescription a été suspendu par application de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période tel que modifié par ordonnance n° 2020-666 du 3 juin 2020 qui dispose que : " Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d'office, application d'un régime particulier, non avenu ou déchéance d'un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois (...) ", il résulte de l'article 1er de ladite ordonnance que ces dispositions ne sont applicables qu'aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus. Par suite, et dès lors que le délai de la prescription de deux ans précité n'a pas expiré au cours de la période s'étendant du 12 mars 2020 au 23 juin 2020, le ministre n'est, ainsi que le soutient à juste titre la société requérante, pas fondé à soutenir que le délai de prescription aurait été suspendu du fait de l'application de ces dispositions.

10. Toutefois, d'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 8115-5 du code du travail : " Avant toute décision, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter, dans un délai fixé par décret en Conseil d'Etat, ses observations ". La lettre par laquelle, en application des dispositions précitées, l'autorité administrative informe par écrit la personne mise en cause de la sanction envisagée en portant à sa connaissance le manquement retenu à son encontre et en l'invitant à présenter ses observations, constitue, dès lors qu'elle comporte des indications suffisamment précises quant aux faits constatés, à la nature des manquements relevés, à leur imputabilité et aux sanctions encourues, le premier acte de l'action de l'administration en vue de la sanction du manquement au sens des dispositions de l'article L. 1264-3 du code précité.

11. Il résulte de l'instruction que l'administration a, par une lettre en date du 22 juin 2020 adressée à la société qui a fait objet de la sanction attaquée, précisé à l'intéressée la date et le lieu du contrôle, le nom du salarié détaché concerné, de son employeur, le motif de sa présence sur le chantier, le manquement dont elle s'est rendue coupable ainsi que les textes législatifs et réglementaires sur lesquels elle se fonde, et précisé le montant maximal de l'amende encouru et celui de sa majoration du fait de l'existence d'une récidive. Cette lettre, qui contenait ainsi des indications suffisamment précises quant aux faits constatés, à la nature des manquements relevés et aux sanctions encourues présentait le caractère d'une action de l'administration. Par suite, ladite lettre ayant été adressée à l'employeur dans le délai de prescription de deux ans à compter de la commission du manquement sanctionné, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions susmentionnées de l'article L. 1264-3 du code du travail auraient été méconnues.

12. En deuxième lieu, le juge administratif est compétent pour interpréter une convention internationale sans renvoi préjudiciel au ministre des affaires étrangères. Par suite, bien que les autorités françaises et monégasques aient une interprétation différente de la convention générale du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco sur la sécurité sociale et de l'accord du 9 juillet 1968 entre la Principauté de Monaco et la France relatif aux transports routiers, c'est sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs que les premiers juges ont procédé à l'interprétation desdites conventions.

13. En troisième lieu, d'une part, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des stipulations de la convention générale du 28 février 1952 entre la France et la Principauté de Monaco qui ont pour seul objectif de coordonner les régimes de sécurité sociale des deux pays. D'autre part, s'il résulte de l'article 2 de l'accord précité du 9 juillet 1968 que : " Les transports franco-monégasques sont soumis à une réglementation unique qu'ils soient assurés par des entreprises ayant leur siège dans la Principauté ou en France. A cette fin, la législation et la réglementation monégasque concernant les transports routiers seront identiques à la législation et à la réglementation française en la matière ", ces stipulations ne sauraient être regardées comme portant sur la législation et la réglementation sociale applicable aux salariés travaillant dans les entreprises de transports routiers. Par suite, elles ne dispensent pas les sociétés monégasques de leur obligation de déclaration des salariés détachés en France et de désignation d'un représentant en France en application des dispositions de l'article L. 1262-2-1 du code du travail.

14. En quatrième lieu, la société requérante soutient que le principe de sécurité juridique aurait été méconnu dès lors, d'une part, qu'elle avait reçu l'assurance des autorités monégasques quant à l'inapplicabilité des dispositions de droit interne français afférentes au détachement des salariés et, d'autre part, que l'administration française avait toujours jusqu'alors implicitement eu la même interprétation en n'édictant pas de sanction. Toutefois, et quelles qu'aient pu être les prises de position des autorités monégasques, il ne résulte nullement de l'instruction que l'administration française aurait, postérieurement à l'adoption des dispositions de la loi n° 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale et son décret d'application n° 2015-364 du 30 mars 2015, donné à la société concernée l'assurance de ce qu'elle n'était pas tenue à l'obligation de déclaration fixée par le code du travail français. Il résulte au contraire de l'instruction qu'au cours de nombreux contrôles précédents, la société requérante a fait l'objet de rapports de sanctions pour des faits identiques. Par suite, le moyen tiré de ce que le principe de sécurité juridique aurait été méconnu ne peut être qu'écarté.

15. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 1264-3 du code du travail : " (...) Le montant de l'amende est d'au plus 4 000 euros par salarié détaché et d'au plus 8 000 euros en cas de réitération dans un délai de deux ans à compter du jour de la notification de la première amende. Le montant total de l'amende ne peut être supérieur à 500 000 euros/ Pour fixer le montant de l'amende, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges ".

16. Par la décision contestée, une amende de 2 000 euros par salarié, portée à 4 000 euros du fait de la réitération de faits similaires sanctionnés le 19 décembre 2018, a été infligée à la société Cogemat. Si la société requérante fait valoir, d'une part, qu'elle n'a été sanctionnée pour aucun autre manquement, qu'elle ne pratique pas de dumping social et qu'elle est de bonne foi dès lors qu'elle avait l'assurance des autorités monégasques, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la position des autorités françaises lui était connue depuis plusieurs années et avait donné lieu précédemment à sanction administrative. D'autre part, si elle allègue également de difficultés techniques relatives aux déclarations effectuées sur le téléservice dédié SIPSI, il résulte de l'instruction qu'en dépit de la circonstance que les entreprises monégasques aient un numéro de TVA précédé du suffixe FR, il lui était possible, en application des dispositions de l'article R. 1263-3 du code du travail, de renseigner, dans la déclaration, les références d'immatriculation à un registre professionnel ou toutes autres références équivalentes et de désigner un représentant en France. Au demeurant, elle n'a nullement fait état, dans sa réponse à la lettre du 22 juin 2020, de difficultés d'ordre technique. Il résulte de tout ce qui précède et alors, du reste, que l'administration a appliqué une minoration de 50 % par rapport au montant total de l'amende encourue pour tenir compte des difficultés économiques du secteur au regard du contexte sanitaire, que la requérante n'est pas fondée à soutenir que le principe de proportionnalité aurait été méconnu et à solliciter, par voie de conséquence, une minoration de l'amende prononcée.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir le ministre des affaires étrangères, que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la sanction du 27 avril 2022 ni à solliciter en appel une minoration de l'amende prononcée. Il y a lieu également, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions présentées au titre des frais d'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Cogemat est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cogemat et à la ministre du travail, de la santé et des solidarités.

Délibéré après l'audience du 9 février 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 février 2024.

N° 23MA00071 2

fa


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00071
Date de la décision : 29/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Différentes catégories d'actes - Accords internationaux - Interprétation par le juge français.

Travail et emploi - Conditions de travail - Règlement intérieur - Contrôle par l'administration du travail.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : STREAM AVOCATS AND SOLLICITORS

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-29;23ma00071 ?
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