Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nîmes d'annuler la décision du 29 mai 2017 par laquelle la ministre des armées a refusé d'agréer sa demande d'attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière ainsi que la décision implicite de rejet de son recours administratif préalable formé le 10 juillet 2017 devant la commission des recours des militaires, d'enjoindre à la ministre des armées de réexaminer sa demande et de lui attribuer ce pécule, dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir.
Par un jugement n° 1702659 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 19MA04159 du 2 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement du tribunal administratif de Nîmes du 5 juillet 2019 et la décision du 29 mai 2017.
Par une décision n° 459988 du 12 avril 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 2 novembre 2021 et a renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour après renvoi :
Par un mémoire enregistré le 9 juillet 2023, sous le n° 23MA00947, M. B..., représenté par Me Allegret-Dimanche, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) d'annuler la décision du 29 mai 2017 et la décision implicite de rejet née le 13 novembre 2017 ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées de réexaminer sa demande et de lui attribuer le pécule dans un délai de deux mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée ;
- il remplissait les conditions pour l'octroi du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière ;
- la ministre des armées a méconnu les dispositions de l'article 149 de la loi du 27 décembre 2008 en prenant en compte l'intérêt du service ;
- elle s'est crue liée par la condition tenant à l'intérêt du service ;
- l'appréciation de sa situation n'a pas été effectuée à la date de la décision, soit en 2017 ;
- il n'est pas démontré que l'organisme militaire auquel il était affecté pendant cinq ans souffrirait de sous-effectif en médecins ;
- la circulaire du 5 octobre 2010 n'a pas vocation à se substituer aux dispositions législatives et n'a pas de force obligatoire ;
- elle est illégale dès lors qu'elle méconnaît le sens et la portée des dispositions de l'article 149 de la loi du 27 décembre 2008 et est discriminatoire ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la ministre des armées a commis une rupture d'égalité entre les militaires de carrière.
Ce mémoire a été communiqué au ministre des armées qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par lettre du 29 septembre 2023, la Cour a informé les parties, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement, en ce qu'il n'a pas constaté le non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision initiale du 29 mai 2017 de la ministre des armées à laquelle s'est substituée en cours d'instance la décision du 13 novembre 2017 de la commission des recours militaires.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la défense ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 ;
- le décret n° 2009-82 du 21 janvier 2009 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Allegret, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., médecin en chef du service de santé des armées, a sollicité le 6 décembre 2010 l'attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière prévu par l'article 149 de la loi du 28 décembre 2008 de finances pour 2009. Par un arrêt n° 14MA03853 du 4 octobre 2016, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé la décision du ministre de la défense du 10 février 2011 rejetant sa demande et a enjoint au ministre de la défense de réexaminer cette demande. En application de cet arrêt et par une décision du 29 mai 2017, la ministre des armées a refusé d'agréer cette demande. Par un arrêt du 2 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif du Nîmes du 5 juillet 2019, la décision du 29 mai 2017 ainsi que la décision implicite du 13 novembre 2017 née du silence gardé sur son recours formé le 10 juillet 2017 devant la commission des recours des militaires contre cette décision et enjoint à la ministre des armées de procéder au réexamen de la demande de M. B.... Par une décision du 12 avril 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 2 novembre 2021 pour erreur de droit et renvoyé l'affaire à la Cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 4125-1 du code de la défense : " I. - Tout recours contentieux formé par un militaire à l'encontre d'actes relatifs à sa situation personnelle est précédé d'un recours administratif préalable, à peine d'irrecevabilité du recours contentieux. / Ce recours administratif préalable est examiné par la commission des recours des militaires, placée auprès du ministre de la défense. / (...) ". ". L'article R. 4125-10 de ce code dispose : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent (...). La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. (...) L'absence de décision notifiée à l'expiration d'un délai de quatre mois vaut décision du rejet du recours formé devant la commission. ".
3. L'institution par ces dispositions d'un recours administratif, préalable obligatoire à la saisine du juge, a pour effet de laisser à l'autorité compétente pour en connaître le soin d'arrêter définitivement la position de l'administration. Il s'ensuit que la décision prise à la suite du recours se substitue nécessairement à la décision initiale. Elle est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Si l'exercice d'un tel recours a pour but de permettre à l'autorité administrative, dans la limite de ses compétences, de remédier aux illégalités dont pourrait être entachée la décision initiale, sans attendre l'intervention du juge, la décision prise sur le recours n'en demeure pas moins soumise elle-même au principe de légalité.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a formé, le 10 juillet 2017, un recours administratif préalable obligatoire devant la commission des recours des militaires à l'encontre de la décision du 29 mai 2017 qui a fait l'objet d'une décision implicite de rejet née le 13 novembre 2017. Cette dernière décision, qui s'est nécessairement substituée à la décision initiale du 29 mai 2017 est seule susceptible d'être déférée au juge de la légalité. Il n'y avait donc pas lieu pour les premiers juges de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 29 mai 2017 et c'est donc à tort que le tribunal administratif a statué sur cette demande. Il y a lieu pour la Cour d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer les conclusions de la demande devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de constater qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.
5. En second lieu, M. B... a demandé, par un mémoire complémentaire enregistré le 17 juin 2019, au greffe du tribunal, d'enjoindre au ministre des armées de produire le tableau des effectifs depuis 2010, les contrats portant recrutement ainsi que les décisions portant attribution de pécule depuis 2010. En rejetant la demande de M. B... au fond, le tribunal a implicitement mais nécessairement rejeté les conclusions de l'intéressé tendant à ce que soit ordonnée la production de ces documents. Le moyen tiré de ce que les premiers juges auraient omis de statuer sur ces conclusions doit, par suite, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent./ A cet effet, doivent être motivées les décisions qui :/ (...) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. ". L'article L. 232-4 du même code dispose : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais de recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
7. M. B... n'établit ni même n'allègue avoir demandé à l'administration communication des motifs de la décision implicite née le 13 novembre 2017 rejetant son recours formé devant la commission des recours des militaires, qui s'est substituée, ainsi qu'il a été dit au point 4, à la décision du 29 mai 2017, laquelle a disparu de l'ordonnancement juridique. M. B... ne peut utilement soutenir qu'il n'a pas été informé de la possibilité de demander les motifs de la décision implicite de rejet en l'absence d'obligation en ce sens de l'administration. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la ministre des armées n'aurait pas procédé à l'examen de la situation de M. B....
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 149 de la loi du 27 décembre 2008 de finances pour 2009 applicable au litige : " I. - Peuvent prétendre, à compter du 1er janvier 2009 et jusqu'au 31 décembre 2014, sur demande agréée par le ministre chargé de la défense et dans la limite d'un contingent annuel fixé par arrêté du même ministre, au versement d'un pécule modulable d'incitation à une seconde carrière déterminé en fonction de la solde budgétaire perçue en fin de service:/ 1° Le militaire de carrière en position d'activité se trouvant à plus de trois ans de la limite d'âge de son grade pouvant bénéficier d'une solde de réserve au titre de l'article L. 51 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou mis à la retraite avec le bénéfice d'une pension liquidée dans les conditions fixées aux articles L. 24 ou L. 25 du même code ;/ 2° Le militaire engagé en position d'activité rayé des contrôles avant quinze ans de service./ Le pécule est attribué en tenant compte notamment des nécessités du service, de l'ancienneté de service du militaire et de sa situation par rapport à la limite d'âge de son grade./ (...) Un décret détermine, pour chaque catégorie de militaires mentionnée aux 1° et 2°, les conditions d'attribution ainsi que les modalités de calcul, de versement et, le cas échéant, de remboursement du pécule (...) ". Ces dispositions et celles du décret du 21 janvier 2009 pris pour l'application de cet article avaient pour but d'inciter les militaires au départ en vue d'une seconde carrière par le versement d'un pécule, calculé sur la base de leur dernière solde, notamment en fonction de leur ancienneté de service.
10. Il résulte des dispositions citées au point 9 que le pécule modulable d'incitation à une seconde carrière qu'elles ont institué n'est susceptible d'être versé qu'au titre des demandes présentées entre le 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2014. Par suite, dès lors que M. B... a demandé le versement de ce pécule le 6 décembre 2010, la ministre des armées ne pouvait procéder au réexamen de sa demande, après l'annulation d'une première décision de rejet du 10 février 2011, qu'au regard de ces dispositions. Il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que la ministre des armées devait procéder à l'examen de sa situation en 2017.
11. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision contestée aurait été prise sur le fondement de la circulaire n° 12659/DEF/CDSSA/RH/GPM/PAT du 5 octobre 2010 relative aux modalités d'attribution pour l'année 2011 du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière (PISC) aux militaires du service de santé des armées. Dès lors, M. B... ne peut utilement soutenir que cette circulaire ne peut se substituer aux dispositions législatives, n'a pas de force obligatoire et soulever, par voie d'exception, son illégalité en raison d'une violation de l'article 149 de la loi du 27 décembre 2008 et de son caractère discriminatoire.
12. Il ressort des pièces du dossier que le refus opposé à M. B... est fondé sur le besoin de préserver les effectifs dans le corps des médecins des armées, en particulier des médecins-chefs, en déficit depuis plusieurs années en raison des difficultés de recrutement. Contrairement à ce que soutient l'appelant, le motif lié aux nécessités de service est bien prévu par les dispositions de l'article 149 de la loi du 27 décembre 2008 mentionnées au point 9. Ce motif est établi par le ministre des armées qui produit des tableaux au titre de l'année 2011, applicable à la demande initiale de M. B... effectuée le 6 décembre 2010, démontrant que les flux de sortie étaient nettement supérieurs aux flux d'entrée concernant le grade de médecin-chef, entraînant un sous-effectif de 4 équivalents temps plein (ETPE). Par ailleurs, il ne ressort pas des documents versés au débat par le requérant que ce pécule aurait été attribué à des médecins-chefs. Si le tableau du mois de septembre 2012 indique que le pécule a été accordé à M. A..., ce dernier exerce un emploi de médecin au service d'ORL, et non de médecin-chef. La circonstance que la demande de M. B... n'apparaîtrait pas dans le procès-verbal du mois de février 2011 est sans incidence sur la légalité de la décision contestée. Il en va de même du fait que le requérant présenterait un projet de seconde carrière de médecin généraliste dans un désert médical pour lequel il a investi 130 000 euros. Par suite, la décision en litige n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme dans l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
14. Ainsi qu'il a été dit au point 12, il ne ressort pas des pièces du dossier que la ministre des armées aurait agréé des demandes de pécule d'autres médecins-chefs et méconnu ainsi le principe d'égalité.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de son recours administratif préalable obligatoire née le 13 novembre 2017.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par M. B... n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de M. B....
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de Nîmes est annulé en tant qu'il a n'a pas constaté de non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la ministre des armées du 29 mai 2017.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... à fin d'annulation de la décision du 29 mai 2017.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 octobre 2023, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2023.
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