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05/05/2023 | FRANCE | N°21MA03565

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 05 mai 2023, 21MA03565


Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

La société anonyme (SA) Kerios a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la lettre du 2 janvier 2019 par laquelle le délégué départemental du Var de l'Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d'Azur (ARS PACA) a prononcé à son encontre des injonctions consécutives à l'inspection du 23 avril 2018 de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qu'elle exploite au 306 avenue Marc Delage à La Garde.

Par un jugement n° 1900858 du 24 juin 2021, le

tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une...

Vu les procédures suivantes :

Procédure contentieuse antérieure

La société anonyme (SA) Kerios a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la lettre du 2 janvier 2019 par laquelle le délégué départemental du Var de l'Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d'Azur (ARS PACA) a prononcé à son encontre des injonctions consécutives à l'inspection du 23 avril 2018 de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) qu'elle exploite au 306 avenue Marc Delage à La Garde.

Par un jugement n° 1900858 du 24 juin 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 18 août 2021, la SA Kerios, représentée par la SCP Klein, agissant par Me Ciussi, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 juin 2021 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) d'annuler la lettre d'injonction du 2 janvier 2019 prise par le délégué départemental du Var de l'ARS PACA.

Elle soutient que :

- les mesures demandées par l'ARS PACA visant à améliorer la signalétique des espaces collectifs ne reposent sur aucun fondement juridique ;

- les injonctions faites sur la gouvernance de l'établissement, concernant le document unique de délégation et la nomination au poste de direction d'une personne qualifiée de niveau 1 sont injustifiées ;

- les injonctions faites sur le personnel de l'établissement, notamment en ce qui concerne les effectifs du personnel soignant, l'emploi du personnel intérimaire, le temps de coordination médicale et la transmission des diplômes et casiers judiciaires de certains membres du personnel ne sont pas justifiées ;

- les injonctions relatives à la sécurité sanitaire, concernant l'intervention sanitaire de la société Cofely services sur le réseau d'eau chaude sanitaire, la mise en œuvre d'un protocole d'entretien des points d'usage d'eau chaude sanitaire, le contrôle des températures de l'eau chaude sanitaire et le plan du réseau afférent sont infondées ;

- les injonctions concernant la prise en charge des résidents, portant en particulier sur l'établissement d'un projet d'accueil et d'accompagnement des résidents et d'un projet de soins individualisés, la distribution des médicaments par des personnels non habilités, la tenue du dossier médical et des dossiers de liaison d'urgence, l'utilisation d'un logiciel de soins et de prescriptions ne sauraient être maintenues ; elle justifie des mesures mises en place au cours de la période de crise sanitaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2021, l'ARS PACA conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par l'appelante ne sont fondés.

Par une ordonnance du 29 août 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 septembre 2022.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- l'arrêté du 30 novembre 2005 modifiant l'arrêté du 23 juin 1978 relatif aux installations fixes destinées au chauffage et à l'alimentation en eau chaude sanitaire des bâtiments d'habitation, des locaux de travail ou des locaux recevant du public ;

- la circulaire n° DGS/SD7A/DHOS/E4/DGAS/SD2/2005/493 du 28 octobre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau, premier conseiller,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Kerios, situé 306 avenue Marc Delage à La Garde, est géré par la société anonyme (SA) Kerios. A la suite d'une inspection de l'Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d'Azur (ARS PACA) intervenue le 23 avril 2018, et du rapport d'inspection provisoire notifié le 3 septembre suivant, la SA Kerios a émis des observations en réponse présentées par courrier du 9 novembre 2018. Une inspection complémentaire a été réalisée le 10 décembre 2018 sur le circuit du médicament au sein de l'EHPAD, qui a donné lieu à la remise d'un rapport à la SA Kerios par courrier du 21 décembre 2018. Par une lettre du 2 janvier 2019 à laquelle est joint le rapport d'inspection définitif, l'ARS PACA a notifié à la SA Kerios une lettre d'injonction en application des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles, afin que celle-ci prenne les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements constatés lors des opérations de contrôle. La SA Kerios relève appel du jugement du 24 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la légalité de l'injonction du 2 janvier 2019 :

2. Aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des familles, dans sa version applicable à la date de l'injonction en litige : " Lorsque les conditions d'installation, d'organisation ou de fonctionnement de l'établissement, du service ou du lieu de vie et d'accueil méconnaissent les dispositions du présent code ou présentent des risques susceptibles d'affecter la prise en charge des personnes accueillies ou accompagnées ou le respect de leurs droits, l'autorité compétente en vertu de l'article L. 313-13 peut enjoindre au gestionnaire d'y remédier, dans un délai qu'elle fixe. Ce délai doit être raisonnable et adapté à l'objectif recherché. Elle en informe le conseil de la vie sociale quand il existe et, le cas échéant, le représentant de l'Etat dans le département, ainsi que le procureur de la République dans le cas des établissements et services accueillant des majeurs bénéficiant d'une mesure de protection juridique. L'autorité compétente peut également prévoir les conditions dans lesquelles le responsable de l'établissement, du service ou du lieu de vie et d'accueil assure l'affichage de l'injonction à l'entrée de ses locaux. / Cette injonction peut inclure des mesures de réorganisation ou relatives à l'admission de nouveaux bénéficiaires et, le cas échéant, des mesures individuelles conservatoires, en application du code du travail ou des accords collectifs. (...) ".

En ce qui concerne l'amélioration de la signalétique :

3. Il ressort de la lettre d'injonction attaquée que des mesures tendant à améliorer la signalétique des espaces collectifs ont été demandées à la SA Kerios, qui n'a apporté, au cours de la procédure contradictoire, aucune réponse sur ce point. Ainsi que l'ont relevé à bon droit les premiers juges, l'article 2.2 de la convention tripartite conclue le 25 mai 2016 entre l'ARS PACA, le conseil départemental du Var et la SA Kerios stipule que cette dernière s'engage à développer la démarche de maintien et d'amélioration continue de la qualité en garantissant à toute personne âgée les meilleures conditions de vie, d'accompagnement et de soins, en respectant les recommandations de l'agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), lesquelles énoncent notamment des prescriptions pour adapter la signalétique aux difficultés des résidents. Ainsi, la SA Kerios n'est pas fondée à soutenir que la mesure tendant à améliorer la signalétique des espaces collectifs intérieurs ne repose sur aucun fondement juridique. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de cette injonction doit être écarté.

En ce qui concerne la gouvernance de l'EHPAD :

4. Aux termes des dispositions de l'article D. 312-176-5 du code de l'action sociale et des familles : " Dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux de droit privé, mentionnés au I de l'article L. 312-1, lorsque la personne physique ou morale gestionnaire confie à un professionnel la direction d'un ou plusieurs établissements ou services sociaux ou médico-sociaux, elle précise par écrit, dans un document unique, les compétences et les missions confiées par délégation à ce professionnel. / Elle rend destinataires d'une copie de ce document la ou les autorités publiques qui ont délivré l'autorisation du ou des établissements ou services concernés, ainsi que le conseil de la vie sociale visé à l'article L. 311-6. / Ce document précise la nature et l'étendue de la délégation, notamment en matière de : / -conduite de la définition et de la mise en œuvre du projet d'établissement ou de service ; / -gestion et animation des ressources humaines ; / -gestion budgétaire, financière et comptable en application des articles R. 314-9 à R. 314-55 ; / -coordination avec les institutions et intervenants extérieurs. "

5. L'ARS PACA a adressé à la SA Kerios une injonction tendant à ce qu'elle produise un document unique de délégation au profit de l'infirmière coordinatrice conformément aux dispositions précitées de l'article D. 312-176-5 du code de l'action sociale et des familles, qui définit les missions et compétences de gestion confiées par délégation. Si la SA Kerios expose qu'un tel document n'est pas requis dès lors que la direction de l'établissement est assurée exclusivement par sa directrice, il est constant que celle-ci était absente à l'occasion de la première inspection réalisée le 23 avril 2018, puis de la seconde inspection effectuée le 10 décembre 2018. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'inspection définitif joint à la lettre d'injonction, que la directrice travaille dans deux autres EHPAD et plus régulièrement au sein de l'EHPAD Heliotrope situé à Hyères. Des fiches de liaison portant sur l'activité de l'EHPAD en litige lui sont transmises quotidiennement par l'infirmière coordinatrice, qui a représenté l'établissement au cours des deux inspections et remis aux inspecteurs ces fiches ainsi que les dossiers du personnel. Ces éléments sont de nature à démontrer que l'infirmière coordinatrice assure de fait des missions de direction de l'établissement. En se bornant à indiquer que la convention tripartite visée au point 3 ainsi que les contrats de travail relatifs au personnel de l'établissement sont signés par la directrice et qu'un nouveau directeur a été recruté postérieurement à la décision contestée, la société requérante n'apporte pas d'élément probant de nature à contredire les constatations faites par l'ARS. Par suite, c'est à bon droit que l'ARS PACA a demandé, par la décision contestée, à la SA Kerios de fournir le document unique de délégation sollicité.

6. Aux termes de l'article D. 312-176-6 du code de l'action sociale et des familles : " Doit être titulaire d'une certification de niveau I enregistrée au répertoire national des certifications professionnelles prévu à l'article L. 335-6 du code de l'éducation le professionnel ayant reçu les délégations mentionnées aux troisième à septième alinéas de l'article D. 312-176-5 et qui, selon les situations : a) Dirige ou administre l'un des groupements mentionnés à l'article L. 312-7 ; ( ...) ".

7. Si la SA Kerios soutient que la directrice de l'EHPAD, qui est à l'origine de sa création, exerce son activité depuis 25 ans et a déposé un dossier de demande de validation des acquis de l'expérience, cette circonstance ne permet pas de répondre aux conditions de qualification exigées par l'article D. 312-176-6 du code de l'action sociale et des familles pour exercer ce poste de direction. Par ailleurs, ce défaut de qualification avait déjà été signalé au cours d'une inspection ayant eu lieu en 2012. Par suite, et sans qu'ait d'incidence la circonstance, postérieure à la date de l'injonction contestée, que la SA Kerios ait procédé au recrutement d'un directeur disposant d'une certification de niveau I au sens des dispositions précitées, la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle satisfaisait à l'injonction résultant de la lettre du 2 janvier 2019 de l'ARS PACA.

En ce qui concerne la gestion du personnel :

8. Aux termes, d'une part, de l'article L. 313-12 du code de l'action sociale et des familles, concernant les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens conclus par les personnes physiques et morales gestionnaires d'un EHPAD : " Le contrat fixe les obligations respectives des parties signataires et prévoit leurs modalités de suivi, notamment sous forme d'indicateurs. Il définit des objectifs en matière d'activité, de qualité de prise en charge, d'accompagnement et d'intervention d'établissements de santé exerçant sous la forme d'hospitalisation à domicile, y compris en matière de soins palliatifs. ".

9. Aux termes, d'autre part, de l'article D. 312-155-0 du code de l'action sociale et des familles, relatifs aux moyens en personnel des EHPAD : " II.- Pour assurer leurs missions, outre son directeur et le personnel administratif, l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes dispose d'une équipe pluridisciplinaire comprenant au moins un médecin coordonnateur dans les conditions prévues aux articles D. 312-156 à D. 312-159-1, un professionnel infirmier titulaire du diplôme d'Etat, des aides soignants, des aides médico-psychologiques, des accompagnants éducatifs et sociaux et des personnels psycho-éducatifs. ". L'article D. 312-156 du code de l'action sociale et des familles dispose, en ce qui concerne spécifiquement le médecin coordonnateur : " Tout établissement hébergeant des personnes âgées dépendantes relevant du I de l'article L. 312-1 doit se doter d'un médecin coordonnateur./ Pour les établissements mentionnés au I de l'article L. 313-12 et ceux dont la valeur du groupe iso-ressources moyen pondéré est égale ou supérieure à 800 points, le temps de présence du médecin coordonnateur, pour sa fonction de coordination, ne peut être inférieur à : (...) -un équivalent temps plein de 0,50 pour un établissement dont la capacité autorisée est comprise entre 60 et 99 places ; (...). ". Enfin, l'article D. 312-159-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit, s'agissant du contrat conclu entre le médecin coordonnateur et l'EHPAD : " Le médecin coordonnateur signe avec le représentant légal de l'établissement un contrat mentionnant notamment :/ 1° Les modalités d'exercice de ses missions définies à l'article D. 312-158 et les moyens appropriés à la réalisation desdites missions au sein de l'établissement ; 2° Le temps d'activité au titre de la coordination médicale et de l'organisation de la présence du médecin coordonnateur dans l'établissement. Une mention particulière est apportée lorsque le praticien intervient au sein de plusieurs établissements. Lorsque le médecin coordonnateur intervient en tant que médecin traitant au sein du même établissement, il signe le contrat mentionné à l'article R. 313-30-1 ; 3° L'engagement du médecin coordonnateur qui ne remplirait pas les conditions de qualification pour exercer la fonction de médecin coordonnateur lors de son recrutement de satisfaire aux obligations de formation mentionnées à l'article D. 312-157 et les modalités de prise en charge financière des frais de formation par l'établissement ; 4° L'encadrement des actes de prescription médicale auprès des résidents de l'établissement. ".

10. Il ressort des stipulations de l'article 3 de la convention tripartite conclue le 25 mai 2016 par la SA Kerios que celles-ci autorisent le financement de postes d'un médecin coordonnateur et d'un psychologue, correspondant respectivement à 0,5 équivalent temps plein (ETP), d'aides-soignants correspondant à 20 ETP, d'infirmiers correspondant à 4 ETP et d'un ergothérapeute correspondant à 1 ETP. Or, il n'est pas contesté que l'EHPAD exploité par la SA Kerios ne respecte pas une partie des objectifs sur lesquels elle s'est engagée contractuellement, dès lors qu'il était constaté, à la date de la lettre d'injonction, un déficit de 2 ETP en ce qui concerne les infirmières diplômées d'Etat et de 5,2 ETP s'agissant des aides-soignants, ainsi que l'absence d'un psychologue et d'un ergothérapeute. La circonstance que, postérieurement à l'injonction contestée, la SA Kerios ait procédé au recrutement d'aides-soignants puis d'un psychologue en 2020, n'établissent en tout état de cause pas que les dysfonctionnements ainsi relevés avaient été résolus à la date de l'injonction en cause. A cet égard, les difficultés de recrutement d'aides-soignants invoquées par la SA Kerios à l'appui de deux articles de presse généraliste ne sont pas justifiées et ne sauraient démontrer que l'injonction prononcée serait entachée d'une erreur d'appréciation.

11. En outre, si la SA Kerios se prévaut du recours à l'emploi de personnels intérimaires en 2018 pour pallier ses difficultés de recrutement, la possibilité de faire appel à des intérimaires n'est en tout état de cause prévue expressément par aucune stipulation de la convention tripartite du 25 mai 2016, sauf en ce qui concerne le personnel de cuisine. Le rapport d'inspection définitif souligne par ailleurs qu'un recours trop important au personnel intérimaire ne permet pas d'assurer une qualité de service satisfaisante aux résidents des EHPAD, concernant tant leur accompagnement que la continuité des soins dispensés.

12. Par ailleurs, il est constant que la SA Kerios n'a, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, signé aucun contrat avec un médecin coordonnateur contrairement à ce que prescrivent les dispositions précitées de l'article D. 312-159-1 du code de l'action sociale et des familles. L'ARS PACA souligne ainsi, sans être utilement contredite, que l'absence de ce contrat ainsi que le défaut d'inscription de la quotité de temps rémunéré sur les factures d'honoraires ne permettent pas de vérifier le respect du temps de présence du médecin coordonnateur, qui ne doit, s'agissant comme en l'espèce d'un établissement dont la capacité est de 80 places d'hébergement, pas être inférieur à un ETP de 0,50.

13. Si la SA Kerios a justifié, au cours de la procédure contradictoire précédant la notification de la lettre d'injonction du 2 février 2019, avoir remis en temps utile les diplômes et les casiers judiciaires des infirmières et du médecin coordonnateur employés au sein de l'EHPAD, elle ne l'établit pas s'agissant de trois aides-soignantes. De surcroît, l'ARS PACA, qui fait valoir qu'elle n'a eu connaissance de ces pièces que postérieurement à la notification de la lettre d'injonction, révèle qu'aucune de ces aides-soignantes n'est en tout de cause titulaire du diplôme d'Etat requis et que l'une d'entre elles, recrutée en tant qu'" agent de confort ", ne saurait travailler comme aide-soignante. Enfin, la lettre d'injonction mentionne que le personnel intérimaire employé par l'EHPAD par l'intermédiaire de la société Appel médical ne disposait, à la date de l'inspection, pas des qualifications pour exercer les fonctions d'aide-soignant. L'attestation de l'agence intérim Appel médical, ainsi que son courriel du 4 octobre 2017, ne remettent pas sérieusement en cause l'existence de ces défaillances constatées par la mission d'inspection.

14. Il suit de là que, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, la SA Kerios n'est pas fondée à soutenir que les mesures prescrites par la lettre d'injonction du 2 février 2019 en ce qui concerne la gestion du personnel de son établissement seraient irrégulières.

En ce qui concerne la sécurité sanitaire :

15. Aux termes de l'article R. 1321-23 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige : " Sans préjudice du programme d'analyses de la qualité de l'eau prévu aux articles R. 1321-15 et R. 1321-16 et des analyses complémentaires prévues aux articles R. 1321-17 et R. 1321-18, la personne responsable de la production ou de la distribution d'eau est tenue de surveiller en permanence la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. / Cette surveillance comprend notamment : / (...) 3° La tenue d'un fichier sanitaire recueillant l'ensemble des informations collectées à ce titre (...) ". Aux termes de l'article 1-1 de l'arrêté du 30 novembre 2005 modifiant l'arrêté du 23 juin 1978 relatif aux installations fixes destinées au chauffage et à l'alimentation en eau chaude sanitaire des bâtiments d'habitation, des locaux de travail ou des locaux recevant du public : " 1. Afin de limiter le risque de brûlure : - dans les pièces destinées à la toilette, la température maximale de l'eau chaude sanitaire est fixée à 50 °C aux points de puisage ; (...) ". Enfin, la circulaire n° 2005-493 du 28 octobre 2005 relative à la prévention du risque lié aux légionnelles dans les établissements sociaux et médico-sociaux d'hébergement pour personnes âgées précise que les gestionnaires de ces établissements sont tenus notamment de surveiller la qualité de l'eau à l'aide d'un examen régulier des installations, d'effectuer un programme de tests ou d'analyses sur des points déterminés en fonction des risques identifiés que peuvent présenter les installations, et de tenir un carnet sanitaire constamment maintenu à jour, comportant notamment les plans des réseaux actualisés.

16. D'une part, il ressort de la lettre d'injonction du 2 février 2019 que l'ARS PACA a reproché à la SA Kerios un suivi irrégulier des interventions de la société Cofely services sur le réseau d'eau chaude sanitaire dans le cahier sanitaire prévu par l'article R. 1321-23 du code de la santé publique. L'administration a ainsi enjoint à la SA Kerios de procéder à une mesure corrective sur ce point dans un délai de quinze jours. L'ARS PACA a également enjoint à la SA Kerios de procéder, dans un délai de trois mois, à un contrôle régulier des températures d'eau chaude sanitaire et de s'assurer que la température de l'eau chaude aux points d'usage soit fixée, conformément à l'article 1-1 de l'arrêté du 30 novembre 2005 précité, à 50 degrés. Par sa lettre du 9 novembre 2018, adressée à l'ARS PACA en réponse au rapport d'observations provisoires, la SA Kerios s'est bornée à communiquer certaines pièces, tels que le contrat de maintenance conclu avec la société Cofely services, des factures, au demeurant succinctes sur l'objet des travaux réalisés, une fiche de procédure d'appel en dépannage accompagnée de relevés de température de l'eau et une photographie du journal d'intervention sur le ballon d'eau chaude sanitaire, qui ne sauraient justifier que la SA Kerios tenait régulièrement à jour, à la date de la décision attaquée, un carnet sanitaire au sens des dispositions précitées du code de la santé publique. Ces documents, pas plus que les attestations du maître d'œuvre du 8 octobre 2018 invoquées dans cette réponse, ne permettent, comme le souligne le rapport d'inspection définitif, de démontrer un entretien régulier de la société Cofely services susceptible de lutter contre les risques de légionnelle dans le réseau d'eau chaude sanitaire. Il n'est pas davantage établi que la SA Kerios aurait fait poser, avant le prononcé de l'injonction, une sonde de relevé et d'enregistrement des températures de l'eau chaude, sa réponse du 9 novembre 2018 se bornant à indiquer que ce système serait mis en place " avant la fin de l'année ". L'attestation du 16 janvier 2019 de son maître d'œuvre, établie postérieurement à la lettre d'injonction, ainsi que la fiche d'intervention de la société Cofely, portant sur des travaux qui auraient été réalisés le 9 novembre 2018, soit concomitamment à la réponse précitée qui n'en fait pourtant pas état, ne contredisent pas de manière probante ces éléments. Enfin, la société requérante ne peut utilement se prévaloir d'une mise à jour de son carnet sanitaire, produite en cours d'instance, et comportant notamment des relevés de température et des fiches d'intervention et de suivi établis postérieurement à la lettre d'injonction.

17. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le protocole d'entretien du réseau d'eau chaude sanitaire n'a été communiqué à l'ARS PACA que par lettre du 13 mars 2019, soit postérieurement à l'injonction faite en ce sens le 2 janvier 2019. La seule information, apportée par la SA Kerios dans sa lettre du 9 novembre 2018, selon laquelle les points d'usage d'eau chaude sanitaire sont détartrés plusieurs fois par an, n'est pas de nature à satisfaire à l'injonction émise. Par ailleurs, il est constant que la SA Kerios n'a pas établi de plan actualisé du réseau d'eau chaude sanitaire, un tel document étant requis par la circulaire précitée du 28 octobre 2005. La société ne saurait se soustraire à cette obligation en affirmant que ce plan n'a pas été réalisé par le constructeur initial du réseau.

18. Il suit de là que l'ensemble des prescriptions émises par l'ARS PACA dans sa lettre d'injonction du 2 janvier 2019 sur la sécurité sanitaire de l'établissement exploité par la SA Kerios n'apparaissent entachées d'aucune erreur d'appréciation.

En ce qui concerne la prise en charge des résidents :

19. Aux termes de l'article L. 311-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au litige : " L'exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : (...) 7° La participation directe de la personne prise en charge à la conception et à la mise en œuvre du projet d'accueil et d'accompagnement qui la concerne. ". Aux termes de l'article D. 312-155-0 du code de l'action sociale et des familles : " I.- Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au I et au II de l'article L. 313-12 : (...) 3° Mettent en place avec la personne accueillie et le cas échéant avec sa personne de confiance un projet d'accompagnement personnalisé adaptés aux besoins comprenant un projet de soins et un projet de vie visant à favoriser l'exercice des droits des personnes accueillies ; (...) ".

20. La SA Kerios reprend en appel le moyen tiré de ce que l'injonction prononcée par l'ARS PACA de formaliser dans un délai de trois mois le projet d'accueil et d'accompagnement des résidents n'est pas justifiée. Elle n'apporte cependant aucun élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation des premiers juges qui ont relevé qu'elle avait seulement transmis un " projet de vie " vierge qui ne permet pas d'établir le respect des dispositions précitées des articles L. 311-3 et D. 312-155-0 du code de l'action sociale et des familles, notamment quant à l'élaboration d'un projet d'accueil et d'accompagnement et de soins individualisés avec le résident et sa famille.

21. Aux termes de l'article L. 313-26 du code de l'action sociale et des familles : " Au sein des établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1, lorsque les personnes ne disposent pas d'une autonomie suffisante pour prendre seules le traitement prescrit par un médecin à l'exclusion de tout autre, l'aide à la prise de ce traitement constitue une modalité d'accompagnement de la personne dans les actes de sa vie courante./ L'aide à la prise des médicaments peut, à ce titre, être assurée par toute personne chargée de l'aide aux actes de la vie courante dès lors que, compte tenu de la nature du médicament, le mode de prise ne présente ni difficulté d'administration ni d'apprentissage particulier./ Le libellé de la prescription médicale permet, selon qu'il est fait ou non référence à la nécessité de l'intervention d'auxiliaires médicaux, de distinguer s'il s'agit ou non d'un acte de la vie courante./ Des protocoles de soins sont élaborés avec l'équipe soignante afin que les personnes chargées de l'aide à la prise des médicaments soient informées des doses prescrites et du moment de la prise. ".

22. Par sa lettre du 2 janvier 2019, l'ARS PACA a enjoint à la SA Kerios de mettre fin à la distribution des médicaments par des personnels non habilités et d'élaborer un protocole sur la distribution des médicaments. Il ressort des pièces du dossier que la SA Kerios n'avait mis en place aucun protocole de soins permettant d'encadrer et de déléguer aux aides-soignantes la distribution des médicaments aux résidents de l'EHPAD. Cette absence de protocole induit un risque accru d'erreurs dans la distribution des médicaments. Il n'est par ailleurs pas contesté que les médicaments livrés n'étaient, à la date de la décision attaquée, pas préparés par une pharmacie, et que des mesures correctrices, permettant la levée des prescriptions suite au rapport définitif sur le circuit du médicament du 15 juillet 2019, n'ont été prises par la SA Kerios que postérieurement à la lettre d'injonction. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que l'injonction ainsi émise sur la sécurisation de l'administration des médicaments ne serait pas justifiée.

23. L'ARS PACA a également constaté un risque de pertes importantes d'informations médicales sur les patients en raison d'un suivi insuffisant des dossiers des patients et de l'absence d'un logiciel de soins. Elle a notamment relevé que ces informations étaient reportées manuellement, selon des méthodes diffuses, à travers de multiples outils de suivi qui génèrent un risque d'erreurs et de pertes d'informations et un mauvais suivi des dossiers de liaison d'urgence en cas d'hospitalisation. Elle ajoute que l'absence d'un logiciel de soins ne facilite pas un recensement exhaustif des activités médicales et paramédicales pratiquées et une mise à jour des dossiers de liaison d'urgence, essentiels à la qualité de la prise en charge des résidents. La SA Kerios ne conteste pas sérieusement ces éléments en se bornant à exposer que la mise à jour des dossiers de liaison d'urgence est effectuée par le médecin et le personnel infirmier et qu'une lettre d'accompagnement est adressée à l'établissement de santé en cas d'hospitalisation du patient. De surcroît et en tout état de cause, la société requérante, bien que contestant l'utilité de se doter d'un logiciel de soins et de prescriptions, a pris acte de la recommandation émise par la mission d'inspection et indique avoir porté son choix sur un logiciel de la société Net Soin, tout en précisant que son installation n'était pas encore effective. Par conséquent, la SA Kerios n'est pas fondée à contester le bien-fondé des injonctions émises à son encontre, tendant à simplifier l'organisation des transmissions d'informations médicales, à actualiser les dossiers de liaison d'urgence et à mettre en place un logiciel informatique de soins et de prescriptions.

24. Enfin, la circonstance que la SA Kerios aurait pris des mesures au cours de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19 pour protéger ses résidents et assurer leur bien-être est sans influence sur la légalité de la lettre d'injonction en litige.

25. Il suit de là que, contrairement à ce que soutient l'appelante, aucune des injonctions prononcées à son encontre en ce qui concerne les conditions de prise en charge des résidents de son EHPAD n'apparait entachée d'illégalité.

26. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Kerios n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la SA Kerios est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Kerios et à l'Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2023.

2

No 21MA03565


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA03565
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-08-03 Santé publique. - Divers établissements à caractère sanitaire. - Etablissements accueillant des personnes âgées.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SCP KLEIN

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-05;21ma03565 ?
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