La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/06/2023 | FRANCE | N°21MA04501

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 27 juin 2023, 21MA04501


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... et la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF) ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner solidairement la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens à verser, à la MAIF, la somme totale de 103 411,42 euros, et, à Mme A..., celle de 26 947,29 euros, en réparation des dommages subis par le bien immobilier dont Mme A... est la propriétaire du fait du débordement de l'Argens et de ses affluents, d'autre part, d'enjoindre à la com

mune de Roquebrune-sur-Argens et au syndicat mixte de l'Argens de proc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... et la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF) ont demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner solidairement la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens à verser, à la MAIF, la somme totale de 103 411,42 euros, et, à Mme A..., celle de 26 947,29 euros, en réparation des dommages subis par le bien immobilier dont Mme A... est la propriétaire du fait du débordement de l'Argens et de ses affluents, d'autre part, d'enjoindre à la commune de Roquebrune-sur-Argens et au syndicat mixte de l'Argens de procéder à l'aménagement de l'exutoire de la partie à ciel ouvert du ruisseau Sainte-Candie ainsi qu'à la transformation du parc de stationnement voisin en parc de stationnement écologique, dans un délai de six mois à compter du jugement à intervenir et sous une astreinte de 500 euros par jour de retard, et, enfin, de mettre à la charge solidaire de la commune de Roquebrune-sur-Argens et du syndicat mixte de l'Argens le versement, à chacune d'entre elles, d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Par un jugement n° 1901296 du 23 septembre 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté tant leur demande que les conclusions présentées par la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative avant de mettre les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 7 471,02 euros à la charge définitive et solidaire de Mme A... et de la MAIF.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 novembre 2021 et 25 novembre 2022, ce dernier n'ayant pas été communiqué, Mme A... et la MAIF, représentées, en dernier lieu, par Me Tarlet, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 23 septembre 2021 ;

2°) d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le maire de Roquebrune-sur-Argens et le président du syndicat mixte de l'Argens sur leur demande préalable tendant à l'indemnisation des préjudices subis par la propriété de Mme A... du fait du débordement de l'Argens et de ses affluents, au paiement des travaux de mise en étanchéité de la façade arrière de cette propriété et à la réalisation des travaux de nature à réduire le risque d'inondation de celle-ci ;

3°) de condamner conjointement et solidairement la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens à verser :

. à la MAIF : les sommes de 100 126,93 euros, au titre des montants qu'elle a versés à Mme A... dans le cadre de sa garantie " dommage aux biens ", et de 3 284,49 euros, au titre des frais relatifs à l'intervention de l'entreprise 3 ID ;

. à Mme A... : les sommes de 760 euros, au titre de sa franchise, de 4 587,29 euros, au titre de l'indemnité différée relative aux dommages immobiliers subis, et de 21 600 euros à parfaire, au titre des travaux d'étanchéité de la façade arrière de sa propriété ;

4°) d'enjoindre, en application des dispositions des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative, et conformément aux préconisations de l'expert de justice, d'une part, à la commune de Roquebrune-sur-Argens et au syndicat mixte de l'Argens, de procéder à l'aménagement de l'exutoire de la partie à ciel ouvert du ruisseau Sainte-Candie, et, d'autre part, à la commune de Roquebrune-sur-Argens, de transformer le parc de stationnement voisin en parc de stationnement écologique, dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir et, passé ce délai, sous une astreinte de 500 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge conjointe et solidaire de la commune de Roquebrune-sur-Argens et du syndicat mixte de l'Argens la somme de 3 000 euros à verser à chacune d'entre elles au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rembourser à la MAIF la somme de 7 471,02 euros au titre des frais d'expertise.

Elles soutiennent que :

Sur la recevabilité de leurs demandes :

- l'exception de prescription opposée devant les premiers juges par le syndicat mixte de l'Argens et la commune de Roquebrune-sur-Argens doit être écartée ;

- leur recours indemnitaire introduit à l'encontre du syndicat mixte de l'Argens est recevable ;

Sur la responsabilité de la commune de Roquebrune-sur-Argens et du syndicat mixte de l'Argens :

- sur la responsabilité pour faute de la commune de Roquebrune-sur-Argens au titre des pouvoirs de police du maire :

. en refusant de reconnaître cette responsabilité, les premiers juges ont méconnu les conclusions de l'expert de justice, lequel a relevé la lenteur de la mise en œuvre des procédures administratives et la multiplication des aménagements et des constructions traditionnels, peu adaptés au contexte environnemental ;

. il se déduit de l'article L. 215-2 du code de l'environnement que le maire se voit reconnaître, sur la base des dispositions particulières applicables en cette matière, la possibilité de compléter la réglementation préfectorale ;

. contrairement à ce que soutient le tribunal administratif de Toulon dans son jugement attaqué, la mise en œuvre par le maire des pouvoirs de police générale qu'il tient de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales n'est pas conditionnée à l'existence d'un danger grave ou imminent ; seules les dispositions de l'article L. 2212-4 du même code requièrent une telle condition pour leur mise en œuvre ; ce jugement est ainsi entaché d'une erreur de droit ;

. elles ont démontré, en première instance, que la responsabilité pour faute de l'administration était engagée à trois égards :

. pour la lenteur des procédures administratives et l'absence de mise en place d'aménagements adéquats de nature à prévenir le risque d'inondation pourtant connu par l'administration ;

. pour les carences affectant la réglementation locale d'urbanisme ; le tribunal administratif de Toulon a éludé ce moyen ;

. pour l'urbanisation anarchique du secteur des Douanes ;

- en délivrant des autorisations de construire pour la réalisation d'opérations de grande ampleur, dans un secteur soumis à l'aléa inondation, la commune de Roquebrune-sur-Argens a également engagé sa responsabilité au titre de la méconnaissance de ce principe de précaution tel que consacré à l'article 5 de la Charte de l'environnement et qui a pour corollaire, en matière d'urbanisme, le principe de prévention posé à l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;

- sur la responsabilité pour faute du syndicat mixte de l'Argens :

. le syndicat mixte de l'Argens ne conteste pas n'avoir mené aucune action concrète permettant d'assurer la prévention des inondations à court terme sur le secteur des Douanes ; contrairement à ce que fait valoir le syndicat mixte de l'Argens, la lenteur des procédures administratives a été reconnue par l'expert de justice ;

- sur la responsabilité sans faute au titre du mauvais fonctionnement de l'ouvrage public : le sous-dimensionnement du ruisseau Sainte-Candie, ouvrage public, constitue l'une des causes des inondations récurrentes subies par la propriété appartenant à Mme A..., cette dernière ayant la qualité de tiers ;

Sur l'absence de causes exonératoires de responsabilité :

- contrairement à ce qu'ont fait valoir la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens en première instance, le climat n'est pas la cause principale des sinistres subis ;

- la commune de Roquebrune-sur-Argens et le syndicat mixte de l'Argens ne sont pas en mesure d'invoquer une quelconque faute de la part de Mme A... ;

- l'administration ne sera pas en mesure d'exciper de la force majeure alors que les inondations de 2011 et 2014 ne constituent pas des évènements isolés et ne revêtent donc pas un caractère irrésistible ; en tout état de cause, à la supposer établie, la force majeure ne saurait exonérer le syndicat mixte de l'Argens et la commune de Roquebrune-sur-Argens de leur responsabilité ;

- l'expert de justice n'a pas évoqué une prétendue carence des propriétaires riverains dans l'entretien de l'Argens au titre des causes des désordres subis par la propriété appartenant à Mme A... ;

Sur leurs demandes :

- sur l'indemnisation des préjudices subis par Mme A... lors des inondations de 2011 et 2014 :

. la MAIF a versé à Mme A... la somme de 70 428,80 euros au titre des désordres subis en novembre 2011, et celle de 29 698,13 euros au titre des désordres subis en janvier 2014 ; elle est, dès lors, fondée à solliciter le remboursement des indemnités versées à Mme A..., soit la somme totale de 100 126,93 euros ; par ailleurs, à la suite de l'inondation survenue en 2011, la MAIF a dû solliciter l'intervention de l'entreprise partenaire 3ID, pour un montant de 3 284,49 euros ;

. Mme A... est fondée à demander le paiement de la somme de 760 euros correspondant à sa franchise d'assurance de 380 euros versée en 2011 et 2014, la somme de 4 587,29 euros correspondant aux dommages immobiliers qu'elle a subis et non encore indemnisés par la MAIF, conformément au rapport du cabinet ELEX du 27 avril 2015, soit la somme totale de 5 347,29 euros ;

- sur la réalisation de travaux de nature à réduire le risque d'inondation de la propriété appartenant à M. A... :

. les travaux de mise en étanchéité de la façade ont été chiffrés à la somme de 21 600 euros toutes taxes comprises (TTC) ;

. il devra être enjoint aux intimés d'entreprendre, dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé ce délai, les travaux préconisés par l'expert de justice, soit l'aménagement de l'exutoire de la partie à ciel ouvert du ruisseau Sainte-Candie et la transformation du parc de stationnement existant en parc de stationnement écologique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 février 2022, le syndicat mixte de l'Argens, représenté par Me Linditch, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... et de la MAIF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le tribunal administratif de Toulon n'a pas commis d'erreur d'appréciation en jugeant que les requérantes n'étaient pas fondées à rechercher la responsabilité de la commune de Roquebrune-sur-Argens sur le fondement d'une carence de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale ;

- s'agissant des pouvoirs de police générale du maire, Mme A... et la MAIF n'apportent aucun élément probant de nature à établir que le maire de Roquebrune-sur-Argens aurait manqué à ses obligations ; Mme A... et la MAIF ne sauraient prétendre que le tribunal administratif de Toulon aurait éludé le moyen tiré de la carence de la réglementation d'urbanisme ;

- Mme A... et la MAIF n'apportent pas d'élément probant de nature à engager la responsabilité de la commune de Roquebrune-sur-Argens tant au regard du principe de prévention posé par l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme que du principe de précaution énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement ;

- Mme A... et la MAIF n'apportent pas d'élément probant de nature à établir qu'il aurait la garde d'un ouvrage public à l'origine des dommages dont elles demandent réparation et qu'un mauvais état d'entretien serait la cause du préjudice subi ; elles n'apportent aucun élément probant de nature à établir le sous-dimensionnement de la partie à ciel ouvert de l'exutoire du ruisseau Sainte-Candie en aval de la propriété de Mme A..., dont au demeurant, il n'est pas démontré qu'il aurait fait l'objet d'un aménagement, et son lien de causalité avec les inondations de sa maison ;

- Mme A... et la MAIF n'apportent aucun élément probant de nature à établir qu'il devrait réaliser les travaux d'aménagement du ruisseau Sainte-Candie préconisés par l'expert de justice ;

- Mme A... a commis une faute de négligence à l'origine des désordres dont elle réclame l'indemnisation ;

- à titre subsidiaire, et s'agissant du chiffrage du préjudice, la demande d'indemnisation est infondée et irréaliste, la réalité du préjudice allégué n'étant pas établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 décembre 2022, la commune de Roquebrune-sur-Argens, représentée par Me Marques, conclut, d'une part, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Toulon du 23 septembre 2021, d'autre part, à titre principal, au rejet de l'ensemble des demandes présentées par Mme A... et la MAIF, et, à titre subsidiaire, à ce que ces demandes soient ramenées à de plus justes proportions, et, en tout état de cause, à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de Mme A... et de la MAIF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le tribunal administratif de Toulon n'ayant pas statué sur la prescription quadriennale qu'elle opposait en première instance, elle entend interjeter appel incident du jugement du 23 septembre 2021 sur ce point ;

- elle entend opposer un nouveau moyen tenant au transfert des compétences relatives aux inondations et au réseau pluvial au profit de la communauté d'agglomération qu'elle a intégrée en 2012, conformément aux 5°, 8° et 10° de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales ; sa responsabilité ne saurait dès lors être recherchée à ce titre ; de même, s'agissant de l'exutoire, et à supposer que cet aménagement constitue un ouvrage public, sa gestion a été, conformément au 10° de cet article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, transférée à l'Estérel Côte d'Azur Agglomération (ECAA) ;

- à titre subsidiaire :

. il ne ressort pas des écritures des appelantes que le ruisseau Sainte-Candie, cours d'eau non domanial, constituerait un ouvrage public participant à l'évacuation des eaux pluviales ; s'agissant de l'exutoire, et même à supposer qu'il constitue un ouvrage public dont elle aurait la charge en lieu et place de l'ECAA, comme l'a relevé le tribunal administratif de Toulon, Mme A... et la MAIF sont incapables de démontrer un lien causal suffisamment clair et déterminant entre son supposé sous-dimensionnement et les dommages subis par Mme A... ;

. aucun élément, y compris le rapport d'expertise, ne démontre une quelconque carence de son maire dans l'usage de ses pouvoirs de police ;

. seule l'absence de diligence de la part des propriétaires riverains peut mener les pouvoirs publics à engager les travaux nécessaires, en vertu de l'article L. 215-16 du code de l'environnement ; alors qu'elle ne disposait que d'un pouvoir de substitution, elle a œuvré aux travaux d'entretien réalisés suite à la carence des propriétaires riverains de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée ;

. s'agissant du principe de précaution et de la supposée urbanisation anarchique, comme l'ont relevé les premiers juges, le lien de causalité n'est pas établi entre les autorisations délivrées et les inondations subies par Mme A... ;

. alors qu'elle ne pouvait ignorer que sa propriété se situait à 400 mètres de l'Argens et à proximité immédiate du ruisseau Sainte-Candie, Mme A... n'a entrepris aucun aménagement visant à réduire le risque d'inondation ; la carence de Mme A... et de son assureur est fautive ;

. le climat, qui constitue la première cause citée par l'expert de justice, est la principale d'entre elles, relève de la force majeure ; quand bien même la force majeure ne serait pas retenue pour les inondations de 2014, sa responsabilité ne peut être engagée puisqu'elle a mis en œuvre tous les moyens utiles pour prévenir le risque ;

- à titre infiniment subsidiaire, et si, par extraordinaire, sa responsabilité était retenue, elle entend contester le montant des sommes réclamées dès lors que tous les dommages répertoriés par l'expert de justice ne résultent pas des inondations ; une partie a été causée par la tempête ; partant, les sommes réclamées au titre des dommages immobiliers causés par la tempête, soit 44 513,79 euros, sont injustifiées ; concernant les dommages mobiliers, la distinction n'étant pas reprise dans le récapitulatif, l'intégralité de la somme réclamée, soit 20 055 euros, comprend nécessairement les dommages causés par la tempête et ceux résultant des inondations ; le même raisonnement s'applique concernant le chiffrage complémentaire de 3 914, 55 euros établi le 13 février 2014 par le cabinet Eurexo.

Par une ordonnance du 7 décembre 2022, la clôture de l'instruction, initialement fixée au 7 décembre 2022, a été reportée au 16 janvier 2023, à 12 heures.

Vu

- l'ordonnance n° 1601992 du 17 novembre 2017 du président du tribunal administratif de Toulon liquidant et taxant les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. D... B... ;

- les autres pièces du dossier.

Par des lettres du 6 juin 2023, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que la commune de Roquebrune-sur-Argens n'est pas recevable à demander, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Toulon du 23 septembre 2021 qui a rejeté la demande de première instance présentée par Mme A... et la MAIF.

Par des observations en réponse, enregistrées le 6 juin 2023, la commune de Roquebrune-sur-Argens, représentée par Me Marques, indique qu'elle entend reprendre ses développements tenant à la prescription quadriennale comme fin de non-recevoir opposée à la demande d'indemnisation de Mme A... et de la MAIF, s'agissant des inondations de novembre 2011.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'environnement ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Tarlet, représentant Mme A... et la MAIF.

Considérant ce qui suit :

1. Du 15 au 16 juin 2010, du 4 au 10 novembre 2011 puis du 18 au 20 janvier 2014, des pluies torrentielles se sont abattues sur le département du Var, et notamment sur le territoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens, entraînant tant la crue de l'Argens que celle de ses affluents. L'état de catastrophe naturelle a été constaté respectivement par des arrêtés des 21 juin 2010, 18 novembre 2011 et 31 janvier 2014. A ces occasions, les parcelles cadastrées section BE nos 27 et 28, sises au droit de la ravine de Sainte-Candie et à environ 360 mètres en aval des berges de l'Argens, dans le secteur des Douanes, au 69 impasse de la Bouffre, à Roquebrune-sur-Argens, qui appartiennent à Mme A... et sur lesquelles est implantée sa maison d'habitation, ont été envahies par les eaux, endommageant tant cet immeuble que le mobilier. Par une ordonnance n° 1601992 du 21 novembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a, sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du code de justice administrative et à la demande de Mme A..., prescrit une expertise, au contradictoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens et du syndicat mixte de l'Argens, aux fins de rechercher tous éléments relatifs aux causes et conséquences des désordres affectant ces deux parcelles suite aux débordements de l'Argens survenus en 2011 et 2014. L'expert de justice ainsi désigné, dont les opérations ont été, par une ordonnance n° 1601992 du 13 juillet 2017 rendue par le même juge des référés, déclarées communes et opposables à la MAIF en sa qualité d'assureur subrogé dans les droits et actions de Mme A... à hauteur des indemnités versées à cette dernière, soit les sommes de 70 428,80 et 29 698,13 euros correspondant à des indemnités pour les dommages mobiliers qu'elle a subis lors des sinistres survenus en 2011 et 2014, a déposé son rapport au greffe du tribunal administratif de Toulon le 25 septembre 2017. Mme A... et la MAIF ont consécutivement adressé, sur la base de ce rapport et donc pour les seules inondations survenues en 2011 et en 2014, une réclamation indemnitaire préalable au maire de Roquebrune-sur-Argens et au président du syndicat mixte de l'Argens aux fins d'obtenir l'indemnisation des conséquences dommageables de ces inondations ainsi que la réalisation des travaux de nature à réduire le risque d'inondation. Du silence gardé par ces deux autorités administratives sont nées des décisions implicites de rejet. Mme A... et la MAIF ont alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande tendant principalement, d'une part, à la condamnation solidaire de la commune de Roquebrune-sur-Argens et du syndicat mixte de l'Argens à verser à Mme A..., une somme de 26 947,29 euros, et, à la MAIF, celle de 103 411,42 euros, en réparation des préjudices subis par Mme A... et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint à la commune de Roquebrune-sur-Argens et au syndicat mixte de l'Argens de procéder à l'aménagement de l'exutoire de la partie à ciel ouvert du " ruisseau " Sainte-Candie et à la transformation du parc de stationnement situé à proximité en parc de stationnement écologique. M. A... et la MAIF relèvent appel du jugement du 23 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a entièrement rejeté leur demande et a mis à leur charge solidaire les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés, par l'ordonnance susvisée du 17 novembre 2017, à la somme de 7 471,02 euros.

Sur l'appel incident présenté par la commune de Roquebrune-sur-Argens :

2. Les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs ne peuvent tendre qu'à l'annulation ou à la réformation du dispositif du jugement attaqué. Par suite, n'est pas recevable, quels que soient les motifs retenus par les premiers juges, l'appel dirigé contre un jugement qui, par son dispositif, fait intégralement droit aux conclusions de la demande qu'avait présentée l'appelant en première instance.

3. En l'espèce, ainsi qu'il a été déjà dit, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté la demande de première instance présentée par Mme A... et la MAIF en son entier. Si la commune de Roquebrune-sur-Argens demande à la Cour, par la voie d'un appel incident, l'annulation de ce jugement en tant que les premiers juges n'ont pas examiné l'exception de prescription quadriennale qu'elle opposait devant eux, ces conclusions, qui ne sont pas dirigées contre le dispositif du jugement attaqué mais contre ses motifs, ne sont pas recevables. Pour ce motif, elles ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'appel principal présenté par Mme A... et la MAIF :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

4. Mme A... et la MAIF soutiennent que les premiers juges ont omis de se prononcer sur la responsabilité pour faute du fait de la carence alléguée de la réglementation d'urbanisme applicable sur le territoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens. Il résulte de leurs écritures de première instance que cette faute était invoquée, de sorte que les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité en ne se prononçant pas sur ce point. Par suite, leur jugement attaqué du 23 septembre 2021 doit être annulé.

5. Il y a lieu, pour la Cour, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme A... et la MAIF devant le tribunal administratif de Toulon.

En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :

6. Les décisions implicites résultant du silence gardé par le maire de Roquebrune-sur-Argens et le président du syndicat mixte de l'Argens sur la réclamation indemnitaire préalable présentée par Mme A... et la MAIF a eu pour seul effet de lier le contentieux. Les requérantes ne peuvent dès lors utilement en solliciter l'annulation et il appartient à la Cour de statuer directement sur leur droit à obtenir la réparation qu'elles réclament.

En ce qui concerne les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction :

7. La personne qui subit un préjudice direct et certain du fait du comportement fautif d'une personne publique peut former devant le juge administratif une action en responsabilité tendant à ce que cette personne publique soit condamnée à l'indemniser des conséquences dommageables de ce comportement.

8. Elle peut également, lorsqu'elle établit la persistance du comportement fautif de la personne publique responsable et du préjudice qu'elle lui cause, assortir ses conclusions indemnitaires de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la personne publique en cause de mettre fin à ce comportement ou d'en pallier les effets. De telles conclusions à fin d'injonction ne peuvent être présentées qu'en complément de conclusions indemnitaires.

9. De la même façon, le juge administratif ne peut être saisi, dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics, de conclusions tendant à ce qu'il enjoigne à la personne publique de prendre les mesures de nature à mettre fin au dommage ou à en pallier les effets, qu'en complément de conclusions indemnitaires (CE, 12 avril 2022, n° 458176, A).

S'agissant de la responsabilité pour faute :

Quant à la carence du maire de Roquebrune-sur-Argens dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale :

10. D'une part, l'article L. 215-2 du code de l'environnement dispose que : " le lit des cours d'eau non domaniaux appartient aux propriétaires des deux rives (...) " et l'article L. 215-14 du même code pose le principe de l'entretien des cours d'eau non domaniaux par les propriétaires riverains, en précisant que : " (...) L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique (...) notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives ". Enfin, l'article L. 215-16 du même code dispose que : " Si le propriétaire ne s'acquitte pas de l'obligation d'entretien régulier qui lui est faite par l'article L. 215-14, la commune, le groupement de communes ou le syndicat compétent, après une mise en demeure restée infructueuse à l'issue d'un délai déterminé dans laquelle sont rappelées les dispositions de l'article L. 435-5, peut y pourvoir d'office à la charge de l'intéressé (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 215-7 du code de l'environnement : " L'autorité administrative est chargée de la conservation et de la police des cours d'eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux (...) ". Et aux termes de l'article L. 215-12 du même code : " Les maires peuvent, sous l'autorité des préfets, prendre toutes les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau ". Il résulte de ces dispositions que ni l'Etat, ni les collectivités territoriales ou leurs groupements n'ont l'obligation d'assurer la protection des propriétés voisines des cours d'eau non domaniaux contre l'action naturelle des eaux, cette protection incombant, en vertu des dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement, au propriétaire riverain qui est tenu à un entretien régulier du cours d'eau non domanial qui borde sa propriété, l'article L. 215-16 du même code permettant seulement à la commune, au groupement de communes ou au syndicat compétent de pourvoir d'office à l'obligation d'entretien régulier, à la place du propriétaire qui ne s'en est pas acquitté et à sa charge. Toutefois, en vertu des pouvoirs de police qui lui sont confiés par les dispositions précitées de l'article L. 215-7 du code de l'environnement citées, il appartient au préfet de prendre toutes dispositions nécessaires au libre cours des eaux, le maire pouvant, sous l'autorité de celui-ci, prendre également les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau en application des dispositions de l'article L. 215-12 du même code.

11. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et en particulier du rapport dressé par l'expert de justice désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, que les fortes précipitations qui se sont abattues sur le territoire de la commune de Roquebrune-sur-Argens, du 4 au 10 novembre 2011, puis du 18 au 20 janvier 2014, ont entraîné la crue de l'Argens et celle de ses affluents ainsi que le débordement de la ravine de Sainte-Candie. Situé à environ 360 mètres des berges de l'Argens, dans le prolongement d'une plaine agricole, et au droit de cette ravine, la propriété de Mme A... qui, pour reprendre les mots de cet expert de justice, " occupe une localisation particulièrement fragile ", a " été pris[e] en tenaille ". Mme A... et la MAIF estiment que le phénomène climatique à l'origine des dommages en litige s'est trouvé aggravé par plusieurs facteurs concomitants. A ce titre, elles soutiennent, en premier lieu, que la responsabilité pour faute de la commune de Roquebrune-sur-Argens serait engagée en raison de la carence de son maire dans l'exercice de son obligation d'entretien des cours d'eau. Toutefois, pas davantage que devant le tribunal administratif de Toulon, les requérantes ne démontrent devant la Cour le bien-fondé de cette argumentation qu'au demeurant, elles n'assortissent d'aucune précision, ni pièce. En tout état de cause, et à supposer même une telle carence établie, une commune ne saurait en être reconnue responsable dès lors que le maire exerce cette police spéciale des cours d'eau non domaniaux en tant qu'agent de l'Etat.

Quant à la carence du maire de Roquebrune-sur-Argens dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale :

12. Aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...) ". Selon l'article L. 2212-4 du même code : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. (...) ".

13. Une carence du maire à faire usage des pouvoirs de police que lui confèrent les dispositions précitées des articles L. 2212-2, L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales n'est fautive, et par suite de nature à engager la responsabilité de la commune, que dans le cas où, en raison de la gravité du péril résultant d'une situation particulièrement dangereuse pour le bon ordre, la sécurité ou la salubrité publiques, cette autorité, en n'ordonnant pas les mesures indispensables pour faire cesser ce péril grave, méconnaît ses obligations légales.

14. Au cas particulier, il ne résulte pas de l'instruction que, dans les jours ou les semaines précédant les inondations survenues en 2011 puis en 2014, le maire de Roquebrune-sur-Argens aurait disposé d'éléments d'information suffisants pour établir l'existence d'un risque d'inondation représentant un danger grave ou imminent exigeant une intervention urgente. Par suite, et alors que, dans son rapport, l'expert de justice missionné par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon évoque " des évènements à caractère récurrent, mais statistiquement aléatoires et imprévisibles ", Mme A... et la MAIF ne démontrent pas l'existence de circonstances dont la gravité requérait de façon suffisamment impérieuse du maire de Roquebrune-sur-Argens qu'il fît usage des pouvoirs de police que lui confèrent les dispositions précitées des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir qu'en ne faisant pas usage de ses pouvoirs de police pour prévenir les inondations et remédier à ce risque sur le territoire de sa commune, le maire de Roquebrune-sur-Argens aurait commis une faute de nature à engager la responsabilité de cette commune.

Quant à la lenteur administrative et à l'absence corrélative de mise en place d'aménagements adéquats :

15. D'une part, il résulte de l'instruction que la commune de Roquebrune-sur-Argens s'est dotée d'un dossier d'information communale sur les risques majeurs (DICRIM) qui précise les informations sur ces risques, dont le risque d'inondation, ainsi que les consignes de sécurité. En outre, la commune intimée s'est dotée d'un système d'alerte à la population et il n'est pas contesté que l'un de ses agents a pour mission de recenser et d'inspecter régulièrement tous les cours d'eau présents sur son territoire, à l'exception de l'Argens dont la responsabilité incombe au syndicat mixte de l'Argens, afin de rappeler leurs obligations aux propriétaires des rives et, le cas échéant, les mettre en demeure de faire les travaux d'entretien nécessaires. Un " guide du riverain d'un cours d'eau au titre de la prévention des inondations et des pollutions " leur a également été communiqué et des courriers leur ont été adressés par le maire de Roquebrune-sur-Argens pour leur rappeler leurs obligations. De même, le maire a adressé des courriers aux gestionnaires d'établissements recevant des populations importantes, des réseaux et des établissements sensibles pour leur présenter les dispositions du règlement du plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRI) et les sensibiliser ainsi à ce risque d'inondation. Nonobstant le transfert de compétences opéré en la matière au profit de la communauté d'agglomération dont elle est membre, il ne saurait être en tout état de cause reproché à la commune de Roquebrune-sur-Argens une quelconque lenteur pour la mise en place de mesures destinées à pallier le risque d'inondations.

16. D'autre part, il résulte de l'instruction que, suite aux inondations de juin 2010, le département du Var a engagé un processus d'adoption d'un programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) en vue de réduire les conséquences des crues sur le bassin de l'Argens. Dans ce cadre, une convention-cadre du PAPI d'intention a été signée le 9 juin 2013 avec le lancement des premières actions comprenant notamment les études nécessaires à l'élaboration des futurs travaux et l'appui à la création d'une nouvelle structure de gouvernance à l'échelle du bassin versant de l'Argens. Le 1er octobre 2013, un arrêté préfectoral portant projet de périmètre, comprenant les soixante-quatorze communes inclues dans le périmètre du bassin versant de l'Argens et couvrant les dix établissements publics de coopération intercommunale afférents, a été transmis aux communes, ainsi qu'aux intercommunalités déjà compétentes en la matière avec un projet de statuts provisoires. Par un arrêté du 3 février 2014, le préfet du Var a créé le syndicat mixte de l'Argens ayant la compétence : " Entretien, gestion, aménagement des cours d'eau et prévention des inondations dans le bassin de l'Argens ". Dans son rapport déposé au greffe du tribunal administratif de Toulon le 25 septembre 2017, l'expert de justice a d'ailleurs relevé que le syndicat mixte de l'Argens a, afin de réduire le risque d'inondation, mis en place le PAPI Argens, programmé pour six ans et porteur d'un investissement d'environ 95 000 000 euros. Après avoir rappelé que les berges étant privées, les procédures administratives avaient pu prendre du temps afin d'obtenir des servitudes temporaires d'entretien pour intervenir, le même expert indique que, dès le stade du PAPI d'intention, avaient été entreprises différentes actions d'urgence dont en particulier un " gros " travail d'entretien de l'Argens, en substitution des propriétaires riverains défaillants, avec, en particulier, l'enlèvement d'arbres morts et d'embâcles pour supprimer tout obstacle à l'écoulement des eaux. Plus généralement, l'expert de justice a également relevé que d'" importantes " opérations de nettoyage et d'entretien avaient été réalisées sur l'Argens. Enfin, l'homme de l'art rappelle que, compte-tenu de sa date de création, le syndicat mixte de l'Argens n'a pas été en mesure de réaliser des ouvrages provisoires afin de réduire l'aléa-inondation subi en 2011 et 2014 par Mme A.... Dans ces conditions, la responsabilité du syndicat mixte de l'Argens ne saurait davantage être engagée en raison de la lenteur administrative et de l'absence corrélative de mise en place des aménagements adéquats.

Quant à la méconnaissance du principe de précaution :

17. Selon l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. "

18. Il résulte de l'instruction que les risques d'inondation étaient connus tant des services de la commune de Roquebrune-sur-Argens que de ceux du syndicat mixte de l'Argens. Dans ces conditions, la réalisation de dommages susceptibles d'être causés par de telles inondations ne présente pas de caractère incertain au sens des dispositions précitées de l'article 5 de la Charte de l'environnement. Par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le principe de précaution aurait été méconnu et ne sauraient être, à ce titre, fondées à engager la responsabilité des intimés.

Quant à la carence de la réglementation locale d'urbanisme :

19. Mme A... et la MAIF soutiennent que la commune de Roquebrune-sur-Argens est " actuellement " régie par les prescriptions du règlement national d'urbanisme (RNU), que la réglementation locale d'urbanisme " actuelle " ne prévoit aucune prescription particulière quant à la gestion des eaux pluviales des nouvelles constructions et que ces carences ne " seront " pas palliées par le plan local d'urbanisme (PLU) ou le schéma directeur d'assainissement des eaux pluviales en cours d'élaboration. Toutefois, elles ne produisent, à l'appui de ces allégations, aucun document d'urbanisme et elles ne se prévalent d'aucune disposition spécifique du code de l'urbanisme. En outre, et en tout état de cause, par une telle argumentation, Mme A... et la MAIF n'établissent, ni même n'allèguent que la réglementation d'urbanisme applicable sur le territoire de la commune intimée avant les inondations de 2011 et 2014 était inadaptée au risque d'inondation et que cette inadaptation aurait ainsi joué un rôle causal direct dans l'aggravation des crues en cause. Par suite, Mme A... et la MAIF ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité pour faute de la commune de Roquebrune-sur-Argens du fait d'une carence alléguée de la réglementation locale d'urbanisme applicable sur son territoire.

Quant à l'urbanisation du secteur des Douanes :

20. L'article R. 111-2 du code de l'urbanisme dispose que : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. " Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de cet article, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent (Conseil d'Etat, 1er mars 2023, n° 455629, B).

21. Dans le rapport qu'il a déposé au greffe du tribunal administratif de Toulon le 25 septembre 2017, l'expert de justice indique qu'autrefois faiblement urbanisé, le secteur des Douanes dans lequel est implanté le terrain d'assiette de la propriété de Mme A... est devenu l'enjeu d'importantes opérations immobilières emportant la construction de logements collectifs et de parcs de stationnement. Il ajoute que, depuis 1990, les municipalités successives ont développé et urbanisé " méthodiquement " ce secteur avant d'observer que la comparaison entre la chronologie de l'urbanisation et celle d'élaboration du PPRI " pourrait " révéler une " course de vitesse " entre la commune de Roquebrune-sur-Argens et les services de l'Etat, le maire ayant entendu autoriser plusieurs programmes immobiliers avant que l'approbation du PPRI ne vienne l'en empêcher et geler la dynamique d'aménagement du secteur. Mais ces éléments ne sont pas étayés par des pièces probantes et précises versées aux débats. A cet égard, la circonstance que, dans son rapport relatif à l'enquête publique relative au projet de PPRI réalisée du 17 juin au 19 juillet 2013, le commissaire enquêteur a indiqué, au titre des observations recueillies pendant l'entretien qu'il a eu avec le maire de Roquebrune-sur-Argens, le 12 juillet 2013 que ce dernier " regrette une application excessive du principe de précaution avec l'introduction dans le zonage réglementaire des zones exposées à un aléa exceptionnel " n'est pas de nature, à elle seule, à établir que ledit maire aurait accéléré le processus de délivrance d'autorisations d'urbanisme avant l'entrée en vigueur du PPRI alors en cours d'élaboration. En outre, Mme A... et la MAIF n'établissent pas que ces autorisations auraient été accordées en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, et notamment qu'elles n'auraient pas été assorties de prescriptions relatives au risque d'inondation, ni même que les constructions afférentes, dont le parc de stationnement situé au nord-est des deux parcelles appartenant à Mme A..., et l'imperméabilisation qu'elles ont engendrée auraient directement impacté l'écoulement des eaux en direction de ces parcelles. Dans ces conditions, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier des documents cartographiques et photographiques joints au dossier, que le secteur des Douanes aurait fait l'objet d'une urbanisation " anarchique " ou " intensive ", les requérantes n'apportent pas d'éléments permettant de regarder comme établie l'existence d'un lien de causalité certain et direct entre la délivrance des autorisations d'urbanisme par le maire de Roquebrune-sur-Argens et l'aggravation des crues en cause. Par suite, Mme A... et la MAIF ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité pour faute de la commune de Roquebrune-sur-Argens du fait de la délivrance de permis de construire dans le secteur des Douanes par son maire.

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

22. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et présente, par suite, un caractère accidentel (Conseil d'Etat, 8 février 2022, n° 453105, B qui précise Conseil d'Etat, 10 avril 2019, n° 411961, B).

23. Par ailleurs, la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public (Conseil d'Etat, Assemblée, avis 29 avril 2010, n° 323179, A).

24. Au cas particulier, l'expert de justice désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a retenu, comme facteur d'aggravation du phénomène climatique, le sous-dimensionnement, en cas de fortes précipitations, de " l'exutoire de la partie à ciel ouvert du ruisseau Sainte-Candie ", en aval de la propriété de Mme A..., qui serait ainsi sujet à refoulement. Toutefois, en l'état de l'instruction, et faute de toute précision utile apportée, y compris dans le rapport d'expertise, les pièces versées aux débats ne permettent à la Cour ni de localiser, ni d'identifier avec exactitude ce que recouvre matériellement cet " exutoire ". Dans ces conditions, Mme A... et la MAIF ne sauraient se prévaloir de la responsabilité sans faute au titre d'un prétendu sous-dimensionnement de celui-ci.

25. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale opposée par les intimés, tant les conclusions indemnitaires présentées par Mme A... et la MAIF que leurs conclusions complémentaires à fin d'injonction doivent être rejetées.

En ce qui concerne la charge des frais d'expertise :

26. Selon l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

27. Les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. B... par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon ont été liquidés et taxés à la somme de 7 471,02 euros par l'ordonnance susvisée rendue le 17 novembre 2017 par le président de cette même juridiction. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre ces frais et honoraires à la charge définitive et solidaire de Mme A... et de la MAIF.

Sur les frais liés au litige d'appel :

28. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

29. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à la charge des parties les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés dans le cadre de la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1901296 du tribunal administratif de Toulon du 23 septembre 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... et la MAIF devant le tribunal administratif de Toulon et leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Les frais et honoraires d'expertise liquidés et taxés à la somme de 7 471,02 euros sont mis à la charge définitive et solidaire de Mme A... et de la MAIF.

Article 4 : Les conclusions d'appel incident de la commune de Roquebrune-sur-Argens et les conclusions des parties présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A..., à la Mutuelle d'assurance des instituteurs de France (MAIF), au syndicat mixte de l'Argens et à la commune de Roquebrune-sur-Argens.

Copie en sera adressée à M. D... B..., expert de justice.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2023.

2

No 21MA04501

ot


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA04501
Date de la décision : 27/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : LINDITCH

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-27;21ma04501 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award