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12/06/2023 | FRANCE | N°21MA03690

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 12 juin 2023, 21MA03690


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... J..., Mme K... J..., M. E... G..., Mme D... G..., M. C... G..., M. I... G... et M. L... G... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 28 octobre 2019 portant délimitation du domaine public maritime naturel intégrant les lais et relais de la mer sur le territoire de la commune de Cap d'Ail, plage de la B....

Par un jugement n° 1906205 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la

Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 août 2021 et 14 septembr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. H... J..., Mme K... J..., M. E... G..., Mme D... G..., M. C... G..., M. I... G... et M. L... G... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 28 octobre 2019 portant délimitation du domaine public maritime naturel intégrant les lais et relais de la mer sur le territoire de la commune de Cap d'Ail, plage de la B....

Par un jugement n° 1906205 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 août 2021 et 14 septembre 2022, sous le n° 21MA03690, M. G... et autres, représentés par la SARL Cabinet Briard, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 6 juillet 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 28 octobre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué méconnait les dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative dès lors qu'il ne vise ni n'analyse avec une précision suffisante les conclusions et moyens des parties, ni leur note en délibéré produite le 22 juin 2021 ;

- la procédure d'enquête publique viole l'article R. 123-11 du code de l'environnement ;

- à titre principal, l'arrêté contesté a été pris en violation des dispositions de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques ;

- à titre subsidiaire, la parcelle AI n° 163 constitue un lais et relais de la mer, constitué avant le 1er décembre 1963 et qui ne pouvait pas être incorporé au domaine public maritime naturel du fait du titre de propriété qu'ils détiennent régulièrement ;

- à supposer même que leur terrain soit regardé comme occasionnellement couvert par la mer et donc comme appartenant à son rivage, les dispositions de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ne sauraient faire échec à la force obligatoire d'un contrat translatif de propriété, régulièrement conclu avec l'Etat ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'application et les effets de cette incorporation seraient incompatibles avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête de M. G... et autres.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. G... et autres ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code général de la propriété de personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;

- et les observations de Me Kattineh-Borgnat, représentant la commune du Cap d'Ail.

Considérant ce qui suit :

1. M. L... F... a acquis, le 29 avril 1971, une parcelle de terrain située sur plage de la B... sur le territoire de la commune de Cap d'Ail, actuellement cadastrée section AI 163. Deux autres parcelles contiguës aujourd'hui cadastrées section AI 6 et AI 162 ont été acquises antérieurement. Aux termes d'un acte reçu par Me Thierry Bornet, notaire, les 20 et 26 juillet 2005, les époux M... ont transmis cette propriété à leurs six petits-enfants, alors mineurs, en conservant un droit d'usage et d'habitation. Par un arrêté du 6 juin 2019, le préfet des Alpes-Maritimes a prescrit l'ouverture d'une enquête publique portant sur la délimitation du domaine public maritime sur la plage de la B..., enquête qui s'est déroulée du 2 au 31 juillet 2019. Après l'avis favorable du commissaire enquêteur, du 25 août 2019, le préfet des Alpes Maritimes a, par arrêté du 28 octobre 2019, procédé à la délimitation du domaine public maritime naturel intégrant les lais et relais de la mer sur la plage de la B..., laquelle délimitation a pour effet d'incorporer la parcelle cadastrée section AI 163 dans le domaine public maritime. M. G... et autres relèvent appel du jugement du 6 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 28 octobre 2019.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. (...) / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. ".

3. Après l'audience publique, qui a eu lieu le 15 juin 2021, M. G... et autres ont adressé au tribunal administratif de Nice une note en délibéré, enregistrée au greffe du tribunal le 22 juin 2021. Le jugement attaqué, dont les visas ne font pas mention de ce mémoire, est entaché d'irrégularité et doit, par suite, être annulé.

4. Il y a lieu, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre moyen d'irrégularité, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. G... et autres devant le tribunal administratif de Nice.

Sur la légalité de l'arrêté du 28 octobre 2019 :

5. Aux termes de l'article R. 123-11 du code de l'environnement : " I. - Un avis portant les indications mentionnées à l'article R. 123-9 à la connaissance du public est publié en caractères apparents quinze jours au moins avant le début de l'enquête et rappelé dans les huit premiers jours de celle-ci dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le ou les départements concernés. Pour les projets d'importance nationale et les plans et programmes de niveau national, cet avis est, en outre, publié dans deux journaux à diffusion nationale quinze jours au moins avant le début de l'enquête. (...) ".

6. S'il appartient à l'autorité administrative de procéder à l'ouverture de l'enquête publique et à la publicité de celle-ci dans les conditions fixées par les dispositions du code de l'environnement, la méconnaissance de ces dispositions n'est toutefois de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de l'enquête publique que si elle n'a pas permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur la décision de l'autorité administrative.

7. Il ressort des pièces du dossier et plus particulièrement du rapport de l'enquête publique que l'avis d'enquête a été publié dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département concerné, à savoir dans le journal " Nice Matin ", le 14 juin 2019 et dans le journal " Les Petites Affiches ", le 13 juin 2019, puis une seconde fois dans les mêmes journaux, le 4 juillet 2019. Si M. G... et autres soutiennent que le journal " Les Petites Affiches " serait un journal national qui ferait l'objet d'une diffusion restreinte dans le département des Alpes-Maritimes, il ressort du rapport du commissaire enquêteur que l'enquête a donné lieu à 54 observations du public et au dépôt de 102 pièces jointes. Par ailleurs, l'ensemble des requérants ont pu être entendus durant cette enquête et faire valoir leurs observations sur le projet de délimitation du domaine public maritime en litige. Ainsi, cette participation du public a été suffisante. Par suite, la circonstance, à la supposer établie, que le journal " Les Petites Affiches " ferait l'objet d'une diffusion restreinte dans le département des Alpes-Maritimes n'a pas exercé d'influence sur les résultats de l'enquête ni n'a été de nature à ne pas permettre une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération.

8. Les dispositions de l'article R. 123-11 du code de l'environnement qui ne concernent que la publication de l'avis d'enquête dans deux journaux régionaux ou locaux, n'imposent pas que cet avis soit publié sur un site internet dans un délai de quinze jours. En tout état de cause, ainsi qu'il a été dit au point 7, la première publication de l'avis d'enquête relative au projet en cause est intervenue le 13 juin 2019, soit dans un délai de quinze jours par rapport à l'enquête qui a débuté le 2 juillet 2019.

9. Aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de l'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; / (...) / 3° Les lais et relais de la mer : / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) / Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le domaine public maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés. ". L'article L. 2111-5 du code précité, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté, dispose que : " Les limites du rivage sont constatées par l'Etat en fonction des observations opérées sur les lieux à délimiter ou des informations fournies par des procédés scientifiques. (...) ". Aux termes de l'article R. 2111-5 du même code : " La procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières est conduite, sous l'autorité du préfet, par le service de l'Etat chargé du domaine public maritime. (...) / Les procédés scientifiques auxquels il est recouru pour la délimitation sont les traitements de données topographiques, météorologiques, marégraphiques, houlographiques, morpho-sédimentaires, botaniques, zoologiques, bathymétriques, photographiques, géographiques, satellitaires ou historiques. ".

10. Il ressort de l'arrêté contesté et du plan de délimitation qui y est annexé que la parcelle cadastrée section AI 163, située au lieu-dit plage de la B..., appartenant à M. G... et autres a été incorporée au domaine public maritime. Si les requérants soutiennent que les seuls constats photographiques ne sont pas suffisants, la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) des Alpes-Maritimes a établi, au mois de janvier 2019, un rapport relatif à la délimitation du domaine public maritime au lieu-dit N... B... fondé sur des données historiques, cartographiques, cadastrales, topographiques, morpho-sédimentaires et houlographiques mentionnées à l'article R. 2111-5 du code général de la propriété de personnes publiques. Selon une carte du cadastre de 1874 figurant dans ce rapport, la totalité de la plage, à l'exception de l'éperon rocheux apparaît dans l'eau. Les photographies aériennes de ce rapport montrent que la plage de la B... s'étendait au début du 20ème siècle jusqu'à la falaise et n'était quasiment pas occupée. A l'époque, le site était déjà recouvert d'un matériaux clair exempt de toute végétation caractérisant un sédiment soumis à l'action régulière des flots. Ce rapport met également en évidence, sur la base d'une étude géotechnique et des photographies aériennes anciennes, la présence de remblais anthropiques indiquant que le domaine public maritime a été soustrait artificiellement à l'action des flots, sans y avoir été expressément autorisé par une concession translative de propriété. Le rapport de la DDTM fait aussi état d'une étude du déferlement de la houle établie à partir des constats de terrain opérés les 11 et 25 janvier 2016 par un agent assermenté de la DDTM, le rapport d'un expert du 25 mars 2016 et sur les conclusions d'une expertise du centre d'études sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA). Les constats montrent qu'entre 2014 et 2018, la houle a dépassé la hauteur de 2,5 m quatorze fois et celle de 4 m deux fois le 5 novembre 2014 et le 11 décembre 2017, ce qui tend à démontrer le caractère non exceptionnel de l'évènement et que son occurrence se produit environ trois fois par an. Une photographie prise le 12 mars 2013 par un agent de la DDTM montre que la mer touche les constructions, y compris celle des requérants. Le rapport conclut que l'intégralité du site de la plage de la B... jusqu'à la cote 4 m A... est comprise dans le domaine public maritime. Il ne ressort pas des pièces du dossier que ces submersions constatées à de nombreuses reprises relèveraient de perturbations météorologiques exceptionnelles lesquelles ne sont pas nécessairement constituées par des tempêtes violentes.

11. Les conclusions du rapport d'un expert géologique du 25 mars 2016 dont se prévalent M. G... et autres selon lesquelles " ces plus hautes mers se produisent lors des épisodes météorologiques établis aux échelles décennales jusqu'à pluri-séculaires. Quant aux tempêtes établies à l'échelle annuelle, elles ne sembleraient pas inonder les parcelles cadastrales et le socle en béton " sont contredites par les constatations des agents de la DDTM, l'étude du déferlement de la houle et l'expertise du CEREMA mentionnées au point 10. Cet expert reconnaît néanmoins certifier d'après ses observations de terrain que la B... subit, à l'image des plages de poche régionales, des submersions marines supérieures à 4-5 m A.... Par ailleurs, pour établir la limite du domaine public maritime, il se fonde non pas sur les éléments de l'article R. 2111-5 du code général de la propriété de personnes publiques mais sur une extraction du modèle numérique de terrain (MNT) et une étude du service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). Ainsi, les trois modélisations qu'il propose, qui du reste ne concernent pas la parcelle en litige ne sauraient contredire le rapport et les constats de la DDTM quant à l'appartenance de cette parcelle au domaine public maritime. Les requérants ne peuvent se prévaloir du rapport d'expertise du 30 septembre 2020, au demeurant postérieur à l'arrêté contesté, qui ne concerne pas leur parcelle. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment concernant la méthodologie appliquée par la DDTM des Alpes-Maritimes, la délimitation effectuée par l'arrêté en litige n'est ni surévaluée ni ne manque de justification dès lors qu'elle n'est pas uniquement fondée sur les constats des agents assermentés. Par ailleurs, la délimitation jusqu'au socle en béton ne saurait être retenue dès lors que selon le rapport de la DDTM, outre que la plage s'étendait à l'origine jusqu'à la falaise, le terrain naturel a fait l'objet de remblais anthropiques, soustrayant ainsi artificiellement le domaine public maritime à l'action des flots. La circonstance que le portillon fermant la parcelle des requérants existerait depuis les années 50 et serait en bon état est sans incidence sur la délimitation du domaine public maritime. Il en va de même du fait que le préfet des Alpes-Maritimes ne se serait pas servi des photographies prises dans des conditions météorologiques normales et que la végétation présente sur la parcelle ne résisterait pas à l'action régulière des flots.

12. Par suite, compte tenu de ce qui a été dit aux points 9 à 11, la parcelle cadastrée section AI 163 des appelants appartient au domaine public maritime en application du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques.

13. La circonstance que l'arrêté contesté ne précise pas dans quel cas de figure du L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques se trouve leur parcelle est sans incidence dès lors que cet arrêté a seulement pour objet de délimiter le domaine public maritime intégrant les lais et relais de la mer sur la plage de la B..., dont l'annexe est constituée par un plan indiquant précisément que la parcelle des requérants se trouve sur le domaine public maritime.

14. Le terrain en litige étant implanté sur le domaine public maritime, en application des dispositions du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ainsi qu'il a été dit au point 12, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'il serait situé sur les lais et relais de la mer. En outre, la circonstance que le préfet des Alpes-Maritimes, après avoir considéré, selon les termes de l'arrêté en litige, que la nouvelle délimitation du domaine public maritime naturel intégrait les lais et relais de la mer, aurait qualifié dans son mémoire en défense la parcelle cadastrée section AI n° 163 de " rivage de la mer " est sans incidence.

15. M. G... et autres produisent un acte de vente du 29 avril 1971 selon lequel le directeur départemental des impôts et le directeur départemental de l'équipement et du logement des Alpes-Maritimes ont vendu à M. F... un terrain d'une superficie de 130 m² situé au lieu-dit " B... " sur le territoire de la commune de Cap d'Ail. Cet acte précise que " ce terrain qui anciennement n'était pas cadastré en tant que dépendance du domaine public maritime " et que " le terrain cédé, soustrait à l'action des flots, appartient à l'Etat depuis plus de 30 ans en vertu de l'article 538 du code civil ". Toutefois, cette circonstance ne peut utilement être invoquée, d'autant qu'il ressort de l'annexe 9 du rapport de la DDTM des Alpes-Maritimes constituée par une notice explicative rédigée le 14 février 1969 par la direction départementale de l'équipement et du logement à l'attention de M. F... qu'une autorisation du 16 décembre 1963 expirant le 31 décembre 1967 d'occupation d'une parcelle du domaine public maritime lui a été accordé. Est également produit un arrêté du 30 décembre 1969 du directeur départemental de l'équipement et du logement accordant à M. F... une autorisation d'occupation du domaine public maritime en contrepartie d'une redevance de 500 francs. Par ailleurs, en l'absence d'une décision expresse de déclassement de cette parcelle, celle-ci ne peut avoir perdu sa qualité de dépendance du domaine public maritime. Par suite, le moyen tiré de ce que leur parcelle relèverait du champ d'application du dernier alinéa de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques ne peut qu'être écarté.

16. Aux termes de l'article 1193 du code civil : " Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. ".

17. Au regard de ce qui a été dit au point 15, M. G... et autres ne peuvent utilement se prévaloir de la force obligatoire du contrat translatif de propriété de l'acte de vente du 29 avril 1971.

18. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ; ".

19. Dès lors que la loi fixe, de manière continue depuis l'entrée en vigueur de l'article 2 du titre VII du Livre IV de l'ordonnance royale d'août 1681, une limite entre le domaine public maritime et les propriétés privées en se fondant sur un critère physique objectif indépendant de la volonté de la puissance publique, tiré de la seule reconnaissance, sous le contrôle du juge, de la progression naturelle des flots de la mer, un propriétaire riverain du rivage ne dispose d'aucune espérance légitime de pouvoir conserver son titre de propriété sur les terrains qui sont incorporés au domaine public maritime par la progression du rivage de la mer. La préoccupation de s'assurer de la conformité de l'affectation du domaine public ainsi constitué à l'utilité publique ou à d'autres objectifs légitimes, tirés notamment du libre accès au rivage de la mer, de la protection de l'environnement ou de l'aménagement du territoire justifie que la puissance publique interdise à un tel propriétaire de conserver la propriété d'une parcelle incorporée au domaine public maritime naturel par l'effet de la progression du rivage de la mer et d'y procéder à des travaux, fût-ce d'endiguement, sans autorisation préalable. Par ailleurs, si le législateur n'a prévu aucun droit à indemnisation au profit des propriétaires dont tout ou partie de la propriété s'est trouvée incorporée au domaine public maritime naturel du fait de la progression du rivage de la mer, les dispositions du 1° de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ne font pas obstacle à ce que ces propriétaires obtiennent une réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour eux une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces dispositions. Ces mêmes propriétaires sont également fondés, le cas échéant, en vertu d'une jurisprudence constante, à se prévaloir d'un droit à indemnisation dans l'hypothèse où ils justifient que l'incorporation au domaine public maritime de leur propriété résulte de l'absence d'entretien ou de la destruction d'ouvrages de protection construits par la puissance publique ou de la construction de tels ouvrages.

20. Si M. G... et autres soutiennent que leur parcelle leur a été cédée par l'Etat contre une somme d'argent et qu'aujourd'hui, la même autorité décide de les priver de la propriété de leur bien, au motif que le contrat n'aurait pas été légal, ce qui contrevient aux principes de prévisibilité de la loi, de sécurité juridique et de confiance légitime, fondamentaux dans un Etat de droit, ils peuvent s'ils s'y croient fondés, former une action contre l'Etat en vue d'obtenir réparation dans le cas exceptionnel où le transfert de propriété entraînerait pour eux une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par ces dispositions.

21. Aucun texte ni aucune disposition ne prévoit l'obligation d'indiquer dans le dossier d'enquête publique ou dans celui de délimitation du domaine public maritime un quelconque motif d'intérêt général justifiant la privation du droit de propriété. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit au point 19, la préoccupation de s'assurer de la conformité de l'affectation du domaine public ainsi constitué à l'utilité publique ou à d'autres objectifs légitimes, tirés notamment du libre accès au rivage de la mer, de la protection de l'environnement ou de l'aménagement du territoire justifie que la puissance publique interdise à un tel propriétaire de conserver la propriété d'une parcelle incorporée au domaine public maritime naturel par l'effet de la progression du rivage de la mer, ce qui constitue un motif d'intérêt général suffisant. La circonstance que l'Etat ne leur aurait proposé aucune solution de compromis et ne les auraient pas avertis de ce qu'ils pourraient être privés de leur bien sans aucune indemnité est sans incidence.

22. D'une part, les appelants ne sauraient utilement se prévaloir du principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne et ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge administratif français est régie par le droit de l'Union européenne. Tel n'est pas le cas en l'espèce. D'autre part, en l'absence de droit réel sur la portion de terrain qu'ils occupent, et sur les installations qui y ont été édifiées, ils ne sont pas fondés à invoquer la violation du principe de sécurité juridique.

23. Par suite compte tenu de ce qui a été dit aux points 15 à 22, M. G... et autres ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté contesté portant délimitation du domaine public maritime serait contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porterait une atteinte disproportionnée à leur droit de propriété.

24. Il résulte de tout ce qui précède que M. G... et autres ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 28 octobre 2019.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. G... et autres au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 6 juillet 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. G... et autres devant le tribunal administratif de Nice et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... G..., nommé en qualité de représentant unique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la commune de Cap d'Ail.

Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 juin 2023.

2

N° 21MA03690

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03690
Date de la décision : 12/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

24-01-01-02-03 Domaine. - Domaine public. - Consistance et délimitation. - Domaine public naturel. - Délimitation du domaine public naturel.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : KATTINEH

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-12;21ma03690 ?
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