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25/05/2023 | FRANCE | N°22MA02774

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 25 mai 2023, 22MA02774


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de sa destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2208714 du 27 octobre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 17 octobre 2022 du

préfet des Bouches-du-Rhône en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoir...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de sa destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2208714 du 27 octobre 2022, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 17 octobre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône en tant qu'il porte interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10, 17 novembre 2022 et 18 avril 2023, M. D..., représenté par Me Carmier, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 octobre 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il rejette le surplus des conclusions de sa requête ;

2°) d'annuler l'arrêté du 17 octobre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône ;

3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder au réexamen de sa situation, et, dans cette attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 5° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions du 6° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de la menace à l'ordre public qu'il représente et de sa vie privée et familiale ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la décision fixant le pays de sa destination est illégale, par la voie d'exception de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs, au regard de l'instruction pénale en cours.

La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de M. Portail, président, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., de nationalité marocaine, demande l'annulation du jugement par lequel la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a seulement annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de trois ans, et a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 17 octobre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de sa destination.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Par un arrêté n° 13-2022-09-30-00001 du 30 septembre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 13-2022-285 du même jour, le préfet des Bouches-du-Rhône a donné délégation à Mme C... B..., adjointe au chef de bureau, à l'effet de signer notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire français, les décisions relatives au délai de départ volontaire et celles fixant le pays de destination. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteure de l'arrêté contesté manque en fait et doit être écarté.

Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :

3. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix (...) ".

4. Le placement d'un étranger sous contrôle judiciaire, s'il fait obstacle à l'exécution d'une décision faisant obligation à l'intéressé de quitter le territoire français, est sans incidence sur la légalité d'une telle mesure. Si M. D... fait valoir qu'il faisait l'objet, à la date de la décision contestée, d'une mesure de placement sous contrôle judiciaire dans l'attente de l'instruction pénale relative à des faits d'atteinte sexuelle sur une personne particulièrement vulnérable dont il était accusé, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la mesure d'éloignement, et ne fait obstacle qu'à sa mise à exécution. M. D... ne peut donc utilement invoquer cette circonstance à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que la décision contestée serait de nature à porter atteinte à son droit à un procès équitable, tel que garanti par les stipulations précitées de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) /5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public... ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a été condamné en 2008 à un an et six mois d'emprisonnement et à une interdiction du territoire français pour une durée de trois ans par le tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence pour des faits de transport, détention, offre ou cession et acquisition non autorisés de stupéfiants et provocation directe de mineur de 15 à 18 ans à commettre un crime ou un délit. Il a ensuite été condamné par la même juridiction à six mois d'emprisonnement en janvier 2015 pour des faits de détention non autorisée d'arme, munition ou élément essentiel de catégorie B par une personne déjà condamnée à une peine privative de liberté, puis à quatre mois d'emprisonnement en mai 2015 pour violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours et recel de bien provenant d'un délit puni d'une peine n'excédant pas cinq ans d'emprisonnement, et enfin à un an d'emprisonnement en novembre 2018 pour des faits de complicité de remise ou sortie irrégulière de correspondance, somme d'argent ou objet de détenu et détention non autorisée de stupéfiants. A la date de la décision contestée, il était sous contrôle judiciaire pour des faits d'atteinte sexuelle avec violence, contrainte, menace ou surprise sur une personne qu'il savait particulièrement vulnérable en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience psychique, la victime étant sous assistance respiratoire et sous tutelle, faits pour lesquels l'intéressé a au demeurant été condamné à six ans d'emprisonnement par un jugement du 17 février 2023 du tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence. Ainsi, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que le préfet des Bouches-du-Rhône a pu considérer, au vu de la répétition et de la gravité des faits susmentionnés commis par le requérant, que celui-ci représentait une menace pour l'ordre public.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française (...) ". Selon l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. / Cette obligation ne cesse de plein droit ni lorsque l'autorité parentale ou son exercice est retiré, ni lorsque l'enfant est majeur ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. D... est marié à une ressortissante française depuis le 15 juillet 2017. De cette union est né un enfant, de nationalité française, le 27 mai 2020. Toutefois, l'intéressé n'établit pas, par la seule production de quelques documents mentionnant son adresse chez son épouse et d'une photo de la boîte aux lettres aux deux noms, la réalité de cette communauté de vie, alors même que, d'une part, le logement susmentionné est loué au seul nom de son épouse, et, d'autre part, l'intéressé déclare être resté au Maroc durant près d'un an entre juin 2021 et avril 2022. La circonstance, au demeurant non établie par la seule production de nombreux tampons apposés sur un passeport présenté comme étant celui de l'enfant et d'un extrait du passeport de son épouse, que celle-ci et leur fils soient venus le rejoindre au Maroc, pour une durée non précisée, reste sans incidence sur ce point. Les attestations de témoins, peu circonstanciées, ne permettent pas plus d'établir cette communauté de vie, en l'absence notamment de tout document relatif au logement établi aux noms du requérant et de son épouse. Si M. D... se prévaut en outre de sa qualité de parent d'enfant français, il n'établit pas plus contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Les photographies produites au dossier, dont la majorité ne sont pas datées, ne permettent pas d'établir une telle contribution, en l'absence de tout document relatif à l'enfant. Les attestations de témoins restent également sans incidence sur ce point. Dans ces conditions, M. D... n'établit ni la communauté de vie avec son épouse de nationalité française, ni sa participation, depuis au moins deux ans, à l'entretien et l'éducation de son enfant. Par suite, les moyens tirés de l'erreur de droit et de la méconnaissance des dispositions précitées des 5° et 6° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

9. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

10. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. D... soutient être entré en France en 2016, sans toutefois l'établir, et se maintenir de manière continue sur le territoire français depuis cette date, alors même que, ainsi qu'il a été exposé au point 6, l'intéressé a résidé durant près d'un an entre 2021 et 2022 dans son pays d'origine. M. D... est marié depuis 2017 à une ressortissante française, avec laquelle il n'établit pas une communauté de vie, et père d'un enfant français depuis 2020, pour lequel il n'établit pas participer effectivement à son entretien et à son éducation. En outre, M. D..., qui ne peut se prévaloir d'une particulière insertion sociale, n'établit pas plus une insertion professionnelle particulière, par la seule production d'un extrait Kbis de son " ancien commerce ". Enfin, l'intéressé n'établit pas, par la seule production des titres de séjour et carte nationale d'identité de ses frères, être dépourvu de toute attache dans son pays d'origine. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 6, le préfet des Bouches-du-Rhône a pu légalement estimer que le requérant constitue une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, le préfet des Bouches-du-Rhône, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette obligation a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur la situation personnelle du requérant d'une décision portant obligation de quitter le territoire français.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ".

12. Il résulte de ce qui a été exposé au point 8 que M. D... n'établit ni la communauté de vie avec son épouse et leur enfant, ni sa participation effective à l'entretien et à l'éducation de ce dernier. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de sa destination :

13. Il résulte de ce qui précède que l'obligation de quitter le territoire français opposée à M. D... n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de la décision fixant le pays de sa destination doit être écarté.

14. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du 27 octobre 2022 de la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille et de l'arrêté du 17 octobre 2022 du préfet des Bouches-du-Rhône. Ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent également être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, où siégeaient :

- M. Portail, président,

- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,

- M. Quenette, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 mai 2023.

2

N° 22MA02774


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02774
Date de la décision : 25/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. PORTAIL
Rapporteur ?: M. Philippe PORTAIL
Rapporteur public ?: M. ROUX
Avocat(s) : CARMIER

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-25;22ma02774 ?
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