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14/03/2023 | FRANCE | N°21MA01631

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 14 mars 2023, 21MA01631


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler la décision du 25 octobre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre à ce dernier, à titre principal, de lui accorder ce bénéfice, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice ad

ministrative.

Par un jugement n° 1803969 du 8 mars 2021, le tribunal admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... A... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler la décision du 25 octobre 2018 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle, d'autre part, d'enjoindre à ce dernier, à titre principal, de lui accorder ce bénéfice, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1803969 du 8 mars 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 avril 2021 et 6 décembre 2022, M. A... D..., représenté par Me Constans, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 8 mars 2021 ;

2°) d'annuler cette décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 25 octobre 2018 ;

3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de lui accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur la critique du jugement du 8 mars 2021 :

- le tribunal administratif de Toulon a dénaturé les faits de l'espèce et entaché son jugement de plusieurs erreurs de droit et de fait ;

- c'est à tort que les premiers juges ont procédé à une substitution de motifs alors que le garde des sceaux, ministre de la justice, contrairement à ce qu'il affirme dans son mémoire en défense produit devant la Cour, ne l'avait pas demandée et que cette substitution a eu pour effet de le priver d'une garantie alors qu'il n'a pas pu présenter ses observations ;

- il a demandé, le 30 mai 2018, à être protégé contre les agissements de son agresseur tout en relevant l'absence de réaction de sa hiérarchie qui avait pourtant été dûment informée de son agression ; en n'évoquant pas cette dimension de sa demande de protection fonctionnelle, le tribunal administratif de Toulon a commis une erreur de fait, voire une erreur de droit ;

- le tribunal administratif de Toulon a également adopté une analyse erronée quant au périmètre de sa demande de protection fonctionnelle : il s'est focalisé sur les deux seuls évènements des 6 février 2017 et 14 mai 2018 alors qu'il évoquait d'autres actes de harcèlement pendant l'année 2017 ainsi que l'inertie de l'administration qui était informée de ces faits ; en ne procédant pas à l'examen des fautes commises par l'administration en tant qu'elle n'a pas diligenté d'enquête administrative pour vérifier la matérialité de ces faits et qu'elle n'a pas mis en place des mesures pour l'éloigner physiquement de son agresseur, le tribunal administratif de Toulon a entaché son jugement du 8 mars 2021 d'erreurs de droit, voire d'omissions à statuer ;

- dans les développements contenus au point 11 de son jugement du 8 mars 2021, le tribunal administratif de Toulon s'est livré une analyse contradictoire et il a donc entaché sa décision d'une erreur de fait ou d'une contradiction de motifs ;

Sur le fond :

- il été victime de harcèlement moral au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et l'administration ; le garde des sceaux, ministre de la justice, a méconnu son obligation de sécurité découlant des dispositions de l'article 23 du statut général de la fonction publique et de celles de la circulaire du 31 octobre 2013 relative à l'évaluation des risques professionnels pour la santé et la sécurité des personnels du ministère de la justice ;

- la décision contestée du 25 octobre 2018 est illégale :

. elle est entachée d'une erreur de fait, d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation ;

. cette décision est également entachée du vice d'incompétence ;

. ce moyen est un moyen d'ordre public qui peut être soulevé pour la première fois en appel ;

. rien ne permet de s'assurer que la directrice de greffe bénéficiait, le 25 octobre 2018, d'une délégation qui lui permettrait de signer une décision de refus d'octroi de la protection fonctionnelle à un agent, au nom du garde des sceaux, ministre de la justice ;

. alors que la décision contestée depuis l'origine, la seule dont il a eu connaissance et à laquelle n'était jointe aucune pièce, est datée du 25 octobre 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, prétend, dans son mémoire en défense, qu'il ne s'agirait que d'une notification d'une décision prise par la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature le 15 octobre 2018 ; la Cour constatera le caractère ambigu du procédé dès lors que le garde des sceaux, ministre de la justice, ne verse pas aux débats cette prétendue décision, qu'il ne démontre pas que cette sous-directrice aurait bénéficié d'une délégation en bonne et due forme pour prendre une telle décision et qu'il ne prétend même pas que cette décision lui aurait été notifiée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er décembre 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- sur la régularité du jugement attaqué : c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulon a relevé qu'il devait être regardé comme demandant qu'au motif tiré de l'absence de lien entre les faits allégués et l'exercice des fonctions de greffier, soit substitué celui tiré de ce que M. A... D... n'avait pas subi de harcèlement moral ou d'autres faits de nature à justifier l'octroi de la protection fonctionnelle ; en tout état de cause, la substitution de motifs pouvant, conformément à la jurisprudence issue de la décision n° 240560 du 6 février 2004, être demandée par l'administration en première instance comme en appel, il sollicite cette substitution du motif de la décision 25 octobre 2018 ;

- sur l'effet dévolutif :

. la décision du 15 octobre 2018 a été signée par la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature ; la directrice de greffe lui a uniquement notifié la décision et n'est en aucun cas la signataire de la décision attaquée ; ainsi, M. A... D... n'est pas fondé à soutenir que la décision en cause serait entachée de l'incompétence de son auteur ;

. le moyen tiré de l'erreur de droit n'est pas fondé ;

. il s'en remet en tant que de besoin aux écritures produites en première instance.

Par une ordonnance du 1er décembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 décembre 2022, à 12 heures.

En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la Cour a demandé, le 18 janvier 2023, au garde des sceaux, ministre de la justice, de produire une copie de la décision du 15 octobre 2018 dont il se prévaut dans son mémoire en défense susvisé et par laquelle il aurait rejeté la demande de M. A... D... tendant à ce que lui soit accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Duval-Zouari, substituant Me Constans, représentant M. A... D....

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 30 mai 2018, M. Deli Boyadjian, greffier des services judiciaires au tribunal de grande instance de Toulon, affecté au service centralisateur des frais de justice, a demandé le bénéfice de la protection fonctionnelle en raison des violences psychologiques dont il aurait été victime le 6 février 2017, des faits de harcèlement qui s'en seraient suivis durant l'année 2017 et de l'injure raciste qui aurait été proférée à son encontre le 14 mai 2018. Par une lettre du 25 octobre 2018, la directrice de greffe du tribunal de grande instance de Toulon l'a informé que le garde des sceaux, ministre de la justice, avait rejeté cette demande le 15 octobre 2018. M. A... D... relève appel du jugement du 8 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande que cette juridiction a regardée comme tendant à l'annulation de la décision du 25 octobre 2018.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué du tribunal administratif de Toulon du 8 mars 2021 :

2. Il ressort des pièces du dossier que, par cette lettre du 25 octobre 2018, la directrice de greffe du tribunal de grande instance de Toulon s'est bornée à informer M. A... D... de ce que, le 15 octobre 2018, le garde des sceaux, ministre de la justice, avait décidé de rejeter sa demande datée du 30 mai 2018 tendant à l'octroi du bénéfice de la protection fonctionnelle. Cette lettre ne faisant ainsi pas grief à l'appelant, ce dernier devait être regardé comme contestant la légalité de cette décision du garde des sceaux, ministre de la justice du 15 octobre 2018. Dans son mémoire en défense susvisé, le ministre intimé fait valoir que cette décision du 15 octobre 2018 a été signée par Mme E... C..., sous-directrice des ressources humaines de la magistrature. Toutefois, en dépit de l'invitation susvisée qui lui a été adressée, le 18 janvier 2023, sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, il n'a pas versé aux débats une copie de cette décision. La Cour étant ainsi dans l'impossibilité de s'assurer que Mme C... est bien la signataire de cette décision, le moyen tiré du vice d'incompétence, que, dans son mémoire complémentaire, l'appelant redirige contre cette décision du 15 octobre 2018, ne peut qu'être accueilli, et ce nonobstant les dispositions de l'article 1er du décret susvisé du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, et la circonstance que, par un décret du Président de la République en date du 18 juin 2018, librement accessible sur le site Internet Légifrance, Mme C..., magistrate judiciaire, a été placée en position de détachement auprès de l'administration centrale du ministère de la justice afin d'occuper l'emploi de sous-directrice des ressources humaines de la magistrature à la direction des services judiciaires, pour une durée d'un an, à compter du 1er juin 2018. Pour ce motif, et alors qu'aucun des autres moyens de la requête n'est mieux à même de régler le litige, M. A... D... est fondé à demander l'annulation de cette décision du 15 octobre 2018.

3. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué du tribunal administratif de Toulon du 8 mars 2021 doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner sa régularité.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

4. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. (...) ". Selon l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...), la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. (...) ".

5. Le présent arrêt n'implique pas nécessairement, compte tenu du motif d'annulation retenu par la Cour, l'octroi de la protection fonctionnelle à M. A... D..., mais seulement le réexamen par le garde des sceaux, ministre de la justice, de sa demande tendant à cette même fin. Il y a donc lieu d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de réexaminer cette demande et de prendre une nouvelle décision, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

6. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

7. Dans les circonstances de l'espèce et sur le fondement de ces dispositions, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser à M. A... D....

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1803969 du tribunal administratif de Toulon du 8 mars 2021 est annulé.

Article 2 : La décision du garde des sceaux, ministre de la justice, du 15 octobre 2018 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder au réexamen de la demande présentée par M. A... D... par un courrier daté du 30 mai 2018, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat (garde des sceaux, ministre de la justice) versera à M. A... D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A... D... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 28 février 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2023.

2

No 21MA01631

ot


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA01631
Date de la décision : 14/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Actes législatifs et administratifs - Validité des actes administratifs - Compétence - Délégations - suppléance - intérim - Délégation de signature.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Garanties et avantages divers - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SCP VINSONNEAU-PALIES NOY GAUER et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-03-14;21ma01631 ?
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