Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Toulon, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral subi résultant du décès de sa fille prise en charge par l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon et à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise suite à un premier rapport d'expertise judiciaire rendu le 7 novembre 2016.
Par un jugement avant dire-droit n° 1900310 du 22 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a ordonné une nouvelle expertise médicale aux fins de décrire l'état de santé de sa fille et d'indiquer si les traitements et soins entrepris lors de l'hospitalisation à l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon ont été conformes aux règles de l'art médical compte tenu de la pathologie et de son évolution.
L'expert a déposé son rapport le 10 mars 2021.
Mme B... doit être regardée comme ayant demandé au tribunal administratif de Toulon, suite à cette expertise, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, après avoir, au besoin, ordonner une nouvelle expertise ou demander à l'expert désigné par le tribunal des explications complémentaires.
Par un jugement n° 1900310 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la requête de Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2021, Mme B..., représentée par Me Pilliard, doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2021 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre du préjudice moral qu'elle estime avoir subi, après avoir, au besoin, ordonner la désignation d'un nouvel expert ou demander des explications complémentaires à l'expert désigné par le tribunal administratif de Toulon et de réserver les frais d'expertise ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'expert désigné par le tribunal aurait dû solliciter la communication du dossier médical constitué par le psychiatre ayant suivi la victime avant son hospitalisation ; il a méconnu le principe du contradictoire ainsi que les dispositions des articles R. 621-3 et R. 621-7 du code de justice administrative ; les parties n'ont pas été convoquées par l'expert et n'ont pas pu s'exprimer avant le dépôt du rapport ;
- la prise en charge de sa fille par l'établissement hospitalier et son suivi postérieurement à son hospitalisation sont fautifs au regard des dispositions des articles L. 1142-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique ;
- une nouvelle expertise doit en conséquence être ordonnée ;
- le tribunal aurait dû solliciter des explications complémentaires à l'expert sur les conditions de la prise en charge médicale de sa fille et la décision de sortie d'hospitalisation qui a été prise ;
- elle a perdu, à hauteur de 50 %, une chance de voir sa fille vivre et a droit à l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 25 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2022, la ministre des armées demande à la cour :
1°) à titre principal, de rejeter la requête de Mme B... ;
2°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnisation demandée à de plus justes proportions.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 novembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 2 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Borrione, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... C..., née le 4 août 1964, a été admise le 15 mars 2011 aux urgences de l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne à Toulon en raison de troubles dépressifs. Après plusieurs semaines d'hospitalisation, elle est sortie de l'hôpital le 1er juin 2011 et a fait l'objet d'un suivi psychiatrique, avant de mettre fin à ses jours le 10 juillet 2011. Par une ordonnance du 7 janvier 2013, la juge des référés du tribunal administratif de Toulon, saisie par la mère de la patiente, Mme B..., a ordonné la nomination d'un expert qui a été remplacé le 27 janvier 2014 par un autre expert, spécialisé en psychiatrie, lequel a rendu son rapport le 7 novembre 2016. Par un courrier du 26 septembre 2018 reçu le 2 octobre suivant, Mme B... a adressé une demande indemnitaire préalable à la ministre des armées en réparation du préjudice moral subi du fait du décès de sa fille. Cette demande a été rejetée par un courrier du 5 décembre 2018. Par un jugement avant dire droit du 22 décembre 2020, le tribunal a écarté le rapport de l'expert pour méconnaissance du principe du contradictoire et a ordonné à ce qu'il soit procédé à la désignation d'un nouvel expert. Ce dernier a remis son rapport le 10 mars 2021. Le tribunal a enfin, par un jugement du 5 juillet 2021, rejeté la requête de Mme B... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice moral, après avoir, au besoin, ordonner une nouvelle expertise ou demander des explications complémentaires à l'expert désigné par le tribunal. Mme B... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité des opérations d'expertise :
2. Aux termes de l'article R. 621-7 du même code : " Les parties sont averties par le ou les experts des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise ; cet avis leur est adressé quatre jours au moins à l'avance, par lettre recommandée. / Les observations faites par les parties, dans le cours des opérations, sont consignées dans le rapport. ".
3. Il résulte de l'instruction que le docteur A..., expert désigné par ordonnance du magistrat en charge des expertises du tribunal administratif de Toulon du 4 février 2021, n'a, ainsi que le soutient Mme B..., pas convoqué de réunion ou organisé d'échange contradictoire entre les parties avant le dépôt de son rapport. L'expert s'est ainsi abstenu de mettre les parties à même de présenter leurs observations, de produire des pièces ou de lui demander d'en rechercher, alors, au surplus qu'il a remis son rapport dès le 10 mars 2021. Dès lors, son rapport d'expertise, qui est entaché d'une méconnaissance du principe du contradictoire, est irrégulier.
Sur la responsabilité de l'Etat :
4. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-5 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. ".
5. Il résulte des éléments exposés au point 3 que l'expertise réalisée par le docteur A... est entachée d'une méconnaissance du principe du contradictoire. Toutefois, les éléments de ce rapport soumis au débat contradictoire en cours d'instance peuvent être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment des pièces de son dossier médical, que Mme C... était suivie par un psychiatre depuis 2001 pour des troubles de l'humeur. Elle s'est présentée aux urgences de l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne à Toulon le 14 mars 2011, puis le lendemain en raison d'un syndrome dépressif, conduisant à son hospitalisation en placement libre jusqu'au 1er juin 2011. Il résulte également de l'instruction que les troubles dépressifs se dégradaient depuis plusieurs semaines avant son hospitalisation. Un contact a été pris avec le médecin psychiatre qui suivait jusqu'ici Mme C... permettant de connaître ses antécédents, de poser un diagnostic et de lui administrer un traitement adéquat. L'examen psychiatrique effectué au sein de l'hôpital a mis en évidence l'existence d'un trouble dissociatif, d'un état dépressif majeur et une personnalité pathologique de type dépendante, nécessitant un traitement psychotrope consistant en la prise d'un antidépresseur, déjà administré par son médecin psychiatre avant son hospitalisation, d'un neuroleptique sédatif et anxiolytique à dose modérée et d'un tranquillisant en appoint. Un bilan radiologique, biologique ainsi qu'une imagerie par résonance magnétique cérébrale ont été effectués et n'ont révélé aucune anomalie. Par ailleurs, une psychothérapie du contact et de la valorisation a été mise en place avec la patiente, au cours de laquelle il est relevé une participation de plus en plus assidue de sa part à des ateliers thérapeutiques organisés tout au long de son hospitalisation. Un suivi régulier heure par heure par des infirmiers a été assuré jusqu'au 23 mars 2011, avant d'être assoupli en raison d'une évolution favorable de son état de santé et de son comportement. L'amélioration de l'état de santé de la patiente, qui ressort du dossier médical produit, est restée continue et a permis une sortie d'essai au cours de son hospitalisation, avant une sortie définitive le 1er juin 2011. L'ensemble de ces éléments, qui apparait suffisamment concordant et qui ressort des documents médicaux produits, est de nature à démontrer que la pathologie psychiatrique de Mme C... a fait l'objet d'une prise en charge adaptée au cours de son hospitalisation. Dans ces conditions, le défaut d'évocation d'un diagnostic de trouble bipolaire de type 2 et d'administration d'un traitement par un médicament régulateur de l'humeur ne sauraient caractériser à eux seuls une faute de l'établissement de soins.
7. A supposer même avérée que cette décision de sortie ait été prise par les praticiens de l'établissement hospitalier, Mme C... étant, en tout état de cause, en placement libre, les éléments qui précèdent, qui démontrent une prise en charge non fautive de la patiente et une évolution certes modérée mais progressive de son état de santé, sont de nature à justifier, alors que la sortie d'essai thérapeutique effectuée quelques jours auparavant avait révélé un bon comportement, une sortie d'hospitalisation définitive le 1er juin 2011. Par ailleurs, la patiente s'est vue prescrire par le médecin psychiatre de l'hôpital le même traitement médicamenteux que celui administré au cours de son hospitalisation, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'il n'était pas approprié. Celle-ci a également été suivie, seule et en présence de certains membres de sa famille par ce même médecin et son équipe médicale à l'occasion de trois consultations qui ont eu lieu les 8 juin, 15 juin et 22 juin 2011, et qui mentionnent une évolution satisfaisante des troubles de l'humeur de l'intéressée et l'absence de syndrome catatonique et d'idées morbides et suicidaires. La ministre relève, sans être contredite sur ce point, que deux autres consultations étaient prévues mais que la patiente a souhaité décliner, dès lors qu'elle avait exprimé son souhait de recontacter son psychiatre qui la suivait avant son hospitalisation. Enfin, le médecin psychiatre du centre hospitalier a également adressé le 7 juin 2011 un courrier au médecin traitant de la patiente pour l'informer des soins entrepris et de la sortie de cette dernière de l'établissement hospitalier. Les modalités ainsi décrites de ce suivi médical, ainsi que l'amélioration constatée de l'état de santé de la patiente sont de nature à justifier que Mme C... a fait l'objet d'un suivi médical adapté qui n'imposait pas, dans ces circonstances, de lui proposer un placement dans un établissement de postcure psychiatrique. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les décisions prises par l'hôpital quant aux modalités du suivi médical dont Mme C... a fait l'objet à sa sortie d'hospitalisation étaient constitutives d'une faute à l'origine du suicide de l'intéressée un mois et dix jours après cette sortie ou même d'une perte de chance qu'un tel suicide ait pu être évité.
8. Par suite, et ainsi que l'ont estimé à juste titre les premiers juges, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'une faute, de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard, aurait été commise à l'occasion de la prise en charge et de la surveillance médicales de sa fille.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise médicale ni de demander des explications à l'expert désigné, que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à condamner l'Etat à lui verser la somme de 25 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral.
Sur les dépens :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à la charge définitive de Mme B... les frais de l'expertise du docteur A..., taxés et liquidés à la somme de 1 500 euros par ordonnance en date du 18 mars 2021 de la présidente du tribunal administratif de Toulon.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande la requérante au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 500 euros, sont laissés à la charge définitive de Mme B....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et à la ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2023, où siégeaient :
- Mme Helmlinger, présidente,
- M. Mahmouti, premier conseiller,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 juin 2023.
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N° 21MA03781