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03/03/2023 | FRANCE | N°22MA02188

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 03 mars 2023, 22MA02188


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse, ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Par un jugement n° 1600949 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 par lequel le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse, ou, à titre subsidiaire, d'annuler partiellement cet arrêté en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello.

Par un jugement n° 1600949 du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18MA02830 du 19 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société UNITe, annulé ce jugement ainsi que l'arrêté du préfet de Corse.

Par une décision n° 443006 du 28 juillet 2022, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi formé par la ministre de la transition écologique, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Procédure devant la Cour après renvoi :

Par un mémoire, enregistré le 21 octobre 2022, sous le n° 22MA02188, la société UNITe, représentée par Me Belluc, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 18 avril 2018 ;

2°) à titre principal, d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du 15 septembre 2015 en en tant qu'il classe la rivière Manganello sur la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel de participation et a entaché le jugement attaqué d'un défaut de motivation et de base légale ;

- il n'a pas répondu au moyen tiré de l'insuffisance du panel de la concertation concernant les représentants des usagers de l'eau ;

- il a omis de répondre au moyen tiré de l'insuffisance des documents soumis à la consultation ;

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de l'irrégularité des conditions de saisine du comité de bassin ;

- la concertation n'a pas été effective et adaptée avant que le projet ne soit définitivement arrêté dès lors que les usagers de l'eau, dont les producteurs d'électricité n'ont pas été consultés ;

- ce vice l'a privée du droit fondamental de participation du public aux décisions publiques impactant l'environnement et a exercé une influence sur le sens de la décision prise ;

- cette concertation a méconnu le principe de participation prévu par l'article 7 de la Charte de l'environnement ;

- l'article R. 214-110 du code de l'environnement doit être annulé compte tenu de la décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014 du Conseil constitutionnel ;

- l'article R. 214-110 du code de l'environnement et l'article 6-4 de la convention Aarhus ont été méconnus dès lors que le public n'a été consulté que postérieurement à l'établissement des avant-projets de liste ;

- la consultation institutionnelle a été insuffisante du fait des carences de l'étude d'impact ;

- les conditions de saisine du comité de bassin à la fin de la procédure ont été irrégulières et méconnaissent les dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement ;

- l'association du comité de bassin a été purement formelle ;

- le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a été irrégulièrement associé à la procédure ;

- les documents soumis à la consultation du public étaient insuffisants ;

- les observations émises au cours de la consultation n'ont pas été prises compte ;

- elle n'ont pas été analysées ni fait l'objet d'une synthèse contrairement aux préconisations de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-110 du code de l'environnement ;

- l'arrêté contesté ne comprend aucun motif justifiant le classement du Manganello sur la liste mentionnée à l'article L. 214-17 du code de l'environnement et est privé de base légale ;

- cet arrêté est entaché d'une erreur de fait liée à l'absence de prise en compte des projets hydroélectriques sur les cours d'eau classés ;

- il est entaché d'une erreur de droit quant aux orientations du schéma régional Climat Air Energie (SRCAE) ;

- il est incompatible avec les objectifs du SRCAE concernant la petite hydro-électricité ;

- le classement du ruisseau Manganello ne répond pas aux critères de classement fixés au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement ;

- l'arrêté en litige est contraire au principe de non-régression.

La requête a été communiquée au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;

- la Constitution, notamment son préambule et la Charte de l'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- la décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Millanvois, représentant la société UNITe.

Considérant ce qui suit :

1. La société UNITe exploite des centrales hydroélectriques sur le territoire de la Corse et a développé, en particulier, un projet de centrale sur la rivière Manganello, affluent du Vecchio situé sur la commune de Vivario. Par un arrêté du 15 septembre 2015, le préfet de Corse a établi la liste des cours d'eau mentionnée au 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans le bassin de Corse et sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. La société UNITe a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler, à titre principal, cet arrêté et, à titre subsidiaire, de l'annuler partiellement en tant qu'il classe sur cette liste la rivière Manganello. Par un jugement du 18 avril 2018, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande. Par un arrêt du 19 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société UNITe, annulé ce jugement ainsi que l'arrêté du préfet de Corse. Par une décision du 28 juillet 2022, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi formé par la ministre de la transition écologique, annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont omis de répondre au moyen soulevé qui n'était pas inopérant, soulevé par la société UNITe tiré de l'insuffisance du panel de la concertation concernant les représentants des usagers de l'eau qui n'auraient pas été consultés. Ainsi, la société UNITe est fondée à soutenir que le jugement du 18 avril 2018 du tribunal administratif de Bastia est entaché d'une insuffisance de motifs. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société UNITe devant le tribunal et la Cour.

Sur la légalité de l'arrêté du 15 septembre 2015 :

4. Aux termes de l'article L. 214-17 du code de l'environnement dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté : " I.- Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l'Assemblée de Corse, l'autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin : / 1° Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux parmi ceux qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique. (...) II. - Les listes visées aux 1° et 2° du I sont établies par arrêté de l'autorité administrative compétente, après étude de l'impact des classements sur les différents usages de l'eau visés à l'article L. 211-1. (...)". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 214-110 de ce même code : " Le préfet du département établit un avant-projet de liste à l'issue d'une concertation avec les principaux représentants des usagers de l'eau dans le département, la fédération départementale ou interdépartementale des associations de pêche et de protection du milieu aquatique, les associations agréées de protection de l'environnement qu'il choisit et la commission locale de l'eau lorsqu'il existe un schéma d'aménagement et de gestion des eaux approuvé. / La conférence administrative de bassin harmonise les avant-projets de liste des différents départements appartenant à un même bassin. / Le préfet coordonnateur de bassin établit un projet de liste par bassin ou sous-bassin et fait procéder à l'étude, prévue au II de l'article L. 214-17, de l'impact sur les différents usages de l'eau des inscriptions sur cette liste projetées ; cette étude comporte une analyse des coûts et des avantages économiques et environnementaux, en distinguant les avantages marchands et non marchands. / Le projet de liste et l'étude de l'impact sont transmis par les préfets intéressés pour avis aux conseils départementaux et aux établissements publics territoriaux de bassin concernés et, en Corse, à l'Assemblée de Corse. Les avis sont réputés favorables s'ils n'interviennent pas dans un délai de quatre mois à compter de la transmission de la demande d'avis. / Le préfet coordonnateur de bassin, après avis du comité de bassin, dresse la liste par bassin ou sous-bassin et fixe les modalités de sa mise à disposition du public par un arrêté qui est publié au Journal officiel de la République française. / La liste est modifiée selon les modalités prévues pour son établissement par les alinéas précédents. ".

5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

En ce qui concerne la procédure de concertation :

S'agissant de la méconnaissance du principe constitutionnel de participation :

6. Par sa décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014, le Conseil constitutionnel a constaté qu'avant l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2013, de la nouvelle version de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, ni les dispositions de l'article L. 214-17 du code de l'environnement, ni aucune autre disposition législative n'assuraient la mise en œuvre du principe de participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant des incidences sur l'environnement, prévu par l'article 7 de la Charte de l'environnement. Il a cependant déclaré qu'en raison des conséquences excessives qu'entrainerait la remise en cause de leurs effets, les décisions prises avant le 1er janvier 2013 sur le fondement des dispositions de l'article L. 214-17 qui étaient contraires à la Constitution avant cette date ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. Conformément à l'article 62 de la Constitution, cette décision s'impose à toutes les autorités juridictionnelles. Par ailleurs, les dispositions des articles L. 214-7 et R. 214-110 du code de l'environnement ne se substituent pas, mais s'ajoutent, à celles de l'article L. 120-1 du même code. Par suite, la société UNITe ne saurait utilement soutenir, que l'arrêté contesté, postérieur au 1er janvier 2013, a été pris sur le fondement de dispositions législatives méconnaissant l'article 7 de la Charte de l'environnement et de dispositions réglementaires que l'inconstitutionnalité de ces dispositions législatives priverait de base légale. Par ailleurs, le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de l'article R. 214-110 du code de l'environnement doit être écarté.

S'agissant de l'insuffisance du panel de la concertation :

7. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'une phase de concertation d'une durée d'un mois s'est déroulée à l'échelon interdépartemental en janvier 2014 avec les représentants des usagers de l'eau, la fédération départementale des associations de pêche et de protection des milieux aquatiques (FDAPPMA) et les associations agréées de protection de l'environnement. En particulier, selon une lettre du 18 décembre 2013 du préfet de Corse laquelle comprenait en annexe la liste des personnes consultées, ont été notamment invités à cette concertation les sociétés EDF/GDF, Véolia à travers la société Kyrnolia, principales productrices d'énergie hydroélectrique, l'office d'équipement hydraulique de la Corse (OEHC), les chambres de commerce et d'industrie, les chambres des métiers de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, les organismes consulaires chargés de la représentation des entreprises, des associations de défense des consommateurs telles que l'association Force ouvrière des consommateurs de Haute-Corse (AFOC), l'Union fédérale des consommateurs Que Choisir de Corse, l'association U Levante, les amis du parc national régional de Corse (PNRC), l'association d'Ajaccio et sa région pour la défense de l'environnement, l'association le Poulpe, et les professionnels du canyonisme. Par suite, les représentants des usagers de l'eau ont bien été associés à la concertation et dans un panel très large comprenant les principaux producteurs d'énergie hydroélectrique.

8. En second lieu, si la société UNITe n'a pas été associée à cette concertation en tant que productrice d'hydroélectricité, il ressort de l'annexe 3 relative à la synthèse des consultations des assemblées et du public que la société requérante et la commune de Vivario, lieu d'implantation de son projet de centrale hydroélectrique sur la rivière Manganello, ont été entendues dans le cadre de la consultation du public, les 28 mai 2015 et 9 juillet 2015, où elles ont pu donner leur avis défavorable sur le projet de liste 1 de cours d'eau contesté. Par suite et dans les circonstances de l'espèce, ce vice n'a pas été de nature à priver la société UNITe d'une garantie ni n'a exercer une influence sur le sens de la décision prise.

En ce qui concerne la procédure de consultation du public :

S'agissant de l'intervention de la consultation du public postérieurement à l'établissement des avant-projets :

9. En premier lieu, le public a été consulté du 16 février au 16 juin 2015 donc après l'élaboration des avant-projets qui s'est déroulée au début de l'année 2013. Contrairement à ce que soutient la société UNITe, ni les dispositions de l'article R. 214-110 du code de l'environnement pas plus que la décision n° 2014-396 QPC du 23 mai 2014 du Conseil constitutionnel mentionnée au point 6 imposent que le public soit associé dès la phase d'élaboration de l'avant-projet de listes.

10. En second lieu, aux termes de l'article 6-4 de la convention d'Aarhus : " (...) 4. Chaque partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence. ".

11. Si le public n'a pas été mis à même de prendre part à l'élaboration de l'avant-projet de la liste 1 des cours d'eau, il ressort de ce qui a été dit au point 9 qu'il a été mis à même de participer au processus décisionnel à l'occasion de la procédure de consultation qui s'est déroulée du 16 février au 16 juin 2015, sur une durée de 4 mois, et lui a permis de faire valoir ses observations alors que toutes les options étaient encore envisageables et que la décision de classement des cours d'eau n'était pas encore prise. D'ailleurs, la demande de retrait de la rivière Manganello de la liste 1 de la société UNITe formulée lors de cette consultation a été examinée lors d'une réunion du comité de bassin du 6 juillet 2015. Ainsi, la soumission du projet de liste à cette consultation doit être regardée comme une modalité d'information et de participation du public assurant la mise en œuvre des objectifs fixés par les stipulations et dispositions citées ci-dessus de l'article 6 de la convention d'Aarhus.

S'agissant de l'insuffisance des documents transmis à la consultation du public :

12. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que le dossier de la consultation du public comprenait la proposition des deux listes de cours d'eau, la note de présentation ainsi que l'étude d'impact. La note de présentation expliquait les raisons et la procédure de la révision des classements de cours d'eau et donnait des éléments sur la portée réglementaire des futurs classements. Cette note comportait également une synthèse des principaux éléments relevés dans l'étude d'impact. Par suite, ladite note qui ne se contente pas de renvoyer à des éléments très généraux n'avait pas à préciser les raisons du classement de chacun des cours d'eau. Par ailleurs, la note présente l'impact des classements sur la " petite hydroélectricité " et précise, après des développements techniques mais nullement incompréhensibles pour le public que l'impact sur les projets est considéré comme modéré au regard des limites déjà fixées dans le cadre de l'application de la réglementation antérieure.

13. En second lieu, il ne ressort pas de la lecture de l'étude d'impact qu'elle présenterait un caractère indéchiffrable pour le public. En outre, et contrairement à ce que soutient la société UNITe, cette étude comprend un résumé non technique. Elle explique clairement les raisons pour lesquelles les cours d'eau sont classés en listes 1 ou 2, la première concernant les cours d'eau ou tronçons de cours d'eau qui seront préservés de tout nouvel ouvrage faisant obstacle à la continuité quel que soit l'usage et la seconde, les cours d'eau ou tronçons de cours d'eau pour lesquels les obstacles à la continuité doivent être équipés, gérés, et entretenus dans un délai de 5 ans après approbation de la liste. L'étude d'impact comprend aussi un tableau de synthèse indiquant de façon suffisamment compréhensible les raisons du classement en liste 1 des cours d'eau, notamment le Manganello.

14. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 12 et 13, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les documents soumis à la consultation du public seraient insuffisants.

S'agissant de l'absence de prise en compte des observations du public :

15. Aux termes de l'article L. 120-1 du code de l'environnement : " (...) / II. - La participation confère le droit pour le public : / 1° D'accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective ; / 2° De demander la mise en œuvre d'une procédure de participation dans les conditions prévues au chapitre Ier ; / 3° De disposer de délais raisonnables pour formuler des observations et des propositions ; / 4° D'être informé de la manière dont il a été tenu compte de ses observations et propositions dans la décision d'autorisation ou d'approbation. ".

16. Ni ces dispositions ni aucune autre n'imposent à l'autorité administrative de suivre les observations du public. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'une synthèse des observations du public a bien été réalisée, détaillant chacune d'elles et indiquant les modifications proposées, ainsi que les suites à donner. Elles ont, en outre, étaient soumises à l'avis du comité de bassin réuni le 14 septembre 2015 lequel a estimé ne pas devoir donner suite aux demandes de modifications des listes et de maintenir les projets de listes 1 et 2.

En ce qui concerne l'insuffisance de l'étude d'impact :

17. Il ressort des pièces du dossier qu'une étude d'impact a été réalisée le 11 décembre 2014 par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Corse et l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse. Il ne peut être sérieusement soutenu qu'elle présente un caractère très synthétique dès lors qu'elle comprend près de 90 pages. L'impact de la liste 1 sur l'hydroélectricité et sur les sites potentiels de petite hydroélectricité y est suffisamment analysé. Elle comprend un tableau synthétique relatif aux cours d'eau proposés en liste 1 qui mentionne leurs noms, leur localisation, des critères de classement concernant leur très bon état, leur qualité de réservoir biologique, la présence d'anguilles, leur potentiel de puissance en KW et de productible en MWh ainsi que l'atout économique des projets en termes de rentabilité. Les cours d'eau sont également notés en fonction de différents enjeux " directive cadre sur l'eau " (DCE), de l'habitat, de la continuité montaison et dévalaison. Leurs bénéfices pour les milieux aquatiques et les niveaux de pollution émise sont également analysés. La circonstance que, dans ce tableau, ces critères sont évalués comme fort, moyen ou faible n'est pas de nature à démontrer que l'étude d'impact serait insuffisante sur ce point et imprécise quant aux avantages de la petite hydroélectricité. Par ailleurs, l'article R. 214-110 du code de l'environnement n'impose pas que l'étude d'impact procède à l'analyse de chaque cours d'eau ainsi qu'à une comparaison des avantages et inconvénients de la petite et de la grande hydroélectricité. Enfin, cette étude comprend une analyse suffisamment détaillée de l'impact sur les usages socio-économiques et, en particulier, sur l'hydroélectricité, la lutte contre les inondations, l'alimentation en eau potable, l'irrigation, la pêche, la pisciculture, le tourisme et les loisirs. Par suite, l'étude d'impact du projet de liste des cours d'eau n'est pas entachée d'insuffisance.

En ce qui concerne l'irrégularité des conditions de saisine du comité de bassin :

18. Il ressort des pièces du dossier que l'avis du comité de bassin a été émis le 14 septembre 2015 et qu'il est favorable au projet de classement des cours d'eau contesté. La circonstance qu'il a été recueilli la veille de l'édiction de l'arrêté contesté est sans incidence sur sa légalité d'autant que l'article R. 214-110 du code de l'environnement ne prévoit aucun délai quant à la saisine du comité de bassin. Par ailleurs, la société requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article L. 120-1 du code de l'environnement qui ne prévoit aucune modalité relative à cette consultation. Si la société UNITe soutient que le comité de bassin n'a pas eu communication de l'avis défavorable de la commune de Vivario qui aurait demandé le retrait du Manganello de la liste 1, le compte rendu de la séance du 14 septembre 2015 de ce comité fait état, au titre de la consultation du public, de la proposition de retrait de ce cours d'eau dont celle de la commune mentionnée à l'annexe 3 de ce compte rendu laquelle est restée sans incidence sur l'avis favorable du comité de bassin. La société requérante ne peut utilement se prévaloir d'un compte rendu du comité de bassin mentionnant que ce dernier devait délibérer une dernière fois sur le projet de classement dès lors que ce document précise que le comité sera invité à émettre un avis formel sur la liste le 14 septembre 2015.

En ce qui concerne l'implication irrégulière du président de la collectivité territoriale de Corse :

19. Il ressort des pièces du dossier que l'Assemblée de Corse a été consultée sur les avant-projets en cause comme le démontre la liste des personnes consultées annexée à la lettre d'invitation du préfet du 18 décembre 2013. Puis son avis a été sollicité par courrier du 12 février 2015 du même préfet. En outre, par une délibération du 26 juin 2015, l'Assemblée de Corse a rejeté la proposition d'avis favorable du président du conseil exécutif de Corse sur le projet de classement des cours d'eau. Ainsi, l'avis de l'Assemblée de Corse a bien été recueilli conformément aux dispositions de l'article R. 214-110 du code de l'environnement. La circonstance que le président du conseil exécutif de Corse qui est aussi le président du comité de bassin, a proposé à l'Assemblée de Corse de rendre un avis favorable sur le projet de classement des cours d'eau est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige. Enfin la société UNITe ne démontre pas que cette participation du président du conseil exécutif de Corse aurait exercé une influence sur le sens de la décision prise.

En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de motif de fait justifiant le classement du cours d'eau :

20. En premier lieu, si la société UNITe soutient que l'inscription des cours d'eau sur la liste prévue au 1° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement n'est à aucun moment motivée ou justifiée par les éléments annexés à l'arrêté contesté au regard des critères fixés par cet article, cet arrêté, qui ne présente pas de caractère individuel, n'est pas au nombre des décisions administratives individuelles défavorables devant faire l'objet d'une motivation en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979. Par suite, l'arrêté en litige n'avait pas à mentionner les critères justifiant son classement du Manganello sur la liste 1 des cours d'eau. En outre, la société UNITe ne peut utilement se prévaloir de la circulaire du 6 février 2008 du ministre chargé de l'écologie relative à l'application des dispositions de l'article L. 214-17-I du code de l'environnement, qui est dépourvue de tout caractère réglementaire.

21. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les motifs du classement du Manganello figurent dans l'étude d'impact selon laquelle ce cours d'eau est en très bon état écologique et qu'il joue un rôle de réservoir biologique avec la présence d'anguilles. La ministre de la transition écologique fait également valoir que ce cours d'eau a été identifié comme réservoir biologique dans les SDAGE 2010-2015 et 2016-2021. Les enjeux sur ce cours sont très forts en raison de la présence de frayères remarquables et de son rôle dans l'ensemencement des masses d'eau situées à l'aval et le fonctionnement de la population salmonicoles. Ainsi, la société UNITe n'est pas fondée à soutenir que l'inscription de ce cours d'eau sur la liste 1 ne serait pas justifiée au regard des critères prévus par les dispositions du 1° de l'article L. 214-17 du code de l'environnement et serait privé de base légale. En outre, la finalité du classement n'est pas absconse dès lors que le résumé non technique de l'étude d'impact précise que le projet de liste 1 fournit l'assurance de la non-dégradation de la continuité écologique de 75 % du linéaire de réservoirs biologiques, de 32 % du linéaire classé en très bon état, de 60 % des zones d'action " anguille " du plan de gestion de l'anguille et de la totalité de l'axe migrateur de l'alose feinte. Il s'ensuit que l'arrêté contesté ne méconnaît pas les dispositions de l'article L. 214-7 du code de l'environnement.

En ce qui concerne les erreurs entachant le classement des rivières :

S'agissant de l'erreur de fait liée à l'absence de prise en compte des projets hydroélectriques :

22. L'étude d'impact mentionne qu'en Corse aucun projet important n'a été identifié sur un cours d'eau proposé en liste 1. Elle définit les projets importants comme correspondant à un projet d'intérêt général connu de l'administration avec un niveau de détail suffisant pour pouvoir apprécier les enjeux. Ces projets doivent être en instruction ou en phase de l'être. L'administration définit comme d'intérêt général les projets hydroélectriques à fort enjeux vis-à-vis des objectifs de production d'énergie renouvelable et de limitation des gaz à effet de serre (projets supérieurs à 4,5 MW), ou les projets AEP ou de lutte contre les inondations. La société UNITe n'établit ni même n'allègue que les deux projets dont elle se prévaut rempliraient ces critères alors que le ministre de la transition écologique et solidaire fait valoir sans être contesté que ces projets sont respectivement de 2,4 et 1,6 MW donc inférieurs au seuil de 4,5 MW nécessaire pour qu'ils soient considérés comme des projets importants. Par suite, l'étude d'impact précitée n'est pas entachée d'une erreur de fait.

S'agissant de l'erreur d'appréciation quant aux impacts des classements sur la petite hydroélectricité :

23. Il ressort de la note d'information destinée au public que la proposition de liste 1 concerne environ 16 % du linéaire totale des cours d'eau du bassin de Corse. Ainsi, elle ne concerne pas un maximum de cours d'eau, contrairement à ce que soutient la société UNITe.

S'agissant de l'incompatibilité de l'arrêté en litige avec les orientations du schéma régional Climat Air Energie (SRCAE) :

24. Aucune disposition législative ou réglementaire impose un rapport de compatibilité entre les orientations définies par le SRCAE et le classement des cours d'eau au titre des dispositions du 1° du I de l'article L. 214-17 du code de l'environnement. En tout état de cause, il ressort de l'étude d'impact laquelle comporte une comparaison avec les objectifs du SRCAE que le projet de liste 1 ne permet d'atteindre les objectifs précités à l'horizon 2050 dès lors qu'il manquerait 8 MW pour y parvenir, ce qui représente 24 % de l'objectif d'augmentation du parc de petite hydroélectricité qui est de + 33 MW, mais toutefois seulement 2 % de l'ensemble du parc hydroélectrique projeté en 2050 qui est de 321 MW et que par ailleurs, le projet de liste 1 n'empêche pas l'atteinte des objectifs à plus courts termes du Grenelle 2020, du Grenelle 2030 et du SRCAE, de telle sorte que l'impact global du projet de liste 1 sur l'ensemble de la filière hydroélectrique a été jugé modéré. Dès lors, l'arrêté contesté ne méconnaît pas les orientations du SRCAE.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de non-régression :

25. La société UNITe ne peut utilement soutenir que l'arrêté contesté méconnaîtrait le principe de non-régression en se bornant à se prévaloir d'un changement de circonstances de fait et de droit postérieurs à l'édiction d'un acte réglementaire et de ce que l'arrêté préfectoral ne se justifiant plus au regard de l'ensemble des développements précédents, tout administré est habilité à réclamer l'annulation d'un acte réglementaire illégal.

26. Il résulte de tout ce qui précède, que la société UNITe n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 15 septembre 2015.

Sur les frais liés au litige :

27. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société UNITe au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du 18 avril 2018 du tribunal administratif de Bastia est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société UNITe est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées en appel par la société UNITe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société UNITe et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 17 février 2023, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 mars 2023.

2

N° 22MA02188

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02188
Date de la décision : 03/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

27-01-01 Eaux. - Régime juridique des eaux. - Régime juridique des cours d'eau.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE LYON

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-03-03;22ma02188 ?
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