Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D..., M. G... K... et M. I... J... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la délibération n° 2016-164 du 20 septembre 2016 par laquelle le conseil municipal de Grasse a autorisé le maire à résilier par anticipation le bail emphytéotique conclu avec la SNC Grasse-Vacances en contrepartie du versement de la somme de 1 700 000 euros à cette dernière.
Par un jugement n° 1604050 du 5 juillet 2019, le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 20 septembre 2016.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 juillet 2019 et le 28 février 2020, la SNC Grasse-Vacances, représentée par CMS Francis Lefebvre avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 juillet 2019 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... et autres en première instance ;
3°) de mettre à leur charge la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- l'article 6 du contrat de bail n'excluait pas toute indemnisation en cas de résiliation anticipée ;
- les moyens invoqués par les demandeurs en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2019, Mme D... et M. J..., représentés par Me C..., demandent à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la SNC Grasse-Vacances ;
2°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de la SNC Grasse-Vacances et de la commune de Grasse en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par la SNC Grasse-Vacances ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 janvier 2020, M. K..., représenté par Me L..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la SNC Grasse-Vacances ;
2°) de mettre la somme de 5 000 euros à la charge de la SNC Grasse-Vacances en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la SNC Grasse-Vacances ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la commune de Grasse, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. E...,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me de la Hosseraye, représentant la SNC Grasse-Vacances, de Me A..., substituant Me C..., avocat de Mme D... et de M. J..., et de Me F..., substituant Me L..., avocat de M. K....
Une note en délibéré a été enregistrée le 28 mai 2021 pour la SNC Grasse-Vacances.
Considérant ce qui suit :
1. Par un bail emphytéotique conclu le 9 février 1966 pour une durée de soixante ans, la commune de Grasse a donné à bail à la SCI Grasse Vacances, devenue la SNC Grasse-Vacances, un terrain d'environ dix-sept hectares situé au lieu-dit Clavary, pour l'établissement d'un village de vacances.
2. Par une délibération du 20 septembre 2016, le conseil municipal de Grasse a autorisé le maire à résilier par anticipation le bail emphytéotique conclu avec la SNC Grasse-Vacances en contrepartie du versement de la somme de 1 700 000 euros à cette dernière.
3. La SNC Grasse-Vacances fait appel du jugement du 5 juillet 2019 par lequel le tribunal administratif de Nice, saisi par Mme D..., M. K... et M. J... en qualité de conseillers municipaux, a annulé la délibération du 20 septembre 2016.
Sur la régularité du jugement :
4. Contrairement à ce que soutient la SNC Grasse-Vacances, le jugement attaqué est suffisamment motivé, quand bien même il ne répondrait pas à un de ses arguments invoqués en première instance.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. Le tribunal administratif a retenu que les stipulations de l'article 6 du bail, selon lesquelles : " à l'expiration du bail, quelles qu'en soient la cause et l'époque, la commune reprendra le terrain dans l'état où il se trouvera après les changements nécessités par l'implantation des constructions et aménagements prévus au plan qui lui est actuellement soumis, ainsi que toutes celles qui pourraient être faites par la suite avec son accord en améliorations ou augmentations. Cette reprise faite sans avoir à verser d'indemnité au preneur pour les améliorations ni pouvoir lui en réclamer, à raison des dommages ou transformations subis par le terrain pour les nouvelles implantations. ", faisaient obstacle à l'indemnisation du cocontractant de l'administration à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité.
6. Pour contester l'annulation prononcée par le tribunal administratif, la SNC Grasse-Vacances fait valoir que cette clause n'exclut pas, en cas de résiliation anticipée, l'indemnisation des droits sur l'immeuble auxquels renonce le preneur pour la durée du bail restant à courir.
7. Il ressort toutefois des pièces du dossier que le seul élément factuel et circonstancié sur lequel le conseil municipal s'est fondé pour fixer le montant de l'indemnité à verser à la SNC Grasse-Vacances est un avis du service des domaines du 15 septembre 2016 évaluant à 5,5 millions d'euros la valeur vénale du terrain au regard des constructions édifiées. Le même avis ajoute que la somme de 1,7 million d'euros n'est pas incohérente compte tenu des travaux de remise en état à réaliser. En prévoyant l'indemnisation de la SNC Grasse-Vacances à hauteur de la valeur vénale du terrain incluant les constructions existantes, alors que l'article 6 du bail exclut l'indemnisation du preneur au titre des constructions et aménagements qu'il a réalisés y compris en cas de résiliation anticipée, la commune a procédé à une concession manifestement disproportionnée, constitutive d'une libéralité.
8. En outre, compte tenu de l'obligation du preneur d'entretenir et d'exploiter un village de vacances sur le site, la valeur des droits réels auquel celui-ci est susceptible de renoncer correspond au bénéfice qu'il peut raisonnablement escompter pour la durée du bail restant à courir. La SNC Grasse-Vacances produit en appel une étude réalisée le 20 septembre 2016 par un cabinet d'expertise immobilière, qui évalue la valeur locative du site à 256 000 euros par an en appliquant un " taux d'effort " de 18% à la moyenne du chiffre d'affaires annuel de la société. L'actualisation de la valeur locative annuelle sur dix ans correspondrait ainsi à la somme de 1,7 million d'euros. Cependant ce calcul n'a aucune signification économique réelle, dès lors qu'il porte non pas sur un site où l'exploitant supporte le coût de la location, mais sur un site où l'exploitant n'est redevable que d'un loyer symbolique après avoir réalisé les constructions et amorti leur coût dans la perspective d'une exploitation de long terme. Il ressort des éléments chiffrés figurant dans la même étude que le bénéfice de la SNC Grasse-Vacances, qui exploite le site deux mois par an, ne peut être que très inférieur à la somme annuelle de 256 000 euros, raison pour laquelle elle souhaite d'ailleurs le rétrocéder à la commune. Ainsi, à même supposer que ces éléments qui n'ont pas été soumis au conseil municipal puissent être pris en compte, l'indemnité de 1 700 000 euros prévue au profit de la SNC Grasse-Vacances reste une concession manifestement disproportionnée, constitutive d'une libéralité.
9. Il résulte de ce qui précède que la SNC Grasse-Vacances n'est pas fondée à se plaindre de que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la délibération du 20 septembre 2016 du conseil municipal de Grasse.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SNC Grasse-Vacances le versement de la somme de 1 000 euros à Mme D... et à M. J..., d'une part, et à M. K..., d'autre part, au titre des frais qu'ils ont exposés et non compris dans les dépens.
11. Il n'y a pas lieu de faire droit aux autres conclusions présentées par les parties sur le fondement du même article.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SNC Grasse-Vacances est rejetée.
Article 2 : La SNC Grasse-Vacances versera, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 000 euros à Mme D... et à M. J... d'une part, et à M. K... d'autre part.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Grasse-Vacances, à la commune de Grasse, à Mme B... D..., à M. G... K... et à M. I... J....
Délibéré après l'audience du 26 mai 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. E... et Mme H..., premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 juin 2021.
2
No 19MA03238