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14/04/2023 | FRANCE | N°21MA01744

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 14 avril 2023, 21MA01744


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier de Cannes à lui payer la somme totale de 70 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge de son père, feu M. A... B..., par cet établissement du 7 au 24 février 2017.

Par un jugement n° 1804278 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mai 2021, Mme C... B..., représentée

par Me Paloux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 mars 2021 ;

2°) de condam...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier de Cannes à lui payer la somme totale de 70 000 euros en réparation des préjudices subis du fait de la prise en charge de son père, feu M. A... B..., par cet établissement du 7 au 24 février 2017.

Par un jugement n° 1804278 du 9 mars 2021, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 7 mai 2021, Mme C... B..., représentée par Me Paloux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 mars 2021 ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Cannes à lui payer la somme de 70 000 euros, assortie des intérêts légaux et de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de ce même établissement la somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement attaqué :

- le jugement attaqué est irrégulier au regard des stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que, en présence d'un dossier médical incomplet, l'établissement hospitalier supportait la charge de la preuve de démontrer l'inexistence d'une faute ;

- le tribunal a omis de répondre à un moyen ;

S'agissant du bien-fondé du jugement attaqué :

- l'incomplétude du dossier médical du patient est constitutive d'une faute d'organisation et de fonctionnement du service hospitalier ;

- le diagnostic du patient était incomplet ;

- il n'est pas établi que feu M. B... ait fait l'objet d'un suivi médical les 18, 19 et 20 février 2017 ;

- l'épouse de feu M. B... et sa fille n'ont pas été informées régulièrement de l'état de santé de feu M. B... ;

- la mise sous sédation de feu M. B... n'a pas respecté le protocole de fin de vie, tel que défini à l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique ;

- l'absence de suivi, de diagnostic complet de son état de santé et de traitement adapté de feu M. B... ont fait perdre à celui-ci une chance d'échapper à son décès, à un taux de 80 % ;

- elle évalue, avant application du taux de perte de chance, avoir droit au versement de la somme de 20 000 euros au titre du préjudice d'affection ;

- les fautes commises par le centre hospitalier ont causé des souffrances à son père, évaluées à la somme de 20 000 euros ;

- son préjudice moral lui ouvre droit au versement de la somme de 50 000 euros.

Par un mémoire, enregistré le 16 mai 2022, la caisse primaire d'assurance maladie du Var informe la cour qu'elle n'entend pas formuler de demande indemnitaire et indique que le montant de ses débours s'élève à la somme de 14 823,53 euros.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 18 mai et 23 juin 2022, le centre hospitalier de Cannes, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés et que, à titre subsidiaire, les demandes indemnitaires qu'elle formule doivent être ramenées à de plus justes proportions.

La clôture de l'instruction a été fixée au 22 juillet 2022, par application des dispositions de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 19 mai 2022.

Un mémoire, enregistré le 21 juillet 2022, a été présenté pour Mme B..., représentée par Me Paloux, et n'a pas été communiqué.

Par un courrier du 30 janvier 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé dès lors que, en méconnaissance de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal s'est abstenu de communiquer à la caisse primaire d'assurance maladie la demande présentée par Mme C... B... alors que cette dernière formulait des prétentions indemnitaires en réparation du préjudice subi par la victime directe elle-même.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Pelgrin, substituant Me Paloux, représentant Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Feu M. A... B... a été pris en charge le 7 février 2017 au sein du service des urgences du centre hospitalier de Cannes, en raison d'une altération de son état général, caractérisée notamment par une dyspnée et un syndrome confusionnel. Une infection pulmonaire a été mise en évidence, traitée par antibiothérapie. Transféré le 9 février au sein du service de court séjour gériatrique, son état s'est toutefois dégradé et il est décédé le 24 février 2017. Sa fille, Mme B..., relève appel du jugement du 9 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier de Cannes soit condamné à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la prise en charge de son père à titre personnel et en qualité d'héritière de ce dernier.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes du huitième alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel : " L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun ou réciproquement... ". Il appartient au juge administratif d'assurer, en tout état de la procédure, le respect de ces dispositions. Ainsi, le tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident doit appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée et la cour administrative d'appel, saisie dans le délai légal d'un appel de la victime, doit également appeler en cause cette même caisse, la méconnaissance de ces obligations entachant le jugement ou l'arrêt d'une irrégularité que le juge d'appel ou le juge de cassation doit, au besoin, relever d'office. Toutefois, lorsqu'un jugement ayant statué sur des conclusions indemnitaires de la victime fait l'objet d'un appel de cette dernière, la caisse appelée en cause par la cour administrative d'appel ne peut régulièrement présenter devant le juge d'appel d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, en y ajoutant seulement, le cas échéant, celles tendant au remboursement des prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement. Il n'en va différemment que si le tribunal a, à tort, omis de mettre la caisse en cause devant lui, auquel cas celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes.

3. Il résulte de l'instruction que le tribunal s'est abstenu de communiquer à la caisse primaire d'assurance maladie la demande présentée par Mme B... alors que cette dernière formulait des prétentions indemnitaires en réparation du préjudice subi par la victime directe elle-même. Le tribunal administratif de Nice a ainsi entaché son jugement d'irrégularité. Ce jugement doit par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens soulevés à ce titre par la requérante, être annulé.

4. La caisse primaire d'assurance maladie du Var ayant été mise en cause par la cour, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Nice.

Sur le principe de responsabilité :

5. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. ".

6. D'autre part, aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que feu M. B..., né le 27 juillet 1924, a été pris en charge le 7 février 2017 au sein du service des urgences du centre hospitalier de Cannes, en raison d'une altération de son état général et qu'il est décédé au cours de la prise en charge par cet établissement le 24 février 2017. La requérante soutient que le centre hospitalier de Cannes a commis plusieurs manquements dans la prise en charge de son père dès lors que les examens nécessaires au diagnostic et le traitement administré ont été insuffisants et inadaptés à l'état de santé du patient. Elle fait notamment valoir que, lorsque son père a été initialement admis au service des urgences pour une altération de son état général, aucun signe n'annonçait un décès imminent, et ajoute que, le 9 février, une demande d'entrée en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes avait été réalisée en concertation avec les services hospitaliers. Elle soutient enfin que l'équipe médicale n'était pas assez présente et que son père a perdu dix kilogrammes en quelques jours sans qu'une réponse appropriée ne soit apportée.

8. En défense, le centre hospitalier fait valoir qu'il n'a commis aucun des manquements reprochés par Mme B..., sans toutefois produire d'élément susceptible d'éclaircir la cour sur la cause de la dégradation de l'état de santé de feu M. B... et de s'assurer que la prise en charge correspondrait aux bonnes pratiques médicales.

9. Il s'en suit que, en l'état des informations dont elle dispose, la cour n'est en mesure d'apprécier ni si des manquements aux bonnes pratiques médicales ont été commis lors de la prise en charge de feu M. B... ni, le cas échéant, si ceux-ci ont joué un rôle causal dans la survenue de son décès et dans quelle mesure, ni, en outre, l'existence et l'ampleur des préjudices qui en seraient la conséquence. Il y a donc lieu d'ordonner une expertise aux fins qui seront précisées dans le dispositif de la présente décision et de réserver jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1804278 du 9 mars 2021 du tribunal administratif de Nice est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de Mme B..., procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour, à une expertise avec mission de :

1°) se faire communiquer l'entier dossier médical de feu M. B... et plus généralement tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

2°) décrire son état de santé antérieur à son admission au centre hospitalier de Cannes à compter du 7 février 2017, en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les séquelles en lien avec les soins dispensés ;

3°) décrire les conditions dans lesquelles feu M. B... a été pris en charge dans les services du centre hospitalier de Cannes ;

4°) réunir tous éléments devant permettre de déterminer si des erreurs, manquements ou négligences ont été commis par le centre hospitalier de Cannes dans l'établissement du diagnostic, l'accomplissement des soins, ainsi, éventuellement, que dans le fonctionnement ou l'organisation du service ;

5°) rechercher si les traitements administrés par le centre hospitalier de Cannes étaient adaptés à l'état de feu M. B... et dire notamment si les soins prodigués ont été consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science médicale de l'époque ou si, le cas échéant, des manquements ont été commis lors de sa prise en charge ; plus généralement dire si le centre hospitalier de Cannes ne devait pas apporter d'autres soins pour éviter le décès de feu M. B... ;

6°) dans l'hypothèse où des manquements des services hospitaliers mis en cause seraient relevés, indiquer précisément les séquelles en relation directe et exclusive avec chacun de ces manquements, déterminer, dans le cas où ces manquements ne seraient pas la cause directe des préjudices subis mais auraient fait perdre à feu M. B... des chances de les éviter, l'importance de cette perte de chance, en pourcentage ;

7°) dégager l'ensemble des éléments propres à justifier l'indemnisation des préjudices subis par feu M. B... jusqu'à son décès en relation stricte avec les manquements relevés et tout autre élément permettant à la cour de se prononcer sur la nature et l'étendue des préjudices résultant du décès ;

8°) d'indiquer, dans sa conclusion, de façon récapitulative et succincte, les circonstances, les causes et l'étendue des dommages subis par feu M. B... ;

9°) s'il y a lieu, de faire toutes autres constatations nécessaires, d'entendre les observations de tous intéressés et d'annexer à son rapport tous documents utiles.

Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la cour. L'expert déposera son rapport au greffe de la cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par le président de la cour dans sa décision le désignant.

Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., au centre hospitalier de Cannes et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.

Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Délibéré après l'audience du 30 mars 2023 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Mahmouti, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 avril 2023.

2

N° 21MA01744


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01744
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : PALOUX

Origine de la décision
Date de l'import : 30/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-04-14;21ma01744 ?
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