Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B..., M. C... de Fontmichel et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la délibération du 20 septembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Grasse a approuvé la résiliation amiable du bail emphytéotique conclu avec la société en nom collectif Grasse-Vacances et le versement à celle-ci de la somme de 1 700 000 euros à titre d'indemnité.
Par un jugement n° 1604050 du 5 juillet 2019, le tribunal a fait droit à cette demande.
Par un arrêt n° 19MA03238 du 7 juin 2021, la Cour a rejeté l'appel formé par la société Grasse-Vacances contre ce jugement.
Par une décision n° 455186 du 16 décembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 17 juillet 2019, un mémoire enregistré le 28 février 2020, et un mémoire récapitulatif sollicité en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative et enregistré le 19 janvier 2023, la société Grasse-Vacances, représentée par la société d'avocats CMS Francis Lefebvre, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... et autres en première instance ;
3°) de mettre à leur charge la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- l'article 6 du contrat de bail n'excluait pas toute indemnisation en cas de résiliation anticipée ;
- les moyens invoqués par les demandeurs en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2019, un mémoire récapitulatif sollicité en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative et enregistré le 24 janvier 2023, et un second mémoire récapitulatif enregistré le 2 mars 2023, Mme B... et M. E..., représentés par Me Richez, demandent à la Cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la société Grasse-Vacances et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) à titre subsidiaire, de prescrire une expertise afin de déterminer les bénéfices pouvant être escomptés par la société Grasse-Vacances ;
2°) de lui allouer la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par la société Grasse-Vacances ne sont pas fondés ;
- les conseillers municipaux ont été insuffisamment informés de l'affaire ;
- l'indemnité présente le caractère d'une libéralité ;
- la Cour ne pourra retenir, comme l'exige le Conseil d'Etat, le plus élevé des deux montants, soit les bénéfices escomptés, soit le prix de cession des droits.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2020, un mémoire récapitulatif sollicité en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative et enregistré le 9 janvier 2023, et un second mémoire récapitulatif enregistré le 19 février 2023, M. de Fontmichel, représenté par Me Bleines-Ferrari, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la société Grasse-Vacances ;
2°) de mettre à la charge de la société Grasse-Vacances la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société Grasse-Vacances ne sont pas fondés ;
- l'indemnité de 1 700 000 euros n'est pas justifiée et constitue une libéralité ;
- l'avis de France Domaine porte sur la valeur vénale, est erroné et n'a pas été communiqué aux conseillers municipaux avant le vote de la délibération.
La requête d'appel a été communiquée à la commune de Grasse, qui n'a pas produit d'observations.
Par une lettre en date du 6 février 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu entre le 15 mars 2023 et le 15 juillet 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close à compter du 20 février 2023.
Par ordonnance du 13 mars 2023, la clôture immédiate de l'instruction a été prononcée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Carenzi, pour la société Grasse-Vacances, et de Me Richez, pour Mme B... et M. E..., en présence de ce dernier.
Considérant ce qui suit :
1. Par acte du 9 février 1966, la commune de Grasse (Alpes-Maritimes) a conclu un bail de droit privé, qualifié d'emphytéotique, d'une durée de soixante ans avec la société civile immobilière Grasse-Vacances, devenue la société en nom collectif Grasse-Vacances, sur un terrain situé au lieu-dit Clavary, avec obligation d'y construire et d'y exploiter un village de vacances. La société Grasse-Vacances a fait part à la commune de son intention de trouver un accord pour mettre fin à ce contrat. Par une délibération du 20 septembre 2016, le conseil municipal de Grasse a autorisé son maire à résilier ce bail de manière anticipée en contrepartie du versement d'une indemnité de 1 700 000 euros à la société Grasse-Vacances. Par un jugement n° 1604050, dont la société Grasse-Vacances a relevé appel, le tribunal administratif de Nice, saisi par Mme B..., M. de Fontmichel et M. E..., a annulé cette délibération, au motif que l'article 6 du bail excluait toute indemnisation du cocontractant à l'expiration du bail. Par un arrêt n° 19MA03238 du 7 juin 2021, la Cour a rejeté l'appel dirigé contre ce jugement. Par une décision n° 455186 du 16 décembre 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la Cour.
1. Sur le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :
2. Aux termes de l'article 6 du bail de droit privé conclu entre la commune de Grasse et la société Grasse-Vacances : " A l'expiration du bail, quelles qu'en soient la cause et l'époque, la commune reprendra le terrain dans l'état où il se trouvera après les changements nécessités par l'implantation des constructions et aménagements prévus au plan qui lui est actuellement soumis, ainsi que toutes celles qui pourraient être faites par la suite avec son accord en améliorations ou augmentations. Cette reprise faite sans avoir à verser d'indemnité au preneur pour les améliorations ni pouvoir lui en réclamer, à raison des dommages ou transformations subis par le terrain pour les nouvelles implantations. ".
3. Cette stipulation, qui a pour objet d'interdire aux parties, au moment de la cessation du contrat, de revendiquer des indemnités pour les améliorations ou, réciproquement, pour les dégradations constatées, ne fait en revanche pas obstacle à ce que les parties conviennent entre elles d'une résolution anticipée et prévoient une indemnité dédommageant le preneur de la perte des droits s'attachant à la poursuite du bail. C'est donc à tort que le tribunal administratif a rejeté, pour ce motif, la demande de la société Grasse-Vacances.
4. Il y a lieu pour la Cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'ensemble des autres moyens d'annulation présentés par Mme B..., M. de Fontmichel et M. E... en première instance et en appel, et maintenus dans les mémoires récapitulatifs produits à la suite de l'invitation qui leur a été faite par la Cour sur le fondement de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative.
2. Sur les autres moyens présentés par les demandeurs de première instance :
2.1. En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante information des conseils municipaux :
5. Aux termes de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales : " Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la commune qui font l'objet d'une délibération. ".
6. Comme l'a jugé le Conseil d'Etat dans sa décision n° 455186 du 16 décembre 2022, les parties à un contrat peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, l'allocation au cocontractant d'une indemnisation excédant le montant du préjudice qu'il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat. Ainsi qu'il l'a également jugé, les parties pouvaient, pour déterminer le montant maximal de cette indemnité, retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail.
7. En l'espèce, les conseillers municipaux ont été informés des conditions de la résiliation qu'ils devaient approuver, et notamment du montant de l'indemnité prévue, soit 1 700 000 euros. Ils ont en outre été informés du contenu de l'avis du service France Domaine en date du 15 septembre 2016, qui chiffrait la valeur vénale du terrain à 5 500 000 euros, et précisait que " compte tenu des travaux de remise en état à réaliser, la somme de 1 700 000 euros [prévue à titre d'indemnité de résiliation] ne sembl[ait] pas incohérente ". Eu égard à la nature de l'obligation d'information résultant de l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales, la circonstance que l'avis de France Domaine n'est ni justifié, ni précis, est sans incidence sur la légalité de la délibération attaquée.
8. Enfin, la circonstance que l'avis du service France Domaine n'a pas été communiqué aux conseillers municipaux avant la séance du 20 septembre 2016 où ils ont délibéré est sans influence sur la régularité de la procédure, dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils ont été informés, lors de leur délibération de l'existence et du contenu de cet avis.
9. Les requérants de première instance ne sont donc pas fondés à soutenir que le droit d'être informé prévu par l'article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales a été méconnu.
2.2. En ce qui concerne le moyen tiré de ce que l'indemnité avait le caractère d'une libéralité :
10. D'une part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction des requêtes.
11. D'autre part, ainsi qu'il a été rappelé au point 6, les parties à un contrat conclu par une personne publique peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation amiable du contrat, sous réserve qu'il n'en résulte pas, au détriment de la personne publique, l'allocation au cocontractant d'une indemnisation excédant le montant du préjudice qu'il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat. Pour déterminer le montant maximal de cette indemnité, il y a lieu de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir, soit à la valeur des droits issus du bail.
12. Ainsi qu'il a été dit au point 7, l'avis du service de France Domaine en date du 15 septembre 2016, après avoir chiffré la valeur vénale du terrain à 5 500 000 euros, a précisé que " compte tenu des travaux de remise en état à réaliser, la somme de 1 700 000 euros [prévue à titre d'indemnité de résiliation] ne sembl[ait] pas incohérente ". La société Grasse-Vacances produit en outre une expertise privée qu'elle a fait réaliser pour son propre compte le 20 septembre 2016 par le cabinet Vif Expertise, et qui aboutit à un montant très voisin en retenant une valeur locative annuelle de 256 000 euros et en capitalisant les flux de loyers. En se bornant à faire valoir, d'une part, que ces évaluations ne sont pas justifiées et, d'autre part, que le coût de la remise en état des lieux n'a pas été chiffré, les demandeurs de première instance ne fournissent aucune critique sérieuse de ces évaluations. Dès lors, ils ne produisent pas d'élément de nature à établir que l'indemnité de 1 700 000 euros serait excessive au regard de la valeur des droits issus du bail. Il résulte dès lors de ce qui a été dit au point précédent que la circonstance, à la supposer établie, que le bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir, était inférieur au montant de l'indemnité, est sans incidence sur le présent litige.
2.3. En ce qui concerne l'illicéité de la " transaction " :
13. Le contrat approuvé par la délibération attaquée, qui a pour objet de prévoir la résolution amiable d'un contrat, ne peut s'analyser comme un contrat de transaction, lequel a pour seul objet, en vertu de l'article 2052 du code civil, de terminer une contestation née ou de prévenir une contestation à naître. Les parties ne peuvent donc utilement invoquer la méconnaissance des règles s'imposant à de telles conventions.
14. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, la société Grasse-Vacances est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 20 septembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Grasse a approuvé la résiliation amiable du bail emphytéotique conclu entre la commune et la société et le versement à celle-ci de la somme de 1 700 000 euros à titre d'indemnité.
3. Sur les frais liés au litige :
15. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la société Grasse-Vacances, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des conseillers municipaux intimés une somme à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1604050 du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de Mme B..., M. de Fontmichel et M. E... est rejetée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Grasse-Vacances est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Grasse-Vacances, à la commune de Grasse, à Mme A... B..., à M. C... de Fontmichel et à M. D... E....
Délibéré après l'audience du 3 avril 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 avril 2023.
N° 22MA03094 2