Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Yves Maltese a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 27 septembre 2018 par lequel le maire de Brignoles a refusé de lui délivrer un permis d'aménager modificatif, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 1900651 du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à cette demande et a enjoint au maire de Brignoles de délivrer à la société Yves Maltese le permis d'aménager modificatif sollicité.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 13 janvier 2022 et le 26 mai 2023, ainsi qu'un mémoire enregistré le 6 juillet 2023, non communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, la commune de Brignoles, représentée par la SELARL LLC et Associés, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par la société Yves Maltese devant le tribunal administratif de Toulon ;
3°) de mettre à la charge de la société Yves Maltese la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de droit ainsi que d'erreur d'appréciation ;
- le motif de refus fondé sur les articles UD 3 du règlement du plan local d'urbanisme et R. 111-2 du code de l'urbanisme et tiré de la dangerosité de l'accès au terrain d'assiette du projet est fondé ;
- le motif de refus fondé sur l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et lié au risque d'incendie est fondé ;
- le permis d'aménager modificatif sollicité aurait pu être refusé au motif que le permis d'aménager initial était périmé à la date de l'arrêté contesté et elle sollicite une substitution de motifs sur ce point ;
- son maire ne s'est pas, à tort, estimé en situation de compétence liée.
Par des mémoires en défense enregistrés les 10 mars et 20 juin 2023, la société Yves Maltese, représentée par Me Coutelier, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Brignoles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens invoqués par la commune requérante ne sont pas fondés ;
- le maire de Brignoles s'est, à tort, estimé lié par l'avis émis le 2 août 2018 par les services du département du Var, gestionnaire de la voirie.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2014-1661 du 29 décembre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mouret,
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public,
- les observations de Me Gonzalez-Lopez, représentant la commune de Brignoles, et celles de Me Llovera, représentant la société Yves Maltese.
Considérant ce qui suit :
1. Le maire de Brignoles a, par un arrêté du 15 septembre 2013, délivré à la société Yves Maltese un permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement de dix lots sur un terrain situé au lieu-dit " A... " et classé en secteur UDp du plan local d'urbanisme communal. Le règlement de ce lotissement prévoit la création de douze logements répartis sur ces dix lots ayant vocation à accueillir chacun un logement, hormis les lots nos 8 et 9 sur lesquels deux logements sont autorisés. Le 10 juillet 2018, la société Yves Maltese a déposé une demande de permis d'aménager modificatif prévoyant de porter de douze à vingt le nombre total de logements, en permettant l'édification de deux logements sur chacun des dix lots, sans augmenter la surface de plancher totale autorisée par le permis d'aménager initial. Par un arrêté du 27 septembre 2018, le maire de Brignoles a refusé de délivrer le permis d'aménager modificatif ainsi sollicité. Par un jugement du 9 novembre 2021, le tribunal administratif de Toulon a annulé cet arrêté du 27 septembre 2018, ainsi que la décision implicite rejetant le recours gracieux formé à son encontre par la société Yves Maltese, et a enjoint au maire de Brignoles de délivrer à cette société le permis d'aménager modificatif sollicité. La commune de Brignoles relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". En vertu de ces dispositions, lorsqu'un projet est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis ne peut être refusé que si l'autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu'il n'est pas légalement possible, au vu du dossier et de l'instruction de la demande de permis, d'accorder le permis en l'assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modifications substantielles nécessitant la présentation d'une nouvelle demande, permettraient d'assurer la conformité du projet aux dispositions législatives et réglementaires dont l'administration est chargée d'assurer le respect.
3. Aux termes de l'article UD 3 du règlement du plan local d'urbanisme de Brignoles : " Une autorisation d'urbanisme (déclaration préalable, permis de construire ou d'aménager) peut être refusée sur des terrains qui ne seraient pas desservis par des voies publiques ou privées dans des conditions répondant à l'importance ou à la destination des aménagements ou constructions envisagés. Un refus peut également être opposé si les accès présentent un risque pour la sécurité des usagers des voies publiques ou pour celle des personnes utilisant ces accès. Cette sécurité doit être appréciée compte tenu, notamment, de la position des accès, de leur configuration ainsi que de la nature et de l'intensité du trafic. (...) Conditions d'accès / Tout accès doit permettre d'assurer la sécurité de ses utilisateurs ainsi que celle des usagers des voies. Cette sécurité est appréciée compte tenu, notamment, de la position de l'accès (qui doit être privilégiée des pans coupés et un retrait), de sa configuration ainsi que de la nature et de l'intensité du trafic (...) ".
4. Pour refuser de délivrer le permis d'aménager modificatif sollicité par la société Yves Maltese, le maire de Brignoles a estimé que le projet litigieux, d'une part, méconnaît l'article UD 3 du règlement du plan local d'urbanisme communal ainsi que l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme dès lors que l'accès au terrain d'assiette présente des caractéristiques insuffisantes au regard de l'importance du lotissement en cause et que cet accès ne permet pas d'assurer la sécurité de ses utilisateurs, ni celle des usagers de la route départementale sur laquelle il débouche et, d'autre part, qu'il ne respecte pas cet article R. 111-2 dès lors qu'une partie des futures constructions sera située à plus de deux cents mètres des poteaux d'incendie alors que le règlement départemental de défense extérieure contre l'incendie impose une distance maximale de deux cents mètres entre le point d'eau et l'entrée principale de chaque habitation. Les premiers juges ont censuré ces deux motifs de refus.
5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est desservi, à l'instar des parcelles bâties situées à l'ouest, par la route départementale n° 12. La société Yves Maltese a conclu avec le département du Var, le 27 février 2012, une convention relative à l'aménagement de l'accès au lotissement projeté à partir de cette route départementale et prévoyant notamment l'élargissement de la plateforme de cette voie publique par le busage des fossés sur une longueur de 180 mètres, la création d'une zone d'évitement par la droite sur 45 mètres située en face de l'entrée du lotissement, ainsi que la création de deux accotements revêtus sur le reste de la section de voie concernée. L'article 8 de l'arrêté du 15 septembre 2013 portant permis d'aménager initial édicte une prescription prévoyant, à l'instar de l'avis émis le 18 juillet 2013 par le département du Var, la signature d'une nouvelle convention ayant un objet analogue avant le commencement des travaux. Si le département du Var a émis, le 2 août 2018, un avis défavorable à la demande de permis d'aménager modificatif de la société pétitionnaire, au motif que l'accès initialement autorisé serait sous-dimensionné, il ne ressort ni des termes de cet avis ni des autres pièces versées aux débats que le projet litigieux, qui vise uniquement à permettre la création de huit logements supplémentaires répartis sur les dix lots projetés, rendrait nécessaire une modification des caractéristiques de l'accès autorisé par le permis d'aménager initial, lequel est devenu définitif. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le maire de Brignoles aurait pu, s'il l'estimait nécessaire, assortir le permis d'aménager modificatif sollicité de nouvelles prescriptions spéciales relatives à l'accès litigieux. Dans ces conditions, et au regard de l'objet de la demande de permis d'aménager modificatif déposée par la société Yves Maltese, le maire de Brignoles a fait une inexacte application des dispositions des articles UD 3 du règlement du plan local d'urbanisme et R. 111-2 du code de l'urbanisme en retenant le premier motif de refus énoncé au point précédent, ainsi que l'a jugé le tribunal.
6. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est bordé, à l'ouest, par des parcelles bâties situées de part et d'autre de la route départementale n° 12, lesquelles s'ouvrent, au nord, au sud et à l'est, sur de vastes espaces à dominante naturelle et boisée. Si la commune requérante soutient que le terrain d'assiette s'inscrit dans une zone exposée à un risque important de feu de forêt, ni l'avis émis le 26 juillet 2013 par le service départemental d'incendie et de secours du Var, lequel indique que le risque en cause ne fait pas obstacle à la création du lotissement projeté, ni les autres éléments insuffisamment probants qu'elle produit, ne suffisent à établir l'existence, à la date de l'arrêté contesté, d'un risque d'incendie de nature à justifier le refus de permis d'aménager modificatif opposé à la société Yves Maltese, alors que le projet litigieux prévoit la création de huit logements supplémentaires, sans augmentation du nombre de lots et de la surface de plancher autorisés par le permis d'aménager initial. Par ailleurs, si la commune de Brignoles se prévaut de l'absence de réalisation, à la date de l'arrêté contesté, des poteaux d'incendie dont l'implantation est prévue à moins de deux cents mètres de chacune des futures constructions à édifier sur les lots projetés, il ressort des pièces du dossier que la demande de permis d'aménager modificatif n'a ni pour objet ni pour effet de remettre en cause l'installation de ces poteaux d'incendie, laquelle est prévue par le permis d'aménager d'initial. Au surplus et en tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que le maire de Brignoles aurait pu, s'il l'estimait nécessaire, assortir le permis d'aménager modificatif sollicité de nouvelles prescriptions spéciales relatives à la défense extérieure contre l'incendie, s'ajoutant à celles édictées par le permis d'aménager initial. Par suite, comme l'a estimé à bon droit le tribunal, le second motif de refus retenu par le maire de Brignoles procède d'une inexacte application des dispositions citées ci-dessus de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
7. Toutefois, en troisième lieu, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. La commune de Brignoles soutient, pour la première fois en appel, que le permis d'aménager modificatif sollicité aurait pu être refusé au motif que, à la date de l'arrêté contesté du 27 septembre 2018, le permis d'aménager initial était périmé en application des dispositions de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme.
9. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme, dans sa version en vigueur à la date de délivrance du permis d'aménager initial : " Le permis (...) d'aménager (...) est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 (...) ". L'article 1er du décret du 29 décembre 2014 prolongeant le délai de validité des permis de construire, des permis d'aménager, des permis de démolir et des décisions de non-opposition à une déclaration préalable a, pour les permis intervenus au plus tard le 31 décembre 2015, porté à trois ans le délai mentionné au premier alinéa de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme. En vertu de l'article 2 de ce même décret, cette modification s'applique aux autorisations en cours de validité à la date de sa publication, soit le 30 décembre 2014.
10. D'une part, aux termes de l'article R. 424-10 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date de délivrance du permis d'aménager initial : " La décision accordant ou refusant le permis ou s'opposant au projet faisant l'objet d'une déclaration préalable est notifiée au demandeur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception postal, ou, dans les cas prévus à l'article R. 423-48, par transmission électronique ". Ces dispositions ne rendent pas irrégulière une notification par un autre procédé présentant des garanties équivalentes.
11. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 15 septembre 2013 portant permis d'aménager initial a été transmis à la société Yves Maltese le 24 septembre suivant, ainsi qu'en atteste la signature de son représentant figurant sur le courrier produit par la commune de Brignoles à la suite de la mesure d'instruction diligentée par la cour. La notification sous cette forme de l'arrêté du 15 septembre 2013 doit être regardée comme ayant présenté, en l'espèce, des garanties équivalentes à celles prévues par les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 424-10 du code de l'urbanisme. Dans ces conditions, le délai de validité de trois ans de ce permis d'aménager fixé par les dispositions mentionnées au point 9 a commencé à courir le 24 septembre 2013.
12. D'autre part, si la déclaration d'ouverture du chantier entrepris par la société Yves Maltese a été enregistrée le 15 juillet 2015 en mairie de Brignoles, il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier, et notamment pas de la facture datée du 28 octobre 2015 faisant état du débroussaillage du terrain d'assiette du projet ainsi que de la réalisation d'un " dégagement permettant l'accès à l'ensemble du terrain ", que des travaux significatifs de mise en œuvre du permis d'aménager initial auraient été exécutés par la société Yves Maltese avant l'expiration du délai de validité de ce permis. Les autres factures produites par la société intimée, au demeurant établies postérieurement à l'expiration du délai de validité du permis d'aménager en cause le 24 septembre 2016, ne permettent pas, y compris celle datée du 27 octobre 2016 faisant notamment état de travaux de busage au niveau de l'accès au terrain d'assiette, d'établir la réalisation effective de travaux significatifs antérieurement à l'expiration de ce délai de validité de trois ans. Dans ces conditions, le permis d'aménager initial s'étant trouvé périmé en application des dispositions réglementaires évoquées au point 9, il ne pouvait légalement faire l'objet, à la date de l'arrêté contesté, d'un permis modificatif. Il résulte de l'instruction que le maire de Brignoles aurait pris la même décision de refus en retenant ce motif tiré de la péremption du permis d'aménager initial. Par suite, il y a lieu de procéder à la substitution de motifs sollicitée par la commune appelante, cette substitution ne privant la société Yves Maltese d'aucune garantie procédurale liée au motif substitué.
13. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen invoqué par la société Yves Maltese tant en première instance qu'en appel.
14. Il ne ressort ni des termes de l'arrêté contesté, ni des autres pièces du dossier, que le maire de Brignoles, qui s'est notamment approprié les termes de l'avis émis le 2 août 2018 par le département du Var, se serait, à tort, estimé lié par cet avis. Par suite, et alors au demeurant que l'un des deux motifs énoncés dans l'arrêté contesté est sans lien avec le contenu de cet avis simple, le maire de Brignoles n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Brignoles est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à la demande de la société Yves Maltese. Par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par cette dernière devant le tribunal administratif de Toulon.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Brignoles qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la commune de Brignoles sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 9 novembre 2021 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par la société Yves Maltese devant le tribunal administratif de Toulon et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Brignoles et à la société à responsabilité limitée Yves Maltese.
Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Mouret, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 octobre 2023.
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N° 22MA00144
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