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10/01/2023 | FRANCE | N°21MA02694

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 4ème chambre, 10 janvier 2023, 21MA02694


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'abord de condamner in solidum la commune de Sospel et SNCF Réseau à leur verser, d'une part, la somme de 26 504,74 euros, en réparation des préjudices matériels subis du fait des inondations de leur propriété, assortie des intérêts à compter du 6 avril 2018, d'autre part la somme de 20 000 euros, en réparation du préjudice de jouissance et du " sentiment d'abandon " subis, assortie des intérêts à compter de la date d'intro

duction de leur requête, ensuite de condamner la commune de Sospel à leur vers...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... et Mme C... D... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'abord de condamner in solidum la commune de Sospel et SNCF Réseau à leur verser, d'une part, la somme de 26 504,74 euros, en réparation des préjudices matériels subis du fait des inondations de leur propriété, assortie des intérêts à compter du 6 avril 2018, d'autre part la somme de 20 000 euros, en réparation du préjudice de jouissance et du " sentiment d'abandon " subis, assortie des intérêts à compter de la date d'introduction de leur requête, ensuite de condamner la commune de Sospel à leur verser une somme de 14 820 euros par année écoulée, en réparation du préjudice correspondant à la perte de valeur vénale de leur bien, à défaut de réalisation des travaux d'urgence préconisés par l'expert désigné par le tribunal, enfin d'enjoindre à la commune de Sospel de réaliser ces travaux d'urgence.

Par un jugement n° 1803741 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nice a mis hors de cause la communauté d'agglomération de la Riviera française, a condamné in solidum la commune de Sospel et SNCF Réseau à verser aux consorts D... une somme de

22 441,44 euros, a mis les frais de l'expertise, à la charge solidaire de la commune de Sospel et de SNCF Réseau, a condamné la commune à garantir SNCF Réseau à hauteur du tiers du montant des sommes mises à sa charge par les articles 2 et 3 du jugement et SNCF Réseau à garantir la commune de Sospel à hauteur du tiers du montant des sommes mises à sa charge par ces mêmes articles, a mis une somme de 1 000 euros à la charge de la commune de Sospel et une somme de 1 000 euros à la charge de SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 10 juillet 2021 et les 13 juillet et

4 octobre 2022, la commune de Sospel, représentée par Me Jacquemin, membre de l'association Demes, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 11 mai 2021, sauf en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires liées au préjudice de sentiment d'abandon, au préjudice moral, au préjudice de dépréciation de la valeur de la propriété ainsi que la demande d'injonction de faire les travaux d'urgence ;

2°) de rejeter la demande de première instance dirigée contre la commune, à titre principal comme irrecevable, et subsidiairement comme non fondée ;

3°) de condamner SNCF Réseau et la communauté d'agglomération de la Riviera française à la garantir de toute condamnation éventuelle ;

4°) de mettre à la charge des demandeurs la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

- seule la responsabilité de la communauté d'agglomération pouvait être engagée compte tenu de sa compétence générale en matière de gestion des eaux pluviales au moment du litige, sur tout le territoire communal et pas seulement sur les aires urbaines, dont relève en tout état de cause la propriété des demandeurs ;

- en conséquence de cette responsabilité, la commune doit être mise hors de cause ou, à tout le moins, être garantie par la communauté d'agglomération de toute condamnation éventuelle contre elle ;

- en tout état de cause l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales n'impose pas à la commune de réaliser un réseau d'évacuation pour absorber les eaux pluviales de tout son territoire ;

- le partage des responsabilités opéré par le tribunal entre la commune et SNCF Réseau ne correspond pas à la part imputable exclusivement au défaut d'entretien des ouvrages par cet établissement, à tout le moins supérieure à celle de la commune ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'expert judiciaire n'a pas considéré que les dommages causés à la propriété des demandeurs étaient dus même pour partie aux insuffisances du réseau existant ;

- les frais de remise en état et le préjudice de jouissance ne sont pas justifiés ;

- les frais d'expertise doivent être assumés par les demandeurs, et le jugement doit être annulé en ce qu'il a de contraire à cette argumentation ;

- compte tenu de l'absence de nouveau sinistre depuis les opérations d'expertise, la demande d'injonction de réaliser des travaux n'a pas d'objet et doit être rejetée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 juin et 19 septembre 2022,

M. et Mme D..., représentés par Mme E..., concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs demandes indemnitaires ;

3°) à la condamnation in solidum de SNCF Réseau et de la commune de Sospel à leur verser la somme de 26 504,74 euros correspondant au coût des travaux avancés, de remise en état des terrains, du matériel dégradé et à la perte de location, arrêtés au 6 avril 2018, outre intérêts à compter de la date de dépôt du rapport d'expertise du même jour et subsidiairement, à la condamnation in solidum de SNCF Réseau, de la commune de Sospel et de la communauté d'agglomération de la Riviera française, à leur verser la même somme, au même titre, dans les mêmes conditions ;

4°) à la condamnation in solidum de la SNCF, de la commune de Sospel et/ou de la communauté d'agglomération de la Riviera Française à leur verser la somme de 20 000 euros correspondant au préjudice de jouissance et au sentiment d'abandon en l'absence de réaction de la SNCF et de la commune suite aux différentes inondations, outre les intérêts légaux à compter du dépôt de la requête introductive d'instance ;

5°) à la condamnation de la commune de Sospel et/ou de la communauté d'agglomération de la Riviera Française à leur verser la somme de 14 820 euros par année écoulée à défaut de réalisation des travaux d'urgence préconisés au cours de l'année 2018, au titre de la dépréciation de la valeur de leur maison ;

6°) à ce qu'il soit enjoint à la commune de Sospel et/ou à la communauté d'agglomération de la Riviera française de réaliser les travaux urgents préconisés par l'expert judiciaire, avant le 31 décembre 2018 et au-delà sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

7°) à ce que soient mis à la charge de la commune de Sospel les entiers dépens et à la charge solidaire de la commune et de SNCF Réseau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- leur demande contre la commune est recevable, compte tenu du retour de la compétence " eau " aux communes à compter du 1er janvier 2018 ;

- subsidiairement leur demande est dirigée contre la communauté d'agglomération, dont la compétence n'est pas limitée aux zones urbaines ;

- leur demande contre SNCF Réseau est recevable compte tenu de leur demande d'indemnisation présentée le 4 août 2020, en cours d'instance ;

- la faute de la commune est tellement grave qu'elle absorbe celle éventuellement commise par le lotisseur ;

- aucun événement de force majeure ne peut atténuer la responsabilité de SNCF Réseau ni l'en exonérer, puisque les sinistres ont disparu avec l'entretien des ouvrages dont l'établissement a la charge et ont repris en octobre 2020 du fait, à nouveau, d'une absence d'entretien ;

- le montant de l'indemnité réclamée au titre du préjudice correspondant aux remises en état et travaux déjà réalisés, et dûment justifié en sa ventilation, a été réactualisé ;

- ils ont subi un préjudice de jouissance, comme l'a relevé l'expert dans son rapport, qui perdure, puisqu'ils ont subi une nouvelle inondation en octobre 2020 et en janvier 2022 ;

- la perte de valeur de leur propriété est elle aussi établie, compte tenu du processus de vente interrompu par les inondations et les désordres engendrés ;

- la persistance des désordres justifie la réalisation des travaux préconisés par l'expert et qu'il conviendra d'ordonner à la commune et/ ou à la communauté d'agglomération de réaliser, sous astreinte ;

- le préjudice lié au sentiment d'abandon correspond à l'attente dans laquelle ils ont été placés jusqu'à ce que, après le rapport d'expertise judiciaire, SNCF Réseau procède au nettoyage de ses ouvrages et mette provisoirement fin aux inondations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2022, la SNCF Réseau, représentée par Me Cinelli, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement attaqué ;

2°) de rejeter la demande de première instance et de la mettre hors de cause ;

3°) de condamner la commune de Sospel et/ ou la communauté d'agglomération de la Riviera française à la garantir de toute condamnation éventuelle ;

4°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'établissement public soutient que :

- la demande était irrecevable faute d'avoir été précédée d'une demande d'indemnisation, et le tribunal n'a pas statué sur cette fin de non-recevoir pourtant soulevée devant lui ;

- les ouvrages de la SNCF Réseau n'ont joué aucun rôle causal dans la survenance des désordres subis par la propriété des demandeurs ;

- les intempéries ayant causé les sinistres en cause revêtent le caractère d'un événement de force majeure, propre à exonérer l'établissement de toute responsabilité ;

- la part de responsabilité qui lui a été laissée par le jugement attaqué n'est pas en rapport avec la gravité du manquement qui lui est imputé, de sorte que la commune et la communauté d'agglomération doivent la garantir de toute condamnation ou, à tout le moins, que sa part de responsabilité doit être ramenée à 10 % ;

- les prétentions indemnitaires sont à la fois excessives et injustifiées ;

- la solidarité de condamnation ne se présume pas mais doit être établie par la partie qui l'invoque.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 septembre et 29 septembre 2022, la communauté d'agglomération de la Riviera française, représentée par Me Plenot, conclut à la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il la met hors de cause et à ce que soit mise à la charge de la partie perdante la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'établissement public soutient que :

- il ne peut être condamné dès lors que, s'il est bien compétent depuis le 1er janvier 2020 en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, la propriété des demandeurs est rangée en zone N au plan local d'urbanisme de la commune de Sospel et que les faits sont antérieurs au transfert de compétence ;

- les désordres subis par la propriété des demandeurs ont été causés par le défaut d'entretien du canal d'évacuation appartenant à la SNCF Réseau et par l'absence de gestion des eaux pluviales par le lotissement d'implantation de cette propriété.

Par ordonnance du 5 septembre 2022 la clôture d'instruction a été fixée au

22 septembre 2022 à 12 heures, puis reportée au 4 octobre 2022, à 12 heures, par ordonnance du 21 septembre 2022.

Par une lettre du 1er décembre 2022, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que seraient irrecevables les conclusions d'appel provoqué présentées par la SNCF Réseau contre la commune de Sospel et/ou la communauté d'agglomération de la Riviera française, et par les consorts D... contre la SNCF Réseau, dans l'hypothèse où, sur appel principal de la commune, leurs situations respectives ne seraient pas aggravées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,

- et les observations de Me Cerbello, substituant Me Jacquemin, représentant la commune de Sospel, de Me E..., représentant M. et Mme D... et de

Me Gadd, substituant Me Plenot, représentant la communauté d'agglomération de la Riviera française.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D... possèdent depuis 1998 sur la commune de Sospel, au sein du lotissement dénommé " Le domaine de la source ", une maison d'habitation qui a subi des inondations du fait des fortes pluies survenues les 25 décembre 2013 et 5 janvier 2014. Par une ordonnance du 7 janvier 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a ordonné une expertise aux fins, notamment, de déterminer les causes de ces inondations. Après le rapport d'expertise judiciaire du 6 avril 2018, M. et Mme D... ont présenté le 4 août 2020 trois demandes, respectivement à la commune de Sospel, à la SNCF Réseau et à la communauté d'agglomération de la Riviera française, tendant à la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de ces inondations et à la réalisation des travaux urgents préconisés par l'expert judiciaire. Par un jugement du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nice a, premièrement, mis hors de cause la communauté d'agglomération de la Riviera française, deuxièmement condamné in solidum la commune de Sospel et la SNCF Réseau à verser à

M. et Mme D... une somme de 22 441,44 euros, troisièmement mis les frais de l'expertise à la charge solidaire de la commune de Sospel et de la SNCF Réseau, quatrièmement condamné la commune à garantir SNCF Réseau à hauteur du tiers du montant des sommes mises à sa charge par les articles 2 et 3 du jugement et la SNCF Réseau à garantir la commune de Sospel à hauteur du tiers du montant des sommes mises à sa charge par ces mêmes articles, cinquièmement mis une somme de 1 000 euros à la charge de la commune de Sospel et une somme de 1 000 euros à la charge de la SNCF Réseau en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et enfin rejeté le surplus des conclusions des parties. La commune de Sospel relève appel de ce jugement, sauf en ce qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires liées au préjudice de sentiment d'abandon, au préjudice moral, au préjudice de dépréciation de la valeur de la propriété ainsi que la demande d'injonction de faire les travaux d'urgence, cependant que, d'une part, M. et Mme D... forment appel incident du jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à leurs prétentions indemnitaires et qu'il a rejeté leur demande d'injonction et d'autre part, la SNCF Réseau sollicite, par la voie de l'appel provoqué, l'annulation du jugement attaqué.

Sur l'appel principal de la commune de Sospel :

En ce qui concerne la mise hors de cause de la communauté d'agglomération de la Riviera française :

2. L'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales dispose, à compter du 1er janvier 2015, que : " La gestion des eaux pluviales urbaines correspondant à la collecte, au transport, au stockage et au traitement des eaux pluviales des aires urbaines constitue un service public administratif relevant des communes, dénommé service public de gestion des eaux pluviales urbaines ". Aux termes de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2020 : " I.- La communauté d'agglomération exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences suivantes : (...) 10° Gestion des eaux pluviales urbaines, au sens de l'article L. 2226-1. La communauté d'agglomération peut déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 8° à 10° du présent I à l'une de ses communes membres.

(...) Les compétences déléguées en application des treizième et quatorzième alinéas du présent I sont exercées au nom et pour le compte de la communauté d'agglomération délégante ".

3. En outre, aux termes des dispositions du III de l'article L. 5211-5 du même code, applicables à l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale :

" Le transfert des compétences entraîne de plein droit l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu'à l'ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 et des articles

L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5. (...) / L'établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes. ".

4. Enfin, l'article 133 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dispose que : " XII. - Sauf dispositions contraires, pour tout transfert de compétence ou délégation de compétence prévu par le code général des collectivités territoriales, la collectivité territoriale ou l'établissement public est substitué de plein droit à l'Etat, à la collectivité ou à l'établissement public dans l'ensemble de ses droits et obligations, dans toutes ses délibérations et tous ses actes. ".

5. Il résulte des dispositions citées au point 4, à l'application desquelles ne font pas obstacle les dispositions citées au point 3, que le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique la substitution de plein droit de cet établissement à la commune dans l'ensemble de ses droits et obligations attachées à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. Ainsi, ces dispositions, combinées à celles du 10° de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales qui rendent les communautés d'agglomération compétentes en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, en lieu et place de leurs communes membres, à compter du 1er janvier 2020, ont pour effet de substituer, pour ce qui est du réseau d'eaux pluviales urbaines existant sur le territoire d'une commune, à compter de cette même date, la communauté d'agglomération dont celle-ci est membre dans l'ensemble de ses droits et obligations, notamment en ce qui concerne les actions en responsabilité engagées par les propriétaires riverains de ce réseau pour demander la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de cet ouvrage avant comme après le transfert de compétence.

6. Depuis le 1er janvier 2020, la communauté d'agglomération de la Riviera française, créée le 1er janvier 2001, est compétente de plein droit, en lieu et place de ses communes membres, dont la commune de Sospel, pour assurer le service public administratif de la gestion des eaux pluviales urbaines. Elle est en charge, à ce titre, de l'entretien du réseau public d'eaux pluviales urbaines existant sur le territoire de la commune de Sospel, sous réserve des conventions de gestion qu'elle pourrait conclure avec la commune sur le fondement des dispositions de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la communauté d'agglomération doit seule répondre des conséquences dommageables attachées à l'existence et au fonctionnement du réseau public d'eaux pluviales urbaines de la commune de Sospel, survenues avant comme après la date de ce transfert de compétence, le 1er janvier 2020.

7. Néanmoins s'il résulte de l'instruction que, par délibération de son conseil communautaire du 12 novembre 2018, du reste approuvée par délibération du conseil municipal de la commune de Sospel du 1er août 2019, la communauté d'agglomération de la Riviera française a décidé d'exercer à titre facultatif, à compter du 1er juin 2019, la compétence en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, les statuts de cet établissement public, ainsi modifiés, prévoient qu'il faut entendre la notion de gestion des eaux pluviales urbaines comme celle des eaux pluviales dans les zones urbanisées ou à urbaniser, délimitées par un document d'urbanisme. Il est constant que le plan local d'urbanisme de la commune de Sospel, approuvé le 14 novembre 2019, range le secteur d'implantation du terrain des consorts D..., en zone naturelle. La commune de Sospel ne peut utilement se prévaloir du rangement de ce secteur en zone Uca à son plan d'occupation des sols qui, mis en révision avant le 31 décembre 2015, était en tout état de cause caduc au jour du transfert à titre facultatif de la compétence " eaux pluviales urbaines " à la communauté d'agglomération, faute pour le plan local d'urbanisme d'avoir été adopté avant le 31 mars 2017, ainsi que le prévoient les articles L. 174-1 et L. 174-2 du code de l'urbanisme.

8. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la gestion des eaux pluviales dans le secteur d'implantation du terrain des consorts D..., bien que compris dans un lotissement, corresponde à la collecte, au transport, au stockage et au traitement de ces eaux dans une aire urbaine, conformément à l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l'article L. 5216-5 du même code, pour la définition de la compétence des communautés d'agglomération en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, devenue pour ces établissements publics obligatoire à compter du 1er janvier 2020.

9. Enfin, et en tout état de cause, il ne résulte ni des termes de la délibération du

12 décembre 2016 par laquelle le conseil communautaire de la communauté d'agglomération de la Riviera française a décidé d'exercer à titre optionnel, à compter du 1er janvier 2018, la compétence assainissement et la compétence eau potable, en lieu et place de ses communes membres, ni des statuts de l'établissement public ainsi modifiés, ni d'aucune disposition législative ou réglementaire, que le transfert de cette compétence ait emporté celui de la compétence relative à la gestion des eaux pluviales urbaines.

10. Par conséquent, la commune de Sospel, qui était et demeure seule compétente pour la gestion des eaux pluviales dans le secteur où se situe la propriété des consorts D..., n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamnée, en lieu et place de la communauté d'agglomération de la Riviera française, à réparer les conséquences dommageables du mauvais fonctionnement de son réseau public d'eaux pluviales survenues sur cette propriété, ni par conséquent, à demander l'annulation du jugement en tant que, par son article 1er, il a mis cet établissement public de coopération intercommunale hors de cause.

En ce qui concerne la responsabilité de la commune :

11. Le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure, sans pouvoir utilement invoquer le fait du tiers. Il en va ainsi alors même qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose aux communes de recueillir l'ensemble des eaux de pluie transitant sur leur territoire.

12. D'une part, il résulte de l'instruction, et spécialement du rapport d'expertise judiciaire du 6 avril 2018, qui n'est pas sur ce point sérieusement contredit par la commune de Sospel, que les inondations par ruissellements d'eaux de pluie, causées le 25 décembre 2013 et le 5 janvier 2014 à la propriété de M. et Mme D..., située en contrebas d'une route communale, qui est elle-même implantée sur un fonds inférieur à celui qui supporte une ligne ferroviaire, sont dues non seulement au mauvais entretien des ouvrages d'évacuation des eaux de pluie appartenant à la SNCF Réseau, mais encore à la mauvaise conception de la voirie communale et de ses ouvrages de collecte et de transport, lesquels constituent des ouvrages publics à l'égard desquels les consorts D... ont la qualité de tiers, ainsi qu'à l'absence de tout ouvrage de canalisation des eaux de pluie dans le lotissement d'implantation de cette propriété. Selon l'expert judiciaire, chacun de ces fonds a concouru, à part égale, à créer les apports d'eau ayant traversé le terrain des consorts D..., et les travaux propres à conjurer le risque de ruissellements importants sur leur fonds, qu'il s'agisse des travaux d'urgence ou à moyen terme, portent sur les ouvrages communaux. S'il résulte de ce même rapport d'expertise qu'après des travaux de curage réalisés en octobre 2017 dans les fossés empierrés bordant la voie de chemin de fer, les épisodes pluvieux des 10 et 11 décembre 2017, aussi violents que ceux ayant causé des désordres dans la propriété de M. et Mme D... en décembre 2013 et janvier 2014, n'y ont quant à eux engendré aucun dommage, une telle circonstance, qui démontre la bonne conception des ouvrages d'évacuation à la charge de la SNCF Réseau, n'est pas, à elle seule, de nature à remettre en cause la conjonction des effets des différents ouvrages, ferroviaires, communaux et privés, dans la survenance des dommages subis par le fonds en cause, selon les proportions retenues par ce rapport. Dans ces conditions, la commune de Sospel n'est pas fondée à soutenir que l'expert n'a attribué à ses ouvrages aucun rôle causal dans l'apparition des dommages causés à la propriété des consorts D..., ni que la cause exclusive de ceux-ci tiendrait au seul mauvais entretien des fossés appartenant à la SNCF Réseau.

13. D'autre part, dès lors que pour la condamner solidairement avec la SNCF Réseau, le tribunal a engagé la responsabilité sans faute de la commune de Sospel du fait de ses ouvrages publics, celle-ci ne peut utilement soutenir, pour prétendre à la décharge de toute responsabilité ou à la réduction de celle-ci, que la faute commise par la SNCF Réseau serait d'une gravité supérieure à celle de ses propres manquements. Si, par cette argumentation, la commune de Sospel a entendu remettre en cause, au titre de l'appel en garantie de la SNCF Réseau auquel le tribunal a fait droit par son jugement attaqué et qu'elle présente de nouveau en cause d'appel, la part de responsabilité imputable à cet établissement public, aucun des éléments de l'instruction ne permet de considérer que, par le mauvais entretien de ses ouvrages, la SNCF Réseau aurait été à l'origine de plus du tiers des dommages subis par les consorts D... et indemnisés par le tribunal.

En ce qui concerne les préjudices indemnisés par le tribunal :

14. Pour allouer à M. et Mme D... la somme de 17 441, 44 euros, les premiers juges ont d'abord considéré, sur la base du rapport d'expertise judiciaire et des éléments de justification produits par les intéressés, poste de préjudice par poste de préjudice contrairement à ce que soutient l'appelante, qu'ils avaient subi un préjudice matériel lié au coût des travaux avancés par eux ainsi qu'à la remise en état des terrains dégradés et du matériel dégradé qui y était entreposé. En indiquant que ces postes de préjudice n'étaient pas sérieusement contestés, le tribunal, à rebours des affirmations de la commune, n'a pas omis de tenir compte de son argumentation tendant à contester la réalité des débours des demandeurs. Si, ni devant le tribunal, ni devant la Cour, M. et Mme D... ne produisent les factures des travaux dont ils ont dû avancer le coût, il résulte du rapport d'expertise judiciaire, qui renvoie sur ce point à ses annexes, que l'estimation du préjudice ainsi subi par les intéressés, à laquelle s'est livrée l'expert, après s'être rendu plusieurs fois sur les lieux, et sur laquelle se sont appuyés les premiers juges pour leur allouer une indemnité, se fonde sur des éléments dont la commune ne conteste ni la connaissance qu'elle a pu en avoir au cours des opérations d'expertise, ni la réalité. Il n'est enfin ni établi ni même allégué par la commune que le coût de ces travaux, ainsi estimé par l'expert, correspondrait à d'autres travaux que ceux qui étaient strictement nécessaires, ni que les procédés envisagés pour la remise en état n'étaient les moins onéreux possible.

15. Par ailleurs, il résulte de l'instruction qu'en raison des dégâts causés au terrain de M. et Mme D... le 25 décembre 2013 et le 5 janvier 2014, qui ont consisté en une dégradation du chemin carrossable conduisant à leur résidence, l'arrachage et la destruction de pavages et le ravinement des pelouses, ainsi qu'en l'inondation d'un abri de jardin et d'un local de piscine avec dégradation des matériels s'y trouvant, et auxquels il n'a pu être immédiatement remédiés, les intéressés n'ont pu jouir normalement et paisiblement de leur bien, notamment de leur jardin et de leur piscine, contrairement à ce que soutient la commune qui de la sorte, ne conteste pas sérieusement la réalité de chef de ce préjudice et l'indemnité allouée à ce titre, égale à la somme de 5 000 euros.

16. Il résulte de ce qui précède que la commune de Sospel n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée, in solidum avec la SNCF Réseau, à verser à M. et Mme D... la somme de 22 441, 44 euros en réparation de leurs préjudices matériel et de jouissance.

Sur l'appel incident de M. et Mme D... :

En ce qui concerne leurs conclusions indemnitaires :

17. En premier lieu, la circonstance que les manquements de la commune de Sospel dans la conception de ses ouvrages de collecte et de transport des eaux de pluie seraient plus graves que ceux imputables au lotissement du domaine de la source auquel appartient leur propriété est sans incidence sur l'engagement à leur égard de la responsabilité in solidum de la commune et de la SNCF Réseau et sur la réparation intégrale des préjudices subis à laquelle ils peuvent prétendre.

18. En deuxième lieu, M. et Mme D... ne justifient pas plus en appel qu'en première instance, d'un projet de location de leur bien, auquel le sinistre survenu à la fin de l'année 2013 aurait fait obstacle, mais se bornent à se prévaloir des simples estimations réalisées par l'expert judiciaire dans son rapport du 6 avril 2018. Ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges n'ont pas fait droit à leurs prétentions tendant à l'indemnisation d'un préjudice correspondant à une perte de location, lequel revêt en l'espèce un caractère purement hypothétique.

19. En troisième lieu, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas des clichés photographiques produits par les requérants, qu'à la fin de l'année 2014, en octobre 2020 ou en janvier 2022, leur propriété ait eu à subir de nouveaux dégâts du fait de ruissellements issus d'abord des ouvrages du domaine ferroviaire, puis des ouvrages communaux. Les éléments de l'instance ne permettent pas davantage d'établir que leur terrain aurait reçu des ruissellements dans des conditions qui leur auraient été préjudiciables. Dans ces conditions qui, en tout état de cause, ne caractérisent pas un préjudice lié " au sentiment d'abandon " des intéressés, ceux-ci ne sont pas fondés à soutenir qu'en leur allouant la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance de leur bien, les premiers juges n'en ont pas donné une juste indemnisation.

20. En quatrième lieu, M. et Mme D... ne produisent aucun élément de nature à démontrer que du fait des sinistres causés à leur propriété, la valeur vénale de celle-ci aurait diminué. Les seules photographies d'un panneau d'annonce de vente de leur propriété, accroché au portail de celle-ci, non datées bien qu'évoquées au cours des opérations d'expertise, et non assorties d'attestation de projets de vente, ne permettent pas d'établir la réalité et l'étendue d'une perte de valeur vénale. Ainsi, et compte tenu de ce qui a été dit au point précédent, c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté les conclusions tendant à la réparation d'un tel chef de préjudice.

21. Il résulte de ce qui précède que M. et Mme D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité la somme qui leur est due en réparation de leurs préjudices à 21 441, 44 euros.

En ce qui concerne leurs conclusions aux fins d'injonction :

22. Lorsque le juge administratif condamne une personne publique responsable de dommages qui trouvent leur origine dans l'exécution de travaux publics ou dans l'existence ou le fonctionnement d'un ouvrage public, il peut, saisi de conclusions en ce sens, s'il constate qu'un dommage perdure à la date à laquelle il statue du fait de la faute que commet, en s'abstenant de prendre les mesures de nature à y mettre fin ou à en pallier les effets, la personne publique, enjoindre à celle-ci de prendre de telles mesures. Pour apprécier si la personne publique commet, par son abstention, une faute, il lui incombe, en prenant en compte l'ensemble des circonstances de fait à la date de sa décision, de vérifier d'abord si la persistance du dommage trouve son origine non dans la seule réalisation de travaux ou la seule existence d'un ouvrage, mais dans l'exécution défectueuse des travaux ou dans un défaut ou un fonctionnement anormal de l'ouvrage et, si tel est le cas, de s'assurer qu'aucun motif d'intérêt général, qui peut tenir au coût manifestement disproportionné des mesures à prendre par rapport au préjudice subi, ou aucun droit de tiers ne justifie l'abstention de la personne publique. En l'absence de toute abstention fautive de la personne publique, le juge ne peut faire droit à une demande d'injonction, mais il peut décider que l'administration aura le choix entre le versement d'une indemnité dont il fixe le montant et la réalisation de mesures dont il définit la nature et les délais d'exécution.

23. Ainsi qu'il a été dit au point 19, il ne résulte pas de l'instruction que le dommage invoqué par M. et Mme D... pour demander qu'il soit enjoint à la commune de Sospel ou à la communauté d'agglomération de la Riviera française les travaux préconisés par l'expert judiciaire et qui peut être regardé comme résidant dans le risque de nouvelles inondations de leur terrain, perdurerait au jour auquel les premiers juges ont statué, et au jour auquel il revient à la Cour, saisie de conclusions en ce sens, de s'y prononcer à son tour. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la réalisation des travaux demandés par les requérants, d'ailleurs qualifiés par le rapport d'expertise judiciaire de " travaux d'urgence ", à réaliser dans l'attente de travaux de plus grande ampleur, ni de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a refusé de faire droit à leur demande.

Sur l'appel provoqué de la SNCF Réseau :

24. Les codébiteurs condamnés solidairement sont recevables à former un appel provoqué sur l'appel principal présenté par l'un d'entre eux dans la mesure où celui-ci obtient réduction ou décharge de la condamnation prononcée contre lui.

25. Dès lors que le présent arrêt rejette l'appel principal de la commune de Sospel, ainsi que l'appel incident de M. et Mme D..., la SNCF Réseau, dont la situation n'est ainsi pas aggravée, n'est pas recevable à former appel provoqué du jugement attaqué, en demandant son annulation, le rejet de la demande de première instance et la condamnation de la commune de Sospel et/ou la communauté d'agglomération de la Riviera française à la garantir de toute condamnation éventuelle.

Sur les dépens :

26. Le présent arrêt rejetant les appels formés contre le jugement qui, en son article 3, a mis les frais et honoraires de l'expertise judiciaire, liquidés et taxés à la somme de

6 610,03 euros, à la charge solidaire de la commune de Sospel et de la SNCF Réseau, il n'y a pas lieu de réformer cet article en mettant l'intégralité de ces frais et honoraires à la charge de la commune, contrairement à ce que demandent M. et Mme D....

Sur les frais liés au litige ;

27. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance, y compris ceux exposés par la communauté d'agglomération de la Riviera française.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Sospel, les conclusions incidentes de

M. et de Mme D... et l'appel provoqué de la SNCF Réseau sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. et Mme D..., la SNCF Réseau et la communauté d'agglomération de la Riviera française sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Sospel, à la SNCF Réseau,

à M. B... D..., à Mme C... D... et à la communauté d'agglomération de la Riviera française.

Délibéré après l'audience du 6 décembre 2022, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.

N° 21MA026942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02694
Date de la décision : 10/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. - Fondement de la responsabilité. - Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL PLENOT-SUARES-ORLANDINI

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-01-10;21ma02694 ?
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