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23/01/2024 | FRANCE | N°23MA01952

France | France, Cour administrative d'appel, 4ème chambre, 23 janvier 2024, 23MA01952


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision verbale du 19 mars 2020 procédant à son changement d'affectation, ensemble la décision du 6 août 2020 portant rejet de son recours gracieux, et d'enjoindre à l'administration de le réaffecter au sein du quartier d'accueil et d'évaluation (QAE) du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille.

Par un jugement n° 2007596 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté

sa demande.



Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision verbale du 19 mars 2020 procédant à son changement d'affectation, ensemble la décision du 6 août 2020 portant rejet de son recours gracieux, et d'enjoindre à l'administration de le réaffecter au sein du quartier d'accueil et d'évaluation (QAE) du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille.

Par un jugement n° 2007596 du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 juillet et 11 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 25 mai 2023 ;

2°) d'annuler ces deux décisions des 19 mars et 6 août 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa demande de première instance n'était pas tardive et sa requête d'appel ne l'est pas davantage ;

- en ce qui concerne la régularité du jugement attaqué, c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a retenu la fin de non-recevoir opposée par l'administration et tirée de ce que la décision contestée de changement d'affectation serait une mesure d'ordre intérieur ; en effet, cette décision constitue une sanction déguisée et, en tout cas, elle a été prise en considération de sa personne ;

- sur les illégalités entachant la décision contestée portant changement d'affectation :

. cette décision n'a pas été précédée de la communication de son dossier et il n'a pas été informé de ses droits ; il a ainsi été privé d'une garantie ;

. constituant une mutation d'office, cette décision aurait dû être précédée de l'avis de la commission administrative paritaire (CAP) et de la saisine du conseil de discipline ;

. cette décision est entachée d'une erreur de fait ;

. ce changement d'affectation d'office n'est motivé par aucune considération liée à l'intérêt du service et s'avère entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

. il constitue une sanction déguisée et est entaché d'un détournement de pouvoir ;

. il procède d'un harcèlement moral.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 novembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- c'est sans commettre d'erreur de droit que le tribunal administratif de Marseille a considéré que les décisions contestées constituaient des mesures d'ordre intérieur et n'étaient donc pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

- s'agissant de l'examen du litige par la Cour, dans le cadre de l'effet dévolutif, il s'en remet, en tant que de besoin, aux écritures qu'il a produites en première instance.

Par une ordonnance du 11 décembre 2023, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 14 décembre 2023, a été reportée au 22 décembre 2023, à 12 heures.

Un mémoire, présenté pour M. B..., par Me Carmier, a été enregistré le 8 janvier 2024, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la fonction publique ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2006-441 du 14 avril 2006 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Carmier, représentant M. B....

Une note en délibéré, présentée pour M. B..., par Me Carmier, a été enregistrée le 9 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Depuis une note de service datée du 29 avril 2019, M. B..., premier surveillant au sein du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, exerçait ses fonctions au sein du quartier d'accueil et d'évaluation (QAE). A compter du 24 mars 2020, M. B... a été affecté au quartier de détention. Il relève appel du jugement du 25 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté, comme irrecevable, sa demande tendant à l'annulation de la décision verbale du 19 mars 2020 par laquelle ce changement d'affectation lui a été révélé et de la décision du 6 août 2020 portant rejet de son recours gracieux.

Sur la régularité du jugement attaqué et la recevabilité de la demande de première instance :

En ce qui concerne l'état du droit applicable :

2. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération (Conseil d'Etat, Section, 25 septembre 2015, n° 372624, A). Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination, est irrecevable.

3. Par ailleurs, un changement d'affectation prononcé d'office revêt le caractère d'une mesure disciplinaire déguisée lorsque, tout à la fois, il en résulte une dégradation de la situation professionnelle de l'agent concerné et que la nature des faits qui ont justifié la mesure et l'intention poursuivie par l'administration révèlent une volonté de sanctionner cet agent.

4. Enfin, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " Il appartient au juge de rechercher si la décision portant changement d'affectation contestée a porté atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tient de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours (Conseil d'Etat, 8 mars 2023, n° 451970, B).

En ce qui concerne la qualification de la mesure en litige :

5. Aux termes de l'article 3 du décret susvisé du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire : " Les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire participent à l'exécution des décisions et sentences pénales et au maintien de la sécurité publique. / Ils maintiennent l'ordre et la discipline, assurent la garde et la surveillance de la population pénale et participent aux modalités d'exécution de la peine et aux actions préparant la réinsertion des personnes placées sous main de justice. / Ils peuvent exercer, sous réserve d'y être reconnus aptes, des fonctions complémentaires spécialisées contribuant au bon accomplissement de leurs missions principales. Ces fonctions spécialisées et les modalités de reconnaissance des aptitudes nécessaires pour les exercer sont fixées par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Les premiers surveillants et les majors pénitentiaires assurent l'encadrement des surveillants, surveillants principaux et surveillants brigadiers. / Les membres du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance ont vocation à être affectés dans les services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, à l'agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice ou en administration centrale du ministère de la justice. (...) ".

6. Ainsi, qu'il a été rappelé ci-dessus au point 1 du présent arrêt, M. B..., premier surveillant au sein du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, initialement en poste au sein du quartier d'accueil et d'évaluation (QAE), a été affecté, à compter du 24 mars 2020, en quartier de détention. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier de la décision du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 6 août 2020, que ce changement d'affectation a été motivé par la circonstance que, malgré différents entretiens de recadrage suite à des incidents dans lesquels M. B... a été impliqué, ce dernier a fait montre, à plusieurs reprises, d'une attitude de défiance envers sa hiérarchie et d'une remise en cause de celle-ci, et par le souhait consécutif de l'autorité administrative tant de lui donner " la chance d'une remise en cause sans a priori " que de " conforter sa hiérarchie dans ses attributions ". Alors même que le garde des sceaux, ministre de la justice, fait valoir, sans être sérieusement contesté, que le quartier d'accueil et d'évaluation est considéré comme un secteur de détention, et à supposer même que, comme l'affirme l'appelant, les rythmes de travail et les tâches inhérentes y seraient différentes, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette nouvelle affectation, qui n'emporte pour l'intéressé aucun changement quant au lieu d'exercice de ses fonctions, ne correspondrait pas à son grade et aux missions que les premiers surveillants pénitentiaires ont vocation à accomplir en vertu de l'article 3 du décret susvisé du 14 avril 2006, ni qu'elle emporterait une diminution de ses responsabilités et de ses attributions ou encore de sa rémunération et de ses avantages pécuniaires. Il n'est pas davantage établi, ni même allégué, que ce changement d'affectation aurait été de nature à porter atteinte aux droits statutaires de M. B... et à ses perspectives de carrière, ni à ses droits ou libertés fondamentaux. Il ne ressort également pas des pièces du dossier que, contrairement à ce que persiste à soutenir l'appelant, cette mesure constituerait une sanction déguisée et serait la manifestation d'un harcèlement moral à son égard. Par leur nature et leur teneur, les pièces versées aux débats, dont la décision susmentionnée du directeur interrégional des services pénitentiaires de Marseille du 6 août 2020 et les témoignages en sa faveur que M. B... produit, ne révèlent aucune intention de la part de ses supérieurs hiérarchiques de le sanctionner, ni ne permettent de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement moral. Par suite, et alors même qu'elle a été prise en considération de la personne de M. B... suite aux incidents déjà évoqués, dont l'appelant ne conteste au demeurant pas la matérialité, le changement d'affectation litigieux doit être regardé comme ayant été pris dans l'intérêt du service. Il s'ensuit que c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'il présentait le caractère d'une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours contentieux.

7. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 25 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté comme irrecevables ses conclusions à fin d'annulation.

Sur les frais liés au litige :

8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... sollicite au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 janvier 2024.

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No 23MA01952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01952
Date de la décision : 23/01/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Affectation et mutation - Affectation.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'annulation - Introduction de l'instance - Décisions susceptibles de recours.

Procédure - Introduction de l'instance - Décisions pouvant ou non faire l'objet d'un recours - Actes ne constituant pas des décisions susceptibles de recours - Mesures d'ordre intérieur.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : CARMIER

Origine de la décision
Date de l'import : 28/01/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-01-23;23ma01952 ?
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