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05/05/2023 | FRANCE | N°22MA01544

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 05 mai 2023, 22MA01544


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 12 février 2020 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 4 janvier 2020, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 juillet 2019 et autorisé son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 2004435 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, en

registrée le 30 mai 2022, sous le n° 22MA01544, M. C..., représenté par Me Doudet demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 12 février 2020 par laquelle la ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 4 janvier 2020, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 juillet 2019 et autorisé son licenciement pour faute.

Par un jugement n° 2004435 du 30 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 30 mai 2022, sous le n° 22MA01544, M. C..., représenté par Me Doudet demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 mars 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 12 février 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision contestée est insuffisamment motivée concernant le bien-fondé du vice de procédure retenu par l'inspecteur du travail ;

- la procédure de licenciement engagée par l'employeur est entachée d'un vice substantiel de procédure ;

- les éléments apportés par l'employeur au soutien de sa demande d'autorisation méconnaissent le principe de loyauté gouvernant la constitution de la preuve des faits reprochés ;

- la décision en litige est entachée d'une erreur de fait dès lors que les griefs ne sont pas établis ;

- les faits reprochés sont la conséquence de son état de santé et de sa situation sociale fortement dégradés ;

- il existe un lien entre la procédure de licenciement et son mandat syndical.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 juillet 2022, la SAS Carrefour Hypermarchés, représentée par Me Drujon d'Astros, conclut au rejet de la requête de M. C... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 janvier 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête de M. C....

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Virginie Ciréfice, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme E...,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Drujon d'Astros, représentant la SAS Carrefour Hypermarchés.

Considérant ce qui suit :

1. M. C... a été recruté, à compter du 2 juillet 2007, par la SAS Carrefour Hypermarchés en qualité d'assistant de réception au sein du magasin Le Merlan, situé dans le 14ème arrondissement de Marseille. Il détenait le mandat de membre suppléant du comité social et économique (CSE). Par une décision du 8 juillet 2019, l'inspectrice du travail a refusé d'accorder à l'employeur l'autorisation de licencier M. C... pour faute. A la suite du recours hiérarchique, formé le 23 août 2019 par la société Carrefour Hypermarchés, la ministre du travail a, par une décision du 12 février 2020, retiré sa décision implicite de rejet du 4 janvier 2020, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 8 juillet 2019 et autorisé le licenciement du salarié protégé. M. C... relève appel du jugement du 30 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 12 février 2020.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision contestée :

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. Lorsqu'il est saisi par l'employeur d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail qui a estimé que plusieurs de ces exigences n'étaient pas remplies et qui s'est, par suite, fondé sur plusieurs motifs faisant, chacun, légalement obstacle à ce que le licenciement soit autorisé, le ministre ne peut annuler cette décision que si elle est entachée d'illégalité externe ou si aucun des motifs retenus par l'inspecteur du travail n'est fondé.

4. Il ressort de la décision contestée que la ministre du travail a annulé la décision du 8 juillet 2019 de l'inspectrice du travail pour un motif d'illégalité externe tiré d'une insuffisance de motivation. Par suite, la ministre du travail n'avait pas à se prononcer préalablement sur le motif retenu par l'inspectrice du travail tenant au vice de procédure entachant la procédure interne à l'entreprise. En outre, elle s'est appuyée, s'agissant de la matérialité des faits, sur les témoignages de salariés ayant subi des violences physiques et verbales de la part de M. C..., le constat d'huissier du 24 avril 2019 ainsi que sur les images de vidéo-surveillance. Elle a ainsi nécessairement considéré de façon implicite que le mode de preuve constitué par les images de vidéo-surveillance ne présentait pas de caractère déloyal. Par suite, le requérant n'établit pas que cette décision serait insuffisamment motivée.

En ce qui concerne le moyen tiré du vice de procédure :

5. Aux termes de l'article L. 1232-2 du code du travail : " L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable. / La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation. / L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation ".

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été convoqué, par lettre du 25 avril 2019, à un premier entretien préalable prévu le 3 mai 2019. Par courrier du 6 mai 2019, le salarié a informé le directeur de l'établissement Carrefour, situé au Merlan qu'il ne pouvait se rendre à cet entretien en raison de sa santé mentale et physique et de ce qu'il était sans domicile fixe. Par courrier du 14 mai 2019, le salarié a été convoqué à un second entretien préalable le 27 mai 2019 et informé de ce qu'il avait la possibilité de se faire représenter par une personne de son choix. M. C... a informé son employeur, par lettre du 24 mai 2019 qu'il ne pouvait se rendre à cet entretien mais qu'il donnait mandat à M. B..., membre élu du comité social et économique (CSE), pour le représenter. Ce dernier a assisté à cet entretien préalable qui s'est tenu le 27 mai 2019 à 11h30 et donc à un horaire compatible avec les heures de sorties autorisées par les arrêts de travail de M. C... lesquels précisaient que l'assuré devait être présent au domicile entre 9 et 11 heures et entre 14 et 16 heures. Dès lors la procédure interne suivie par l'employeur n'est pas entachée d'un vice de procédure.

En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe de loyauté :

7. L'article L. 1222-4 du code du travail dispose que : " Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance. ".

8. La société Carrefour fait valoir sans être contestée que les systèmes de vidéosurveillance dont sont issus les enregistrements consignés dans les constats d'huissier qui permettent d'établir la matérialité des faits, ont été portés à la connaissance des salariés et ne sont pas destinés ni utilisés pour contrôler le travail des salariés mais pour sécuriser la réserve sensible du magasin, l'entrée de la réserve ou de la surface de vente du magasin. Par ailleurs, ce système a été régulièrement déclaré, le 4 novembre 2013, à la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). En outre, les salariés de l'établissement étaient informés de l'existence de ce système de vidéo-surveillance par la présence de multiples affichages dans l'établissement tant dans les espaces ouverts au public que dans ceux qui ne sont destinés qu'aux salariés. A supposer même que les images d'une vidéo-surveillance du 25 avril 2019 aient été montrées à M. A... comme ce dernier le prétend, cette circonstance, au demeurant démentie par le manager de la sécurité, n'a pu avoir aucune influence sur le sens des témoignages des deux salariés agressés par M. C... dès lors que ces images ont été prises un autre jour que celui des faits reprochés survenus le 17 avril 2019. Par suite, M. C... n'est pas fondé à soutenir que son employeur a eu recours à un stratagème déloyal ni que l'emploi des images de vidéo-surveillance pour établir la matérialité des faits reprochés méconnaîtrait le principe de loyauté des preuves.

En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :

9. En premier lieu, il ressort du témoignage de M. B..., que celui-ci a subi des violences verbales et physiques de la part de M. C..., le 17 avril 2019 lequel a pris la tête de M. B... entre ses mains, en la serrant fortement, l'a poussé violement contre un mur et lui a craché dessus tout en l'insultant. Cette agression est corroborée par les images de la vidéo-surveillance, consignées dans le constat d'huissier établi le 24 avril 2019 lequel a constaté que M. C... a agressé physiquement le salarié, ainsi que par le témoignage d'un autre salarié M. A... Par ailleurs, le même jour, le requérant a également agressé un autre salarié dont le témoignage relève que M. C... lui a craché dessus en l'insultant. L'appelant ne remet pas en cause valablement la matérialité de ses faits en se bornant à soutenir que l'attestation produite par M. B... n'est pas accompagnée d'une pièce d'identité en cours de validité et que les bandes vidéo visionnées par huissier sont dépourvues de son lesquelles circonstances ne sont pas de nature à écarter ces preuves. Par ailleurs, le constat d'huissier précise bien qu'il s'agit de l'enregistrement du 17 avril 2019, à 4h 03 mn 56 s.

10. En second lieu, il est reproché à M. C... d'avoir, le 17 avril 2019, pénétré par effraction dans la réserve où est stockée la marchandise informatique et d'avoir dérobé un téléphone portable ainsi qu'une tablette multimédia. Selon le procès-verbal de constat du 24 avril 2019, l'huissier a pu constater, lors du visionnage de la vidéo du 17 avril 2019 à 2h 38 du matin, que M. C... s'était introduit dans la réserve des produits sensibles et en est sorti en écartant la partie basse de la porte grillagée avec dans ses mains des emballages de tablette et de téléphone S 10 parfaitement visibles d'une valeur totale de 1 800 euros. Si l'appelant soutient qu'à l'occasion de l'enquête contradictoire de l'inspectrice du travail, l'employeur a reconnu lui- même que tous les écarts d'inventaires ne pouvaient lui être imputés, cela ne saurait signifier qu'il n'a pas pris le matériel précité.

11. Les deux fautes mentionnées aux points 9 et 10 prises dans leur ensemble sont matériellement établies, imputables à M. C... et présentent une gravité suffisante pour justifier à elles-seules son licenciement.

En ce qui concerne l'état de santé et la situation sociale de M. C... :

12. Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail : " (...) aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié (...) en raison de son état de santé... ou de son handicap. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque qu'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par un comportement jugé fautif, elle ne peut être légalement accordée si les faits reprochés sont la conséquence d'un état pathologique ou d'un handicap de l'intéressé.

13. M. C... soutient que les faits reprochés sont la conséquence de son état de santé et d'une situation sociale fortement dégradés. Il produit un avis d'expulsion de son logement du 28 mai 2018, de sorte qu'il était sans domicile fixe depuis le 24 septembre 2018, ainsi que deux certificats médicaux d'un psychologue du 3 mai 2019 et de son généraliste du 6 mai 2019. Toutefois, ces certificats ne permettent pas d'établir le lien entre l'état de santé du requérant et les faits commis le 17 avril 2019 dès lors que, d'une part, celui de la psychologue mentionne que M. C... est dans l'impossibilité de se rendre à l'entretien préalable du 7 mai 2019 dans la mesure où il a entrepris une cure de sevrage particulièrement difficile, présente des symptômes dépressifs et anxieux majeurs accompagnés d'idées suicidaires et, d'autre part, que son médecin généraliste certifie que l'état de santé de M. C... nécessite une hospitalisation afin d'y bénéficier d'une cure de désintoxication. Enfin, la circonstance, qu'il serait sans domicile fixe n'est pas de nature à justifier son comportement.

En ce qui concerne le lien entre le licenciement et le mandat de M. C... :

14. Si M. C... soutient qu'il est victime de discrimination syndicale en se prévalant d'une lettre d'observations du 8 juin 2018, adressée à l'employeur par l'inspection du travail, qui faisait état de violences commises par les cadres sur des salariés, cette circonstance n'est pas de nature à établir que des pressions auraient été exercées à son endroit du fait de ses fonctions représentatives. Par ailleurs, si le requérant fait valoir que d'autres salariés n'auraient pas été sanctionnés aussi sévèrement en raison de faits similaires, il n'assortit ses allégations d'aucun commencement de preuve. L'appelant ne peut utilement se prévaloir de l'utilisation de stratagèmes et l'énonciation de mensonges tels que la prétendue agression à l'encontre de M. B..., démentie par celui-ci dès lors que ce fait n'est pas mentionné dans la décision en litige. Par suite, aucun de ces éléments n'est de nature à établir un lien entre le licenciement en cause et son mandat de membre suppléant du comité social et économique d'autant que le ministre du travail fait valoir sans être contesté que le salarié était peu actif dans l'exercice de ses fonctions représentatives. Il en va de même de la circonstance que l'employeur ne lui aurait fourni aucun travail durant la procédure et en le dispensant d'activité pendant une année, soit du 25 avril 2019 jusqu'au terme de la procédure.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 février 2020.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SAS Carrefour Hypermarchés présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SAS Carrefour Hypermarchés présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C..., à la SAS Carrefour Hypermarchés et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 21 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Ciréfice, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Prieto, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2023.

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N° 22MA01544


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01544
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-02 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Licenciement pour faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme CIREFICE
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : DOUDET

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-05;22ma01544 ?
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