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20/10/2023 | FRANCE | N°23MA00696

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 20 octobre 2023, 23MA00696


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Natness a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 23 février 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision du 23 août 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône l'a autorisée à licencier Mme A... B... pour inaptitude médicale, d'autre part, refusé d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 1803247 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demand

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Par un arrêt n° 20MA02398 du 9 avril 2021, la cour administrative d'appel de Ma...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Natness a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 23 février 2018 par laquelle la ministre du travail a, d'une part, annulé la décision du 23 août 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité départementale des Bouches-du-Rhône l'a autorisée à licencier Mme A... B... pour inaptitude médicale, d'autre part, refusé d'autoriser son licenciement.

Par un jugement n° 1803247 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 20MA02398 du 9 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juillet 2020 et la décision du 23 février 2018 de la ministre du travail.

Par une décision n° 453558 du 21 mars 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 9 avril 2021 et a renvoyé l'affaire à la Cour.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Par un mémoire enregistré le 21 avril 2023, sous le n° 23MA00696, la SAS Natness, représentée par Me Dragon, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 juillet 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision du 23 février 2018 ;

3°) d'enjoindre au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion de prendre une décision d'autorisation de licenciement de Mme B... ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a procédé à une recherche sérieuse de reclassement en proposant trois postes à Mme B..., y compris au sein de la société Distribution Casino France (DCF) ;

- les sociétés Natness et Distribution Casino France constituent deux structures indépendantes, sans mise en commun des ressources humaines ni permutabilité des salariés ;

- la charte " mobilité franchise " non signée et non datée ne consacre pas de permutabilité de personnel.

Par un mémoire en défense enregistré le 29 mai 2023, Mme B..., représentée par Me Carta, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SAS Natness la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Natness ne sont pas fondés.

Ces mémoires ont été communiqués au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Dragon, représentant la SAS Natness et Me Carta représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Natness exploite depuis 2016, année de sa création, un supermarché sous l'enseigne Casino à La Destrousse, dans le département des Bouches-du-Rhône, dans le cadre de contrats de location gérance et de franchise consentis par la société Distribution Casino France (DCF). Conformément aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, les personnels qui étaient alors en place, parmi lesquels Mme B..., hôtesse de caisse qui avait été recrutée par la société DCF en 1992, ont vu leurs contrats de travail transférés, la SAS Natness devenant leur nouvel employeur. Par un avis du 30 mai 2017, le médecin du travail a déclaré Mme B..., qui détenait les mandats de déléguée du personnel et de conseillère prud'homme, inapte à son poste avec contre-indication de prise manuelle répétitive de produits. La SAS Natness a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de la licencier pour inaptitude physique. Par une décision du 23 août 2017, l'inspecteur du travail de la section 1 de l'unité de contrôle " Etoile-Aubagne-Huveaune " des Bouches du-Rhône a accordé l'autorisation de licenciement sollicitée. Par une décision du 23 février 2018, la ministre du travail a, sur recours hiérarchique, d'une part, annulé la décision du 23 août 2017 de l'inspecteur du travail et, d'autre part, refusé d'accorder l'autorisation de licenciement de Mme B.... Par un jugement du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de la société Natness tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de la ministre. Par un arrêt du 9 avril 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Natness, annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que la décision du 23 février 2018 de la ministre du travail. Par une décision du 21 mars 2023, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt du 9 avril 2021 pour erreur de droit et renvoyé l'affaire à la Cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail : " Lorsque le salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités. Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté. L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail. ". L'article L. 1226-2-1 du même code prévoit que : " Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement./ L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. / L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail (...) ".

3. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par l'inaptitude physique, il appartient à l'inspecteur du travail de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, que l'employeur a, conformément aux dispositions du code du travail relatives au reclassement des salariés inaptes en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutation ou transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail. Il s'ensuit que lorsque le ministre du travail est saisi, sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du code du travail, d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail ayant statué sur une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude, il se prononce également au regard des dispositions du code du travail, relatives au reclassement des salariés inaptes, en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, soit qu'il confirme cette décision, soit, si celle-ci est illégale, qu'il l'annule et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement. Dans cette dernière hypothèse, si le salarié a entretemps été licencié, il n'y a lieu pour le ministre d'apprécier la recherche de reclassement du salarié par l'employeur que jusqu'à la date de son licenciement.

4. Dans le cadre de son obligation de moyen, le périmètre de reclassement au sein d'un groupe auquel appartient l'employeur comprend les entreprises dont les activités, l'organisation et le lieu d'exploitation permettent d'effectuer une permutation de tout ou partie du personnel. Si la seule appartenance d'entreprises franchisées à une même enseigne commerciale ne caractérise pas l'existence d'un tel groupe, un groupement d'entreprises liées par des intérêts communs et des relations étroites assurant la permutabilité du personnel constitue le périmètre de reclassement d'un salarié d'une des entreprises appartenant à ce groupement.

S'agissant du périmètre de reclassement :

5. Pour annuler la décision de l'inspecteur du travail du 23 août 2017 et refuser d'autoriser le licenciement de Mme B..., la ministre du travail a estimé que la société Natness n'avait pas satisfait à son obligation légale de reclassement dès lors que les recherches de reclassement menées par celle-ci s'étaient limitées au seul périmètre de l'entreprise alors que l'existence d'une charte " Mobilité Franchise ", permettant à tout ancien salarié de la société DCF concerné par une opération de transfert, sous condition d'ancienneté, de faire une demande pour reprendre un emploi au sein de la société DCF aurait dû la conduire à étendre les recherches de reclassement aux filières supermarchés et hypermarchés de la société DCF.

6. La charte " Mobilité Franchise " mentionnée au point 5 prévoit que : " Après les opérations de transfert (franchise ou location gérance franchise) du magasin, tout salarié concerné directement par ce projet a la possibilité de demander à reprendre un emploi au sein de la société DCF (hypermarché ou supermarché), avec reprise de son ancienneté, sous réserve de remplir les conditions cumulatives suivantes : / totaliser au moins 4 ans d'ancienneté continue au sein de DCF, à la date de transfert en franchise du magasin ; / effectuer la demande dans un délai compris entre le 6ème et le 12ème mois suivant la date effective du transfert. Le salarié devra faire une demande écrite, par RAR, adressée à la DRH Supermarchés, en indiquant la nature du poste ainsi que le et/ou la zone géographique (ville et/ou département) souhaités. La validité de cette demande sera de 4 mois ".

7. La SAS Natness soutient que cette charte non datée et non signée ne lui est pas opposable. Toutefois, par un courrier du 7 septembre 2016, la société DCF a rappelé à Mme B... qu'elle avait " la possibilité de bénéficier de la charte de mobilité franchise, qui prévoit que tout salarié ayant 4 ans d'ancienneté, peut faire une demande pour revenir au sein de Distribution casino France à compter du 6ème mois suivant le transfert en location gérance et ce jusqu'au 12ème mois. Cette demande devra être adressée au responsable des ressources humaines en recommandé ". Il ressort des pièces du dossier que Mme B... a été déclarée inapte le 30 mai 2017 et son licenciement a été prononcé le 7 septembre 2017 alors que le transfert de son contrat de travail a été effectué le 1er septembre 2016. Elle avait ainsi, selon la charte, jusqu'au 1er septembre 2017 pour demander son transfert au sein de la société DCF, soit sur une période couvrant l'ensemble de la procédure de licenciement. Ainsi, l'existence de cette charte témoigne de ce qu'une permutation de Mme B... était possible entre la société DCF et la société exploitant le fonds sous contrat de franchise alors même que ce contrat et celui de location ne mentionnaient pas l'existence de cette charte et dès lors qu'ils organisaient des liens étroits entre la société DCF et le franchisé. Par suite, la ministre du travail, en considérant que l'obligation de recherche de reclassement de la société Natness devait s'étendre aux filières supermarchés et hypermarchés de la société DCF, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.

S'agissant des offres de reclassement :

8. Il ressort des pièces du dossier que le médecin du travail a déclaré Mme B... inapte au poste occupé avec une contre-indication de prise manuelle répétitives de produits et précisé qu'elle pouvait être affectée à un poste, de préférence assise, de type bureau ou informatique ou caisse de type SCO (Self Check-Out) avec formation adaptée. Par un courrier du 14 juin 2017, la SAS Natness a proposé à Mme B... trois postes d'employé commercial libre-service en produits frais, de vendeur marée au rayon poissonnerie et de préparateur de commande " e-commerce " de produits " libre-service " au sein de l'établissement de La Destrousse. Par un courriel du 19 juin 2017, le médecin du travail a informé la société Natness que ces trois postes n'étaient pas compatibles avec l'état de santé de Mme B.... Cette dernière les a refusés par courrier du 22 juin 2017 dès lors que ces trois postes nécessitaient de nombreuses manipulations et ne tenaient pas compte des indications du médecin du travail. La société requérante a, en outre, interrogé la responsable des ressources humaines régionale " Vallée du Rhône et Var " de la société Casino par courrier du 14 juin 2017 lui indiquant qu'elle recherchait des possibilités de reclassement au sein de son établissement de La Destrousse mais que, compte tenu des liens de Mme B... avec la société Casino, elle s'interrogeait pour savoir si un reclassement au sein de cette entreprise serait envisageable. Celle-ci lui a répondu, par une lettre du 23 juin 2017, que la société Natness exploitait son fonds de commerce du supermarché de la Destrousse en qualité de locataire gérant, en toute autonomie, sans aucune mise en commun des ressources humaines ni de permutabilité des salariés et qu'il n'y avait pas de poste vacant de type SCO, ni de poste répondant aux préconisations du médecin du travail, de type bureau ou administratif.

9. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande de recherche de reclassement de Mme B... ait été adressée par la société Natness à un représentant légal de la société DCF ou à l'ensemble des vingt et une divisions régionales de cette société. La circonstance que la responsable des ressources humaines sollicitée ait affirmé, par courrier du 2 mai 2018, que la demande de la société Natness " a bien été comprise comme une interrogation soumise à l'ensemble de la personne morale Distribution Casino France ", ne saurait suffire, en l'absence d'autres éléments probants, à démontrer que la recherche de reclassement a été étendue à l'ensemble des établissements du groupement Casino. Par suite, la ministre du travail a pu légalement estimer que la société requérante n'avait pas rempli son obligation de recherche de reclassement de Mme B... et refuser en conséquence, d'accorder l'autorisation de licenciement sollicitée.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Natness n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 février 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Natness n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de la société Natness.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SAS Natness demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS Natness la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SAS Natness est rejetée.

Article 2 : La SAS Natness versera à Mme B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Natness, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion et à Mme A... B....

Délibéré après l'audience du 6 octobre 2023, où siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2023.

N° 23MA00696 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00696
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Modalités de délivrance ou de refus de l'autorisation - Recours hiérarchique.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Motifs autres que la faute ou la situation économique - Inaptitude - maladie.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CABINET MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-10-20;23ma00696 ?
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