Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la cour a désigné M. Taormina, président assesseur de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Roux, substituant Me Dalmasso représentant Mme C....
Une note en délibéré présentée pour Mme C... a été enregistrée le 9 mars 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle portant sur les années 2012 et 2013 à l'issue duquel l'administration l'a informée, par une proposition de rectification du 3 novembre 2015, de son intention de mettre à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux au titre de ces années. L'administration fiscale a estimé que des revenus lui avaient été distribués par la société Héliservice Lux, spécialisée dans le domaine du transport par hélicoptère, et que des revenus d'origine indéterminée avaient été crédités sur ses comptes bancaires. Mme C... relève appel du jugement du 5 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient l'appelante, le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a répondu au point 7 de son jugement au moyen tiré de ce que le service n'a pas pris en compte, s'agissant de la somme de 99 470 euros qualifiée de revenu distribué au titre de l'année 2012, des charges supportées à hauteur de 80 347 euros. Mme C... n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
S'agissant de la taxation d'office des revenus d'origine indéterminée :
3. Aux termes de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales : " En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration peut demander au contribuable des éclaircissements. (...) / Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (...) ". Aux termes de l'article L. 69 du même livre : " Sous réserve des dispositions particulières au mode de détermination des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices agricoles et des bénéfices non commerciaux, sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16 ".
4. Il résulte de l'instruction, et notamment de la proposition de rectification du 3 novembre 2015, que l'administration fiscale a adressé le 2 juillet 2015 à Mme C... une demande d'éclaircissements sur l'origine de sommes portées au crédit de ses comptes bancaires, qui s'est abstenue de répondre à ce courrier. L'administration produit la lettre n° 2172 correspondante, envoyée à l'adresse personnelle de la requérante, ainsi que l'accusé réception, qui comporte la référence " 2172 ", la date de présentation du pli, soit le 10 juillet 2015, ainsi qu'une signature apposée dans la rubrique " signature du destinataire ou du mandataire ". Il suit de là que Mme C... a été régulièrement taxée d'office en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69 du livre des procédures fiscales.
S'agissant de l'existence d'un débat oral et contradictoire :
5. Si Mme C... soutient qu'elle a été privée d'un débat oral et contradictoire, il résulte de l'instruction que l'entretien proposé par l'administration le 2 février 2015 a été reporté à la demande du conseil de l'appelante et que cette dernière ne s'est pas présentée aux entretiens fixés les 24 juin et 5 octobre 2015. Au cours de l'entretien qui s'est déroulé, avant qu'une demande d'éclaircissements ne lui soit adressée, le 11 février 2015, l'appelante a produit une partie de ses relevés de compte bancaire et a été mise à même de discuter de l'origine des crédits litigieux ainsi que des charges supportées pour le compte de la société Héliservice Lux dont elle se prévaut dans ses écritures. Il ressort en outre de la réponse du service en date du 29 janvier 2016 qu'une partie des observations et justificatifs produits par le contribuable sur les revenus qualifiés d'origine indéterminée a été partiellement admise. Par suite, le moyen tiré du défaut d'un débat oral et contradictoire manque en fait et doit être écarté.
S'agissant des rectifications en matière de revenus distribués et du respect des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales :
6. D'une part, aux termes de l'article 11 du code de procédure pénale dans sa rédaction applicable au litige : " Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l'enquête et de l'instruction est secrète. / Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal. ".
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. (...) ". Aux termes de l'article L. 82 C du même livre, dans sa rédaction applicable au litige : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances. " et aux termes de l'article L. 101 de ce livre dans sa rédaction applicable au litige : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu. ". Enfin, en vertu de l'article L. 76 B dudit livre : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ".
8. L'obligation faite à l'administration fiscale, en application de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, de tenir à la disposition du contribuable qui le demande, avant la mise en recouvrement d'impositions établies au terme d'une procédure de rectification contradictoire ou par voie d'imposition d'office, les documents ou copies de documents qui contiennent les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements correspondants, sauf dans le cas où ces renseignements sont librement accessibles au public, permet au contribuable de vérifier l'authenticité de ces documents et d'en discuter la teneur ou la portée et constitue ainsi une garantie pour l'intéressé. Cette obligation ne peut toutefois porter que sur les documents originaux ou les copies de ces documents effectivement détenus par les services fiscaux. Par suite, au cas notamment où les documents que le contribuable demande à examiner sont détenus non par l'administration fiscale, qui en a seulement pris connaissance dans l'exercice de son droit de communication, mais par l'autorité judiciaire, il appartient à l'administration fiscale de renvoyer l'intéressé vers cette autorité.
9. S'agissant des rectifications en matière de revenus distribués, la proposition de rectification du 3 novembre 2015 adressée à Mme C... indique qu'en application des dispositions des articles L. 81, L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales, l'administration fiscale a exercé son droit de communication auprès du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Draguignan le 3 septembre 2014 afin de prendre connaissance des documents relatifs à la procédure judiciaire ouverte à l'encontre du dirigeant de la société Héliservice Lux. Elle précise en particulier que les comptes ouverts au nom de Mme C... dans deux établissements bancaires avaient été crédités de sommes provenant de paiements de cette société, pour des montants de 99 470 euros en 2012 et de 12 113 euros en 2013. Par ailleurs, des factures émises par cette société ont permis d'identifier plusieurs de ses clients et font mention, pour le paiement des prestations réalisées, du numéro d'un compte bancaire personnel de Mme C.... Enfin, l'ensemble des montants crédités sur les deux comptes bancaires de Mme C... sont précisément listés dans deux tableaux, et comportent notamment le numéro de compte concerné, la date et le montant du virement, la référence de la facture concernée et pour certaines factures la côte de la pièce judiciaire concernée. Il suit de là que Mme C... a été suffisamment informée de l'origine et de la teneur des documents obtenus par l'administration auprès du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Draguignan et a été mise à même de réclamer la communication des documents avant la mise en recouvrement des impositions litigieuses, lorsque l'administration fiscale en détient des copies.
10. Toutefois, la requérante soutient que le service a refusé de faire droit à sa demande formulée par courrier du 19 novembre 2015 tendant à la communication de l'ensemble des documents issus du dossier pénal du dirigeant de la société Héliservice Lux, sur lesquels l'administration fiscale s'est fondée pour établir les impositions litigieuses. Il résulte de l'instruction, notamment de la réponse du 7 décembre 2015 faite par le service à cette demande, que ce dernier a expressément refusé de lui communiquer les éléments fournis par l'autorité judiciaire au seul motif que l'autorité judiciaire ne l'a pas " autorisé à communiquer ces documents extraits d'une procédure d'instruction en cours ". Il résulte également de l'instruction que l'administration fiscale a, à plusieurs reprises, implicitement mais nécessairement reconnu être en possession de ces documents, lesquels ont été utilisés, comme l'attestent les mentions de la proposition de rectification du 3 septembre 2015, pour procéder aux redressements litigieux. A cet égard, la proposition de rectification mentionne que les documents ont été " obtenus " dans le cadre de l'exercice du droit de communication et que " les documents transmis par ce droit de communication ont permis d'identifier plusieurs clients de la société ". La réponse aux observations du contribuable, ainsi que le courrier précité du 7 décembre 2015, précisent que l'autorité judiciaire n'a pas autorisé le service à transmettre au conseil de Mme C... les documents demandés. Enfin, le courrier du 25 novembre 2015 adressé à l'autorité judiciaire, communiqué à la suite d'une mesure d'instruction, mentionne que le juge d'instruction " a autorisé la consultation et la prise de copies " des documents et demande à ce dernier l'autorisation de " communiquer à Me Munoz les documents utilisés dans votre procédure pénale et qui ont servi à asseoir l'assiette des rehaussements mis à la charge de Mme C... ". Ainsi, et dès lors que l'autorité judiciaire apprécie souverainement si les pièces qu'elle détient sont au nombre des indications qui doivent être transmises à l'administration fiscale, celle-ci ne peut se retrancher derrière le secret de l'instruction pour refuser de communiquer au contribuable ces pièces. Mme C... est donc fondée à soutenir que le secret de l'instruction dont se prévaut l'administration fiscale ne faisait pas obstacle à la communication, par l'administration, des éléments que l'autorité judiciaire lui avait permis de recueillir dans le cadre de son droit de communication. Dès lors, l'administration fiscale n'a pas respecté l'obligation résultant des dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales de lui communiquer, avant mise en recouvrement, la copie des documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir les impositions litigieuses. Par suite, une telle omission, qui a privé le contribuable d'une garantie, a eu pour effet de vicier la régularité de la procédure d'imposition et est de nature à entraîner, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens portant sur les rectifications en matière de revenus distribués, la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des impositions correspondantes mises à la charge de Mme C... au titre des années 2012 et 2013.
Sur le bien-fondé des impositions restant en litige :
11. Aux termes de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition. ". L'article R. 193-1 du même code dispose que : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré. ". Il incombe à Mme C..., qui a, ainsi qu'il a été dit au point 4, fait régulièrement l'objet d'une procédure de taxation d'office en application des dispositions de l'article L. 69 du livre des procédures fiscales au titre des années 2012 et 2013 pour les revenus regardés par l'administration comme d'origine indéterminée, d'établir que les sommes en cause, soit ne constituent pas des revenus imposables, soit se rattachent à une catégorie précise de revenus.
12. Il résulte de l'instruction que le service a taxé d'office dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée les sommes de 103 949 euros au titre de l'année 2012 et de 36 874 euros au titre de l'année 2013, réduites respectivement, suite à certains justificatifs produits, à hauteur de 86 998 euros et 18 589 euros. Pour justifier de l'origine et de la nature des crédits restant en litige, la requérante se borne en appel à reprendre dans les mêmes termes l'argumentation soumise aux premiers juges en se fondant sur un tableau réalisé par ses soins, dépourvu de toute pièce justificative, et ne se prévaut d'aucun élément de fait ou de droit nouveau utile de nature à remettre en cause l'appréciation du tribunal. L'appelante ne justifie ainsi pas, par ces seuls éléments, et alors que la charge de la preuve lui incombe, le caractère non imposable de ces sommes ni leur rattachement à une catégorie précise de revenus permettant d'obtenir, le cas échéant, une réduction de l'imposition d'office. Dès lors, c'est à bon droit que l'administration a regardé ces sommes comme des revenus d'origine indéterminée imposables à l'impôt sur le revenu au titre des années 2012 et 2013.
Sur les pénalités :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
14. Pour justifier l'application des pénalités pour manquement délibéré restant en litige, l'administration fiscale fait état des nombreux crédits de sommes importantes relevés sur ses comptes bancaires pendant deux années consécutives, soit 86 998 euros en 2012 et 18 589 euros en 2013, dont elle avait nécessairement connaissance et sans qu'aucune justification sérieuse de l'origine et de la nature de ces sommes n'ait été apportée. Par suite, elle justifie le caractère délibéré de l'absence de déclarations de ces sommes et donc l'application de la majoration de 40 % prévue par les dispositions précitées de l'article 1729 du code général des impôts.
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions tendant à la décharge, en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge à raison de la réintégration à son revenu imposable des sommes de 99 470 euros au titre de l'année 2012 et de 12 113 euros au titre de l'année 2013.
Sur les frais du litige :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à Mme C... la charge des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les bases imposables à l'impôt sur le revenu de Mme C... sont réduites d'une somme de 99 470 euros au titre de l'année 2012 et de 12 113 euros au titre de l'année 2013.
Article 2 : Mme C... est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013 conformément à la réduction des bases d'imposition prévue à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement n°1903513 du tribunal administratif de Toulon du 5 juillet 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur du contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2023, où siégeaient :
- M. Taormina, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Mahmouti, premier conseiller,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mars 2023.
2
N° 21MA03826