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05/05/2023 | FRANCE | N°22MA00213

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 05 mai 2023, 22MA00213


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par une ordonnance n° 1707519 du 1er décembre 2021, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille a r

ejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 1...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices subis résultant de carences fautives de l'Etat dans la prise en charge de la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs aux poussières d'amiante, assorties des intérêts et de leur capitalisation.

Par une ordonnance n° 1707519 du 1er décembre 2021, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 18 janvier 2022 sous le n° 22MA00213, M. A..., représenté par la Selarl Teissonnière-Topaloff-Lafforgue-Andreu et Associés, demande à la Cour :

1°) d'annuler cette ordonnance de la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille du 1er décembre 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser les sommes de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 15 000 euros en réparation des troubles dans ses conditions d'existence, assorties des intérêts à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur de fait dès lors qu'il établit avoir travaillé au sein de l'établissement de La Ciotat de la société Normed ;

- l'Etat a commis une faute en ne prenant aucune réglementation relative à la prévention des expositions à l'amiante avant le décret du 17 août 1977 ;

- l'absence de réglementation est d'autant plus grave que les risques encourus par les travailleurs de l'amiante étaient connus ;

- ses conditions de travail au sein d'un établissement inscrit sur les listes de ceux ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) l'ont exposé à l'amiante sans protection particulière ;

- le lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat et les préjudices allégués est constitué, avant l'entrée en vigueur du décret du 17 août 1977 ;

- la responsabilité de l'Etat doit être engagée pour un tiers et celle de l'entreprise pour les deux tiers restants ;

- il a subi un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence en lien avec son exposition à l'amiante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête de M. A....

Il fait valoir que :

- la demande de M. A... est prescrite en application de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;

- aucun des moyens de la requête de M. A... n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'avis du Conseil d'Etat n° 457560 du 19 avril 2022 ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Virginie Ciréfice, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a été employé au sein de l'établissement de La Ciotat de la société Normed du 3 décembre 1975 au 1er septembre 1987 en qualité de tourneur puis de charpentier. Par une réclamation préalable du 20 avril 2017, il a demandé à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue sociale de lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en raison de son exposition à l'amiante lors de l'exercice de son activité professionnelle résultant des carences fautives de l'Etat dans l'exercice de son pouvoir règlementaire. Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet. M. A... relève appel de l'ordonnance du 1er décembre 2021 par laquelle la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros.

Sur l'exception de prescription quadriennale opposée par le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis ". Aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / (...) Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance ; / (...) Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l'intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement ". Aux termes de l'article 6 du même texte : " Les autorités administratives ne peuvent renoncer à opposer la prescription qui découle de la présente loi ". Aux termes, enfin, du premier alinéa de son article 7 : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond ".

3. D'autre part, aux termes du I de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 : " Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : / 1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ; / 2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ; / 3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget. / Le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité est ouvert aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle (...) ". Ces dispositions instaurent un régime particulier de cessation anticipée d'activité permettant aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication ou de traitement de l'amiante ou de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, dits " travailleurs de l'amiante ", de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA) sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.

4. Ainsi que l'a estimé le Conseil d'Etat dans son avis n° 457560 du 19 avril 2022, lorsque la responsabilité d'une personne publique est recherchée, les droits de créance invoqués en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés. La créance indemnitaire relative à la réparation d'un préjudice présentant un caractère continu et évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. Dans ce cas, le délai de prescription de la créance relative à une année court, sous réserve des cas visés à l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968, à compter du 1er janvier de l'année suivante, à la condition qu'à cette date le préjudice subi au cours de cette année puisse être mesuré.

5. Le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante mentionnée au point 3 naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante. La publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel dans les conditions mentionnées au point 3 est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante. Le droit à réparation du préjudice en question doit donc être regardé comme acquis, au sens des dispositions citées au point 2, pour la détermination du point de départ du délai de prescription, à la date de publication de cet arrêté. Lorsque l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé. Enfin, dès lors que l'exposition a cessé, la créance se rattache, en application de ce qui a été dit au point 4, non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

6. Il est constant que l'établissement Normed de La Ciotat où M. A... a été employé du 3 décembre 1975 au 1er septembre 1987 en qualité de tourneur puis de charpentier a été inscrit sur la liste de l'ACAATA, par arrêté du 7 juillet 2000. Ainsi, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5, que le requérant a eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation, dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété, à compter de la date de publication de cet arrêté intervenue le 22 juillet 2000. Ainsi, en application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, le délai de prescription a commencé à courir à compter du 1er janvier 2001 jusqu'au 31 décembre 2004. Or, il résulte de l'instruction que M. A... n'a saisi que le 20 avril 2017 la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social d'une demande de réparation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence du fait de son exposition à l'amiante au sein de l'établissement Normed. Le délai de prescription ayant commencé à courir à compter du 1er janvier 2001 jusqu'au 31 décembre 2004, cette demande était dès lors prescrite à la date à laquelle elle a été effectuée.

7. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme totale de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. A... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 21 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Ciréfice, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Prieto, premier conseiller,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2023.

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