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07/11/2023 | FRANCE | N°22MA02067

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 07 novembre 2023, 22MA02067


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement du certificat de résidence qui lui avait été délivré en sa qualité de conjointe C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai, d'autre part, d'enjoindre au

dit préfet de lui délivrer un tel certificat de résidence dans le délai de quinze...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement du certificat de résidence qui lui avait été délivré en sa qualité de conjointe C..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de lui délivrer un tel certificat de résidence dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous une astreinte de 150 euros par jour de retard, et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2110899 du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2022, Mme A..., représentée par

Me Kuhn-Massot, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 mars 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté préfectoral du 28 septembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer le certificat de résidence qu'elle sollicitait, sous une astreinte de 150 euros par jour de retard à délai de quinzaine de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, la somme de 1 500 euros à verser à son conseil, à la condition que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive versée par l'Etat.

Elle soutient que :

- sa requête n'est pas tardive et est recevable ;

- la motivation retenue par le préfet des Bouches-du-Rhône caractérise une erreur d'appréciation manifeste et, nonobstant sa nationalité algérienne, elle doit bénéficier de la protection prévue aux articles L. 425-6, L. 425-7 et L. 425-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la réalité des violences qu'elle a subies est établie ; en tout état de cause, son mari ne l'a pas protégée ;

- sa situation complète, et en particulier son insertion sociale, n'a pas été prise en compte.

La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Par une ordonnance du 30 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er mars 2023, à 12 heures.

Une pièce complémentaire a été produite, le 6 mars 2023, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, par Me Kuhn-Massot, pour Mme A..., et elle n'a pas été communiquée.

Mme A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 24 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Lombart a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Née le 19 août 1998 et de nationalité algérienne, Mme A... a épousé, le 7 août 2017, en Algérie, un ressortissant français. Elle est entrée en France, le 5 juillet 2019, sous couvert d'un visa portant la mention " famille C... " délivré par le consulat général de France à Annaba, puis elle s'est vue octroyer un certificat de résidence valable du 2 septembre 2020 au 1er septembre 2021, en qualité de conjointe C.... Si elle a sollicité le 1er juillet 2021, le renouvellement de ce certificat de résidence, par un arrêté du 28 septembre 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite à l'expiration de ce délai. Mme A... relève appel du jugement du 8 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant principalement à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien susvisé du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : / (...) 2) au ressortissant algérien, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français ; / (...) Le premier renouvellement du certificat de résidence délivré au titre du 2)

ci-dessus est subordonné à une communauté de vie effective entre les époux. (...) ". Ces stipulations régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer le bénéfice des dispositions L. 425-6, L. 425-7 et L. 425-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a épousé, le 7 août 2017, en Algérie, un ressortissant de nationalité française et qu'elle s'est vue délivrer, après son arrivée en France, au mois de juillet 2019, un certificat de résidence en qualité de conjointe C..., valable du 2 septembre 2020 au 1er septembre 2021. Mme A... a présenté, par un courrier du 29 juin 2021, une demande de renouvellement de ce certificat de résidence en justifiant la cessation de la vie commune d'avec son époux par les violences dont elle avait été victime de la part de ce dernier. Pour établir la réalité de ces violences, Mme A... produit des certificats médicaux dressés suite à l'agression qu'elle a subie le 16 avril 2020, faisant état de diverses dermabrasions et d'hématomes, et qui sont accompagnés de photographies témoignant de ses blessures. Suite à cette agression dont la matérialité est ainsi établie sans équivoque, Mme A... a déposé, le 25 mai 2020, une première plainte circonstanciée contre son mari pour des faits de violence.

Si, par un jugement du 16 septembre 2020, ce dernier a été relaxé, il l'a été au bénéfice du doute, le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence observant que l'infraction qui lui était reprochée n'était pas suffisamment caractérisée alors qu'il était établi qu'une violente dispute avait eu lieu entre Mme A... et la sœur de ce dernier. Par ailleurs, dans ce même jugement, le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence fait état d'un " contexte conjugal conflictuel ", la voisine du couple ayant déclaré entendre régulièrement " des bagarres et des cris d'hommes et de femmes provenant de [leur] domicile ". Au regard de ces éléments, et sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le mari de l'appelante a été relaxé au bénéfice du doute, la rupture de la vie commune doit être regardée comme étant imputable à des violences familiales. La circonstance que l'issue judiciaire de la seconde plainte que Mme A... a déposée, le 16 juillet 2020, contre son époux pour viol n'est pas encore connue n'est pas, en l'espèce, de nature à remettre en cause la réalité des violences dont elle a été victime. En conséquence, en refusant de délivrer à Mme A... un certificat de résidence, le préfet des Bouches-du-Rhône a, dans les circonstances particulières de l'espèce, commis une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de cette dernière. Par suite, cette décision portant refus d'admission au séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 8 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral contesté du 28 septembre 2021.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Selon l'article L. 911-3 du même code : " La juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. "

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que des éléments de fait ou de droit nouveaux justifieraient que l'autorité administrative oppose une nouvelle décision de refus, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", et ce dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

En revanche, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. D'une part, aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

8. D'autre part, selon l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Les auxiliaires de justice rémunérés selon un tarif peuvent renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat et poursuivre contre la partie condamnée aux dépens et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle le recouvrement des émoluments auxquels ils peuvent prétendre. / Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat pouvant être rétribué, totalement ou partiellement, au titre de l'aide juridictionnelle, une somme qu'il détermine et qui ne saurait être inférieure à la part contributive de l'Etat majorée de 50 %, au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. / Si l'avocat du bénéficiaire de l'aide recouvre cette somme, il renonce à percevoir la part contributive de l'Etat. S'il n'en recouvre qu'une partie, la fraction recouvrée vient en déduction de la part contributive de l'Etat. (...) ".

9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par la décision susvisée du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 24 juin 2022.

Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Kuhn-Massot renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le versement à ce dernier de la somme demandée de 1 500 euros.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2110899 du tribunal administratif de Marseille du 8 mars 2022 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 28 septembre 2021 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme A... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Me Kuhn-Massot, conseil de Mme A..., une somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de renonciation par ce dernier à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Olivier Kuhn-Massot et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023.

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No 22MA02067


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02067
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers - Autorisation de séjour - Refus de renouvellement.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : KUHN-MASSOT

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-11-07;22ma02067 ?
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