Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 3 février 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire pour une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2200608 du 5 avril 2022 le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 3 février 2022 du préfet des Alpes-Maritimes en tant qu'il comporte à l'égard de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, a enjoint au Préfet des Alpes-Maritimes de faire procéder à la mise à jour du fichier du système d'information Schengen (SIS) et a rejeté le surplus de la demande de l'intéressé.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 décembre 2022, M. B..., représenté par Me Bakary, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de procéder au réexamen de sa demande de titre de séjour et dans cette attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne le jugement :
- il est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative ;
- il est entaché d'une contrariété de motif ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- cette décision est entachée d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de fait ainsi que d'un défaut d'examen ;
- il n'a pas été mis en mesure de présenter ses observations avant de se voir opposer la décision litigieuse ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation des conséquences sur sa vie privée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit au regard de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet devait faire application de l'article L. 621-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit dès lors qu'il dispose d'un titre de séjour italien et qu'il a manifesté son souhait de retourner en Italie ;
En ce qui concerne la décision d'interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans :
- elle n'est pas motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il n'a pas été informé qu'il fait l'objet d'un signalement aux fins non-admission dans le système d'information Schengen, en violation des dispositions de l'article L. 613-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
M.B... été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 septembre 2022 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., ressortissant marocain né le 25 août 1985, relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 février 2022 en ce que le préfet des Alpes-Maritimes l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur la régularité du jugement :
2. Si M. B... soutient que le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative, il ne l'établit pas en se bornant à en contester le bienfondé à l'appui de ce moyen. S'il soutient par ailleurs que le jugement est entaché d'une contrariété de motif, cette circonstance, à la supposer établie, affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non sa régularité. Par suite, les moyens tirés de l'irrégularité du jugement attaqué ne peuvent qu'être écartés.
Sur le bienfondé du jugement :
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
3. En premier lieu, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation, d'erreurs de fait et de non-respect du principe du contradictoire doivent être écartés par adoption des motifs retenus par les juges de première instance dans les considérants 4 et 6, qui n'appellent pas de précision en appel.
4. En deuxième lieu, si le requérant soutient que l'arrêté en litige est entaché d'un défaut d'examen à défaut pour le préfet d'avoir retenu qu'il était titulaire d'un titre de séjour italien l'autorisant à venir en France et le mettant à l'abris d'une obligation de quitter le territoire, il ressort du procès-verbal d'audition du 3 février 2022 qu'il n'était pas en mesure d'en justifier.
5. En troisième lieu, si le requérant soutient que son droit à être entendu a été méconnu, il ressort des pièces du dossier qu'il a été entendu le 3 février à 2022 à 9h15 par un officier de police judiciaire qui lui a demandé s'il avait des observations à formuler en cas de décision d'éloignement. Ce moyen manque en fait.
6. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; " Et aux termes de l'article L. 621-1 de ce même code : " Par dérogation au refus d'entrée à la frontière prévu à l'article L. 332-1, à la décision portant obligation de quitter le territoire français prévue à l'article L. 611-1 et à la mise en œuvre des décisions prises par un autre État prévue à l'article L. 615-1, l'étranger peut être remis, en application des conventions internationales ou du droit de l'Union européenne, aux autorités compétentes d'un autre État, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas prévus aux articles L. 621-2 à L. 621-7. (...) ".
7. Si le requérant fait valoir qu'il disposait d'un titre de séjour italien l'autorisant à entrer sur le territoire national pour une durée de 3 mois, le préfet des Alpes-Maritimes a prononcé par un arrêté du 2 avril 2021 une interdiction de circulation sur le territoire français pour une durée de deux ans, confirmé par un jugement du 8 avril 2021 du tribunal administratif de Nice. Par suite, il ne justifiait pas d'une entrée régulière sur le territoire national du seul fait de son titre de séjour italien en qualité de travailleur autonome. Dès lors, le préfet était fondé à obliger le requérant à quitter le territoire sur le fondement des dispositions de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. En cinquième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ".
9. M. B... soutient qu'il a fixé en France le centre de sa vie privée et familiale, qu'il est marié avec une ressortissante algérienne qui vit en France sous couvert d'une carte de résident valable jusqu'au 23 juillet 2025 et que leurs trois enfants sont nés en France. Il ressort cependant des pièces du dossier que M. B... possède un titre de séjour en cours de validité délivré par les autorités italiennes valable jusqu'en 2023, qu'il déclare travailler en Italie et en France et faire ainsi de nombreux allers retours entre ces deux pays lui permettant de voir sa famille. Par suite, et alors même qu'il ressort des pièces du dossier qu'il dispose d'intérêts familiaux en France, rien ne fait obstacle à ce qu'il retourne provisoirement en Italie le temps de la procédure de regroupement familial en cours. Dans ces conditions, en édictant la décision contestée, le préfet des Alpes-Maritimes n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette obligation a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
En ce qui concerne le pays de destination :
10. Le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire sur l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 621-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des dispositions de l'article L. 621-3 précité, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
11. Il ressort des pièces du dossier que M. B... bénéficie d'un permis de séjour italien délivré le 21 février 2021 et valable jusqu'au 16 février 2023, et a expressément et préalablement, lors de son audition du 3 février 2022, demandé à être reconduit vers l'Italie pays dans lequel il justifie être légalement admissible. Dans ces conditions, le préfet, qui n'invoque aucun motif susceptible de faire obstacle à la reconduite de M. B... vers l'Italie, a entaché son arrêté d'illégalité en y mentionnant un pays de destination autre que celui qu'avait sollicité l'intéressé.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué qu'en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision fixant un autre pays de destination que l'Italie.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :
13. L'annulation de l'arrêté en litige en ce qu'il fixe un autre pays de destination que l'Italie n'appelle pas de mesure d'exécution, et les conclusions de M. B... aux fins d'injonction de réexamen de sa situation ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
14. Dans les circonstances de l'espèces, il n'y pas lieu de mettre à la charge de l'Etat des frais d'instances sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 3 février 2022 du préfet des Alpes-Maritimes est annulé en ce qu'il fixe un autre pays de destination que l'Italie.
Article 2 : Le jugement du 5 avril 2022 du tribunal administratif de Nice est annulé en ce qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A... B..., à Me Bakary et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 19 janvier 2023, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- M. d'Izarn de Villefort, président assesseur,
- M. Quenette, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 février 2023.
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N° 20MA02968