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27/01/2023 | FRANCE | N°21MA01184

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 27 janvier 2023, 21MA01184


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 à 2015.

Par un jugement n° 1803154 du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à leur requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 mars et 5 novembre 2021 le ministre de l'économie, des finances et de la relanc

e demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- au regard de l'article 1er du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 à 2015.

Par un jugement n° 1803154 du 21 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à leur requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 mars et 5 novembre 2021 le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que :

- au regard de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la suppression d'une exonération fiscale ne porte pas atteinte au respect des biens ;

- le bénéfice de l'exonération d'impôt dont la pérennité est revendiquée, n'est pas subordonné à la réalisation d'investissements différents de ceux nécessités par toute implantation nouvelle ;

- rien n'empêche les entreprises installées en ZFU, de s'installer ailleurs, une fois le bénéfice fiscal perdu pour l'avenir ;

- les motifs du législateur ayant présidé à la modification contestée sont légitimes ; l'objectif poursuivi par les nouvelles modalités d'appréciation du bénéfice exonéré, au prorata du chiffre d'affaires réalisé en zone, en rendant la répartition des bénéfices plus conforme à la réalité de l'activité exercée et en favorisant le développement de ces zones grâce à la création d'activités effectivement implantées dans ces territoires, constitue un motif d'intérêt général ;

- le dispositif institué à l'origine en 2006 pour des activités créées jusqu'au 31 décembre 2011, a été régulièrement prorogé - actuellement jusqu'au 31 décembre 2020 - et a subi diverses modifications ; il n'est donc pas irréversible ;

- en tout état de cause, la mesure qui ne remet nullement en question le dispositif du régime de faveur dans son principe même, ne constitue pas une atteinte disproportionnée à l'espérance légitime de bénéficier des montants de l'exonération auxquels le contribuable aurait pu prétendre au titre des années en litige ;

- la demande de rescrit général présentée par la société le 29 décembre 2010

auprès de la direction départementale des finances publiques du Var, portant sur l'éligibilité de la structure nouvellement créée au dispositif d'allègement des bénéfices prévu à l'article 44

octies A, et la réponse de l'administration à cette demande en date du 2 février 2011, ne sauraient être invoquées à l'appui de l'argumentation sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, dès lors qu'en cas de changement de la législation applicable à la situation de fait sur laquelle l'administration s'est prononcée, la réponse qui en fait état perd toute valeur dès l'entrée en vigueur de la nouvelle législation, sans que l'administration soit tenue d'en aviser le contribuable concerné.

Par un mémoire en défense enregistré le 16 juillet 2021, M. et Mme C... B..., représentés par Me Dartiguenave, concluent au rejet de la requête et demandent à la cour de condamner l'Etat à leur payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- la SCP des Médecins Urologues Altobelli-Dahmani-Legon-Vaillant a été privée d'un débat oral et contradictoire durant les opérations de vérification ;

- la modification de l'article 44 octies A du code général des impôts telle que résultant de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013 porte atteinte à l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- un régime fiscal de faveur peut fonder une espérance légitime d'obtenir une somme d'argent, dès lors qu'il est limité dans le temps ;

- en refusant d'exonérer d'imposition les recettes réalisées au sein de cliniques situées hors zone franche, l'administration contredit la prise de position formelle qu'elle avait exprimée dans un courrier du 2 février 2011, en méconnaissance du 1 de l'article L.80 B du livre des procédures fiscales ;

- le régime de faveur trouvait sa contrepartie dans l'implantation de l'entreprise en ZFU ;

- il n'existe aucun motif d'intérêt général à remettre en cause le régime fiscal revendiqué ; le coût élevé d'un régime fiscal ne peut constituer en lui-même un motif d'intérêt général susceptible de justifier l'atteinte portée à l'espérance légitime du contribuable ; le ministre reconnaît d'ailleurs être dans l'incapacité de chiffrer le coût du régime fiscal revendiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- la loi n°2006-396 du 31 mars 2006 ;

- la loi n°2013-1278 du 29 décembre 2013 ;

- le code général des impôts ;

- le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A... D...,

- et les conclusions de M. Allan Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile professionnelle de médecins urologues Altobelli-Dahmani-Legon-Vaillant, constituée le 15 novembre 2010, qui exerce son activité médicale d'urologie au n°521 de l'avenue de Rome, à la Seyne-sur-Mer (83500) en zone franche urbaine (ZFU), s'est placée sous le régime d'exonération des bénéfices prévu à l'article 44 octies A du code

général des impôts. A l'issue d'une vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, portant sur la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015 en ce qui concerne la détermination du résultat imposable à l'impôt sur le revenu, dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, ladite société a été destinataire d'une proposition de rectification n°3924 en date du 12 décembre 2016, ayant eu pour effet de modifier le montant de l'abattement dont elle avait bénéficié en application desdites dispositions du code général des impôts, du fait de la modification de celles-ci par la loi du 29 décembre 2013. Le service vérificateur, après analyse des conditions d'exercice de l'activité de la société, a retenu la nature sédentaire de cette dernière, exercée d'une part, au lieu du siège social situé en zone franche urbaine, et d'autre part, au sein de trois cliniques situées en dehors de la zone. Conformément au dispositif applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2013, le service a déterminé la part des recettes réalisées par chacun des membres de la société en dehors de la zone, non éligibles à compter de cette date au régime de faveur, lesquelles représentent plus de 60 % des recettes totales. La quote-part revenant au Docteur B... a été notifiée au foyer fiscal de ce dernier par proposition de rectification n°2120 du 12 décembre 2016. Les rehaussements du bénéfice non commercial ont été notifiés selon la procédure contradictoire. Les rappels d'impôt sur le revenu en résultant ont été assortis de l'intérêt de retard et de la majoration de 10 % prévue à l'article 1758 du code général des impôts.

2. A défaut de réponse de l'administration à la réclamation du 19 novembre 2017 de M. et Mme B... dans le délai légal, ces derniers ont saisi le tribunal administratif de Toulon à fin de décharge des impositions supplémentaires et pénalités afférentes mises à leur charge.

3. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel du jugement n°1803154 du 21 décembre 2020 par lequel le tribunal a déchargé M. et Mme B... de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et pénalités afférentes mises à leur charge au titre des années 2013 à 2015.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. Aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour... assurer le paiement des impôts... ". Une personne ne peut prétendre au bénéfice des stipulations précitées que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte. A défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations. Si la remise en cause pour l'avenir de dispositions fiscales adoptées sans limitation de durée ne peut pas être contestée par le contribuable sur le terrain de l'espérance légitime, en revanche, l'atteinte à l'espérance légitime du contribuable est caractérisée lorsque le législateur remet en cause un régime fiscal garanti pour une période limitée dans le cadre d'un dispositif incitatif, ou le bénéfice d'un agrément en cours de validité délivré en contrepartie de certains engagements économiques.

5. Aux termes de l'article 44 octies A du code général des impôts, dans sa rédaction préalable à la modification résultant de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013 : " ...Lorsque le contribuable n'exerce pas l'ensemble de son activité dans une zone franche urbaine, le bénéfice exonéré est déterminé en affectant le montant résultant du calcul ainsi effectué du rapport entre, d'une part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises définis à l'article 1467 afférents à l'activité exercée dans les zones franches urbaines et relatifs à la période d'imposition des bénéfices et, d'autre part, la somme des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises du contribuable définis au même article pour ladite période... ". Aux termes du même article, dans sa rédaction résultant de l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013, applicable à compter du

31 décembre 2013 : " ...Lorsque le contribuable n'exerce pas l'ensemble de son activité dans les zones franches urbaines, les bénéfices réalisés sont soumis à l'impôt sur le revenu ou à l'impôt sur les sociétés, dans les conditions de droit commun, en proportion du montant hors taxes du chiffre d'affaires ou de recettes réalisé en dehors de ces zones... ".

6. Il résulte de ces dispositions, que l'article 44 octies A du code général des impôts prévoyait pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006, un régime d'exonération d'impôt sur les bénéfices provenant d'activités professionnelles implantées dans une zone franche urbaine (ZFU). L'exonération était totale pendant cinq ans à compter du début d'activité dans les zones éligibles, puis partielle pendant neuf ans. Le bénéfice exonéré était déterminé au prorata des éléments d'imposition à la cotisation foncière des entreprises (CFE) afférents à l'activité implantée en ZFU. C'est cette règle qui était en vigueur lors de l'implantation de la SCP des médecins urologues Altobelli-Dahmani-Legon-Vaillant dans la ZFU. Constituée le 15 novembre 2010, elle pensait donc pouvoir bénéficier de ce régime fiscal pour tous les exercices clos avant le 1er janvier 2020. Or il a été modifié de manière moins favorable aux contribuables en ce qui concerne les exercices clos avant le 1er janvier 2014, l'article 29 de la loi du 29 décembre 2013 portant loi de finances rectificative pour 2013, prévoyant dès lors, que le bénéfice exonéré serait désormais déterminé au prorata du montant hors taxes du chiffre d'affaires ou des recettes réalisés en zone. Dans ces conditions, dès lors que le législateur avait fixé, dès l'institution de ce régime d'exonération partiel d'impôt, la période à durée limitée durant laquelle il était possible d'escompter en bénéficier, ce dispositif était de nature à laisser espérer son application sur l'ensemble de la période prévue, contrairement à d'autres mesures fiscales adoptées sans limitation de durée. Par suite, les époux B... ont été fondés à soutenir devant le tribunal, qu'en modifiant prématurément comme il l'a fait, par la loi du 29 décembre 2013, le régime prévu par l'article 44 octies A du code général des impôts initialement instauré pour tous les exercices clos avant le 1er janvier 2020, le législateur a porté atteinte à une espérance légitime devant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Le coût élevé d'un régime fiscal ne peut constituer en lui-même un motif d'intérêt général susceptible de justifier l'atteinte portée à l'espérance légitime du contribuable, le ministre reconnaissant d'ailleurs ne pas être en mesure de chiffrer ce coût. Le moyen tiré de ce qu'il n'existerait un motif d'intérêt général de nature à remettre en cause le régime fiscal revendiqué doit donc être écarté même si les entreprises concernées gardent la possibilité de changer de lieu d'installation et que la modification en litige a pour objet de permettre le développement des zones franches urbaines.

8. Est inopérant et doit, par suite, être écarté, le moyen tiré de l'existence de nombreuses modifications successives du régime d'exonération prévu par l'article 44 octies A du code général des impôts depuis son origine, avant la loi du 29 décembre 2013 et depuis.

9. Le ministre n'est pas fondé à soutenir que la SCP des médecins urologues Altobelli-Dahmani-Legon-Vaillant a bénéficié et revendique un régime fiscal octroyé aux entreprises sans contrepartie qui pouvait, dès lors, être modifié ou supprimé avant terme, alors qu'il était subordonné à leur installation en zone franche urbaine. Le moyen formulé à ce titre qui manque en fait doit, par suite, être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon, faisant droit à la requête de M. et Mme B..., les a déchargés de l'obligation de payer les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et pénalités afférentes mises à leur charge au titre des années 2013 à 2015.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à M. et Mme B....

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal sud-est.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, où siégeaient :

- Mme Cécile Fedi, présidente,

- M. Gilles Taormina, président assesseur,

- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 janvier 2023.

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