Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler l'arrêté du 11 avril 2019 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé de la titulariser à l'issue de son stage d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse et l'a licenciée pour insuffisance professionnelle, d'autre part, d'enjoindre audit ministre, à titre principal, de prononcer sa titularisation à compter du 1er février 2019 dans cet " emploi ", ou, à titre subsidiaire, de prolonger son stage d'une durée minimale de six mois et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1902203 du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 février 2021 et 31 mai 2022, Mme A..., représentée en dernier lieu par Me Gasior, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 décembre 2020 ;
2°) d'annuler cet arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 11 avril 2019 ;
3°) d'enjoindre, en application des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, au garde des sceaux, ministre de la justice, à titre principal, de prononcer sa titularisation, à compter du 1er février 2019, dans " l'emploi " d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, à titre subsidiaire, de prolonger son stage pour une durée minimale de six mois et, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sur l'illégalité externe : les défauts de motivation de l'arrêté contesté du 11 avril 2019 et de communication des documents lui permettant de comprendre les motifs de son licenciement méconnaissent les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et portent atteinte à son droit à un procès équitable ; en écartant son argumentation au motif que cet arrêté n'était pas une sanction disciplinaire, le tribunal administratif de Toulon s'est mépris sur le moyen qu'elle avait soulevé devant lui ;
- sur l'illégalité interne :
. en l'état de l'arrêté contesté du 11 avril 2019, et en l'absence de motivation, il n'apparaît aucun élément de fait et donc aucune justification de son insuffisance professionnelle, laquelle n'est ainsi pas établie ;
. les conditions de son stage ne lui ont pas permis de faire la preuve de ses capacités ; le jugement du tribunal administratif de Toulon du 21 décembre 2020 et cet arrêté du 11 avril 2019 reposent donc sur une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- dépourvue de tout moyen d'appel, la requête est irrecevable ;
- sur le fond, et s'agissant de l'examen du litige par la Cour, dans le cadre de l'évocation, il s'en remet en tant que de besoin aux écritures qu'il a produites en première instance.
Par une ordonnance du 29 avril 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 29 juin 2022, à 12 heures.
Deux mémoires, présentés pour Mme A..., par Me Gasior, ont été enregistrés les 18 août 2022 et 9 janvier 2023, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'ont pas été communiqués.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le décret n° 92-344 du 27 mars 1992 ;
- le décret n° 2019-49 du 30 janvier 2019 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations tant de Me Gasior, représentant Mme A..., que de cette dernière.
Considérant ce qui suit :
1. Lauréate du concours dit " de troisième voie " d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse, Mme A... a été nommée, à compter du 1er février 2018, en qualité de stagiaire. Dans le cadre de sa formation pratique, outre des stages de découverte qu'elle a été amenée à faire au fil de l'eau, Mme A... a été affectée à l'unité éducative d'hébergement collectif (UEHC) de l'Escaillon, à Toulon, laquelle assure l'accueil de mineurs sous mandat judiciaire. Mais, à l'issue de ce stage, par un arrêté du 11 avril 2019, le garde des sceaux, ministre de la justice, a décidé de ne pas la titulariser et il a mis fin à ses fonctions à compter du 1er avril 2019. Mme A... relève appel du jugement du 21 décembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant principalement à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. / 3. Tout accusé a droit notamment à : / a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; / b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; / c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent ; / d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; / e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience . ".
3. Lorsqu'il se prononce en matière de titularisation des fonctionnaires stagiaires relevant de son ministère, le garde des sceaux, ministre de la justice, prend une décision administrative et ne saurait être regardé comme une juridiction ou un tribunal au sens du premier paragraphe de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, Mme A... ne saurait utilement soutenir que l'arrêté contesté du 11 avril 2019 est intervenu en méconnaissance des stipulations précitées de cet article. Il suit de là que ce moyen doit être écarté comme inopérant.
4. En deuxième lieu, si la nomination dans un corps en tant que fonctionnaire stagiaire confère à son bénéficiaire le droit d'effectuer un stage dans la limite de la durée maximale prévue par les règlements qui lui sont applicables, elle ne lui confère aucun droit à être titularisé. Ainsi, la décision refusant de le titulariser à l'issue du stage n'a pour effet, ni de refuser à l'intéressé un avantage qui constituerait pour lui un droit ni, dès lors que le stage a été accompli dans la totalité de la durée prévue par la décision de nomination comme stagiaire, de retirer ou d'abroger une décision créatrice de droits. Une telle décision n'est, dès lors, pas au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration (Conseil d'Etat, 11 décembre 2006, n° 284746, B). Il s'ensuit que le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, du 11 avril 2019 que Mme A... soulève, au demeurant par erreur dans les développements de ses écritures consacrées à la légalité interne de cette décision, doit également être écarté comme inopérant.
5. En troisième et dernier lieu, l'article 3 du décret susvisé du 30 janvier 2019 portant statut particulier du corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse dispose que : " Les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse concourent à la préparation et à la mise en œuvre des décisions civiles et pénales prononcées par les juridictions à l'égard des mineurs et des jeunes majeurs. / Ils conduisent des mesures d'investigation, des évaluations, des actions éducatives et d'insertion auprès des mineurs délinquants ou en danger et des jeunes majeurs faisant l'objet d'une décision judiciaire. / Ils participent à l'organisation et à la mise en œuvre d'actions de prévention auprès des mineurs et des jeunes majeurs. Ils assurent l'accueil des mineurs et de leurs familles. / Ils contribuent à l'élaboration du projet individuel du mineur en vue de favoriser son évolution, son insertion et de prévenir la réitération de nouvelles infractions. / Ils peuvent, en outre, conduire toutes autres actions concourant à l'insertion scolaire et professionnelle. / Les éducateurs peuvent exercer leurs activités dans l'ensemble des juridictions, organismes, établissements et services du ministère de la justice et, le cas échéant, dans tous les lieux où se déroulent des actions relevant des missions définies au présent article. ". L'article 17 de ce même décret précise que : " Le décret n° 92-344 du 27 mars 1992 portant statut particulier du corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse est abrogé. / Toutefois, les éducateurs stagiaires qui accomplissent un stage restent régis pour la durée de celui-ci et leur titularisation à son issue par les dispositions des articles 8 et 16 de ce décret dans sa version antérieure au présent décret. " Ainsi, aux termes de cet article 16 du décret du 27 mars 1992, dans sa rédaction applicable au présent litige : " A l'issue de leur formation, les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse stagiaires ayant accompli deux années de stage dont la formation a été validée et ceux ayant accompli une année de stage dont les services ont donné satisfaction sont titularisés après avis de la commission administrative paritaire. / Les stagiaires qui n'ont pas été titularisés à l'issue de leur période de stage peuvent être autorisés à effectuer un stage complémentaire d'une durée maximale d'un an. / Les stagiaires qui n'ont pas été autorisés à effectuer un stage complémentaire ou dont le stage complémentaire n'a pas donné satisfaction sont soit licenciés, soit, s'ils avaient, au moment de leur nomination dans le corps des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse régi par le présent décret, la qualité de fonctionnaire, réintégrés dans leur corps, cadre d'emplois ou emploi d'origine. / La durée du stage est prise en compte pour l'avancement dans la limite d'une année pour les stagiaires bénéficiant d'une durée de stage d'un an et de deux années pour les autres stagiaires. "
6. Pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations (Conseil d'Etat, 24 février 2020, n° 421291, B).
7. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier des avis et rapports d'évaluation finale qui y sont joints, lesquels sont au demeurant intervenus dans un délai raisonnable avant la fin du stage de Mme A..., qu'alors même qu'au cours de ce stage, l'autorité administrative l'avait alertée sur l'insuffisance de ses résultats, notamment dans le rapport d'évaluation intermédiaire établi le 4 juillet 2018 par la directrice de l'établissement de placement éducatif et d'insertion (EPEI) de Toulon, Mme A... n'a pas atteint ses objectifs et n'a pas démontré, au cours de l'ensemble de sa période de stage, disposer des compétences professionnelles et personnelles permettant sa titularisation. Les bonnes appréciations que l'appelante a obtenues lors de la réalisation de ses courts stages de découverte et les circonstances qu'elle aurait pris des contacts avec des partenaires extérieurs, accompagné des jeunes, été à l'initiative d'un projet de projection et de débat autour d'un film portant sur le placement d'un mineur en foyer ou encore qu'elle se serait familiarisée avec la procédure pénale applicable aux mineurs ne sont pas suffisantes pour infirmer ce constat d'inaptitude qui résulte, de manière unanime, des rapports dressés, respectivement le 3 décembre 2018, par sa tutrice de stage, le 7 décembre 2018, par la directrice de l'EPEI de Toulon et par le directeur territorial de la protection judiciaire de la jeunesse du Var, le 19 décembre 2018, par le directeur interrégional de la protection judiciaire de la jeunesse Sud-Est et, le 9 janvier 2019, par la directrice générale de l'Ecole nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, étant encore précisé que, lors de sa séance qui s'est tenue le 21 février 2019, la CAP compétente à l'égard des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse a émis un avis défavorable à la titularisation de Mme A....
8. Par ailleurs, si Mme A... persiste à soutenir devant la Cour, sans au demeurant apporter de nouvelles pièces en cause d'appel, que l'UEHC de l'Escaillon, service dans lequel elle avait été affectée pour réaliser son stage, rencontrait des problèmes de fonctionnement internes, il ressort des pièces du dossier que, comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges, il en a été tenu compte lors de son évaluation, la directrice de l'EPEI de Toulon ayant précisé, dans le rapport susmentionné du 4 juillet 2018, pour renseigner le contexte de réalisation de ce stage : " Mme A... est arrivée dans une équipe en travail sur ses difficultés internes (problèmes de confiance et de cohésion d'équipe). " Alors que l'appelante n'établit, ni même n'allègue que les tâches et les responsabilités qui lui ont alors été confiées ne correspondaient pas aux missions susceptibles d'être confiées à un éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse titulaire, dans l'exercice de fonctions, elle ne démontre pas davantage la réalité des autres difficultés qu'elle allègue avoir rencontrées dans la réalisation de son stage, comme les premiers juges l'ont, là encore, relevé à juste titre au point 7 de leur jugement attaqué par des motifs qu'il convient d'adopter. En effet, et en particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que la tutrice de Mme A... ne l'aurait pas suffisamment accompagnée, ni que ses différents évaluateurs, et en premier lieu, cette tutrice, ou encore les collègues de travail qu'elle avait côtoyés dans sa précédente affectation en qualité de contractuelle au sein de l'UEHC de l'Escaillon auraient fait preuve à son encontre d'une animosité particulière ou auraient entaché leurs rapports de partialité. Enfin, tout en indiquant avoir elle-même demandé à participer à une formation de travail de nuit, l'appelante se plaint d'avoir, en méconnaissance de la réglementation applicable, réalisé des nuits, de 21 heures à 8 heures, sur cinq jours consécutifs avec un planning cumulant jusqu'à 50 heures par semaine. Toutefois, elle ne se prévaut d'aucun texte précis sur ce point et n'établit en tout état de cause pas en quoi, à supposer cette illégalité établie, elle aurait eu des conséquences sur l'appréciation de sa manière de servir. Dans ces conditions, et alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette décision aurait été prise pour des motifs étrangers à l'aptitude professionnelle de Mme A..., le garde des sceaux, ministre de la justice, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de prononcer sa titularisation en qualité d'éducateur de la protection judiciaire de la jeunesse.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à se plaindre de ce, par le jugement attaqué du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande. Il s'ensuit que, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice, en défense, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées. Par voie de conséquence, il doit en être de même de ses conclusions à fin d'injonction ainsi que de celles qu'elle a présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2023.
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No 21MA00815
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