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20/10/2023 | FRANCE | N°22MA00573

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 20 octobre 2023, 22MA00573


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 septembre 2019 par laquelle le maire de Beausoleil lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1905551 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2022 et un mémoire enregistré le 11 mai 2022 et non communiqué, M. B..., représentépar la SE

LARL WW et Associés , demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2021 du trib...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 27 septembre 2019 par laquelle le maire de Beausoleil lui a infligé une sanction d'exclusion temporaire d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 1905551 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de M. B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 février 2022 et un mémoire enregistré le 11 mai 2022 et non communiqué, M. B..., représentépar la SELARL WW et Associés , demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2021 du tribunal administratif de Nice ;

2°) d'annuler la décision du 27 septembre 2019 prise par le maire de Beausoleil ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Beausoleil la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont méconnu leur office en s'abstenant d'exercer un contrôle sur la matérialité des faits allégués et en ne tenant pas compte du classement sans suite de la plainte pénale dirigée contre lui ;

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'il reconnaît la partialité du rapport de saisine du conseil de discipline mais écarte le moyen tiré du détournement de pouvoir ;

- la sanction disciplinaire ne pouvait être prise sur la base d'un rapport de saisine du conseil de discipline partial ;

- les faits à l'origine de la sanction disciplinaire ne sont pas matériellement établis ;

- la sanction disciplinaire prise à son encontre, qui révèle l'existence d'un règlement de comptes et la volonté de huit agents de le faire licencier, est entachée d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2022, la commune de Beausoleil, représentée par Me Vincensini, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de M. B... ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la requête est devenue sans objet dès lors que M. B... a démissionné ;

- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 13 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 octobre 2022.

Un mémoire, enregistré le 29 septembre 2023 et présenté par Me Younes pour M. B..., n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 88-145 du 15 février 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Jahier, représentant la commune de Beausoleil.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté par la commune de Beausoleil à compter du 1er septembre 2012 et a exercé notamment ses fonctions en qualité de collaborateur du maire en charge du protocole et de l'organisation de fêtes et cérémonies. Par un arrêté du 24 juillet 2019, le maire de Beausoleil l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, avec privation de sa rémunération. Par un arrêté du 27 septembre 2019, pris après avis du conseil de discipline du 9 septembre 2019, le maire de Beausoleil a infligé à M. B... la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée d'un an. M. B... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Nice qui, par un jugement du 15 décembre 2021, a rejeté sa demande. Par la présente requête, M. B... relève appel de ce jugement.

Sur l'exception de non-lieu à statuer soulevée par la commune de Beausoleil :

2. La démission de M. B... datée du 27 décembre 2019 et l'acceptation de cette démission ne sont pas de nature à priver d'objet les conclusions à fin d'annulation de la sanction disciplinaire qui lui a été infligée et qui n'a pas été retirée. Par suite, l'exception de non-lieu à statuer doit être écartée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Contrairement à ce que soutient le requérant, le tribunal administratif s'est prononcé, aux points 13 à 22 de son jugement, sur la matérialité des faits qui lui étaient reprochés. Le jugement n'est donc pas entaché d'irrégularité de ce chef. Par ailleurs, la circonstance, qui se rapporte au bien-fondé du jugement attaqué, que le tribunal aurait commis une erreur en ne tenant pas compte du classement sans suite de la plainte pénale déposée à l'encontre de M. B... est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

4. M. B... soutient que le jugement attaqué serait entaché d'une contradiction de motifs dès lors qu'il a reconnu la partialité du rapport de saisine du conseil de discipline mais écarté le moyen tiré du détournement de pouvoir. Toutefois ce moyen, qui a trait au bien-fondé de la décision juridictionnelle, est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe :

5. Aux termes de l'article 26 du décret du 23 décembre 2016 relatif aux commissions consultatives paritaires de la fonction publique territoriale : " Le conseil de discipline est saisi d'un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire pour l'une des sanctions disciplinaires prévues aux 3° et 4° de l'article 36-1 du décret du 15 février 1988 susvisé. / Ce rapport doit indiquer les faits reprochés à l'agent contractuel et préciser les circonstances dans lesquelles ils se sont produits. / L'agent contractuel est invité à prendre connaissance de ce rapport au siège de l'autorité territoriale disposant du pouvoir disciplinaire. ".

6. Contrairement à ce que soutient M. B..., il ne ressort pas des termes du rapport de saisine du conseil de discipline du 2 août 2019, qui reprend le rapport d'enquête administrative, en prenant soin de mentionner notamment que certains agents auditionnés ont eu un conflit professionnel avec M. B... et qu'il n'y a aucun témoin direct des actes d'agression sexuelle reprochés, que la situation de M. B... aurait été uniquement présentée à charge et que cette présentation révèlerait une animosité particulière à l'égard de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'impartialité du rapport de saisine du conseil de discipline doit en tout état de cause être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. D'une part, il incombe à l'administration d'établir la matérialité des faits sur lesquels elle s'est fondée pour infliger une sanction. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

8. D'autre part, l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction à la date de la mesure de licenciement, dispose que : "Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ". Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements répétés mentionnés à l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.

9. Il ressort de la décision d'exclusion temporaire de fonctions contestée qu'il est reproché à M. B..., directeur de l'animation de la cité et des équipements de la commune de Beausoleil, d'avoir commis, sur les lieux mêmes du service, des faits de harcèlement moral et sexuel à l'encontre d'un agent contractuel, ayant travaillé sous son autorité d'avril 2017 à septembre 2018, en qualité d'adjoint au directeur.

10. Il ressort du rapport de saisine du conseil de discipline et de l'enquête administrative interne, diligentée par la directrice des ressources humaines et la directrice générale des services, que cet agent a rapporté des contacts physiques non consentis et réitérés malgré son opposition, des propos intimidants et inappropriés à son égard, des pressions psychologiques et des menaces en vue d'obtenir des faveurs sexuelles. Celui-ci précise que M. B... lui aurait indiqué qu'il l'avait recruté " pour son travail et pour ses besoins personnels ", qu'il prenait l'habitude de le convoquer dans son bureau, qu'il fermait alors à clé, pour exiger de sa part des fellations, et qu'il l'aurait insulté à plusieurs reprises, notamment suite à son départ au sein d'un autre service, le 29 octobre 2018, en lui précisant qu'il ferait tout pour que son contrat de travail soit résilié.

11. Le rapport d'enquête administrative rapporte notamment les propos de la directrice adjointe des services techniques qui a expliqué que M. B... lui avait affirmé " qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour que le contrat de M. A... ne soit pas renouvelé ", " qu'il avait le soutien du maire " et que " son sort était scellé ". L'agent en cause lui avait rapporté les détails des humiliations et des pressions qu'il avait subies et des moments où il était dans le bureau fermé à clé de M. B.... La responsable adjointe des bâtiments communaux dit avoir été témoin des attitudes inappropriées et humiliantes à l'égard de cet agent et avoir entendu notamment " de toute façon, c'est moi qui commande, c'est moi le chef ici, ferme-là, tu fais ce que je te dis de faire, tais-toi ", alors que l'agent d'accueil au guichet unique atteste qu'en septembre 2017, M. B... s'est adressé à son agent par des propos insultants et humiliants. La même responsable dit également s'être rendue à plusieurs reprises au bureau de M. B... et avoir constaté, malgré sa présence confirmée par son secrétariat, la porte de son bureau fermée à clé. Les propos inconvenants et insultants, répétés et non désirés par son destinataire, tenus par M. B... à l'égard d'un agent placé sous son autorité et qui excèdent les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, ne sont pas sérieusement contestés par le requérant, et sont confirmés par d'autres agents, notamment la secrétaire du service animation et deux agents du service de la logistique. Plusieurs des agents auditionnés ont relevé l'état préoccupant de l'assistant de M. B..., en particulier quand il sortait de son bureau, ce dernier ayant, au demeurant, fait changer la serrure de la porte au profit d'une serrure non reproductible, ce qui n'est pas contesté.

12. A suspposer même qu'un des onze témoignages qui émane de la contrôleuse de gestion aurait manifesté une animosité personnelle à l'égard de M. B..., cet élément n'est pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits reprochés relatés de façon précise et concordante par les autres témoignages, en particulier en ce qui concerne les faits de harcèlement moral dénoncés par l'agent. Si le requérant se référe également à une dispute avec la directrice adjointe des services techniques, devenue la supérieure hiérarchique de l'agent en cause à compter du mois d'octobre 2018, cet élément, au demeurant accompagné d'autres échanges amicaux entre les deux personnes, ne permet pas de remettre en cause la véracité des déclarations émises et l'attitude anormale de M. B... à l'égard de son agent. Il en va de même du témoignage de la responsable adjointe des bâtiments communaux, expliquant avoir dû intervenir en raison d'un comportement inapproprié de M. B..., ou encore de celui de la secrétaire du service animation, qui avait apporté son soutien à M. B... au vu des échanges sms produits, tout en admettant lors de l'enquête l'attitude irrespectueuse et déplacée de celui-ci à l'égard de son agent. Par ailleurs, les circonstances que les deux agents auraient entretenu dans le passé une relation intime, qu'ils ne travaillaient plus ensemble depuis le mois d'octobre 2018, que M. B... a lui-même déposé plainte pour dénonciation calomnieuse, que l'agent à l'origine de la dénonciation n'a pas immédiatement dénoncé les faits ou que certains de ses messages ne révélaient pas de ressentissement particulier à l'égard de M. B... quelques mois avant son dépôt de plainte, ne sont pas davantage de nature à remettre en cause la véracité des témoignages produits. Enfin, si le conseil de discipline n'a, par son avis qui ne lie pas l'autorité territoriale, pas reconnu l'existence d'un harcèlement sexuel, il a toutefois admis à la majorité des membres présents que l'agent concerné avait subi des faits de harcèlement moral et s'est prononcé en faveur d'une sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an.

13. Dès lors, sans qu'il y'ait lieu de statuer sur le caractère de harcèlement sexuel, et alors même qu'aucun témoin direct n'était présent lors des incidents rapportés dans le bureau de M. B... et que la plainte pénale déposée par l'agent contre M. B... pour des faits de viol a été ultérieurement classée sans suite, ces faits apparaissent constitutifs de harcèlement moral, au sens des dispositions précitées de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 et sont à eux seuls de nature à justifier une sanction disciplinaire.

14. Eu égard à la position hiérarchique de M. B..., à la gravité des faits reprochés au requérant et à leur réitération, la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an n'est pas disproportionnée, ce qui n'est au demeurant pas contesté.

15. Il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard notamment à ce qui vient d'être dit aux points précédents du présent arrêt, que la décision contestée du 27 septembre 2019 serait entachée d'un détournement de pouvoir. Par suite, ce moyen doit également être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Beausoleil qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros à ce titre à verser à la commune de Beausoleil en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : M. B... versera à la commune de Beausoleil une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et à la commune de Beausoleil.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2023.

2

N° 21MA00573


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA00573
Date de la décision : 20/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-04 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : VINCENSINI

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-10-20;22ma00573 ?
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