Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Euro Protection Surveillance a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler le titre de perception d'un montant de 300 euros émis à son encontre le 8 septembre 2017, pour le recouvrement d'une sanction pécuniaire qui lui a été infligée sur le fondement des dispositions de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure, ainsi que la décision portant rejet de sa réclamation préalable contre ce titre, d'autre part, de la décharger du paiement de cette somme et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1804623 du 8 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 9 avril 2021, la société par actions simplifiée (SAS) Euro Protection Surveillance, représentée par Me Luttringer, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2021 ;
2°) d'annuler ce titre de perception émis le 8 septembre 2017 par lequel elle a été constituée débitrice de la somme de 300 euros, ensemble cette décision implicite portant rejet de sa réclamation préalable contre ce titre, et de la décharger de l'obligation de payer cette somme ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- si, dans leur jugement attaqué, les premiers juges ont reconnu que le titre de perception contesté ne satisfaisait pas aux exigences de l'article 24 alinéa 2 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012, ils ont à tort considéré que le préfet lui avait préalablement adressé divers courriers et pièces jointes faisant référence aux dispositions de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure ; ces éléments ne sont pas susceptibles de purger le vice inhérent à ce titre de perception ;
- il résulte de la lettre de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure que la procédure de levée de doute n'est obligatoire qu'en cas de présomption d'atteinte aux biens et que, comme le confirme la circulaire du 26 mars 2015, elle demeure facultative en cas d'atteinte présumée aux personnes ; cette circulaire est consultable sur le site Internet mentionné à l'article L. 312-3 du code des relations entre le public et l'administration, et le décret n° 2018-1047 du 28 novembre 2018 ; elle peut donc, conformément à l'article L. 312-2 du même code, et contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille, s'en prévaloir ; aussi, les premiers juges se sont livrés à une interprétation erronée des dispositions de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure qui ne trouve pas à s'appliquer en matière d'atteinte potentielle aux personnes ; le déclenchement du code " Alerte Agression ", qui implique l'action d'une personne physique et limite tant que faire se peut les déclenchements intempestifs ou les erreurs de manipulation, crée une présomption suffisante d'atteinte aux personnes, justifiant de ce fait une information aux forces de l'ordre, même sans levée de doute ; elle n'était donc pas tenue, en l'espèce, de procéder à une telle procédure ; elle a néanmoins procédé concrètement à une levée de doute complète dès lors qu'elle a réalisé une vérification effective des causes du déclenchement ; c'est donc en tout état de cause à tort que les premiers juges ont retenu qu'elle n'avait pas mis en œuvre une procédure de levée de doute conforme aux exigences de l'article L. 613-6, en ce qu'elle avait contacté les forces de police avant d'avoir pu missionner un agent de sécurité ; les premiers juges se sont encore une fois livrés à une interprétation erronée des dispositions de cet article, lequel n'impose à aucun moment au prestataire de télésurveillance de vérifier la réalité de l'infraction elle-même, ce qui relève de la seule compétence des forces de l'ordre, mais seulement la matérialité et la concordance d'indices laissant présumer la commission d'un crime ou d'un délit ;
- les forces de l'ordre sont intervenues spontanément, et non à sa demande ;
- l'inutilité de l'intervention découverte a posteriori ne remet pas en cause le caractère justifié de l'appel aux forces de l'ordre ;
- en tout état de cause, elle était dans l'obligation d'avertir les forces de l'ordre : le jugement attaqué a retenu à tort que la circonstance que sa responsabilité pénale pourrait être engagée sur le fondement des articles 223-1, 223-5 et 223-6 du code pénal ne justifiait pas un appel systématique aux services de police ou de gendarmerie en cas de réception par le centre de surveillance d'un signal ou d'une alerte dès lors que, en premier lieu, il est, d'un point de vue factuel, erroné d'affirmer qu'elle procéderait à un appel systématique aux services de police en cas de réception d'une alerte et que, en second lieu, si elle s'abstenait d'alerter les forces de l'ordre elle serait effectivement susceptible d'engager sa responsabilité pénale sur le fondement des dispositions précitées du code pénal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2021, le ministre de l'intérieur indique que, par application des dispositions de l'article R. 811-10-1 du code de justice administrative, il appartient au seul préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de représenter l'Etat dans la présente instance.
La procédure a été communiquée au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud et au directeur régional des finances publiques de la région Grand-Est et du département du Bas-Rhin qui n'ont pas présenté de mémoire.
Par une ordonnance du 29 juillet 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er septembre 2021, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code pénal ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lombart,
- et les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 août 2015, la SAS Euro Protection Surveillance, qui exerce l'activité de plateforme de télésurveillance de biens meubles ou immeubles au profit de ses abonnés, a fait appel aux services de police, suite à deux déclenchements du code " Alerte Agression ", en provenance du domicile de l'un de ces abonnés. Estimant que cet appel était injustifié, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a décidé de lui infliger la sanction pécuniaire prévue à l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure. La SAS Euro Protection Surveillance a alors été destinataire d'un titre de perception d'un montant de 300 euros, émis à son encontre le 8 septembre 2017, en vue du recouvrement de cette sanction pécuniaire. La SAS Euro Protection Surveillance relève appel du jugement du 8 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre de perception, ensemble la décision implicite portant rejet de sa réclamation préalable présentée à l'encontre ce titre, et à ce qu'elle soit déchargée de l'obligation de s'acquitter du paiement de cette somme de 300 euros.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille du 8 février 2021 :
En ce qui concerne la régularité du titre de perception contesté émis le 8 septembre 2017 :
2. L'article 24 du décret susvisé du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique dispose que : " (...) Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation (...) ". Ainsi, tout état exécutoire doit indiquer les bases de la liquidation de la créance pour le recouvrement de laquelle il est émis et les éléments de calcul sur lesquels il se fonde, soit dans le titre lui-même, soit par référence précise à un document joint à l'état exécutoire ou précédemment adressé au débiteur.
3. Le titre de perception contesté émis le 8 septembre 2017 indique le montant de la créance en cause et son objet, à savoir : " Objet de la créance : Régie / Alarme : Pénalités
3ème trimestre 2015. Facture N° PE/AL/TS8/2015/47. Montant : 300,00 eur (trois cents euros). " S'il ne mentionne pas lui-même sa base légale et les modalités de calcul de cette créance, il résulte de l'instruction que ce titre a été émis au terme d'une procédure contradictoire, au cours de laquelle l'administration, qui se prévalait alors des dispositions de l'article 16-1 de la loi du 12 juillet 1983 susvisée réglementant les activités privées de sécurité, et la société appelante ont échangé des courriers discutant les faits à l'origine de la sanction pécuniaire. La SAS Euro Protection Surveillance ne conteste pas qu'à cette occasion, elle s'est vue adresser un " état de frais télésurveillance " qui précisait que ce montant de 300 euros était exigé pour un appel injustifié, le 23 août 2015, aux services de police, lesquels avaient dû dépêcher un équipage sur place. La SAS Euro Protection Surveillance ne saurait donc sérieusement soutenir que l'administration n'a pas porté à sa connaissance les bases de la liquidation de la créance en cause. Ce moyen doit, par suite, être écarté.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance recouvrée par le titre de perception contesté émis le 8 septembre 2017 :
4. Aux termes de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure : " Est injustifié tout appel des services de la police nationale ou de la gendarmerie nationale par les personnes physiques ou morales exerçant des activités de surveillance à distance des biens meubles ou immeubles qui entraîne l'intervention indue de ces services, faute d'avoir été précédé d'une levée de doute consistant en un ensemble de vérifications, par ces personnes physiques ou morales, de la matérialité et de la concordance des indices laissant présumer la commission d'un crime ou délit flagrant concernant les biens meubles ou immeubles. / L'autorité administrative peut prononcer à l'encontre des personnes physiques ou morales mentionnées à l'alinéa précédent qui appellent sans justification les services de la police nationale ou de la gendarmerie nationale une sanction pécuniaire d'un montant qui ne peut excéder 450 euros par appel injustifié. / La personne physique ou morale à l'encontre de laquelle est envisagée la sanction pécuniaire prévue au précédent alinéa est mise en mesure de présenter ses observations avant le prononcé de la sanction et d'établir la réalité des vérifications qu'elle a effectuées, mentionnées au premier alinéa. / Cette sanction pécuniaire est recouvrée comme les créances de l'Etat étrangères à l'impôt et au domaine. Elle est susceptible d'un recours de pleine juridiction. "
5. Il résulte de ces dispositions que les personnes physiques ou morales exerçant des activités de surveillance à distance des biens meubles ou immeubles doivent, en cas d'appel provenant du déclenchement du système d'alarme chez un abonné laissant présumer la commission d'un crime ou délit flagrant concernant ces biens meubles ou immeubles, et préalablement à la sollicitation des forces de l'ordre, procéder à une levée de doute destinée à vérifier la réalité des faits à l'origine du déclenchement de l'alarme. En cas d'appel injustifié aux forces de l'ordre, l'autorité administrative peut prononcer à l'encontre de la société de surveillance une sanction pécuniaire. Cette procédure de levée de doute n'est, en revanche, pas applicable lorsque ces mêmes personnes physiques ou morales exerçant des activités de surveillance à distance des biens meubles ou immeubles peuvent présumer d'une atteinte flagrante aux personnes justifiant alors l'appel immédiat des forces de l'ordre.
6. Au cas particulier, le 23 août 2015, à 11 heures 10, les services de la SAS Euro Protection Surveillance ont informé les forces de l'ordre du déclenchement, à deux reprises et à quelques minutes d'intervalle, du code " Alerte Agression ", en provenance du clavier de commande du système d'alarme situé dans la zone " entrée " du domicile d'un abonné dont elle assurait la surveillance, accompagnée de la prise automatique de photographies montrant la présence d'une personne dans ce domicile.
7. En premier lieu, la circonstance que la responsabilité pénale de la
SAS Euro Protection Surveillance pourrait être engagée sur le fondement des dispositions des articles 223-1, 223-5 ou 223-6 du code pénal, si elle s'abstenait d'alerter les forces de l'ordre, ne saurait justifier, à elle seule, un appel automatique aux services de police ou de gendarmerie en cas de réception par son centre de traitement des appels d'un signal d'intrusion ou d'alerte, alors même qu'afin de limiter les interventions injustifiées de ces services, le législateur a entendu, par l'ajout à la loi susvisée du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, d'un article 16-1, désormais codifié à l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure, imposer aux personnes physiques ou morales exerçant des activités de télésurveillance de suivre une procédure dite de " levée de doute ", dont l'irrespect permet à l'autorité administrative de prononcer une sanction pécuniaire à leur encontre. Ce moyen ne peut dès lors qu'être écarté.
8. En deuxième lieu, et d'une part, il n'est pas nécessaire à la SAS Euro Protection Surveillance de se prévaloir de l'indication figurant dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 26 mars 2015 selon laquelle " dans le cas d'un crime ou d'un délit flagrant d'atteinte aux personnes, le texte ne prévoit pas une levée de doute effectuée par les télésurveilleurs " dès lors que l'objet de cette circulaire n'est que de clarifier la procédure de la levée de doute fixée par les dispositions précitées de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure dont il résulte clairement, ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus au point 5 du présent arrêt que celle-ci n'est pas applicable en cas de présomption d'une atteinte flagrante aux personnes. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le système de protection installé chez ses clients par la SAS Euro Protection Surveillance peut être déclenché, soit par la sollicitation d'un détecteur à la suite d'une intrusion, soit par l'appui sur la touche " Alerte Agression " de la télécommande ou du clavier du système de protection. S'il n'est pas contesté que ce code " Alerte Agression " ne peut être envoyé au centre de traitements des appels de la SAS Euro Protection Surveillance que si une personne a enclenché la touche ad hoc du système par une pression prolongée de plus de trois secondes, cette seule circonstance et la seule présence d'une personne au domicile en cause révélée par les photographies prises automatiquement, qui au demeurant, ne sont pas versées aux débats, ne saurait, sans autre précision, notamment sur le comportement de cette personne, constituer un indice suffisant laissant présumer la commission d'un crime ou d'un délit flagrant d'atteinte aux personnes. Par suite, il appartenait à la SAS Euro Protection Surveillance de respecter la procédure de levée de doute, applicable en l'espèce.
9. D'autre part, il résulte de l'instruction que si les services de la société appelante, suite à la première alerte reçue à 11 heures 04, ont procédé à quatre contre-appels infructueux sur les lignes téléphoniques indiquées par son abonné, ils n'ont pu missionner un agent de sécurité qu'à 11 heures 19, soit après qu'ils ont averti les services de police, lesquels ont constaté à leur arrivée sur les lieux, à 11 heures 20, qu'il s'agissait d'une fausse manœuvre de cet abonné, alors qu'il incombait à la SAS Euro Protection Surveillance de faire procéder au préalable, par son agent de sécurité, et en l'absence d'autres éléments suffisamment probants, aux vérifications minimales de la matérialité et de la concordance des indices pouvant laisser présumer la commission d'un crime ou d'un délit flagrant concernant les biens meubles ou immeubles.
A cet égard, la société appelante ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'elle s'est vue opposer plusieurs refus par des sociétés de sécurité avant de pouvoir dépêcher sur place un tel agent. Dans ces conditions, au moment où ils ont appelé les forces de l'ordre, les services de la SAS Euro Protection Surveillance n'avaient pas réalisé l'ensemble de vérifications permettant de regarder comme remplie l'obligation qui pesait sur eux de lever le doute sur la commission d'un crime ou d'un délit flagrant concernant le domicile de l'abonné.
10. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud aurait inexactement appliqué les dispositions de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure doit donc être écarté dans ses deux branches.
11. En troisième et dernier lieu, le moyen invoqué par la SAS Euro Protection Surveillance tiré de ce que les forces de l'ordre seraient intervenues spontanément, et non à sa demande, ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors qu'il ressort des dispositions de l'article L. 613-6 du code de la sécurité intérieure que la procédure de levée de doute doit nécessairement précéder tout appel auxdites forces de l'ordre.
12. Il résulte de ce qui précède que la SAS Euro Protection Surveillance n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 8 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du titre de perception émis le 8 septembre 2017 et de la décision implicite portant rejet de sa réclamation préalable présentée contre ce titre, et à ce qu'elle soit déchargée du paiement de cette somme.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par la SAS Euro Protection Service et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par cette dernière doivent donc être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Euro Protection Service est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) Euro Protection Surveillance et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la zone de sécurité et de défense Sud et au directeur régional des finances publiques de la région Grand-Est et du département du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2023.
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No 21MA01373