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05/05/2023 | FRANCE | N°21MA00103

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 05 mai 2023, 21MA00103


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Brial a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2014, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012 à 2014.

Par un jugement n° 1802749 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa d

emande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 janvier 2021, la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Brial a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, d'une part, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2014, d'autre part, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012 à 2014.

Par un jugement n° 1802749 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 janvier 2021, la SARL Brial, représentée par Me Munoz, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulon du 5 novembre 2020 ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2014 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012 à 2014, ainsi que des pénalités et des intérêts de retard correspondants ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'avis de mise en recouvrement en litige est irrégulier au regard des dispositions de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales et de l'instruction BOI-REC-PREA-10-10-20 du 18 février 2018 ; elle a droit dès lors à la décharge de l'ensemble des impositions et majorations en application de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales ;

- la procédure de vérification est irrégulière ; elle a été menée en violation des garanties fondamentales des droits du contribuable vérifié et du secret professionnel et en méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales et des paragraphes n° 100, 120, 130 et 140 de l'instruction BOI-CF-IOR-60-40-30 ; le principe du débat oral et contradictoire n'a pas été respecté ; l'administration a manqué à son devoir de loyauté au cours de la procédure de rectification et a méconnu sa propre doctrine, en particulier l'instruction 4-G-3342 du 25 juin 1998 ;

- le rejet de la comptabilité, fondé sur des discordances significatives et répétées sur les données de caisse, n'est pas justifié ; l'absence de justifications de recettes ne saurait être valablement opposée en ce qui concerne l'activité du bar, eu égard à l'arrêté n° 83-50/A du 3 octobre 1983 et à l'instruction BOI-BIC-DECLA-30-10-20-10 ;

- la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par le service est erronée en ce qu'elle ne tient pas compte des conditions réelles d'exploitation de son activité ; elle est fondée à se prévaloir, s'agissant de l'absence de prise en compte des conditions d'exploitation de son activité et des tarifs pratiqués au comptoir, des paragraphes 190 et 200 de l'instruction référencée BOI-CF-IOR-10-20 du 12 septembre 2012 ;

- les majorations pour manœuvres frauduleuses appliquées, prévues par l'article 1729 du code général des impôts et dont les modalités sont explicitées par le paragraphe 60 de l'instruction BOI-CF-INT-10-20-20 du 8 mars 2017, sont infondées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour de prononcer un non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement prononcé en cours d'instance et de rejeter le surplus de la requête.

Il fait valoir que :

- il a admis une remise des pénalités de retard d'un montant de 20 654 euros en ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de 6 353 euros en ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée ;

- les moyens invoqués par l'appelante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 22 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 1er juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) Brial, qui exploite un bar et un restaurant sous l'enseigne " Le café des Arts " à Saint-Tropez, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014. A l'issue des opérations de contrôle, l'administration fiscale lui a notifié sur cette période, par une proposition de rectification du 25 novembre 2015, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, selon la procédure de rectification contradictoire. La SARL Brial relève appel du jugement du 5 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2014 et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2012, 2013 et 2014.

Sur l'étendue du litige :

2. Par une attestation du 9 mars 2023, produite suite à une mesure d'instruction, le pôle du recouvrement spécialisé du Var a confirmé que la SARL Brial avait fait l'objet en cours d'instance, suite à l'engagement d'une procédure de sauvegarde et conformément au I de l'article 1756 du code général des impôts, d'un dégrèvement des pénalités de retard pour un montant de 20 654 euros en ce qui concerne les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de 6 353 euros en ce qui concerne les rappels de taxe sur la valeur ajoutée. Les conclusions de la requête sont donc, dans la limite de ces dégrèvements, devenues sans objet.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

En ce qui concerne la violation d'un débat oral et contradictoire et du secret professionnel :

3. Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. (...) ".

4. Dans le cas où la vérification de la comptabilité d'une société commerciale a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, il appartient au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur, de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat, soit avec les mandataires sociaux, soit avec leurs conseils, préposés ou mandataires de droit ou de fait.

5. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la proposition de rectification, une information sur les redressements qu'il pourrait envisager.

6. Il résulte de l'instruction que les vérificateurs ont rencontré la gérante de la société requérante ainsi que son conseil le 16 avril 2015, pour partie dans les locaux de la société et dans ceux de son expert-comptable. Les six interventions suivantes ont eu lieu ensuite, à la demande de la gérante qui a donné mandat de représentation à son conseil, dans les locaux de l'expert-comptable de la société les 23 avril, 29 avril, 7 mai, 22 mai, 20 juillet et 23 septembre 2015. En se bornant à soutenir que la dernière réunion du 23 septembre 2015 n'était pas une réunion de synthèse mais avait seulement pour objet d'évoquer les extractions de données informatiques issues des caisses enregistreuses, la société requérante, qui ne conteste pas la tenue de nombreuses réunions entre les vérificateurs et elle ou son conseil mandaté pour la représenter, ne démontre pas, ainsi qu'elle en a la charge, avoir été privée d'un tel débat, tant au regard de la loi fiscale que de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié. Les circonstances invoquées par la requérante, tirées de ce que contrairement aux mentions de la proposition de rectifiction, aucune réunion de synthèse, qui n'est en tout état de cause exigée par aucun texte, ne se serait tenue, et de ce qu'elle était dans l'attente de la position du service sur la fiabilité des données de caisse transmises ne sauraient, compte tenu de ce qui vient d'être dit, attester d'une absence de débat oral et contradictoire avec les vérificateurs. Par suite, le moyen tiré de ce que la SARL Brial aurait été privée d'un débat oral et contradictoire avec les vérificateurs doit être écarté.

7. La méconnaissance par le vérificateur de l'obligation de secret professionnel à laquelle il est tenu dans l'exercice de ses fonctions, en admettant même qu'une telle violation soit établie au sens de l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, est sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition.

En ce qui concerne les traitements informatiques :

8. Aux termes du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " En présence d'une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés et lorsqu'ils envisagent des traitements informatiques, les agents de l'administration fiscale indiquent par écrit au contribuable la nature des investigations souhaitées. Le contribuable formalise par écrit son choix parmi l'une des options suivantes : a) Les agents de l'administration peuvent effectuer la vérification sur le matériel utilisé par le contribuable ; b)

Celui-ci peut effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification. (...) ; c) Le contribuable peut également demander que le contrôle ne soit pas effectué sur le matériel de l'entreprise. Il met alors à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements soumis à contrôle. (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que le vérificateur qui envisage un traitement informatique sur une comptabilité tenue au moyen de systèmes informatisés est tenu d'indiquer au contribuable, au plus tard au moment où il décide de procéder au traitement, par écrit et de manière suffisamment précise, la nature des investigations qu'il souhaite effectuer, c'est-à-dire les données sur lesquelles il entend faire porter ses recherches ainsi que l'objet de ces investigations, afin de permettre au contribuable de choisir en toute connaissance de cause entre les trois options offertes par ces dispositions. Le vérificateur n'est, à cet égard et conformément aux dispositions du b du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, tenu de préciser au contribuable la description technique des travaux informatiques à réaliser en vue de la mise en œuvre de ces investigations que si celui-ci a fait ensuite le choix d'effectuer lui-même tout ou partie des traitements informatiques nécessaires à la vérification.

10. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a adressé le 16 avril 2015 à la SARL Brial, qui tenait sa comptabilité au moyen de systèmes informatisés, un courrier par lequel il l'informait de son souhait de réaliser sur cette comptabilité des traitements informatiques. Ce courrier indiquait que ces traitements porteraient notamment sur la " validation de la bonne conservation de l'intégralité des données fichiers brut de la saisie ", telle que la " validation des remontées sur la caisse de gestion et sur la comptabilité ", la " validation des interfaces et des données en entrée ou restituées de programmes informatiques ou de parties fonctionnelles de programmes informatiques ", la " validation des conditions d'enregistrement des recettes et produits " dans le système informatique de la société, permettant notamment un " contrôle de la saisie des données et des opérations de validation des informations nécessaires à la gestion des tickets de caisse et/ou de la facturation ", et la " validation des recettes déclarées et comptabilisées ", afin de déterminer le chiffre d'affaires de´clare´ a` l'impo^t sur les socie´te´s et a` la taxe sur la valeur ajoute´e sur la période vérifiée. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société requérante, les informations contenues dans ce courrier, qui étaient suffisamment précises au regard des exigences posées par les dispositions précitées du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, lui permettaient d'avoir une idée suffisante de la nature des traitements demandés dans le cadre de la vérification de comptabilité portant sur la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014 et d'effectuer un choix éclairé entre les trois options qui lui étaient ouvertes par ces dispositions. Il suit de là que la SARL Brial, qui a opté, sans émettre de réserves au demeurant lors de la remise des données les 23 avril et 22 mai 2015, pour l'option prévue au c) du II de l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales, n'a pas été privée de la garantie prévue par ces dispositions.

11. Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la SARL Brial, qui n'apporte en appel aucun élément de droit ou de fait nouveau par rapport à son argumentation de première instance, n'est pas fondée à soutenir que l'administration aurait mis en œuvre des traitements différents de ceux mentionnés dans son courrier précité du 16 avril 2015, lesquels sont détaillés au point 3.3.1.3 de la proposition de rectification, alors que les éléments sur lesquels s'appuie la requérante, figurant au point 3.3.1.2, portent sur les rappels des principes généraux applicables aux traitements informatiques.

12. La société requérante ne peut utilement soutenir, comme l'a estimé à bon droit le tribunal, que la procédure d'imposition serait entachée d'irrégularité au motif que des traitements informatiques ont été réalisés sur des données postérieures au 31 mars 2014, dès lors que les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et les rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge n'ont porté que sur la période couverte par l'avis de vérification de comptabilité, allant du 1er avril 2011 au 31 mars 2014.

13. Enfin, la société requérante ne peut utilement invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, l'instruction référencée BOI-CF-IOR-60-40-30 n° 100, 120, 130 et 140, dès lors que les indications qu'elle contient concernent la procédure d'imposition.

En ce qui concerne le respect du devoir de loyauté :

14. La seule circonstance que les vérificateurs n'auraient pas tenu suffisamment compte des conditions d'exploitation du fonds de commerce et notamment de l'existence de tarifs au comptoir, en admettant seulement une réfaction de 5 % au lieu de 11 %, ne saurait révéler par elle-même un manquement du vérificateur à son devoir de loyauté, de nature à vicier la procédure d'imposition.

En ce qui concerne l'avis de mise en recouvrement :

15. Aux termes de l'article L. 256 du livre des procédures fiscales : " Un avis de mise en recouvrement est adressé par le comptable public à tout redevable des sommes, droits, taxes et redevances de toute nature dont le recouvrement lui incombe lorsque le paiement n'a pas été effectué à la date d'exigibilité. / (...) L'avis de mise en recouvrement est individuel (...) ". Aux termes de l'article R. 256-1 de ce livre : " L'avis de mise en recouvrement prévu à l'article L. 256 indique pour chaque impôt ou taxe le montant global des droits, des pénalités et des intérêts de retard qui font l'objet de cet avis / (...) / Lorsque l'avis de mise en recouvrement est consécutif à une procédure de rectification, il fait référence à la proposition prévue à l'article L. 57 ou à la notification prévue à l'article L. 76 et, le cas échéant, au document adressé au contribuable l'informant d'une modification des droits, taxes et pénalités résultant des rectifications / (...) ".

16. L'avis de mise en recouvrement des impositions litigieuses émis le 30 novembre 2017 comporte toutes les mentions exigées par les dispositions précitées et mentionne, en particulier, pour chaque imposition les montants et les périodes concernées en distinguant les droits, les intérêts ainsi que les majorations. Il fait en particulier référence à la proposition de rectification du 25 novembre 2015, à la réponse aux observations du contribuable du 8 avril 2016 ainsi qu'à la lettre d'information du 2 octobre 2017 qui notifie, en dernier lieu, le montant des redressements mis en recouvrement. La circonstance que l'avis de mise en recouvrement ne mentionne pas la copie de la réponse aux observations du contribuable du 8 avril 2016, strictement identique au document original, adressée le 9 mai 2016 suite à un premier envoi infructueux, n'a eu aucune influence sur la possibilité pour la SARL Brial de contester utilement les montants ainsi mis en recouvrement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 256-1 du livre des procédures fiscales doit être écarté.

17. L'avis de mise en recouvrement émis le 30 novembre 2017 n'étant, ainsi qu'il a été dit, entaché d'aucune irrégularité, la SARL Brial ne peut utilement soutenir que l'administration ne pouvait plus exercer son droit de reprise et que les impositions étaient atteintes par la prescription à la date du 31 décembre 2018.

18. En l'absence d'irrégularité de l'avis de mise en recouvrement, le requérant n'est pas davantage fondé à se prévaloir des dispositions de l'article L. 80 CA du livre des procédures fiscales.

19. La SARL Brial soutient que l'avis de mise en recouvrement méconnaît la doctrine référencée BOI-REC-PREA-10-10-20 du 18 février 2018, laquelle prévoit que " l'absence d'indication des éléments prévus par l'article R. 256-1 du LPF affectent la validité des avis de mise en recouvrement ". Toutefois, cette instruction, au demeurant postérieure aux exercices et à la période d'imposition en litige, étant relative à la procédure d'établissement de l'impôt ou des pénalités fiscales, et non au recouvrement de l'impôt, la société ne peut dès lors pas s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne la charge de la preuve :

20. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission ou le comité. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission ou du comité. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) ".

21. Il est constant que la société contribuable, qui a contesté les rehaussements qui lui ont été notifiés par proposition de rectification du 25 novembre 2015, s'est désistée le 15 juin 2017 de sa demande de saisine de la commission départementale des impôts et des taxes sur le chiffre d'affaires. Par suite, l'administration fiscale supporte la charge de la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt procédant de la reconstitution du chiffre d'affaires.

En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :

22. Il résulte de l'instruction et notamment des énonciations de la proposition de rectification du 25 novembre 2015, que le service a relevé des irrégularités dans l'enregistrement informatique des pièces justificatives de recettes, lesquelles n'ont pas été présentées sur l'intégralité de la période vérifiée en ce qui concerne la caisse dédiée à l'activité du bar et sur la période du 1er avril 2011 au 1er janvier 2013 en ce qui concerne la caisse consacrée à l'activité du restaurant. Le vérificateur a ainsi constaté l'absence de conservation des données du système de caisse informatisé. Par ailleurs, les bandes des caisses enregistreuses présentées au service pour l'activité du bar, qui n'étaient accompagnées d'aucun ticket de remise à zéro dit A..., et qui mentionnent des recettes en dehors des heures d'ouverture de l'établissement et présentent des interruptions dans la numérotation séquentielle, ne permettaient pas de justifier les recettes correspondantes. Un procès-verbal pour défaut de présentation de documents comptables a ainsi été établi le 22 mai 2015.

23. Le service a par ailleurs relevé que si la société requérante tenait une comptabilité informatisée, des anomalies, telles que des ruptures de séquence dans les numéros de ticket s'expliquant par des suppressions de tickets directement sur la caisse, des suppressions logiques au sein des tickets, révélant l'utilisation d'un outil externe de suppression de ligne, et des incohérences portant sur l'horodatage des tickets ont été recensées. Enfin, le taux de marge brute de l'activité de la société, égal à 3 sur l'ensemble de la période vérifiée, a été regardé par le service comme étant faible au vu des conditions d'exploitation de l'entreprise et des usages de la profession.

24. La circonstance que l'arrêté n° 83-50/A du 3 octobre 1983 relatif à la publicité des prix de tous les services prévoit, pour les règlements inférieurs à 15 euros, que la délivrance d'une note au client est facultative, est sans incidence sur l'obligation pour la société requérante d'apporter par tout moyen la preuve du détail et de la consistance des recettes portées en comptabilité, ainsi que le prescrit l'article 54 du code général des impôts. Il est constant que la société n'a pas été en mesure de justifier les recettes sur la période du 1er avril 2011 au 30 mars 2014 en ce qui concerne l'activité du bar et du 1er avril 2011 au 1er janvier 2013 en ce qui concerne l'activité consacrée au restaurant. Dès lors, en l'absence de ces justificatifs de recettes, ce motif était à lui seul de nature à qualifier la comptabilité de non probante. Si la requérante invoque le paragraphe 250 de l'instruction BOI-BIC-DECLA-30-10-20-10 relative aux bénéfices industriels et commerciaux, et plus précisément à la tolérance administrative prévue en l'absence de justificatifs concernant de menus achats déduits en charges, ces prévisions, qui ne peuvent être utilement invoquées pour contester les rappels de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, ne comportent en tout état de cause pas une interprétation différente de la loi fiscale de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

25. Par ailleurs, est sans incidence la circonstance que les vérificateurs auraient réalisé des traitements informatiques sur une période non visée par la vérification de comptabilité dès lors qu'en tout état de cause, l'absence de pièces justificatives sur le détail des recettes, en dépit de l'utilisation d'un système de caisse informatisée, suffisait, ainsi qu'il a été dit, à écarter à elle seule la valeur probante de la comptabilité présentée.

26. Enfin, la société requérante, qui se borne à s'appuyer sur le manuel d'utilisation du logiciel d'encaissement utilisé, n'apporte aucun nouvel élément en appel permettant de remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal administratif de Toulon selon laquelle les ruptures de séquence dans la numérotation des tickets, qui ne sont pas négligeables au vu notamment des 1 559 occurrences constatées sur la caisse restaurant pour l'exercice clos le 31 mars 2014, traduisent l'utilisation d'un outil externe de suppression. De même, il n'est pas davantage justifié que l'existence d'horodatages de tickets postérieurs à l'encaissement et la conservation d'horodatages antérieurs lors de l'annulation de tickets révèleraient une utilisation normale du logiciel de caisse. Enfin, le seul tableau établi par la requérante ne saurait expliquer de manière probante les suppressions logiques constatées au sein des tickets de caisse.

27. Compte tenu des anomalies ainsi relevées par le service, et notamment de l'absence de présentation des pièces justificatives des recettes, qui ne sauraient davantage être expliquées par l'erreur alléguée de paramétrage des horaires de caisse, l'administration était fondée à écarter la comptabilité et à procéder à la reconstitution du chiffre d'affaires de la SARL Brial.

En ce qui concerne la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires :

28. Pour reconstituer les recettes de la SARL Brial, le vérificateur a utilisé la méthode dite des liquides consistant à déterminer le chiffre d'affaires afférent aux ventes de boissons, à partir notamment des factures d'achats de liquides, des états des stocks et des statistiques de ventes des produits, avant de calculer le chiffre d'affaires total par application d'un ratio au chiffre d'affaires " liquides ", déterminé à 45 % au lieu de 38,2 % suite au recours hiérarchique de la SARL Brial. Le vérificateur a tenu compte des grandes familles de produits déterminées à partir des produits liquides les plus significatifs, des statistiques de vente, des prix pratiqués, de la consommation du personnel et des pertes et offerts et s'est basé sur les données de gestion de la société, correspondant aux données complètes de vente pour la période d'avril 2014 à février 2015.

29. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire, ni d'aucun principe jurisprudentiel, que l'administration soit tenue d'avoir recours à plusieurs méthodes de reconstitution, dès lors que la méthode appliquée par elle est fondée sur des éléments propres à l'entreprise.

30. Il résulte de l'instruction que le service vérificateur a pris en compte, au stade du recours hiérarchique, une différence de tarifs pratiqués entre les ventes au comptoir et celles réalisées en salle ou en terrasse, ainsi qu'une réfaction, au stade du recours hiérarchique, de 5% appliquée au chiffre d'affaires reconstitué, qui intègre à la fois une diminution de tarif d'environ 15 % au comptoir et une proportion de 30 % de ventes au comptoir par rapport aux ventes en terrasse et en salle. La requérante, qui ne conteste pas le taux de 30 % retenu de ventes au comptoir, soutient que l'administration aurait dû appliquer une réfaction de 11 % en retenant une baisse des tarifs au comptoir de 33,2 % par rapport aux ventes pratiquées en salle ou en terrasse. Cependant, celle-ci se borne à produire, pour la première fois en appel, une carte distinguant les tarifs des consommations au comptoir de ceux pratiqués en salle ou en terrasse, dont aucun élément ne démontre qu'elle aurait été transmise à l'administration fiscale et que celle-ci existait lors des opérations de contrôle. Par suite, la SARL Brial n'est pas fondée à demander l'application d'une réfaction de 11 % au lieu de 5 %.

31. Il résulte également de l'instruction qu'à partir des statistiques de ventes fournies par la SARL Brial, le service a identifié les catégories les plus significatives de produits liquides et a défini le chiffre d'affaires de ces produits, permettant de déterminer la part de ces recettes dans le montant total du chiffre d'affaires. Il est constant que le compte-rendu du recours hiérarchique de la SARL Brial mentionne que le service a accepté de tenir compte d'un pourcentage du chiffre d'affaires liquides par rapport au chiffre d'affaires total de 45 %. Une annexe, jointe au compte-rendu, détaille les recettes de chacun des produits tant en ce qui concerne l'activité exercée au bar que celle pratiquée au restaurant. La requérante ne remet pas sérieusement en cause ce taux de 45 %, au demeurant proche de celui de 48,32 % qu'elle réclame, en l'absence de justificatifs probants. Elle ne saurait davantage soutenir que l'annexe mentionnée comporterait, en l'absence d'application d'un tarif réduit de 8 %, des erreurs sur les recettes des produits liquides vendus au bar, alors qu'il résulte de ce qui a été exposé ci-dessus que l'administration fiscale a tenu compte des tarifs pratiqués au comptoir. Enfin, l'affirmation selon laquelle le taux de marge reconstitué par l'administration est illusoire et ne reflète pas son activité ne repose sur aucune précision et justification.

32. La SARL Brial reprend en appel, sans apporter d'éléments nouveaux, le moyen tiré de ce que la méthode de détermination des recettes liquides serait erronée dans la mesure où elle se fonde sur des donnés incohérentes, concernant en particulier le pourcentage d'offerts des whiskys et des boissons anisées, les boissons destinées à la consommation du personnel tel que les " Perrier " en canettes de 33 cl, celles servies uniquement au comptoir et sans facturation tels que les bouteilles d' " Evian " et " Saint Yorre " d'une contenance de 33 cl, et le dosage des vins et autres alcools. Aucun de ces éléments, dépourvus de justifications probantes, n'est de nature à démontrer le caractère radicalement vicié ou excessivement sommaire de la méthode de reconstitution employée par l'administration fiscale, qui a par ailleurs admis, au stade du recours hiérarchique, de tenir compte de certaines observations de la contribuable, tels que les dosages concernant les verres au vin et les boissons anisées et le taux d'offerts retenu pour ces dernières.

33. Enfin, la société requérante n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments permettant d'établir que le volume des consommations du personnel retenu par le service à hauteur de 2,5 % du montant des recettes brutes, porté au demeurant à 25 % en ce qui concerne la consommation de café, serait erroné et devrait être déterminé à hauteur de 6,4 % du montant du chiffre d'affaires pour l'exercice clos en 2012 puis à 4,6 % pour les exercices suivants.

34. Enfin, pour contester la méthode de reconstitution sur laquelle s'est fondée l'administration, la SARL Brial ne peut utilement invoquer la doctrine administrative référencée

4 G-3342 du 25 juin 1998 en vertu de laquelle " la reconstitution des bases imposables doit impérativement être opérée selon plusieurs méthodes de reconstitution " dès lors qu'elle ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale au sens de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Pour le même motif, la société requérante ne peut utilement se prévaloir, sur ce même fondement, de l'instruction BOI-CF-IOR-10-20 n° 190 et 200 du 12 septembre 2012, qui précise que la reconstitution des bases imposables doit être effectuée en tenant compte des conditions concrètes de fonctionnement de l'entreprise.

35. Il résulte de ce qui précède que la méthode de reconstitution du chiffre d'affaires employée par le service vérificateur n'est ni radicalement viciée, ni excessivement sommaire. La SARL Brial ne proposant pas davantage devant la cour qu'en première instance une méthode plus pertinente, l'administration fiscale pouvait comme elle l'a fait se fonder sur les résultats de la méthode décrite ci-dessus pour déterminer le montant du chiffre d'affaires et du résultat de la société requérante au titre des exercices en litige.

Sur les pénalités :

36. Aux termes du 1 de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...). ". Les pénalités pour manœuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration.

37. Pour justifier l'application des pénalités pour manœuvres frauduleuses aux impositions en litige, l'administration fiscale fait état de ce que ni la SARL Brial, ni sa gérante ne pouvaient ignorer la dissimulation systématique et répétée d'une partie des recettes de la société sur l'ensemble des exercices vérifiés. A cet égard, il est établi, au vu des développements qui précèdent, que la gérante de la société, présente tout au long des périodes d'activité et responsable de l'édition des justificatifs de recettes, a procédé, ou à tout le moins ne pouvait ignorer qu'il était procédé, à l'aide du système de caisse informatisé, à des annulations de justificatifs de recettes, en particulier en ce qui concerne le chiffre d'affaires relatif à l'exploitation du bar. L'administration mentionne également l'utilisation d'un dispositif de type " zapette " permettant d'annuler systématiquement une partie des recettes. Il est relevé que les recettes non comptabilisées représentent environ 60 % du chiffre d'affaires initialement déclaré, faisant passer le coefficient de marge brute de 3 à 4,8. De surcroît, les pièces justificatives de recettes n'ont pas été présentées sur l'intégralité de la période vérifiée en ce qui concerne la caisse dédiée à l'activité du bar et sur la période du 1er avril 2011 au 1er janvier 2013 en ce qui concerne l'activité consacrée au restaurant. Ainsi, la pratique répétée et sur plusieurs exercices des annulations de recettes est de nature à démontrer une volonté de dissimulation d'une partie de ces recettes, laquelle n'est pas valablement contredite, au vu des éléments qui précèdent, par la société requérante, qui critique à nouveau la méthode de reconstitution des recettes utilisée par l'administration et soutient, d'une part, qu'elle n'a pas utilisé de manière frauduleuse le logiciel de caisse et, d'autre part, que les ruptures de séquence identifiées ne sont que la conséquence d'une utilisation normale de ce logiciel. Par suite, l'administration fiscale doit être regardée comme établissant que la SARL Brial s'est livrée à des manœuvres frauduleuses de nature à égarer son contrôle, justifiant l'application des pénalités prévues au c. du 1 de l'article 1729 du code général des impôts.

38. Enfin, la SARL Brial n'est pas fondée à se prévaloir du paragraphe 60 de l'instruction administrative référencée BOI-CF-INF-10-20-20 du 8 mars 2017, au demeurant postérieure aux exercices et à la période d'imposition en litige, qui ne comporte aucune interprétation de la loi fiscale différente de celle qui lui a été appliquée.

39. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Brial n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

40. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme demandée par la SARL Brial au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la SARL Brial à concurrence des dégrèvements des pénalités de retard d'un montant total de 27 007 euros dans les conditions énoncées au point 2 du présent arrêt.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Brial est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Brial et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur du contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2023.

2

N° 21MA00103


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00103
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières.

Contributions et taxes - Taxes sur le chiffre d'affaires et assimilées - Taxe sur la valeur ajoutée.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : MUNOZ

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-05-05;21ma00103 ?
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