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27/06/2023 | FRANCE | N°22MA01641

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 27 juin 2023, 22MA01641


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), dont l'offre préalable d'indemnisation était selon lui insuffisante, à lui verser la somme de 62 320 euros en réparation des préjudices subis résultant de son exposition aux rayonnements ionisants, d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2015 et de la capitalisation des intérêts échus et de mettre à la charge du CIVEN la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), dont l'offre préalable d'indemnisation était selon lui insuffisante, à lui verser la somme de 62 320 euros en réparation des préjudices subis résultant de son exposition aux rayonnements ionisants, d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2015 et de la capitalisation des intérêts échus et de mettre à la charge du CIVEN la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 2001231 du 12 avril 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à verser à M. C... la somme de 1 304 euros, après déduction des sommes éventuellement déjà perçues par l'intéressé à titre de provision en exécution de l'ordonnance n° 2001251 rendue le 10 juin 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2015 et capitalisation de ces intérêts à compter du 29 avril 2020, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 juin 2022, M. C..., représenté par Me Labrunie, demande à la Cour :

1°) de condamner le CIVEN à lui verser la somme de 47 036 euros en réparation de ses préjudices, avant consolidation, patrimoniaux et extra-patrimoniaux temporaires, et après consolidation, extra- patrimoniaux permanents ;

2°) de mettre à la charge du CIVEN les entiers dépens et la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il entend contester le montant de l'indemnité que lui a accordée le tribunal, poste de préjudice par poste de préjudice et obtenir la réparation intégrale des préjudices causés par la myélodysplasie primitive diagnostiquée en 2010, radio-induite dont il est victime, son état de santé étant consolidé au 9 septembre 2019 ;

- au titre des préjudices avant consolidation et s'agissant des préjudices patrimoniaux, la somme de 54 euros allouée par le tribunal au titre des frais exposés pour se rendre à l'expertise sera confirmée ;

- s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux avant consolidation, les souffrances endurées temporaires devront être réparées, en tenant compte des souffrances physiques et des souffrances morales, à hauteur de 15 000 euros ;

- au titre des préjudices après consolidation, s'agissant des préjudices extra-patrimoniaux, une somme de 11 982 euros devra lui être accordée en réparation de son préjudice fonctionnel permanent qui doit être évalué à 5 %, compte tenu de sa fatigabilité, et une somme de 20 000 euros pour indemniser son préjudice permanent exceptionnel lié au caractère évolutif de sa pathologie qui engage son pronostic vital et le fait de vivre dans la crainte d'une transformation de la myélodysplasie en leucémie.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 8 août 2022 et le 5 juin 2023, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 30 mai 2023, Mme A... C..., représentée par Me Labrunie, déclare reprendre l'instance engagée par M. C..., son époux, décédé le 17 décembre 2022, en maintenant à l'identique les conclusions et moyens de celui-ci.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 ;

- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Tizot, substituant Me Labrunie, représentant Mme C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., né le 12 juillet 1943, a été affecté en tant que soudeur d'usines sur les sites d'expérimentations nucléaires en Polynésie française, à Mururoa et Papeete, du 14 octobre 1980 au 18 décembre 1982, puis du 11 avril 1994 au 4 juin 1996. Ayant contracté en 2010 une myélodysplasie, il a déposé auprès du CIVEN, le 6 mars 2015, une demande d'indemnisation des préjudices qu'il estimait subir. Après décision du CIVEN du 12 novembre 2018 acceptant de faire droit à cette demande, et expertise médicale du 9 septembre 2019, M. C... n'a pas accepté la proposition d'indemnisation qui lui a été faite le 6 avril 2020, à hauteur de 1 304 euros. Par un jugement du 12 avril 2022, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'Etat à lui verser la somme de 1 304 euros, après déduction des sommes éventuellement déjà perçues par l'intéressé à titre de provision en exécution de l'ordonnance n° 2001251 rendue le 10 juin 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, avec intérêts au taux légal à compter du 6 mars 2015 et capitalisation de ces intérêts à compter du 29 avril 2020, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus de ses conclusions. Compte tenu de son argumentation devant la Cour, Mme A... C..., épouse de M. C..., décédé le 17 décembre 2022, venant aux droits de ce dernier, doit être regardée comme demandant d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à la demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 47 036 euros en réparation des préjudices subis par son époux.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les préjudices avant consolidation :

2. D'une part, si pour demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 47 036 euros, Mme C... invoque, à raison de 54 euros, le préjudice causé par les frais que son défunt époux a dû engager pour se rendre à l'expertise médicale diligentée le 9 septembre 2019 à l'initiative du CIVEN, il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué, pris en son point 4, que le tribunal a fait droit à sa demande dans cette mesure.

3. D'autre part, il résulte de l'instruction, et plus spécialement du rapport d'expertise médicale du 16 septembre 2019, que la myélodysplasie radio-induite dont était atteint M. C... depuis 2010 et dont la consolidation a été fixée par l'expert au 16 septembre 2019, lui a causé jusqu'à cette date des souffrances morales susceptibles d'être évaluées à 1,5 sur une échelle de 7. Selon cet expert, qui n'a pas retenu l'existence d'un déficit fonctionnel temporaire du fait de cette pathologie et dont les éléments d'analyse ne sont démentis par aucune autre pièce du dossier, ces souffrances exclusivement morales ont été dues à la crainte de l'intéressé de voir sa maladie se transformer en une leucémie aiguë mais devaient être relativisées compte tenu, au vu de ses analyses sanguines constantes, du risque très faible de développer cette forme de cancer. Il ne résulte ni de ce rapport d'expertise ni d'aucune autre pièce du dossier médical de M. C..., pas même des comptes rendus médicaux des 19 juillet 2013 et 5 décembre 2017, que l'asthénie qu'il a ressentie en 2013, depuis alors quelques trois années, aurait été liée à sa pathologie radio-induite. En se bornant à souligner la surveillance biologique trimestrielle, par des prises de sang itératives, à laquelle son époux a été astreint du fait de sa maladie, sans autre conséquence, et à invoquer l'exemple des victimes de l'amiante, distinct de la situation de son défunt conjoint, Mme C... ne démontre ni que les souffrances morales temporaires devraient être mieux évaluées que le coefficient retenu par les premiers juges sur la base du rapport d'expertise médicale, ni que l'indemnité de 1 250 euros que ceux-ci ont attribuée à ce titre, n'en donne pas une juste réparation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les préjudices après consolidation :

4. En premier lieu, le rapport d'expertise médicale du 16 septembre 2019, qui n'identifiait chez M. C... aucun déficit fonctionnel permanent en lien avec sa myélodysplasie, indique que cette maladie n'a jamais été symptomatique ni n'a engendré d'infections, et n'a pas évolué en neuf ans. Mme C... ne produit aucun document médical de nature à justifier d'une dégradation de l'état de santé de son époux depuis sa consolidation et avant son décès le 17 décembre 2022, non plus qu'aucune pièce propre à établir, contrairement à ce qu'elle soutient, et ainsi qu'il a été dit au point précédent, un lien entre son affection et la fatigabilité observée en 2013 depuis 2010. C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont rejeté les prétentions indemnitaires de M. C..., reprises par Mme C... en cause d'appel et tendant à la réparation du préjudice extra-patrimonial causé par un prétendu déficit fonctionnel permanent.

5. En second lieu, eu égard au risque très faible que la myélodysplasie de M. C... dégénère en une leucémie aigüe, ainsi que l'a estimé l'expert médical le 16 septembre 2019, et dans la mesure où aucun élément de l'instruction ne démontre une détérioration de ses analyses biologiques, et partant, une aggravation de ce risque, Mme C... ne justifie, pas plus en appel qu'en première instance, de l'existence d'un préjudice moral, distinct de celui qui a été déjà réparé au titre des souffrances endurées par son époux et qui serait consécutif à une pathologie évolutive engageant le pronostic vital de ce dernier.

6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a limité à la somme de 1 304 euros l'indemnité accordée à son défunt époux en réparation de ses préjudices. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses conclusions relatives aux intérêts de retard et à leur capitalisation, et ses prétentions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

N° 22MA016412


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01641
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-05 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Responsabilité régie par des textes spéciaux.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-27;22ma01641 ?
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