Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 19 avril 2021 par laquelle la ministre des armées lui a retiré son habilitation
" Secret-Défense " et d'enjoindre à la ministre des armées, à titre principal, de lui délivrer cette habilitation ou, à titre subsidiaire, de produire, après avoir pris l'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale dans les conditions prévues par le code de la défense, et après avoir le cas échéant déclassifié les informations en cause, des précisions sur les motifs ayant justifié le refus d'habilitation " secret défense ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Par un jugement n° 2104708 du 8 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la demande de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2022, M. B..., représenté par
Me Heulin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2104708 du 8 novembre 2022 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler la décision du 19 avril 2021 portant retrait de son habilitation " secret-défense " ;
3°) d'enjoindre au ministre des armées, à titre principal, de lui délivrer cette habilitation, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de produire, après avoir pris l'avis de la commission consultative du secret de la défense nationale dans les conditions prévues par le code de la défense, et après avoir le cas échéant déclassifié les informations en cause, des précisions sur les motifs ayant justifié le refus d'habilitation
" Secret-Défense ", sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, le défaut de probité ou de loyauté n'est pas un motif de retrait ou de refus d'habilitation prévu par l'instruction générale interministérielle
n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale approuvée par un arrêté interministériel du 30 novembre 2011 ;
- le ministère des armées ne produit pas de compte-rendu de l'enquête administrative, ni même d'avis du service enquêteur, de sorte qu'il n'est pas établi que l'enquête s'est fondée sur des éléments objectifs et qu'elle a permis de caractériser une éventuelle vulnérabilité ;
- la décision attaquée est dépourvue de toute motivation ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle s'inscrit en totale contradiction avec ses états de service exemplaires, notamment au sein de la Marine Nationale ; le ministère n'apporte aucun commencement de preuve, ne serait-ce qu'une déclaration de l'employeur, ou un dépôt de plainte.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 avril 2023, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'elle s'en remet à ses écritures de première instance.
Par ordonnance du 10 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 avril 2023 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la défense ;
- le code pénal ;
- l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale ;
- le code de justice administrative
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public ;
- et les observations de Me Heulin, représentant M. B... et de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... a été recruté en qualité d'ingénieur par la société TechnicAtome à compter du 1er janvier 2006, et affecté à l'unité " Soutien Service Concepteur " du site de Cadarache pour exercer des fonctions soumises à l'obtention d'une habilitation de niveau " Secret-Défense ". Par un courrier du 19 avril 2021, le délégué général pour l'armement a informé le directeur de cette société de ce que l'habilitation " Secret-Défense " de M. B... avait été retirée. Sur le fondement de cette décision, le directeur de l'établissement de Cadarache a prononcé le licenciement de l'intéressé le 12 mai 2021. Par la présente requête, M. B... relève appel du jugement du 8 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 19 avril 2021.
2. En premier lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré du défaut de motivation de la décision portant retrait de l'habilitation " Secret-Défense " de M. B... par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges au point 3 du jugement attaqué.
3. En second lieu, il ressort des écritures produites en première instance par la ministre des armées que, pour retirer à M. B... son habilitation " Secret-Défense ", l'administration s'est fondée sur la circonstance qu'il est défavorablement connu du service enquêteur du ministère des armées pour avoir détourné à son profit des fonds du comité social et économique de l'entreprise dans laquelle il exerçait son activité, pour un montant de 20 000 euros par an entre 2018 et 2020, et que la gravité de ces faits, eu égard à la sensibilité du poste occupé et au niveau de responsabilité de l'intéressé, a légitimement conduit l'autorité d'habilitation à mettre en doute sa fiabilité et sa loyauté, dont le comportement révèle ainsi une vulnérabilité.
4. D'une part, en se bornant à soutenir que le ministère des armées ne produit pas de compte rendu de l'enquête administrative, ni même d'avis du service enquêteur, M. B... ne conteste pas utilement la matérialité des faits qui fondent la décision attaquée.
5. D'autre part, aux termes de l'article R. 2311-2 du code de la défense, dans sa version applicable au litige : " Les informations et supports classifiés font l'objet d'une classification comprenant trois niveaux : / 1° Très Secret-Défense ; / 2° Secret-Défense ; / 3° Confidentiel-Défense. ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 2311-3 de ce même code : " Le niveau Secret-Défense est réservé aux informations et supports dont la divulgation est de nature à nuire gravement à la défense nationale. ". Selon l'article R. 2311-7 dudit code : " Nul n'est qualifié pour connaître des informations et supports classifiés s'il n'a fait au préalable l'objet d'une décision d'habilitation (...) ". Enfin, l'article R. 2311-8 de ce code dispose que : " La décision d'habilitation précise le niveau de classification des informations et supports classifiés dont le titulaire peut connaître ainsi que le ou les emplois qu'elle concerne. Elle intervient à la suite d'une procédure définie par le Premier ministre. (...) / Pour les niveaux de classification Secret-Défense et Confidentiel-Défense, la décision d'habilitation est prise par chaque ministre pour le département dont il a la charge. ".
6. Par ailleurs, aux termes de l'article 24 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, dans sa version applicable au litige, approuvée par arrêté du Premier ministre du 30 novembre 2011 : " (...) 2. Instruction du dossier : / L'enquête de sécurité menée dans le cadre de la procédure d'habilitation est une enquête administrative permettant de déceler chez le candidat d'éventuelles vulnérabilités. / Elle est diligentée par : / - le service enquêteur du ministère de l'intérieur pour les personnels civils (...). / L'enquête administrative est fondée sur des critères objectifs permettant de déterminer si l'intéressé, par son comportement ou par son environnement proche, présente une vulnérabilité, soit parce qu'il constitue lui-même une menace pour le secret, soit parce qu'il se trouve exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, chantage ou pressions exercés par un service étranger de renseignement, un groupe terroriste, une organisation ou une personne se livrant à des activités subversives. (...) ". Et aux termes de l'article 31 de cette même instruction : " 3. Retrait d'habilitation : / La décision d'habilitation ne confère pas à son bénéficiaire de droit acquis à son maintien. L'habilitation peut être retirée en cours de validité ou à l'occasion d'une demande de renouvellement si l'intéressé ne remplit plus les conditions nécessaires à sa délivrance, ce qui peut être le cas lorsque des éléments de vulnérabilité apparaissent, signalés par exemple par : / - le service enquêteur ; / - le supérieur hiérarchique ou l'officier de sécurité concerné, à la suite d'un changement de situation ou de comportement révélant un risque pour la défense et la sécurité nationale. ".
7. De plus, l'article 4 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 dispose que : " La décision de classifier au titre du secret de la défense nationale une information ou un support a pour conséquence de le placer sous la protection de dispositions spécifiques du code pénal (...) ". L'article 413-9 du code pénal dispose que : " Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale qui ont fait l'objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. (...) ". Enfin, l'article 413-10 de ce même code dispose que : " Est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende le fait, par toute personne dépositaire, soit par état ou profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ou permanente, d'un procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier qui a un caractère de secret de la défense nationale, soit de le détruire, détourner, soustraire ou de le reproduire, soit d'en donner l'accès à une personne non qualifiée ou de le porter à la connaissance du public ou d'une personne non qualifiée. / Est puni des mêmes peines le fait, par la personne dépositaire, d'avoir laissé accéder à, détruire, détourner, soustraire, reproduire ou divulguer le procédé, objet, document, information, réseau informatique, donnée informatisée ou fichier visé à l'alinéa précédent. / Lorsque la personne dépositaire a agi par imprudence ou négligence, l'infraction est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. ".
8. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il statue sur une demande d'annulation d'une décision portant retrait d'une habilitation " Secret-Défense ", de contrôler, s'il est saisi d'un moyen en ce sens, la légalité des motifs sur lesquels l'administration s'est fondée. Il lui est loisible de prendre, dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de l'instruction, toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, sans porter atteinte au secret de la défense nationale ; qu'il lui revient, au vu des pièces du dossier, de s'assurer que la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
9. Ainsi qu'il a été exposé au point 3, pour prendre la décision en litige, l'administration s'est fondée sur la circonstance que M. B... est défavorablement connu du service enquêteur du ministère des armées pour avoir détourné à son profit des fonds du comité social et économique de l'entreprise dans laquelle il exerçait son activité, pour un montant de
20 000 euros par an entre 2018 et 2020. Eu égard à la nature et à la gravité de tels faits, et aux fonctions exercées par l'appelant sur un site particulièrement sensible sur le plan de la défense nationale, M. B... doit être regardé comme s'étant nécessairement exposé à un risque de chantage ou de pressions pouvant mettre en péril les intérêts de l'Etat, situation révélant l'existence d'une vulnérabilité au sens et pour l'application des dispositions citées au point 6 de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale. Par suite, c'est sans commettre d'erreur de droit que l'administration a retiré l'habilitation " Secret-Défense " de M. B....
10. Enfin, en se bornant à soutenir que la décision attaquée s'inscrit en totale contradiction avec ses états de services exemplaires, notamment au sein de la Marine Nationale, l'appelant n'établit pas que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 19 avril 2021 par laquelle la ministre des armées lui a retiré son habilitation " Secret-Défense ". Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées, ainsi que ses conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2023.
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N° 22MA03095