La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/01/2023 | FRANCE | N°22MA01870

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 24 janvier 2023, 22MA01870


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat et le département du Var à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait d'un harcèlement moral et la somme de 10 000 euros au titre du dysfonctionnement de leurs services.

Par un jugement n° 1504154 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19MA01309 du 22 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Marseille

a rejeté l'appel formé par M. C... contre ce jugement.

Par une décision n° 444568 d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'Etat et le département du Var à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait d'un harcèlement moral et la somme de 10 000 euros au titre du dysfonctionnement de leurs services.

Par un jugement n° 1504154 du 7 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 19MA01309 du 22 juillet 2020, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par M. C... contre ce jugement.

Par une décision n° 444568 du 24 juin 2022, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et a renvoyé l'affaire devant la Cour.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés avant cassation, le 21 mars 2019 et le 7 janvier 2020, et des mémoires enregistrés après cassation, les 27 juillet et 22 août 2022, M. C..., représenté par Me Dhib, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 7 février 2019 ;

2°) de condamner solidairement le département du Var et l'Etat à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation du harcèlement moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis, majorée des intérêts de droit à compter de la date de sa première demande d'indemnisation ;

3°) de condamner solidairement le département du Var et l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros en raison du dysfonctionnement de leurs services, caractérisé par l'absence de mise en œuvre de mesures de prévention ;

4°) subsidiairement, de condamner solidairement le département du Var et l'Etat à lui verser la somme de 70 000 euros en raison du dysfonctionnement du service caractérisé par l'absence de mise en œuvre de mesures de prévention malgré les multiples alertes et signalements ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat et du département du Var les entiers dépens et la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il subit fréquemment des agissements constitutifs de harcèlement moral depuis l'année 2008, ainsi qu'une discrimination à raison de sa qualité de représentant syndical ;

- ces agissements engagent la responsabilité du département du Var à son égard, ainsi que celle de l'Etat du fait de son inertie ;

- l'Etat et le département ont par ailleurs méconnu leur obligation de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité, découlant du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail, notamment en s'abstenant de prononcer la mutation de l'intéressé dans l'intérêt du service ou de lui proposer sérieusement des affectations proches de son domicile, en dépit des divers signalements, à l'origine de la dégradation de son état de santé ayant conduit à des arrêts de travail imputables au service ;

- ces agissements fautifs lui ont causé un préjudice moral qui doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 60 000 euros, compte tenu de la persistance des faits et de l'aggravation de son état de santé, qui s'est traduite par la revalorisation de son taux d'incapacité permanente partielle ;

- si le juge ne devait pas condamner l'Etat et le département à réparer son préjudice moral au titre du harcèlement moral et de leur inertie fautive, mais seulement au titre de cette inertie, la somme à lui octroyer devrait être de 70 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré avant cassation le 18 novembre 2019 et des mémoires enregistrés, après cassation, les 10 août et 5 septembre 2022, le département du Var, représenté par Me Laridan, conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C... la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les conclusions indemnitaires de M. C... sont irrecevables en tant que leur montant excède celui des sommes sollicitées à titre préalable, l'aggravation de sa situation médicale et d'incapacité permanente partielle étant sans lien avec les agissements invoqués ;

- les agissements invoqués qui, soit ne sont pas établis, soit sont justifiés par son propre comportement, ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.

Par des mémoires en défense, enregistrés avant cassation, le 7 janvier 2020, et après cassation, les 16 et 23 août 2022, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut, dans le dernier état de ses écritures, au rejet de la requête, en soutenant, à l'identique du département du Var, que les conclusions indemnitaires sont irrecevables et que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 août 2022 la clôture d'instruction a été fixée au 8 septembre 2022 à 12 heures, puis reportée au 15 septembre 2022, à 12 heures, par ordonnance du

6 septembre 2022.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- le décret n° 82-453 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 2005-1785 du 30 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de M. C... et de Me Ratouit, substituant Me Laridan, représentant le département du Var.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ouvrier professionnel des établissements d'enseignement de la fonction publique d'Etat détaché sans limitation de durée auprès du département du Var depuis le 1er janvier 2007 en qualité d'adjoint technique territorial principal de 2ème classe des établissements d'enseignement, est affecté depuis le 1er septembre 2002 au collège " Les Eucalyptus " d'Ollioules. Par un jugement du 7 février 2019, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat et du département du Var à l'indemniser du préjudice subi du fait d'un harcèlement moral dont il s'estimait victime ainsi qu'au titre d'un dysfonctionnement des services résultant d'un manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents. Par un arrêt du 22 juillet 2020, la Cour a rejeté l'appel de M. C... contre ce jugement. Mais par une décision du 24 juin 2022, le Conseil d'Etat a, sur pourvoi de M. C..., annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire devant la Cour.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de M. C... fondées sur les agissements de harcèlement moral :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

2. Aux termes des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, désormais codifiés aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération :/ 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / (...) ".

3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre la gestionnaire de collège :

4. A les supposer formulées, les prétentions de M. C... tendant à l'engagement de la responsabilité personnelle de la gestionnaire du collège dans lequel il est affecté depuis 2002, à laquelle il impute la majorité des agissements de harcèlement moral qu'il allègue, ne relèvent pas de la compétence de la juridiction administrative et doivent donc être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, ainsi que le relèvent les intimés.

En ce qui concerne les conclusions dirigées contre l'Etat et le département du Var :

5. Pour affirmer avoir été victime de la part de sa hiérarchie directe au sein de son établissement scolaire d'affectation, d'agissements de harcèlement moral, M. C... dénonce le caractère répété d'agissements commis tant par la gestionnaire de l'établissement que par sa principale, la dégradation de ses conditions de travail qui en a selon lui résulté, et les conséquences de ces faits sur l'intégrité de sa personne, son état de santé, sa dignité et son avenir professionnel.

Quant aux agissements de harcèlement moral invoqués :

6. M. C... se plaint d'avoir été victime d'agissements de harcèlement moral consistant, d'abord, dans le comportement autoritaire, humiliant et vexatoire de la gestionnaire d'établissement, ensuite dans les décisions de lui retirer le passe d'accès général à l'établissement, une ligne téléphonique extérieure et l'usage de la place de stationnement située devant le collège, par ailleurs dans le fait de se voir reprocher l'inexécution de tâches ne relevant pas de ses fonctions ainsi que l'accomplissement de fonctions syndicales, et enfin, dans une série de plaintes pénales déposées contre lui et portées par lui en réponse.

7. Toutefois, en premier lieu, si M. C... soutient devant la Cour comme devant les premiers juges que les faits de harcèlement moral ont débuté en 2008, avec l'affectation dans le collège d'un nouvel agent technique qu'il connaissait par ailleurs et dont l'arrivée a coïncidé avec un changement de comportement à son égard de la gestionnaire d'établissement, les pièces produites à l'appui de ses affirmations, qu'il s'agisse de la plainte pénale déposée le 3 juillet 2014, du signalement au recteur d'académie de Nice ou de l'attestation de cet agent du 4 avril 2008 ou du témoignage d'un autre agent, du 22 septembre 2014, qui évoquent des dates ou périodes différentes, ne permettent ni de corroborer la date alléguée de commencement du harcèlement, ni d'établir, à ce titre, une autre date ou période.

8. En deuxième lieu, si par une lettre du 4 avril 2008, M. C... et quatre autres adjoints techniques se sont plaints au recteur d'académie du comportement agressif et autoritaire de la gestionnaire du collège, et plus particulièrement du rapport établi par celle-ci au sujet de la manière de servir de l'un d'eux, le département du Var soutient avec précision, sans être contredit, que cette lettre est intervenue alors qu'au cours de l'année scolaire 2007-2008, un médecin du travail et un ergologue ont mis au jour des tensions au sein de ce service, apparues en raison d'une remise en cause par certains de ces agents, dont le requérant, de l'autorité fonctionnelle de cette gestionnaire. Dans un tel contexte, le comportement général de la gestionnaire de l'établissement, qui a pu recueillir le soutien constant de la principale d'établissement ainsi que de la direction de l'éducation et des collèges du département du Var, ne saurait être regardé comme ayant excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique au point de devoir être qualifié, à l'endroit de M. C..., de harcèlement moral.

9. En troisième lieu, il n'est pas contesté que, ainsi que l'affirme M. C..., son passe d'accès à l'ensemble de l'établissement scolaire lui a été retiré en 2008. Mais le département du Var fait valoir, sans être contredit, que cette mesure procède d'une réorganisation des services, et s'est accompagnée de l'allocation de passes plus restreints, dont M. C... n'allègue pas qu'ils ne lui ont pas permis d'exercer normalement ses fonctions.

La circonstance que dans d'autres établissements scolaires, des adjoints techniques continueraient d'utiliser un passe général d'accès demeure sans incidence sur l'appréciation des agissements dénoncés par le requérant. Si, en outre, aucun des intimés ne conteste sérieusement que M. C... a bénéficié de l'autorisation de sa hiérarchie de stationner son véhicule personnel devant le collège, compte tenu de son handicap, il n'est pas davantage contesté que seule l'exclusivité de stationnement ainsi octroyée à l'intéressé lui a été retirée, avant 2008, sans qu'il soit résulté un obstacle aux déplacements de l'agent. Enfin, la suppression de la ligne téléphonique extérieure dont bénéficiait M. C..., et au sujet de laquelle il ne livre en cause d'appel aucune indication précise, n'est pas propre à sa situation mais concerne, dans le cadre d'une réorganisation des services décidée en 2008 dans le contexte décrit au point 8, d'autres agents signataires de la lettre du 4 avril 2008, ainsi que l'indique ce document, sans pouvoir s'analyser, à elle seule, comme un agissement de harcèlement moral.

10. En quatrième lieu, les allégations de M. C..., selon lesquelles la gestionnaire de collège lui aurait demandé de réaliser une manipulation sur la gestion technique centralisée de l'ordinateur de l'agent d'accueil, et aurait signalé à son supérieur hiérarchique le refus de l'intéressé d'exécuter cette tâche, étrangère à ses attributions, sont démenties par les affirmations du ministre chargé de l'éducation, appuyées par un courriel de la gestionnaire du 2 juin 2015, qui font état du refus de M. C... de répondre à une demande d'éclairage de l'établissement, laissé dans l'obscurité en début de journée, laquelle correspondait à ses fonctions. Il ne ressort d'aucune des pièces produites par l'appelant, pas même du courrier de la gestionnaire d'établissement du 20 mai 2015, que lui auraient été reprochées ses absences pour décharges syndicales, notamment sous la qualification de refus d'obéir, et que des conséquences auraient été tirées de ces dernières sur la carrière de l'intéressé.

11. En cinquième lieu, M. C..., qui ne livre aucune indication utile et précise pour affirmer que la plainte déposée contre lui le 19 avril 2014 pour harcèlement moral par un agent affecté dans le même collège depuis janvier 2014, et classée sans suite, aurait été portée à l'initiative de la gestionnaire de l'établissement, ne conteste pas que cet agent a réagi, par cette plainte, aux propos injurieux qu'il a tenus à son endroit au cours d'une réunion tenue le 10 avril 2014. Si l'un des agents témoins de ces faits et signataires de l'attestation du 17 avril 2014, produite en première instance par le recteur d'académie, s'est rétracté par une nouvelle attestation du 13 juillet 2019, une telle circonstance n'est en tout état de cause pas de nature, à elle seule, à remettre en cause la réalité des faits à l'origine de la plainte.

12. En sixième lieu, les allégations de M. C... selon lesquelles la gestionnaire de l'établissement aurait invité le 3 juillet 2014, au repas de fin d'année scolaire, l'agent qui avait porté plainte contre lui le 19 avril 2014 et qui, depuis cette date, n'appartenait plus aux effectifs du collège mais avait regagné son poste d'origine, à des seules visées de provocation et d'humiliation, ne sont corroborées ni par les affirmations du département, suivant lesquelles cette invitation était de l'initiative de la principale du collège, ni par les usages administratifs, ni par le simple fait que, le jour même, il a lui-même porté plainte contre la gestionnaire pour menace et chantage, qui a été classée sans suite et que, le 10 juillet 2014, il a procédé à un signalement auprès du recteur d'académie. Faute de préciser les suites qui auraient été réservées à sa lettre de relance adressée au parquet le 29 avril 2015 et indiquant que le motif de sa plainte n'était pas la menace ou le chantage, mais le harcèlement moral, M. C... n'apporte pas les éléments suffisants pour faire présumer l'existence d'un agissement de cette nature, commis par la gestionnaire de l'établissement, le 3 juillet 2014. Si, le 16 septembre 2014, M. C... a, de nouveau, déposé plainte contre la gestionnaire, cette fois pour harcèlement moral, en faisant valoir les différentes circonstances évoquées aux points précédents, il ne précise pas davantage les suites qui y auraient été données par la justice pénale, alors que la gestionnaire a par ailleurs sollicité la protection fonctionnelle de son employeur. L'affirmation de M. C... selon laquelle la gestionnaire du collège aurait cherché à faire pression sur ses agents avant d'être entendue par les services de police au sujet de sa plainte, dépourvue de toute précision utile, est contredite non seulement par une lettre d'explication de la principale de l'établissement adressée à la rectrice, mais également par l'affirmation du département et du ministre que cette réunion était destinée à informer les agents sur la procédure dont elle faisait l'objet.

13. En septième lieu, il résulte de l'instruction que M. C... a porté plainte contre la gestionnaire et la principale du collège, le 8 juin 2015, pour diffamation, à la suite de propos insultants prêtés par la première au requérant qui nie les avoir tenus et contre qui la demande de sanction présentée par ses deux supérieures hiérarchiques n'a reçu aucune suite. Cependant, une telle circonstance, survenue dans le contexte décrit au point 8, et dont il n'est pas allégué qu'elle n'aurait pas correspondu à une démarche engagée de bonne foi par les supérieures hiérarchiques de l'intéressé, ne peut en tant que telle être qualifiée d'intimidation constitutive d'un agissement de harcèlement moral.

Quant à la dégradation alléguée de ses conditions de travail :

14. Compte tenu de ce qui a été dit aux points précédents, la simple circonstance que M. C... a soldé ses jours de congés et de récupération au cours de l'année scolaire 2015-2016 et a renoncé à ses mandats syndicaux les 20 septembre et 14 novembre 2016 ne saurait par elle-même révéler qu'il y aurait été contraint par des agissements de harcèlement moral.

Quant aux entraves alléguées à son évolution professionnelle :

15. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 13, dans la mesure où la demande de sanction présentée par la gestionnaire et la principale du collège n'a pas été suivie d'effets, M. C... ne peut utilement soutenir qu'un tel fait a été de nature à compromettre son avenir professionnel, alors, au surplus, que, au titre de l'année 2014, sa note chiffrée a été rehaussée de 0,25 point.

16. D'autre part, à la supposer avérée, la circonstance que les supérieures hiérarchiques de M. C... se seraient abstenues de l'informer, pour 2015 et pour 2016, de la circulaire relative aux conditions d'avancement au grade d'adjoint technique des établissements d'enseignement de 2ème classe, alors qu'il disposait d'informations privilégiées du fait de ses mandats syndicaux, est sans incidence sur son évolution professionnelle dès lors que le ministre chargé de l'éducation soutient dans ses dernières écritures, sans être contredit, qu'il a pu utilement présenter sa candidature à cet avancement, au titre de ces deux années. Si M. C... se plaint de l'avis défavorable donné le 8 juin 2015 par la principale de collège à son avancement au titre de l'année 2015, et fondé notamment sur son refus d'avoir des relations apaisées avec sa supérieure fonctionnelle, sa contestation portée devant la commission administrative paritaire a été rejetée par avis du 24 septembre 2015.

17. Enfin, l'appréciation portée sur sa manière de servir, dans l'évaluation professionnelle établie le 5 février 2015 au titre de l'année 2014, moins élogieuse que celles portées au titre des années 2011 et 2012, s'explique par le surcroît de tâches accomplies par l'intéressé au cours de ces deux années, en remplacement partiel de sa gestionnaire d'établissement, à la satisfaction de sa hiérarchie. M. C... ne peut donc tirer argument de son évaluation professionnelle de l'année 2014, qui a été l'objet d'une mise en cohérence de l'appréciation littérale et de la note chiffrée sur avis de la commission administrative paritaire, pour affirmer que cet acte est de nature à compromettre l'évolution de sa carrière et traduit un harcèlement moral.

Quant à l'altération de l'état de santé de M. C... :

18. Il résulte de l'instruction, et notamment de la lettre du recteur d'académie du 9 janvier 2014, que l'allocation temporaire d'invalidité dont bénéficie de M. C... trouve son fondement dans les quatre accidents de service dont il a été victime entre les années 2000 et 2004, sans rapport avec les agissements allégués de harcèlement moral. En l'absence de toute pièce médicale en ce sens, l'appelant ne peut donc se prévaloir de cette allocation, ni de l'aggravation du taux d'invalidité y afférent, ni à plus forte raison du diabète de type II dont il est atteint, pour prétendre que son état de santé se serait dégradé du fait d'agissements de harcèlement moral.

19. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 7 à 17, s'il est constant que, par un arrêté du président du conseil départemental du 8 novembre 2016, la maladie anxio-dépressive de M. C... survenue le 9 juin 2015 a été reconnue imputable au service, au même titre que ses arrêts de travail du 9 juin 2015 au 27 août 2015, et les soins reçus du 28 août 2015 au 31 décembre 2016, et que, par jugement du 18 septembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a annulé, pour erreur d'appréciation, le refus de reconnaître l'imputabilité au service de ses arrêts de travail, pour la période du 22 novembre 2016 au 28 avril 2017, ni les placements en congé de maladie, ni leur imputabilité au service, ni même le rapport d'expertise médicale du 24 janvier 2017, qui se borne à reprendre les déclarations de l'intéressé, ne sont à eux seuls de nature à révéler, rétrospectivement, l'existence d'agissements de harcèlement moral au sens des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.

20. Il résulte de ce qui précède qu'aucune des circonstances invoquées par M. C..., prises isolément ou cumulativement, n'est de nature à faire présumer l'existence d'agissements de harcèlement moral dont il aurait été victime de la part de ses supérieures hiérarchiques. Il n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement querellé, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions indemnitaires fondées sur la commission à son encontre de tels agissements, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces prétentions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires de M. C... fondées sur les dispositions de l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 :

21. Les autorités administratives ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents. Il leur appartient à ce titre, sauf à commettre une faute de service, d'assurer la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet, ainsi que le précise l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale, dans sa rédaction issue du décret du 16 juin 2000.

22. D'une part, contrairement à ce que soutient M. C... qui se borne à ce titre à dénoncer l'abstention de son employeur à prononcer sa mutation malgré ses signalements, il résulte de l'instruction, et notamment de la réponse donnée par le président du conseil départemental du Var à sa demande préalable d'indemnisation que, au cours de la période où les tensions avec ses supérieures hiérarchiques se sont aggravées, le département du Var, qui est l'autorité fonctionnelle de l'intéressé, lui a proposé dès juillet 2015, soit peu après son placement en congé de maladie, au terme d'une réunion avec le directeur des collèges et des délégués syndicaux, de l'affecter dans un autre collège, sans que M. C... ne donne suite à cette proposition dont il ne remet sérieusement en doute ni la réalité ni le sérieux. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une proposition de mutation aurait dû lui être présentée avant cette date, alors que, ainsi qu'il a été dit au point 12, et contrairement à ce que persiste à affirmer le requérant à ce stade de son argumentation, la présence, au repas de fin d'année scolaire du 3 juillet 2014, de l'agent qui avait porté plainte contre lui ne peut être considérée comme l'ayant mis en danger. Par suite, et alors que le 17 mars 2016, M. C... s'est vu proposer une mutation sur un poste d'adjoint technique dans un collège de Toulon, qui n'est pas éloigné de son domicile, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que son employeur se serait abstenu de prendre une mesure d'affectation de nature à assurer sa sécurité et à protéger sa santé physique et morale.

23. D'autre part, si M. C... évoque, de manière générale, les mesures de prévention, d'assistance ou de réparation concrète que le département et l'Etat auraient dû prendre pour prévenir la dégradation de son état de santé, malgré les nombreux signalements et alertes portées à la connaissance de ses employeurs, il ne livre à ce titre aucune précision suffisante. Au demeurant, le département du Var affirme, sans être contredit, qu'en octobre 2014, après la plainte déposée par M. C... contre la gestionnaire du collège, l'intéressé a été reçu par celle-ci et la principale de l'établissement, afin d'apaiser les tensions, de lui demander de conserver son professionnalisme et continuer à travailler sous l'autorité fonctionnelle directe de la gestionnaire.

24. Enfin, la simple circonstance que l'imputabilité au service des arrêts de travail de l'intéressé a été reconnue par l'administration et par le juge ne saurait suffire à révéler la commission d'un manquement par le département du Var ou par l'Etat à l'une des obligations prescrites par le décret du 28 mai 1982.

25. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions indemnitaires fondées sur la méconnaissance de l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des agents publics, sans qu'il soit besoin de statuer sur leur recevabilité.

Sur les frais liés au litige :

26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge du département du Var et de l'Etat qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu non plus de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par le département

du Var.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le département du Var sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse et au département du Var.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.

N° 22MA018702


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01870
Date de la décision : 24/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-07-10-005 Fonctionnaires et agents publics. - Statuts, droits, obligations et garanties. - Garanties et avantages divers. - Protection contre les attaques.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : DHIB

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-01-24;22ma01870 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award