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13/06/2023 | FRANCE | N°22MA02963

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 13 juin 2023, 22MA02963


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 par lequel le ministre de l'intérieur lui a infligé la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'une année et d'enjoindre au ministre de le réintégrer dans les effectifs dans un délai de huit jours suivant la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1900308 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté, a enjoint au

ministre de l'intérieur et des outre-mer de le réintégrer à compter de la prise d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 22 novembre 2018 par lequel le ministre de l'intérieur lui a infligé la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de ses fonctions pour une durée d'une année et d'enjoindre au ministre de le réintégrer dans les effectifs dans un délai de huit jours suivant la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 1900308 du 4 octobre 2022, le tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté, a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de le réintégrer à compter de la prise d'effet de son exclusion et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la Cour :

Par un recours, enregistré le 2 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 4 octobre 2022 ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Le ministre soutient que :

- en considérant que n'était pas établi le nombre de destinataires du courriel de l'intimé, alors que cette impossibilité de prouver ce fait résulte de la destruction de preuves par celui-ci, les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur de fait ;

- il y a lieu d'ajouter aux motifs de la décision en litige, sans qu'il en résulte une privation de garantie, celui tiré de ce que l'agent, au cours de sa suspension de fonctions, a supprimé depuis son ordinateur de bureau des fichiers et messages compromettants ;

- la sanction en litige est proportionnée, compte tenu de la gravité des manquements aux obligations de neutralité et de loyalisme, du contexte de la commission de ces fautes, de la nature du poste occupé par l'intéressé et de l'avis unanime du conseil de discipline favorable à la mise à la retraite d'office.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2023, M. A..., représenté par Me Suares de la SELARL Plénot-Suares-Orlandini, conclut au rejet du recours et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable, faute pour le ministre d'établir l'irrégularité du jugement dont il demande l'annulation ;

- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;

- l'annulation de la sanction se justifie également par les moyens de l'incompétence de son signataire, de son insuffisance de motivation, de l'erreur de droit, de l'inexactitude matérielle des faits et de la disproportion.

Par une ordonnance du 19 janvier 2023 la clôture d'instruction a été fixée au 10 février 2023, à 12 heures, puis par une ordonnance du 10 février 2023, a été reportée au 10 avril 2023, 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., technicien de classe normale au service interministériel départemental des services d'information et de communication (SIDSIC) des Alpes-Maritimes, à Nice, a été suspendu de ses fonctions par arrêté du ministre de l'intérieur du 8 août 2016, puis admis à la retraite d'office à titre disciplinaire par arrêté du 17 novembre 2016, sur avis du conseil de discipline du 8 novembre 2016. Par un jugement du 18 octobre 2017, contre lequel l'appel du ministre de l'intérieur a été rejeté par un arrêt de la Cour du 26 avril 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé la sanction de mise à la retraite d'office pour erreur d'appréciation. Par un arrêté du 22 novembre 2018, le ministre de l'intérieur a prononcé l'exclusion temporaire de fonctions de M. A... pour une durée d'un an. Par un jugement du 4 octobre 2022, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal a, sur la demande de M. A..., annulé cette sanction, a enjoint au ministre de le réintégrer dans ses fonctions et a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la recevabilité du recours :

2. Un requérant peut valablement relever appel du jugement dont il demande l'annulation en se bornant à en contester le bien-fondé. Par suite, contrairement à ce que soutient M. A..., la circonstance que, pour demander l'annulation du jugement du 4 octobre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'a pas contesté la régularité en la forme ou la procédure de cette décision demeure sans incidence sur la recevabilité de son appel.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le droit applicable :

3. Aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. / Dans l'exercice de ses fonctions, il est tenu à l'obligation de neutralité. ... Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service ". L'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dispose que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Troisième groupe : - la rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par l'agent ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ".

4. En outre, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :

5. Pour infliger à M. A... la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an, du troisième groupe dans l'échelle des sanctions susceptibles d'être prononcées à l'encontre des fonctionnaires de l'Etat en application de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984, le ministre de l'intérieur s'est fondé sur la circonstance que l'intéressé avait relayé, au moyen de sa messagerie professionnelle, auprès de son chef de service comme de ses collègues, une théorie selon laquelle l'Etat serait à l'origine de l'attentat commis à Nice le 14 juillet 2016 et que de la sorte, l'intéressé a manqué à son obligation de neutralité.

6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'un rapport du chef du SIDSIC des Alpes-Maritimes, supérieur hiérarchique de M. A..., que le 2 août 2016, ce dernier a tenu à cette autorité des propos tendant à attribuer à l'Etat l'organisation et la responsabilité de l'attentat perpétré à Nice le 14 juillet 2016 et que, malgré l'ordre de cesser de tenir un tel discours, l'agent a adressé le même jour à son supérieur un courriel reprenant une telle théorie à caractère " complotiste ", évoquant l'existence d'un " crime d'Etat " et renvoyant à un lien à contenu identique ainsi qu'"antisioniste ". Il ressort également des pièces du dossier que M. A... a adressé un autre courriel, le 3 août 2016, à l'un de ses collègues de service, qui s'insérait dans une conversation relative à ce même attentat relayant, sur le ton de la confidence et du secret, des propos prêtés à un autre agent sur le nombre de terroristes à bord du véhicule utilisé pour commettre ces faits criminels. Il résulte en outre d'une note complémentaire du chef du SIDSIC du 5 août 2016, et il n'est pas contesté par l'intimé, qu'il a évoqué l'existence d'un tel complot d'Etat avec huit agents de son service qui en comporte dix-sept. En agissant ainsi, M. A... a manqué gravement à ses devoirs de dignité et de discrétion, ainsi qu'à son obligation de loyauté envers les institutions. Compte tenu de la gravité de ces manquements, du contexte très particulier dans lequel ils ont été commis, de la nature des fonctions de l'intéressé et du service dans lequel il les exerce, et eu égard à la circonstance, rapportée par le représentant syndical qui assurait sa défense devant le conseil de discipline et qui n'est pas contestée, que du fait de la procédure disciplinaire engagée à son encontre, il s'estime victime d'un complot de son administration, et bien que les propos de l'intéressé n'aient reçu aucune publicité, le ministre de l'intérieur, qui a par ailleurs tenu compte du comportement d'ensemble de l'intéressé, n'a pas pris en l'espèce de sanction disproportionnée en décidant de l'exclure de ses fonctions pendant un an.

7. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer est donc fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé sa décision en considérant cette mesure comme disproportionnée.

8. Il appartient néanmoins à la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de première instance et d'appel de M. A....

En ce qui concerne les autres moyens de M. A... :

9. M. C..., nommé directeur des ressources humaines à l'administration centrale du ministère de l'intérieur à compter du 11 janvier 2016 par décret du 24 décembre 2015, publié au Journal officiel de la République française du 26 décembre 2015, était habilité par le seul effet du décret du 27 juillet 2005 à signer au nom du ministre de l'intérieur, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires placées sous son autorité, ce qui inclut les décisions à caractère disciplinaire concernant les agents du ministère, sans qu'une délégation de signature expresse du ministre n'ait à être prise. Par suite le moyen tiré de ce que la mesure en litige, signée de cette autorité, serait entachée d'incompétence ne peut qu'être écarté.

10. Contrairement à ce que soutient en outre M. A..., l'arrêté en litige comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui le fondent, et s'avère de la sorte suffisamment motivé.

11. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 6, les faits commis par M. A..., qui sont matériellement exacts, caractérisent des fautes au regard des devoirs de dignité, de discrétion et de loyauté à l'égard des institutions. Les moyens tirés de l'erreur de fait et droit ne peuvent donc être accueillis, à supposer même que ces faits ne puissent être sanctionnés au regard de l'obligation de neutralité.

12. Enfin, ainsi qu'il a été dit au point 6, en se référant dans sa décision litigieuse à la sanction prononcée contre M. A... le 18 avril 2016 pour des faits d'absentéisme récurrent ayant conduit à la désorganisation du service, le ministre de l'intérieur n'a pas entendu sanctionner une nouvelle fois de telles fautes mais prendre en considération le comportement général passé de l'agent. M. A... ne peut donc utilement se plaindre de ce que la sanction en litige méconnaîtrait la règle " non bis in idem ".

13. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé son arrêté, lui a enjoint de réintégrer M. A... dans ses fonctions et a mis une somme de 1 200 euros à la charge de l'Etat au titre des frais d'instance. Ce jugement doit donc être annulé, et la demande de M. A... doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900308 rendu le 4 octobre 2022 par le tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : La demande de première instance présentée par M. A..., ainsi que ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2023.

N° 22MA029632


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02963
Date de la décision : 13/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

36-09-01 Fonctionnaires et agents publics. - Discipline. - Suspension.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-13;22ma02963 ?
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