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01/02/2024 | FRANCE | N°22MA00126

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 01 février 2024, 22MA00126


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société Angelini Filliat a demandé au tribunal administratif de Marseille d'admettre la déductibilité de charges de son résultat imposable des exercices 2015 et 2016 et de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2015 et 2016.



Par un jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
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Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2022, la société...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Angelini Filliat a demandé au tribunal administratif de Marseille d'admettre la déductibilité de charges de son résultat imposable des exercices 2015 et 2016 et de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2015 et 2016.

Par un jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2022, la société Angelini Filliat, représentée par Me Weller, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de prononcer la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2015 et 2016 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les amendes qui lui ont été infligées sont insuffisamment motivées, ce qui constitue une erreur substantielle au sens de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- le II de l'article 1737 institue une sanction disproportionnée au regard du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel à la convention.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 juillet 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par la société Angelini Filliat ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 26 août 2022, la société Angelini Filliat a demandé à la Cour, à l'appui de sa requête, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 13 de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005.

Par une ordonnance du 15 décembre 2022, la présidente de la 3ème chambre de la Cour a transmis au Conseil d'Etat la question de la conformité à la Constitution du II de l'article 1737 du code général des impôts.

Par une décision n° 470761 du 14 avril 2023, le Conseil d'Etat a renvoyé au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des dispositions du II de l'article 1737 du code général des impôts.

Par une décision n° 2023-1054 QPC du 16 juin 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le paragraphe II de l'article 1737 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 2005-1512 du 7 décembre 2005 relative à des mesures de simplification en matière fiscale et à l'harmonisation et l'aménagement du régime des pénalités.

Par une ordonnance du 17 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 6 novembre 2023.

Par un courrier du 8 janvier 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la solution du litige était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer à concurrence de 7 euros au titre de l'année 2015 et de 16 309 euros au titre de l'année 2016.

Par un courrier du 11 janvier 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a déclaré ne pas avoir d'observations à formuler sur le moyen relevé d'office.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Platillero,

- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société Angelini Filliat, qui exerce une activité de commerce de gros alimentaire spécialisé dans la fourniture de produits pour les pizzerias, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle des propositions de rectification des 18 décembre 2017 et 27 août 2018 lui ont été notifiées. Au terme de la procédure, l'administration lui a notamment infligé l'amende prévue au II de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2015 et 2016. La société Angelini Filliat relève appel du jugement du 19 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge de ces amendes laissées à sa charge à la suite de l'admission partielle de sa réclamation préalable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Par une décision du 6 février 2020, postérieure à l'introduction de la demande de première instance, l'administration a prononcé un dégrèvement des amendes infligées à la société Angelini Filliat sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts, à concurrence de 7 euros au titre de l'année 2015 et de 16 309 euros au titre de l'année 2016. Ainsi, alors que la demande présentée par la société Angelini Filliat était dans cette mesure devenue sans objet, le tribunal administratif de Marseille ne pouvait omettre de prononcer le non-lieu correspondant dans le dispositif du jugement attaqué. Il y a lieu, par suite, d'une part, d'annuler ce jugement dans cette mesure, d'évoquer et de décider qu'il n'y a pas lieu d'y statuer, et, d'autre part, de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions de la requête.

Sur la régularité de la procédure d'établissement des amendes :

3. Aux termes de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales : " Les décisions mettant à la charge des contribuables des sanctions fiscales sont motivées au sens des articles L. 211-2 à L. 211-7 du code des relations entre le public et l'administration, quand un document ou une décision adressés au plus tard lors de la notification du titre exécutoire ou de son extrait en a porté la motivation à la connaissance du contribuable (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 27 août 2018, après avoir fait explicitement état de l'application de l'amende pour manquement aux règles de facturation prévue au II de l'article 1737 du code général des impôts, qu'elle cite en intégralité, au titre des années 2015 et 2016, rappelle les exigences en matière de facturation qui résultent de l'article 289 du même code et de l'article 242 nonies A de l'annexe II à ce code. Elle mentionne que le traitement informatisé des factures de la société Angelini Filliat a fait apparaître des anomalies consistant, sur l'exercice 2015, en 43 factures numérotées " -1 " et 3 262 factures ne mentionnant pas l'identité du client, sur un total de 11 235 factures, et, sur l'exercice 2016, en 10 504 factures numérotées " -1 " et 3 347 ne mentionnant pas l'identité du client, sur un total de 11 204 factures. Elle précise enfin le montant total des amendes infligées à la société Angelini Filliat au titre de chacune des années concernées, en renvoyant à des annexes comportant la liste de l'ensemble des factures concernées. Ainsi, l'application des amendes infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts est suffisamment motivée. A cet égard, compte tenu des mentions de la proposition de rectification, la circonstance que les titres des annexes à ce document mentionnent des articles erronés du code général des impôts est sans incidence, alors que ces mêmes annexes mentionnent expressément dans les tableaux qu'elles comportent l'article pertinent et font état du montant de 15 euros prévu à cet article. Par ailleurs, dès lors qu'est seule en litige l'amende prévue au II de l'article 1737 du code général des impôts, la circonstance que l'administration aurait insuffisamment motivé l'application de l'amende prévue au 3 du I du même article est sans incidence. Dans ces conditions, la société Angelini Filliat n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait insuffisamment motivé l'application des amendes en litige.

5. Par ailleurs, en l'absence d'irrégularité, la société Angelini Filliat n'est en tout état de cause pas fondée à se prévaloir de l'article L. 80 CA du même livre pour demander la décharge des amendes en litige.

Sur le bien-fondé des amendes :

6. Aux termes de l'article 1737 du code général des impôts : " (...) II. Toute omission ou inexactitude constatée dans les factures ou documents en tenant lieu mentionnés aux articles 289 et 290 quinquies donne lieu à l'application d'une amende de 15 €. Toutefois, le montant total des amendes dues au titre de chaque facture ou document ne peut excéder le quart du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné (...) ".

7. La société Angelini Filliat soutient que les amendes qui lui ont été infligées sur le fondement des dispositions précitées méconnaissent les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention, compte tenu de leur caractère objectivement disproportionné, dès lors qu'elles ne sont pas subordonnées à un comportement intentionnel et résultent en l'espèce de manquements aux règles de facturation dus à un logiciel d'édition de factures obsolète, ces manquements n'ayant pas eu d'incidence sur la détermination du montant de la taxe sur la valeur ajoutée et des droits à déduction et n'ayant causé aucun préjudice financier au Trésor, les opérations correspondantes ayant été régulièrement comptabilisées. Elle fait également valoir que le montant des amendes est en l'espèce disproportionné, en l'absence de plafonnement prévu par le II de l'article 1737 du code général des impôts.

8. En sanctionnant d'une amende fiscale les manquements aux règles de facturation, le législateur a entendu réprimer des comportements visant à faire obstacle au contrôle des comptabilités tant du vendeur que de l'acquéreur d'un produit ou d'une prestation de services et au recouvrement des prélèvements auxquels ils sont assujettis. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de lutte contre la fraude fiscale. Par ailleurs, les dispositions contestées punissent d'une amende forfaitaire d'un montant de 15 euros chaque omission ou inexactitude constatée dans une facture et prévoient, en cas de pluralité d'omissions ou inexactitudes affectant la même facture, un plafonnement du montant total des amendes égal à 25 % du montant qui y est ou aurait dû y être mentionné. L'assiette du plafond est en lien avec la nature de l'infraction. Le législateur a, ce faisant, instauré une sanction qui n'est pas disproportionnée au regard de la gravité des manquements qu'il a entendu réprimer. En outre, si, dans le cas où la facture inexacte ou incomplète est d'un montant individuel inférieur à 60 euros, l'amende encourue est nécessairement égale à 25 % du montant de cette facture, l'assiette de la sanction est en lien avec la nature de l'infraction et le taux retenu n'est pas disproportionné au regard de la gravité du manquement réprimé. Le juge de l'impôt, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et la qualification retenue par l'administration, décide, dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir cette amende, soit d'en prononcer la décharge. Les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention ne l'obligent pas à procéder différemment, notamment en contrôlant la proportionnalité du montant de l'amende contestée devant lui, la société Angelini Filliat ne pouvant ainsi utilement soutenir que le montant de l'amende qui lui a été infligée était, dans les circonstances particulières de l'espèce, disproportionné. Par suite, alors même que les amendes sanctionnant des manquements affectant plusieurs factures peuvent être cumulées et que le juge ne peut en moduler l'application, les dispositions contestées ne sont pas incompatibles avec les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elles ne portent pas plus une atteinte disproportionnée au droit au respect des biens garanti par les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel à cette convention.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société Angelini Filliat n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts au titre des années 2015 et 2016 restant en litige. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge de ces amendes doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Angelini Filliat demande au titre des frais qu'elle a exposés.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement n° 1910800 du 19 novembre 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé, en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de la société Angelini Filliat tendant à la décharge des amendes qui lui ont été infligées sur le fondement du II de l'article 1737 du code général des impôts, à concurrence de 7 euros au titre de l'année 2015 et de 16 309 euros au titre de l'année 2016.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Angelini Filliat est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société de fait Angelini Filliat et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, où siégeaient :

- Mme Paix, présidente,

- M. Platillero, président assesseur,

- Mme Mastrantuono, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.

2

N° 22MA00126


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00126
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-04 Contributions et taxes. - Généralités. - Amendes, pénalités, majorations.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: M. Fabien PLATILLERO
Rapporteur public ?: M. URY
Avocat(s) : SCP BEAM

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;22ma00126 ?
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