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30/06/2023 | FRANCE | N°21MA01210

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 30 juin 2023, 21MA01210


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme totale de 986 421,72 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison d'une vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B.

Par un jugement n° 1801255 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la co

ur :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2021 et le 7 juin 2022, ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice de mettre à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) la somme totale de 986 421,72 euros, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison d'une vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B.

Par un jugement n° 1801255 du 26 janvier 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 mars 2021 et le 7 juin 2022, Mme A... B..., représentée par Me Dumont-Scognamiglio, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du 26 janvier 2021 ;

2°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme totale de 986 421,72 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) d'ordonner, si besoin, une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada, dont elle est atteinte, est la conséquence de la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B qu'elle a subie dans le cadre de sa formation au sein de l'institut de formation d'aide-soignant ;

- elle a droit à réparation de ses préjudices aux montants suivants :

* au titre de la perte de gains professionnels actuels : 69 468 euros ;

* au titre des dépenses de santé futures : 40 000 euros ;

* au titre de l'assistance tierce personne : 123 617,39 euros ;

* au titre de l'incidence professionnelle : 100 000 euros ;

* au titre du déficit fonctionnel temporaire : 27 803,83 euros ;

* au titre du pretium doloris : 15 000 euros ;

* au titre du préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros ;

* au titre du déficit fonctionnel permanent : 509 575 euros ;

* au titre du préjudice d'agrément : 50 957,50 euros à parfaire ;

* au titre du préjudice esthétique permanent : 8 000 euros ;

* au titre du préjudice sexuel : 20 000 euros ;

* et au titre du préjudice d'établissement : 20 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2021, l'ONIAM, représenté par Me Roquelle-Meyer, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Guasch, substituant Me Dumont-Scognamiglio, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Estimant que la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada dont elle est atteinte est la conséquence de la vaccination obligatoire contre le virus de l'hépatite B qu'elle a subie dans le cadre de sa formation au sein de l'institut de formation d'aide-soignante, Mme B... a formé une demande d'indemnisation auprès de l'ONIAM, lequel l'a rejetée après expertise datée du 9 mai 2017. Elle a alors saisi le tribunal administratif de Nice qui, par un jugement du 26 janvier 2021 dont elle relève appel, a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ".

3. Saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences, pour la personne concernée, d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant le juge, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il appartient ensuite au juge, après avoir procédé à la recherche mentionnée au point précédent, soit, s'il en était ressorti, en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressé et les symptômes qu'il avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.

4. D'autre part, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".

5. Mme B... expose avoir reçu plusieurs doses de vaccins obligatoires contre le virus de l'hépatite B, les 29 janvier 1997, 15 mars 1997, 4 octobre 2002, 9 novembre 2002, et au mois de mai 2003, cette dernière date étant toutefois contestée par l'ONIAM. A partir du 18 août 2003, elle a présenté un décollement de la rétine de l'œil droit, alors pris en charge chirurgicalement, avant que son œil gauche soit également atteint un an plus tard environ. Le diagnostic du syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada a été posé au mois de septembre 2004 et l'intéressée a progressivement perdu la vue, sa cécité bilatérale ayant été constatée au mois de septembre 2005.

6. Il résulte de l'instruction que l'hypothèse physiopathologique la plus admise expliquant l'apparition du syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada, qui est une uvéite, est celle d'une origine auto-immune pouvant être précipitée, dans un contexte prédisposant, par un facteur déclenchant.

7. Le rapport d'expertise diligenté par l'ONIAM indique qu'alors même qu'aucune observation d'un cas d'apparition de la maladie de Vogt-Koyanagi-Harada à la suite d'une vaccination contre l'hépatite B n'a été rapportée dans la littérature médicale ou dans la base nationale de pharmacovigilance, l'existence d'un lien de causalité entre les deux ne peut toutefois être exclu. En outre, la requérante verse, pour la première fois en appel, une étude intitulée " Uvéite de VKH et vaccins " faisant état d'un intervalle de 23 jours entre l'administration dudit vaccin et l'apparition d'uvéites, avec des extrêmes d'un jour à six ans. Cette étude rapporte également un cas mentionné dans une étude publiée en 2019 et rapportée sur la base de données internationale PubMed faisant état d'une observation de la maladie de VKH en association avec le vaccin de l'hépatite B chez un homme de 43 ans ayant développé une baisse de l'acuité visuelle bilatérale survenue trois jours après la première injection d'un vaccin contre l'hépatite B et un décollement rétinien cinq mois plus tard, malgré l'auto-prescription de corticoïdes. Ces éléments de littérature médicale sont toutefois peu nombreux et anciens à la date de la présente décision. Dans ces conditions, la cour est insuffisamment informée sur la question de savoir s'il existe, en l'état des connaissances scientifiques, une probabilité qu'existe un lien entre une vaccination contre l'hépatite B et l'apparition d'un syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada.

8. Par ailleurs, à supposer qu'une vaccination contre l'hépatite B puisse déclencher le syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada, le délai d'apparition de la maladie chez Mme B... est, quelle que soit la date de sa dernière vaccination, supérieur à celui de trois jours observé dans le seul cas recensé par la littérature médicale produite. Néanmoins, il est concordant avec le délai de six ans observé dans des cas extrêmes en matière de déclenchement des uvéites. Par suite, les éléments versés au débat ne permettent pas de renseigner la cour sur la question de savoir si les symptômes de la maladie dont souffre Mme B... sont compatibles avec l'existence d'un lien de causalité avec les vaccinations obligatoires qu'elle a subies. La cour n'est notamment, pas en mesure de déterminer si ces symptômes, s'ils sont apparus postérieurement à la vaccination, l'ont été dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'ils se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'ils ne peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.

9. En outre, le rapport d'expertise réalisé par l'ONIAM est ancien et ne cote pas tous les préjudices invoqués par la requérante. Par conséquent, la cour est également insuffisamment informée, le cas échéant, pour fixer la réparation à laquelle Mme B... aurait droit.

10. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise aux fins qui seront précisées dans le dispositif de la présente décision et de réserver jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme B... dirigées contre l'ONIAM, procédé par trois experts, désignés par la présidente de la cour, à une expertise avec mission de :

1°) indiquer si, en l'état des connaissances scientifiques, d'une façon générale, il existe une probabilité qu'existe un lien de causalité entre une vaccination contre le virus de l'hépatite B et l'apparition d'un syndrome de Vogt-Koyanagi-Harada ;

2°) prendre connaissance des pièces médicales communiquées par Mme B... ;

3°) se faire transmettre l'entier dossier médical de l'intéressée ;

4°) examiner Mme B... et décrire son état et les troubles dont elle est atteinte ;

5°) préciser :

- les dates de vaccination et le type de produit,

- les manifestations antérieures de la pathologie sur le plan personnel,

- les dates d'apparition des premiers symptômes médicalement constatés et les dates des premières consultations.

En cas de pathologie préexistante à la vaccination, indiquer si des signes cliniques d'aggravation sont apparus dans les suites de la vaccination. Dans l'affirmative, indiquer à quelle date sont apparus les premiers signes cliniques caractérisés d'aggravation et dire si la vaccination en cause a pu aggraver la pathologie préexistante avec un rythme et une ampleur qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes antérieures ;

6°) indiquer si, en l'état des connaissances scientifiques, il existe une probabilité qu'existe un lien entre les vaccins contre l'hépatite B administrés à Mme B... et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressée ; dire notamment, si ces symptômes sont apparus postérieurement à la vaccination, l'ont été dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'ils ne peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations ;

7°) fournir toute information médicale nécessaire pour permettre à la cour de se prononcer sur le lien entre la vaccination obligatoire et les troubles constatés chez Mme B... ;

8°) dire si l'état de santé de Mme B... est consolidé ou stabilisé sans amélioration possible et, dans l'affirmative, préciser la date correspondante ;

9°) procéder à l'évaluation des préjudices, au regard de la nomenclature dite Dintilhac, en indiquant, le cas échéant, la part imputable à la pathologie invoquée comme résultant de la vaccination obligatoire ;

10°) indiquer, en conclusion, de façon récapitulative et succincte, les circonstances, les causes et l'étendue des dommages subis par Mme B....

Article 2 : Les experts accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Ils prêteront serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. Ils déposeront leur rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifieront copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la cour dans sa décision les désignant.

Article 3 : L'expertise sera réalisée au contradictoire de Mme A... B... et de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Copie sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2023 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 juin 2023.

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N° 21MA01210

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01210
Date de la décision : 30/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-03 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Service des vaccinations.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : JASPER AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-30;21ma01210 ?
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