Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... née B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 25 juillet 2019 par laquelle le président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation, d'autre part, d'enjoindre audit président de lui délivrer une fiche de poste correspondant aux fonctions dans lesquelles elle est affectée, dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement à intervenir et sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, et de la réintégrer dans des fonctions clairement définies et correspondant à ses compétences et qualifications, dans un délai d'un mois à compter de cette même notification et sous une astreinte de 200 euros par jour de retard, et, enfin, de mettre à la charge de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1908206 du 16 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision du président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes du 25 juillet 2019 et a enjoint à ce dernier tant de réintégrer juridiquement Mme D... dans ses fonctions à compter du 25 juillet 2019 que de réexaminer sa situation administrative, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, avant de mettre à la charge de cette chambre consulaire une somme de 1 500 euros à verser à Mme D... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2022, la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, représentée par Me Fraysse, demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 février 2022 ;
2°) de mettre à la charge de Mme D... la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions du statut général de la fonction publique portant droit et obligations des fonctionnaires ne s'appliquent pas au personnel administratif des chambres d'agriculture ;
- le considérant 1 du jugement attaqué a été pris au mépris des dispositions relatives à la procédure disciplinaire du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture dès lors qu'il omet de rappeler que, par courrier du 10 avril 2014, son président a, après avoir rappelé les faits, griefs et manquements reprochés à Mme D..., leur haut niveau de gravité et le caractère disciplinaire de la procédure tendant à sa révocation, informé cette dernière, conformément aux dispositions de l'article 24 de ce statut, de son droit à l'information quant à la communication de son dossier, qu'elle était en mesure de prendre communication de ce dossier et que, pour ce faire, elle pouvait se présenter à son siège le mardi 22 avril 2014, à 8 heures ;
- la décision contestée portant révocation a été prise régulièrement et conformément aux dispositions de l'article 24 du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture ; le tribunal administratif de Marseille a fait une mauvaise appréciation des clauses de ce statut ; l'attitude de Mme D... doit conduire à écarter le motif retenu tiré de l'absence d'information sur le droit à la communication de son dossier ; elle ne s'est pas déplacée pour prendre connaissance de son dossier et la copie de pièces du dossier lui a été adressée conformément à sa demande ; le délai entre la mise en mesure de prendre communication de son dossier et la sanction n'est pas de son fait mais il incombe aux délais nécessaires à l'aboutissement des multiples procédures engagées par Mme D... ;
- la réalité des griefs et des manquements reprochés à Mme D... qui sont mentionnés dans le courrier du 10 avril 2014 n'est pas contestée ;
- ces griefs et ces manquements se sont prolongés après les mises en demeure des 10 décembre 2013 et 12 février 2014 ; les garanties de la procédure disciplinaire ne s'appliquent donc pas ;
- Mme D... a rompu le lien qui l'unissait au service ;
- Mme D... exerce une activité professionnelle rémunérée, permanente à temps complet dans une entreprise du secteur privé, sans y avoir été autorisée et sans que cette activité soit au nombre de celles pour lesquelles un cumul peut être autorisé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2022, Mme D..., représentée par Me Ducrey-Bompard, conclut au rejet de la requête, et, en tout état de cause, à l'annulation de la décision du président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes du 25 juillet 2019 et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de cette chambre consulaire au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement attaqué du 16 février 2022 n'est pas irrégulier : le moyen tiré de son irrégularité manquant en fait et il devra être confirmé, les moyens de la requête présentée par la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes n'étant pas fondés ;
- au-delà du vice de procédure tiré de l'absence de communication de son dossier personnel, la décision contestée du 25 juillet 2019 est entachée d'autres vices qui affectent sa légalité et justifient son annulation :
. en méconnaissance des articles 24 et 25 du statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, aucun avis de la commission paritaire régionale (CPR) n'a été émis préalablement à sa révocation, notamment quant au montant de l'indemnité accordée ;
. le refus de lui communiquer la fiche de poste afférente à l'emploi sur lequel la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes affirme l'avoir réaffectée est constitutif d'une méconnaissance du principe du contradictoire tel qu'il découle de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
. aucun abandon de poste ne peut être retenu en l'espèce et la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes ne pouvait pas, sans commettre d'erreur de droit et de détournement de pouvoir, prononcer sa révocation pour un tel abandon de poste, absence de service fait et absence de justification valable de cette absence.
Un courrier du 23 septembre 2022, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 1er décembre 2022, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres des métiers ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le statut du personnel administratif des chambres d'agriculture homologué par l'arrêté du 20 mars 1972 modifié du secrétaire d'Etat à l'agriculture ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Fraysse, représentant la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, et de Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. La chambre d'agriculture des Hautes-Alpes relève appel du jugement du 16 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a, à la demande de Mme D..., annulé la décision du 25 juillet 2019 par laquelle son président avait infligé à cette dernière la sanction disciplinaire de révocation avec effet immédiat et a enjoint audit président de la réintégrer juridiquement dans ses fonctions, à compter de cette même date, et de réexaminer sa situation administrative, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué du tribunal administratif de Marseille du 16 février 2022 :
2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, les premiers juges n'ont, dans leur jugement attaqué, ni visé, ni appliqué les dispositions de la loi susvisée du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Il suit de là que ce moyen ne peut qu'être écarté comme manquant en fait.
3. En deuxième lieu, la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes estime que le " considérant 1 " du jugement attaqué rendu par le tribunal administratif de Marseille le 16 février 2022 a été pris au mépris des dispositions relatives à la procédure disciplinaire contenues dans le statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, motif pris de ce que les premiers juges ont omis d'y rappeler que, par un courrier du 10 avril 2014, son président avait, conformément aux dispositions de l'article 24 de ce statut, informé Mme D... de son droit à la communication de son dossier et qu'il lui avait indiqué que, pour ce faire, elle pouvait se présenter à son siège le mardi 22 avril 2014, à 8 heures. Mais alors que le point 1 de ce jugement n'a vocation qu'à récapituler les circonstances de fait ayant donné lieu au litige dont le tribunal administratif de Marseille était saisi, un tel moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant.
4. En troisième et dernier lieu, d'une part, aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers : " La situation du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers de France est déterminée par un statut établi par des commissions paritaires nommées, pour chacune de ces institutions, par le ministre de tutelle ". Selon l'article 4 du statut des personnels administratifs des chambres d'agriculture homologué par l'arrêté du 20 mars 1972 susvisé : " Il est institué pour chaque agent un dossier comprenant tous les documents qui le concernent et dont la composition est fixée par le règlement intérieur de l'organisme employeur. / Sont portés au dossier de chaque agent, les appréciations écrites, avancements, sanctions et toute modification de sa situation. / Ne peut figurer à ce dossier aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de l'intéressé. / Le dossier est détenu par l'organisme employeur sous la responsabilité du Président et doit être communiqué à l'intéressé sur sa demande. " Aux termes de l'article 24 du même statut : " Les mesures disciplinaires applicables aux agents titulaires peuvent être : a/ l'avertissement par écrit, / b/ le blâme avec inscription au dossier, / c/ la révocation. / Ces sanctions sont prononcées par le président de l'organisme employeur. Toutefois, dans les deux derniers cas, les sanctions sont prononcées après avis de la commission paritaire compétente et après que l'agent ait été mis en mesure de prendre communication de son dossier et de connaître les faits reprochés (...) ". Enfin, aux termes de l'article 25 dudit statut : " La cessation d'emploi de l'agent après son engagement définitif ne peut intervenir que dans les cas suivants : / (...)
3°/ par révocation par mesure disciplinaire après observations des formalités prescrites en matière disciplinaire et avis de la commission paritaire compétente (...) ". Ces dernières dispositions impliquent notamment qu'il soit fait droit à la demande de communication de son dossier à l'agent concerné par une procédure disciplinaire dès lors que cette demande est présentée avant que l'autorité disposant du pouvoir de sanction se prononce.
5. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie (Conseil d'Etat, Section, 23 décembre 2011, n° 335477, A).
6. Au cas particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que, en dépit de la demande en ce sens qu'elle a formulée auprès du président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, par un courrier daté du 1er juillet 2019, Mme D... se soit vue communiquer les pièces constitutives de son dossier personnel, préalablement à l'édiction de la décision contestée du 25 juillet 2019 par laquelle ce même président lui a infligé la sanction disciplinaire de révocation. A supposer même que, préalablement à la notification de cette décision, l'intimée ait pu prendre connaissance de la lettre signée le même jour par le président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes, elle n'aurait pas pu pour autant être regardée comme ayant été mise à même de consulter son dossier, d'une part, compte tenu du trop bref délai qui lui aurait ainsi été laissé pour présenter des observations en réponse et, d'autre part, alors que les circonstances avancées par ledit président, dans cette lettre, selon lesquelles elle avait déjà refusé de prendre connaissance de son dossier suite à un courrier du 10 avril 2014 qui l'invitait à le faire et qu'aucune personne au sein de la chambre d'agriculture appelante n'était en capacité de lui répondre alors qu'elle n'avait pas respecté les procédures et sollicité un rendez-vous n'étaient pas de nature à dispenser l'administration de son obligation de faire droit à sa demande de communication de son dossier avant que ne soit prise la décision contestée. En outre, la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes ne peut utilement se prévaloir de ce que les procédures contentieuses engagées par Mme D... l'aurait obligée à différer sa décision portant révocation, ni davantage de ce qu'en exécution du jugement attaqué, par un courrier du 30 mars 2022, le président de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes a invité l'intimée au siège de cette chambre consulaire afin de prendre communication de son dossier ou encore qu'il lui aurait alors adressé des pièces constitutives de ce dossier. Dans ces conditions, et alors même que la demande présentée par Mme D... était postérieure à la réunion, le 6 juin 2017, de la commission régionale paritaire Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la décision contestée du 25 juillet 2019 était intervenue à la suite d'une procédure irrégulière et que l'intimée avait ainsi été en l'espèce privée d'une garantie. Pour ce motif, cette décision devait être annulée.
7. Il résulte de tout ce qui précède que la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement attaqué du 16 février 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision de son président du 25 juillet 2019.
Sur les frais liés au litige :
8. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
9. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
10. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, et sur le fondement de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes la somme de 2 000 euros à verser à Mme D....
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes est rejetée.
Article 2 : La chambre d'agriculture des Hautes-Alpes versera une somme de 2 000 euros à Mme D... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre d'agriculture des Hautes-Alpes et à Mme C... D... née B....
Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.
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No 22MA01123
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