Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SAS François Perrino Holding a demandé au tribunal administratif de Bastia de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 1900948 du 15 avril 2021, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 juin 2021, le 4 février et le 4 mai 2022, la SAS François Perrino Holding, représentée par Me Albert, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de la décharger des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016 ;
3°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
1°) sur la régularité du jugement attaqué :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance par l'administration fiscale des principes de sécurité juridique et de confiance légitime ;
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le jugement est fondé sur les dispositions de l'article 13 C de la sixième directive du 17 mai 1977 en matière de taxe sur la valeur ajoutée qui n'a plus cours, abrogée et modifiée par la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
2°) sur le bien-fondé du jugement attaqué :
- l'administration fiscale a méconnu les dispositions des articles L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales et les principes de sécurité juridique et de confiance légitime en procédant à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée après avoir admis le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée par une décision du 20 juin 2017, prenant ainsi deux positions contraires au cours de deux contrôles identiques ;
- c'est par une position contraire à la loi et à la directive taxe sur la valeur ajoutée 2006/112/CE du 28 novembre 2006 que l'administration l'a privée du droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux dépenses antérieures à la lettre du 15 décembre 2016 par laquelle elle a opté pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, alors que le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée exige que les premières dépenses effectuées pour les besoins d'une entreprise soient considérées comme des activités économiques avant la réalisation de l'activité taxable ; il serait contraire à ce principe que lesdites activités ne débutent qu'au moment où un bien immeuble est effectivement exploité, c'est-à-dire où le revenu taxable prend naissance, car quiconque accomplit de tels actes d'investissement étroitement liés et nécessaires pour l'exploitation future d'un bien immeuble doit, par conséquent, être considéré comme un assujetti et peut exercer le droit à déduction de la taxe y afférente (CJUE, 14 févR. 1985, aff. 268/83, Rompelman, Rec. 1985-2 p. 655) ; de même il a été jugé qu'était déductible la taxe sur la valeur ajoutée supportée sur des dépenses faites par les associés d'une société avant la création et l'enregistrement de ladite société, pour les besoins et en vue de l'activité économique de celle-ci (CJUE, 1er mars 2012, aff. 280/10, Kopalnia Odkrywkowa Polski Trawertyn P. Granatowicz, M. C... spolka jawna) ; cet avis est suivi par le Conseil d'Etat qui a jugé notamment qu'un redevable est fondé à opérer la déduction et, le cas échéant, demander le remboursement de la TVA supportée à raison de son activité, sans attendre la réalisation des opérations au titre desquelles la taxe est déduite (C.E., 21 déc.1979, n° 13230, plén., SA Crédit foncier immobilier) cette jurisprudence a été appliquée par la Cour ;
- en l'espèce, si la société requérante a réellement réalisé des opérations économiques taxables à compter du 1er janvier 2017, elle a engagé des dépenses préalables dès 2016 (honoraires d'avocats notamment) en vue de réaliser l'activité taxable et c'est la raison pour laquelle le pôle de contrôle et d'expertise a admis le remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée ; la lettre d'option n'est pas la cause mais l'effet matériel de la décision, prise en amont avec ses conseils, d'être assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée sur une partie de son activité ; la date de commencement de l'activité du 1er janvier 2017 correspond à la prise d'effet du bail consenti au locataire et des baux de sous-location par celui-ci aux filiales, après achèvement des travaux d'aménagement et d'équipement ; à supposer que l'option doive être exercée avant de demander formellement la déduction ou le remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée d'amont, le droit à déduction ne peut pas être limité aux dépenses engagées après l'option ;
- la position de l'administration en l'espèce, subordonne le droit à déduction à une obligation non prévue par la loi et remet en cause le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée : la dépense devrait être antérieure au formalisme de l'option ; or, même abrogé, l'article 13 C de la sixième directive du 17 mai 1977 n'empêchait pas l'exercice du droit à déduction de dépenses antérieures à la lettre d'option, dès lors que les dépenses étaient bien engagées en vue de réaliser des opérations taxables ;
- dans son mémoire en défense, l'administration, en soutenant qu'il est exact que la qualité d'assujetti et le droit à déduction ne sont pas subordonnés à la réalisation effective et préalable de recettes taxables, mais qu'il incombe à celui qui demande la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée d'établir que les conditions pour en bénéficier sont remplies, sur la base d'éléments objectifs et que cette démonstration fait défaut car l'appelante " ne démontre pas de façon précise et probante son intention de diversifier son activité en réalisant des opérations soumises à taxe sur la valeur ajoutée avant cette date ", elle contredit le jugement et se place désormais sur le terrain de la preuve qui a pourtant été rapportée en l'espèce.
Par mémoires en défense enregistrés les 22 décembre 2021, 28 avril et 16 juin 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre délégué chargé des comptes publics, concluent au rejet de la requête.
Ils font valoir que les moyens invoqués par la société appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 ;
- la directive 2006/115/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la cour a désigné M. Taormina, président-assesseur de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... B...,
- et les conclusions de M. Allan Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS François Perrino Holding qui exerce une activité de Holding financière de groupe consistant en la détention de parts de ses filiales a manifesté le 15 décembre 2016 son intention de débuter une activité de location avec assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, en faisant parvenir au service gestionnaire une lettre d'option pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée avec effet rétroactif au 1er janvier 2016. A compter du 1er janvier 2017, elle a développé une activité de location en concluant avec ses filiales des baux commerciaux, avec assujettissements des loyers à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle a, selon avis n° 3923 du 12 avril 2018, fait l'objet d'un examen de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017 en matière de taxe sur la valeur ajoutée à l'issue duquel elle a été destinataire d'une proposition de rectification n° 2126 du 24 juillet 2018 portant sur la taxe sur la valeur ajoutée de l'exercice clos au 31 décembre 2016 selon la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, le service vérificateur ayant considéré que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les dépenses antérieures à la date d'option ne pouvait faire l'objet d'aucune déduction. Les rehaussements ont été notifiés. En réponse à ses observations formulées le 31 juillet 2018, la société a été informée, par courrier du 7 septembre 2018, que les rectifications étaient maintenues en totalité. L'imposition consécutive à cette vérification a été mise en recouvrement le 30 novembre 2018. Ayant demandé la décharge des droits mis à sa charge pour 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 67 362 euros, la société relève appel du jugement n° 1900948 du 15 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 260 du code général des impôts : " Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée : ...2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti... ". Il résulte de ces dispositions que l'option pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de la location des locaux nus à usage professionnel doit faire l'objet d'une déclaration expresse à l'administration et distincte pour chaque immeuble ou ensemble d'immeubles. Cette option peut être exercée à l'occasion de la déclaration d'existence, cette dernière devant alors comporter des indications suffisamment précises pour identifier le ou les immeubles auxquels elle se rapporte.
3. La SAS François Perrino Holding qui exerce une activité de Holding financière de groupe consistant en la détention de parts de ses filiales a manifesté le 15 décembre 2016 son intention de débuter une activité de location avec assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, en faisant parvenir au service gestionnaire une lettre d'option pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée avec effet rétroactif au 1er janvier 2016 en application des dispositions du 2° de l'article 260 du code général des impôts. A compter du 1er janvier 2017, elle a développé une activité de location en concluant avec ses filiales des baux commerciaux, avec assujettissements des loyers à la taxe sur la valeur ajoutée. La SAS François Perrino Holding a ainsi manifesté clairement son intention de se livrer à une activité entrant dans le champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée. Le temps écoulé entre les dépenses engagées par la société en vue de son activité de location et le début de cette activité à raison de laquelle le remboursement de taxe a été demandé et l'exercice par la société de l'option prévue par le 2° de l'article 260 du code général des impôts, pour l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'activité de location d'immeuble destiné à un usage commercial, n'est pas de nature à infirmer l'intention ainsi manifestée. Dès lors, la société était, de ce fait, en droit de demander le remboursement du crédit de taxe dont elle disposait à concurrence de la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par elle avant l'exercice de l'option sans que puisse lui être opposée l'absence d'effet rétroactif de celle-ci, comme l'ont fait à tort l'administration fiscale puis les premiers juges. Par suite, elle est fondée à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement, ni sur les autres moyens tenant au bien-fondé des impositions contestées qu'elle invoque, que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa requête tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
4. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés par la SAS François Perrino Holding et non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1900948 rendu le 15 avril 2021 par le tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : La SAS François Perrino Holding est déchargée des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.
Article 3 : Il est mis à la charge de l'Etat, au profit de la SAS François Perrino Holding, une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS François Perrino Holding, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre délégué chargé des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2023, où siégeaient :
- M. Taormina, président-assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Mahmouti, premier conseiller,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 mars 2023.
N°21MA02119 2
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