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05/05/2023 | FRANCE | N°22MA01177

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 05 mai 2023, 22MA01177


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de sa destination.

Par une ordonnance n° 2111102 du 25 janvier 2022, le président de la 3èm

e chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... E... B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 30 septembre 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et a fixé le pays de sa destination.

Par une ordonnance n° 2111102 du 25 janvier 2022, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 22 avril 2022, Mme E... B... C..., représentée par Me Kuhn-Massot, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille du 25 janvier 2022 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 30 septembre 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- elle réside de façon habituelle sur le territoire depuis 2011 avec tous ses enfants qui la prennent en charge et elle est domiciliée chez l'un de ses fils ;

- elle est célibataire car elle n'est pas mariée civilement avec le père de ses enfants, et ne dispose plus d'attaches dans son pays d'origine qu'elle a quitté il y a plus de dix années ;

- ses trois fils, ses deux filles et ses six petits-enfants résident régulièrement sur le territoire national ;

- le centre de sa vie privée et familiale est en France ;

- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est sévère car elle l'empêche de profiter de ses enfants et de ses petits-enfants.

Par un mémoire en défense enregistré le 27 février 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Mme E... B... C... a été admise au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 mars 2022.

Par une ordonnance du 7 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 mars 2023.

Par lettre du 6 avril 2023, les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de retenir le moyen d'ordre public tiré de l'irrégularité de la composition de la formation de jugement dès lors que le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille ne pouvait se fonder sur les dispositions de l'article R. 222-1 7° du code de justice administrative pour rejeter la demande de Mme E... B... C....

Une réponse à la communication de ce moyen d'ordre public, présentée pour Mme E... B... C..., a été enregistrée le 7 avril 2023 et communiquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me Claeyser représentant Mme E... B... C....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... B... C..., de nationalité capverdienne, relève appel de l'ordonnance du 25 janvier 2022 prise sur le fondement du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande aux fins d'annulation de l'arrêté du 30 septembre 2021 du préfet des Bouches-du-Rhône refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et fixant le pays de sa destination.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 7° Rejeter, après l'expiration du délai de recours ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé, après la production de ce mémoire, les requêtes ne comportant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé (...) ".

3. Pour rejeter, sur le fondement de ces dispositions, la demande présentée par Mme Correia Silva Cardoso, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille a relevé que le moyen unique tiré de l'erreur manifeste d'appréciation n'était assorti que de faits manifestement insusceptibles de venir à son soutien et que le moyen invoqué au soutien de la contestation de la décision d'interdiction de retour n'était assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Toutefois, il ressort de l'examen de cette demande que Mme E... B... C... invoquait notamment à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en litige le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou encore celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet des Bouches-du-Rhône au regard des conséquences de l'arrêté en litige sur sa situation personnelle, en faisant valoir d'une part la durée de son séjour sur le territoire et la présence régulière de ses enfants ainsi que l'absence de liens personnels et familiaux dans son pays d'origine, et en produisant d'autre part des pièces tendant à établir ces éléments. Ces moyens, qui étaient dès lors assortis de faits susceptibles de venir à leur soutien et n'étaient pas dépourvus des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé, n'étaient ni inopérants, ni irrecevables. Les termes dans lesquels ils étaient exprimés, qui permettaient d'en saisir le sens et la portée, les rendaient suffisamment intelligibles pour que le juge exerçât son office en appréciant leur bien-fondé au regard des pièces produites. Dès lors, la demande de l'intéressée n'entrait pas dans le champ d'application du 7° de l'article R. 222-1 du code de justice administrative et relevait de la seule compétence du tribunal administratif statuant en formation collégiale. Par suite, l'ordonnance attaquée du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille du 25 janvier 2022 est entachée d'irrégularité et doit être annulée.

4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E... B... C... devant le tribunal administratif de Marseille.

Sur la légalité de l'arrêté du 30 septembre 2021 du préfet des Bouches-du-Rhône :

En ce qui concerne la décision de refus d'admission au séjour :

5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Mme E... B... C... soutient qu'elle est entrée sur le territoire en fin d'année 2011 en provenance du Portugal et qu'elle y réside habituellement depuis cette date avec ses cinq enfants qui sont tous en situation régulière. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressée, qui est entrée au Portugal le 11 décembre 2011 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa C d'une validité de soixante-jours, n'établit pas les circonstances et la date de son entrée sur le territoire. A supposer même qu'elle y soit entrée ainsi qu'elle le soutient à la fin de l'année 2011, les pièces qu'elle a versées au dossier, constituées uniquement d'une attestation d'hébergement de son fils F... B... D... non datée indiquant qu'il héberge sa mère, d'une assurance habitation avec date d'effet au 19 janvier 2018 concernant le logement de ce dernier, et d'une attestation de droits à l'assurance maladie de la requérante valable du 30 août 2018 au 29 août 2019, sont insuffisantes pour établir sa présence habituelle sur le territoire depuis l'année 2011. En outre, s'il ressort des pièces du dossier que ses cinq enfants sont tous en situation régulière et travaillent sur le territoire, il n'est pas établi que l'intéressée, quand bien même elle ne serait pas mariée avec le père de ses enfants, serait dépourvue de toute attache familiale dans son pays d'origine où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de cinquante-sept ans, dès lors notamment, ainsi que le fait remarquer le préfet des Bouches-du-Rhône dans son mémoire en défense, qu'elle ne produit aucun livret de famille. Il ressort enfin des pièces du dossier que la requérante a déjà fait l'objet de deux décisions de refus d'admission au séjour assorties d'obligations de quitter le territoire français en date des 25 juin 2015 et 24 avril 2018, toutes deux confirmées par le tribunal administratif de Marseille respectivement par deux jugements du 30 mars 2015 et du 27 mars 2019. Dans ces conditions, le préfet des Bouches-du-Rhône en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ce refus a été pris. Ainsi, le moyen tiré de ce que cette décision aurait méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, la décision n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans :

7. Il résulte des termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que lorsque l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire, " l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français./ Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 (...) ".

8. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

9. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté que Mme E... B... C... a fait l'objet de deux précédentes obligations de quitter le territoire français en date des 25 juin 2015 et 24 avril 2018 qu'elle n'a pas exécutées spontanément. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 3, l'intéressée n'établit pas résider sur le territoire depuis la fin de l'année 2011 ainsi qu'elle le soutient, ni être dépourvue d'attaches dans son pays d'origine. Dès lors, en édictant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet des Bouches-du-Rhône fait une exacte application des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

10. Par suite, Mme E... B... C... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 30 septembre 2021.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en litige, n'implique aucune mesure particulière d'exécution au regard des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de Mme E... B... C... aux fins d'injonction et d'astreinte doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par Mme E... B... C... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Marseille en date du 25 janvier 2022 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par Mme E... B... C... devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... E... B... C..., à Me Kuhn-Massot et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.

N° 22MA011772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01177
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: Mme Cécile FEDI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : KUHN-MASSOT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-05;22ma01177 ?
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