Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) François Lanteaume Investissement a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la délibération du 11 juillet 2019 par laquelle le conseil municipal de la commune de Puget-Ville a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur la parcelle située rue de la Libération et cadastrée section C n° 574 sur le territoire communal.
Par un jugement n° 1904401 du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société François Lanteaume Investissement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 juillet 2022, 12 avril et 2 juin 2023, la société François Lanteaume Investissement, représentée par Me Consalvi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1904401 du 24 mai 2022 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) d'annuler la délibération du 11 juillet 2019 par laquelle le conseil municipal de la commune de Puget-Ville a décidé d'exercer son droit de préemption urbain sur la parcelle située rue de la Libération et cadastrée section C n° 574 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Puget-Ville le versement de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la délibération du conseil municipal du 11 juillet 2019 est intervenue en violation des articles L. 2121-10, L. 2121-12 et L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales en raison du caractère insuffisant de l'information donnée aux conseillers municipaux ;
- cette délibération est également entachée d'illégalités internes dès lors que le projet n'avait aucune réalité et ne s'inscrivait nullement dans le cadre global d'une politique d'ensemble déjà engagée par la commune de Puget-Ville et qu'il ne présente pas une ampleur suffisante ;
- c'est par une dénaturation des pièces du dossier que le tribunal a jugé que la société n'établissait pas le caractère irréalisable de l'opération, dès lors que le projet auquel fait référence la commune est difficilement réalisable ou, du moins, se heurte à de sérieuses contraintes.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er février et 12 mai 2023, la commune de Puget-Ville, représentée par Me Marchesini, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Un courrier du 16 mars 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 21 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Gonzalez-Lopez, substituant Me Marchesini, représentant la commune de Puget-Ville.
Une note en délibéré présentée par Me Consalvi, pour la société François Lanteaume, a été enregistrée le 13 novembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 11 juillet 2019, le conseil municipal de la commune de Puget-Ville a décidé d'exercer son droit de préemption concernant un immeuble à usage de petite remise, situé rue de la Libération sur la parcelle cadastrée section C n° 574, ayant fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner pour un montant de 30 000 euros. La société François Lanteaume Investissement, acquéreur évincé du bien préempté, a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer l'annulation de cette délibération. Par la présente requête, elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, l'appelante ne peut utilement soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une dénaturation des pièces du dossier, s'agissant d'un moyen de cassation et non d'appel quand il vise une décision juridictionnelle.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2121-10 du code général des collectivités territoriales : " Toute convocation est faite par le maire. Elle indique les questions portées à l'ordre du jour. Elle est mentionnée au registre des délibérations, affichée ou publiée. Elle est transmise de manière dématérialisée ou, si les conseillers municipaux en font la demande, adressée par écrit à leur domicile ou à une autre adresse. ". L'article L. 2121-12 de ce même code dispose que : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. (...) ". Enfin, selon l'article L. 2121-13 dudit code : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, dans les communes de 3 500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d'une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour. Le défaut d'envoi de cette note ou son insuffisance entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n'ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n'impose toutefois pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
5. Il ressort des pièces du dossier que la convocation, adressée aux conseillers municipaux de la commune de Puget-Ville avant la séance du 11 juillet 2019 au cours de laquelle la délibération en litige a été approuvée, était accompagnée d'une notice explicative dont le point n° 6 était relatif à l'acquisition de la parcelle cadastrée section C n° 574 par application du droit de préemption urbain rue de la Libération. Cette notice, après avoir indiqué le cadre juridique applicable et visé tant la délibération du 21 juin 2017 relative à l'instauration du droit de préemption des zones U et AU du plan local d'urbanisme que la déclaration d'intention d'aliéner en vue de la vente moyennant le prix de 30 000 euros, d'une remise sise rue de la Libération d'une superficie au sol totale de 72 m² appartenant à l'établissement " Petites Sœurs des Pauvres ", précisait que la préemption projetée devait s'insérer dans la réflexion globale que mène le conseil municipal pour favoriser le développement économique du centre-village, et qu'elle avait pour but de faciliter l'implantation de nouveaux commerces de proximité par la création d'un local correspondant aux nouvelles habitudes de vie professionnelle notamment en proposant un espace commercial qui pourrait être éventuellement partagé (activités commerciales, de services et de télétravail etc.). La circonstance qu'au cours de la séance du 11 juillet 2019, une élue a interrogé le maire sur l'existence d'un projet précis ne permet pas d'établir, compte tenu de l'objet de la délibération, qui n'avait pas nécessairement à détailler les caractéristiques précises de ce projet, une insuffisante information des membres de l'assemblée délibérante, lesquels ont disposé de suffisamment d'éléments tant sur l'objet de la délibération que sur son incidence financière, et ont ainsi été mis à même de délibérer de manière éclairée et d'exercer, en tant que de besoin, la faculté dont ils disposent de solliciter des documents ou explications complémentaires. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante information des élus avant la délibération du 11 juillet 2019 doit être écarté.
6. En troisième et dernier lieu, l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dispose que : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. ". Et aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. ".
7. Il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant.
8. Il ressort de la délibération attaquée que le conseil municipal de la commune de Puget-Ville a décidé d'exercer le droit de préemption urbain de la commune sur la parcelle cadastrée section C n° 574 en vue de faciliter l'implantation de nouveaux commerces de proximité par la création d'un local correspondant aux nouvelles habitudes de vie professionnelle, notamment en proposant un espace commercial qui pourrait être éventuellement partagé (activités commerciales, de service et de télétravail, etc.).
9. D'une part, un tel projet s'inscrit dans l'objectif d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques en centre-ville poursuivi par la commune, qui justifie la réalisation d'actions concrètes dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique depuis plus de six ans à la date de la délibération en litige, par exemple, avec l'acquisition, dès l'année 2013, d'un local commercial désaffecté également situé rue de la Libération en vue de l'ouverture d'un salon d'esthétique, ou encore l'ouverture en 2020 d'un nouveau commerce dans le local communal de l'ancienne poste situé place de l'église, à proximité de l'avenue de la Libération et dans le périmètre de préemption défini par la délibération du 11 juin 2017. Par conséquent, ce projet s'inscrit dans une politique communale cohérente de développement économique du centre-ville, plus particulièrement rue de la Libération, qui trouve sa traduction, notamment, dans le projet d'aménagement et de développement durables, dont la première orientation est d'encourager le maintien et le développement des commerces et services de proximité, ainsi que dans le plan local d'urbanisme, approuvé antérieurement à la délibération attaquée, dont le rapport de présentation indique qu'afin de préserver le commerce de proximité dans le village, en zone UA, il est instauré un linéaire, de part et d'autre de la rue de la Libération, le long duquel le commerce de proximité doit être préservé ou développé.
10. D'autre part, il ressort des fiches techniques produites par la commune, et nécessairement élaborées avant la délibération en litige par les services de la communauté de communes " Cœur du Var " dont elle est membre, que des axes de développement du centre de Puget-Ville ont été définis avec pour objectif de compléter l'offre commerciale du centre-ville. Ces fiches, quelles qu'aient été, par ailleurs, les qualités ou fonctions de leur rédacteur, décrivent avec précision tant les objectifs à atteindre que les moyens d'action et partenariats institutionnels à développer pour y parvenir. En outre, elles envisagent expressément l'installation d'un espace de travail partagé et d'une boutique à l'essai afin de permettre l'implantation de nouvelles entreprises et éviter la fuite d'activités professionnelles vers de grandes agglomérations dans le centre de Puget-Ville. Enfin, parmi les moyens d'action envisagés, elles préconisent l'utilisation par la commune de son droit de préemption dans le périmètre défini en 2017, à l'intérieur duquel figure la rue de la Libération où se situe le local objet de la décision de préemption contestée par la société François Lanteaume Investissement.
11. Enfin, au regard tant de la nature et de l'ampleur du projet poursuivi sur l'immeuble préempté, d'une superficie de seulement 72 m², que des offres de stationnement à proximité immédiate, ainsi que des possibilités d'aménagement des modalités de circulation des piétons sur la rue de la Libération, dont il n'est au demeurant ni établi, et notamment pas par le procès-verbal d'huissier dressé le 17 décembre 2019 à la demande de la société requérante, ni même allégué qu'elle serait particulièrement accidentogène, il n'apparaît pas que celui-ci serait soumis à des contraintes d'une ampleur telle que sa réalisation en serait obérée.
12. Dans ces conditions, contrairement à ce qui est soutenu, l'ensemble de ces éléments étaient de nature à démontrer, ainsi que l'ont estimé à bon droit les premiers juges, que la commune justifiait, à la date à laquelle elle a exercé son droit de préemption, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et ce, quand bien même les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la société François Lanteaume Investissement n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions d'appel à fin d'annulation de ce jugement et de la délibération du conseil municipal de la commune de Puget-Ville du 11 juillet 2019 doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Puget-Ville, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que réclame l'appelante sur leur fondement. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société François Lanteaume Investissement, sur le fondement de ces mêmes dispositions, le versement d'une somme de 2 000 euros à la commune de Puget-Ville au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société François Lanteaume Investissement est rejetée.
Article 2 : La société François Lanteaume Investissement versera une somme de 2 000 euros à la commune de Puget-Ville en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS François Lanteaume Investissement et à la commune de Puget-Ville.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 novembre 2023.
N° 22MA02034 2