Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... veuve C... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner, in solidum, la métropole Nice Côte d'Azur et la commune de Nice à lui verser une somme de 36 320 euros, assortie des intérêts, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait d'un glissement de talus et de mettre à la charge de la métropole Nice Côte d'Azur et de la commune de Nice une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1905287 du 21 juin 2022, le tribunal administratif de Nice a condamné la métropole Nice Côte d'Azur à verser à Mme B... veuve C... la somme de 36 320 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, a mis à la charge de la métropole une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 août 2022, la métropole Nice Côte d'Azur, représentée par Me Capia de la SELARL Lestrade-Capia, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 21 juin 2022 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... veuve C... ;
3°) de mettre à la charge de Mme B... veuve C... la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'établissement public soutient que :
- sa responsabilité sans faute ne pouvait être engagée, le talus en cause, qui est une propriété privée, ne pouvant être considéré ni comme un accessoire à l'ouvrage public que constitue la voie publique métropolitaine, ni comme une dépendance du domaine public routier ;
- elle ne pouvait être engagée du fait de la situation de force majeure liée aux phénomènes pluvieux exceptionnels, et de la faute commise par le propriétaire voisin ;
- l'intimée ne démontre pas l'absence d'indemnisation par une compagnie d'assurances.
Par un mémoire en défense enregistré le 28 octobre 2022, Mme B..., représentée par Me Magaud de la SCP Assus-Juttner, conclut au rejet de la requête, à la majoration des intérêts de retard produits par la condamnation prononcée par le tribunal, et à ce que soient mis à la charge de l'appelante la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 18 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 8 février 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la voirie routière ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me de Craecker, substituant Me Capia, représentant la métropole Nice Côte d'Azur.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... est propriétaire d'une villa, sise au 48 route de la Sirole à Aspremont (06790), sur une parcelle qui a subi des dégâts à la suite du glissement du talus situé en contrebas de la propriété voisine, survenu en mars 2013, après le déracinement et l'effondrement sur la voie publique, le 16 novembre 2010 en raison de fortes pluies, du pin qui y était planté. Par un jugement du 21 juin 2022, dont la métropole Nice Côte d'Azur relève appel, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à Mme B... veuve C... la somme de 36 320 euros majorée des intérêts au taux légal à compter du 6 novembre 2019, en réparation des préjudices subis du fait de ce glissement de terrain.
Sur les conclusions d'appel principal :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
2. Le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure, sans pouvoir utilement invoquer le fait du tiers. Ces tiers à l'ouvrage public ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel. Dans le cas d'un dommage causé à un immeuble, la fragilité ou la vulnérabilité de celui-ci ne peuvent être prises en compte pour atténuer la responsabilité du maître de l'ouvrage, sauf lorsqu'elles sont elles-mêmes imputables à une faute de la victime. En dehors de cette hypothèse, de tels éléments ne peuvent être retenus que pour évaluer le montant du préjudice indemnisable.
3. Par ailleurs, lorsqu'un dommage causé à un immeuble engage la responsabilité d'une collectivité publique, le propriétaire peut prétendre à une indemnité couvrant, d'une part, les troubles qu'il a pu subir, du fait notamment de pertes de loyers, jusqu'à la date à laquelle, la cause des dommages ayant pris fin et leur étendue étant connue, il a été en mesure d'y remédier et, d'autre part, une indemnité correspondant au coût des travaux de réfection. Ce coût doit être évalué à cette date, sans pouvoir excéder la valeur vénale, à la même date, de l'immeuble exempt des dommages imputables à la collectivité.
4. Enfin, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public. Il en va de même des ouvrages qui sont incorporés à un ouvrage public et dont ils constituent une dépendance.
En ce qui concerne la personne publique responsable :
5. Aux termes des dispositions du II de l'article L. 5217-4 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction en vigueur au 1er janvier 2012, date de la création de la métropole Nice Côte d'Azur par le décret du 17 octobre 2011 : " 1. La métropole exerce de plein droit à l'intérieur de son périmètre, en lieu et place du département, les compétences suivantes : (...) b) Gestion des routes classées dans le domaine public routier départemental, ainsi que de leurs dépendances et accessoires. Ce transfert est constaté par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. Cette décision emporte le transfert à la métropole des servitudes, droits et obligations correspondants, ainsi que le classement des routes transférées dans le domaine public de la métropole ". Le 6ème alinéa de l'article L. 5217-6 du même code disposait quant à lui, à la même date, que : " La métropole est substituée de plein droit, pour l'exercice des compétences transférées à titre obligatoire visées au I et au 1 des II et III de l'article L. 5217-4, aux communes membres, au département, à la région, à l'établissement public de coopération intercommunale supprimé en application de l'article L. 5217-5 et, le cas échéant, aux établissements publics de coopération intercommunale dont le périmètre est réduit par application du même article L. 5217-5, dans l'ensemble des droits et obligations attachés aux biens mis à disposition en application du premier alinéa et transférés à la métropole en application des deuxième à cinquième alinéas du présent article, ainsi que pour l'exercice de ces compétences sur le territoire métropolitain dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes ".
6. Les statuts de la métropole Nice Côte d'Azur créée par décret du 17 octobre 2011, précisaient que : " (...) II. La métropole exerce de plein droit à l'intérieur de son périmètre, en lieu et place du département, les compétences suivantes : (...) b) Gestion des routes classées dans le domaine public routier départemental, ainsi que leurs dépendances et accessoires. Ce transfert est constaté par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. Cette décision emporte le transfert à la métropole des servitudes, droits et obligations correspondants, ainsi que le classement des routes transférées dans le domaine public de la métropole ". Par l'article 2 de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 1er mars 2012 constatant le transfert des routes classées dans le domaine public départemental à la métropole Nice Côte d'Azur, " Le transfert des routes classées dans le domaine public routier départemental et situées dans le périmètre de la métropole emporte le transfert des servitudes, droits et obligations correspondants, ainsi que le classement des routes transférées dans le domaine public de la métropole ".
7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise judiciaire du 20 mai 2016, que le pin, de 4 mètres de hauteur et de 48 cm de circonférence, à l'effondrement duquel Mme B... attribue les glissements de terrains à l'origine selon elle des désordres subis par sa propriété, était planté sur une parcelle de 30 mètres de longueur et 3 mètres de largeur, constitutive d'un talus situé immédiatement au droit de la route de la Sirole, route départementale qui, par l'effet des dispositions du II de l'article L. 5217-4 du code général des collectivités territoriales et de l'arrêté préfectoral du 1er mars 2012, a été transférée dans le domaine public de la Métropole Nice Côte d'Azur, et qui constitue un ouvrage public. Il résulte également de l'instruction, notamment des profils de terrain annexés à ce rapport d'expertise, et il n'est pas sérieusement contesté par la métropole, que ce talus, qui est la propriété de la commune de Nice depuis le 18 février 1972, a été réalisé sous la forme d'un déblai qui participe, sur toute sa longueur, à la protection de la voie publique située en contrebas. Compte tenu du lien physique et fonctionnel l'unissant ainsi à cette voie, le talus en cause, inclus d'ailleurs au moins pour partie dans l'emprise de cet ouvrage par un arrêté d'alignement individuel du 16 mars 2016, doit être regardé comme en constituant l'accessoire, alors même qu'il n'est pas la propriété de la métropole.
8. Ainsi, en tant que gestionnaire depuis le 1er janvier 2012 de la route de la Sirole, route métropolitaine, et de ses dépendances et accessoires, la métropole Nice Côte d'Azur est responsable même sans faute à l'égard des tiers des conséquences dommageables de l'existence et du fonctionnement de ces ouvrages publics.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute de la Métropole Nice Côte d'Azur à l'égard de Mme B... :
9. Il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise judiciaire des 11 février 2013 et du 20 mai 2016, que le déracinement du pin depuis le talus survenu le 16 novembre 2010 a non seulement fragilisé cet ouvrage mais encore mis à nu sur plusieurs mètres carrés les terres qui le constituent et permis une infiltration plus importante des eaux de pluie, et ainsi contribué, lors d'événements pluvieux en mars 2013 et en janvier et
novembre 2014, à des glissements des terres soutenant notamment la propriété de Mme B.... Si, ainsi que l'a relevé l'expert judiciaire dans son rapport du 20 mai 2016, les événements pluvieux de mars 2013 et de janvier et novembre 2014 ont revêtu un caractère exceptionnel, et ont du reste justifié l'édiction de trois arrêtés de catastrophe naturelle, ce même rapport, dont les éléments d'appréciation ne sont pas efficacement contredits par la métropole, conclut à l'absence de rôle déterminant de ces pluies dans la survenance du glissement de terrain en litige.
Ainsi, alors que l'intervention de ces arrêtés de catastrophe naturelle ni le caractère exceptionnel des épisodes de pluie de 2013 et de 2014 ne peuvent suffire à qualifier de force majeure les circonstances du sinistre, l'effondrement du pin et la mise au jour des terres qui le soutenaient, sur le talus qui est l'accessoire de la voie métropolitaine, sont à l'origine directe des glissements de terrains survenus en amont du talus puis au Nord, dont les terres supportant la propriété de Mme B..., et partant des désordres subis par le bien immobilier de celle-ci, nonobstant le délai écoulé entre la chute de cet arbre et ces désordres. Ces circonstances sont dès lors de nature à engager la responsabilité même sans faute de la métropole à l'égard de Mme B..., tiers à cet ouvrage public, sans que l'établissement public puisse utilement se prévaloir des fautes commises par le propriétaire voisin de l'intéressée.
En ce qui concerne les préjudices subis par Mme B... :
10. Il résulte de l'instruction, spécialement du rapport d'expertise judiciaire du 20 mai 2016, que le glissement de terrain subi par la propriété de Mme B... a emporté un cyprès, un poteau électrique, le compteur d'eau et la ligne téléphonique, et a entraîné l'affouillement des fondations du mur de soutènement. Pour allouer à l'intéressée la somme de 36 320 euros, le tribunal a considéré, à partir de ce rapport, d'une part, que les travaux nécessaires à la réparation de ces désordres s'élevaient à un montant de 35 504 euros et d'autre part, que Mme B... justifiait du débours d'une somme de 299 euros pour assurer le raccordement provisoire de son bien aux réseaux téléphoniques et électriques, ainsi que d'une somme de 517 euros correspondant aux frais de bâchage du mur, l'ensemble de ces préjudices correspondant à un dommage accidentel. En se bornant à affirmer que Mme B... ne justifie pas ne pas avoir été déjà indemnisée par son assureur au titre de ces différents préjudices, alors que celle-ci indique ne pas avoir établi de déclaration de sinistre, la métropole ne livre pas de contestation utile des motifs du jugement.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la métropole Nice Côte d'Azur n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée à verser à Mme B... la somme de 36 320 euros en réparation de ses préjudices.
Sur les conclusions d'appel incident :
12. Les conclusions de Mme B..., présentées à titre incident, tendant à la majoration des intérêts de retard produits par la condamnation prononcée par le jugement attaqué, ne sont pas assorties des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé, et doivent pour ce motif être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la métropole Nice Côte d'Azur la somme de 2 000 euros à verser à
Mme B... au titre de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la métropole Nice Côte d'Azur est rejetée.
Article 2 : La métropole Nice Côte d'Azur versera à Mme B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions d'appel de Mme B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole Nice Côte d'Azur et à Mme A... B... veuve C....
Copie en sera adressée à la commune de Nice.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.
N° 22MA023192