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16/12/2022 | FRANCE | N°20MA03015

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 2ème chambre, 16 décembre 2022, 20MA03015


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée Alphadif a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2010 à 2012 et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1800937 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure dev

ant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août 2020 et 22 octobre 2021, l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée Alphadif a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2010 à 2012 et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1800937 du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 août 2020 et 22 octobre 2021, la société Alphadif, représentée par Me Luciani, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de prononcer la décharge des impositions en litige et des pénalités correspondantes ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le tribunal s'est fondé, pour reconnaître l'existence d'un montage artificiel, sur les arguments développés dans les propositions de rectification sans soumettre ces éléments au débat contradictoire ; les premiers juges ont commis une erreur d'interprétation des faits ;

- l'administration fiscale a, par sa proposition de rectification du 6 octobre 2015, mis irrégulièrement en œuvre la procédure de l'abus de droit fiscal ;

- la prescription du délai de reprise et de mise en recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés est acquise ; elle est fondée à se prévaloir du paragraphe n° 400 de l'instruction BOI-CF-IOR-10-10 du 12 septembre 2012 et du paragraphe n° 130 de l'instruction BOI-CF-PGR-10-10 du 6 juillet 2016 ;

- la création des sociétés Royalux et PPLV Trading ne constitue pas un montage artificiel ;

- l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un transfert indirect de bénéfices au profit de la société PPLV Trading et a méconnu les dispositions de l'article 57 du code général des impôts :

- elle a droit à bénéficier du taux réduit de retenue à la source.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 13 août 2021 et 9 mars 2022, le ministre de l'économie, de finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 18 mars 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 avril 2022.

Une note en délibéré présentée pour la société Alphadif a été enregistrée le 9 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Luciani, représentant la société Alphadif.

Considérant ce qui suit :

1. La société Alphadif, qui exerce une activité d'intermédiaire de commerce, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012. A l'issue de ce contrôle, l'administration fiscale l'a assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 2010 à 2012 ainsi qu'à des cotisations de retenue à la source au titre des exercices 2011 et 2012, sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts. La société Alphadif relève appel du jugement du 22 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur le bien-fondé des impositions :

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités. Il est procédé de même à l'égard des entreprises qui sont sous la dépendance d'une entreprise ou d'un groupe possédant également le contrôle d'entreprises situées hors de France. (...) A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications prévues aux premier, deuxième et troisième alinéas, les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ".

3. Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci rapporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à sa propre exploitation.

4. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments recueillis par l'administration fiscale dans le cadre de la visite domiciliaire effectuée sur le fondement L. 16 B du livre des procédures fiscales ainsi que des constatations relevées par le vérificateur, que la société Alphadif a pour activité la distribution, la vente, la commercialisation sous la marque " Seamaid " de projecteurs de piscines à leds. Le capital de la société est détenu par M. A..., M. D..., M. C..., lesquels sont également co-gérants, ainsi que par M. E... et, depuis 2010 et à hauteur de 33,32 %, par la société de droit letton PPLV Trading. La société PPLV Trading, créée le 8 mars 2007 et dont l'unique actionnaire était M. A... jusqu'au 31 décembre 2009, est co-dirigée par M. A..., M. C... et M. D.... Celle-ci développe une activité de fabrication de système d'éclairage pour piscines de la marque " Seamaid " et a pour principal client la société Alphadif. A cet égard, il est constant que M. A..., M. D..., M. C... et M. E... ont cédé le 18 décembre 2008 les demandes de brevets de la marque " Seamaid " à la société Royalux, qui a concédé le même jour une licence d'exploitation de ces brevets à la société PPLV Trading, laquelle a accordé le 19 décembre suivant à la société Alphadif la vente non exclusive des produits de la marque " Seamaid ". Ces éléments suffisent à eux seuls à établir l'existence d'un lien de dépendance entre la société Alphadif et la société PPLV Trading.

5. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société Royalux, située au Luxembourg, a concédé le 18 décembre 2018 une licence d'exploitation des brevets de la marque " Seamaid " à la société PPLV Trading, en contrepartie du versement d'une redevance annuelle d'exploitation de 400 000 euros. Au titre des exercices vérifiés, la société Alphadif, à qui la société PPLV Trading a accordé, le 19 décembre 2018, la concession à titre non exclusif de la vente des produits de la marque " Seamaid ", et qui se fournissait jusqu'ici directement auprès de son fournisseur situé en Chine, est devenue le principal client de la société PPLV Trading. Cette dernière intégrait le montant de la redevance annuelle d'exploitation versée à la société Royalux dans les prix de vente de ses produits facturés à la société Alphadif. La proposition de rectification du 6 octobre 2015 souligne que la mise en place de ce circuit de fourniture des produits de la marque " Seamaid ", via la société PPLV Trading, a conduit à une augmentation des prix acquittés par la requérante. L'administration fiscale a ainsi identifié l'existence d'un transfert de bénéfices, par l'intermédiaire de la société PPLV Trading, de la société Alphadif vers la société Royalux au Luxembourg, et a déterminé le montant de ces bénéfices transférés au vu du montant des redevances versées par la société PPLV Trading à la société Royalux, intégré dans les prix des produits " Seamaid " facturés à la société Alphadif, laquelle a majoré le montant de ses charges.

6. Il résulte des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts que lorsqu'elle constate que les prix facturés à une entreprise établie en France par une entreprise étrangère qui lui est liée sont supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d'autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s'explique par la situation différente de ces clients, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise établie en France, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes. A défaut d'avoir procédé à de telles comparaisons, l'administration n'est, en revanche, pas fondée à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant ou en payant des prestations ou des biens à un prix excessif, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu.

7. En l'espèce, l'achat ou la vente de biens à prix majorés imposait à l'administration fiscale, pour établir la présomption de transferts de bénéfices, de démontrer que les prix facturés à la société Alphadif par la société PPLV Trading qui lui est liée étaient supérieurs à ceux pratiqués entre des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance. Or, il résulte de l'instruction que celle-ci n'a pas eu recours à de tels comparaisons pour constater les majorations de prix pratiqués sur les produits en cause, dès lors qu'elle s'est fondée uniquement sur l'activité de la société Alphadif avant la création en 2007 de la société PPLV Trading, qui s'approvisionnait directement auprès de la société chinoise Lefound Science et Technology Co LTD. Aucune précision chiffrée sur ces différences de prix n'est au demeurant apportée, l'administration se bornant à exposer, d'une part, que la société PPLV Trading a réalisé, au titre des exercices 2010 à 2012, une marge sur ses achats revendus plus importante que celle enregistrée par la société Alphadif, d'autre part, que la majoration des charges pratiquée par la société Alphadif du fait de l'intégration des redevances dans les prix pratiqués par la société PPLV Trading correspond, au vu de la documentation des prix de transferts de cette dernière, à un coût majoré de 11,99 %. Au surplus, il n'est pas non plus établi que les équipements d'éclairage de piscine vendus par la société PPLV Trading, qui indique s'être investie dans le développement et la production des produits afin d'en améliorer la qualité et de les rendre conformes aux normes européennes, étaient identiques aux produits acquis directement auprès de la société Lefound Science et Technology Co. Dans ces conditions, l'administration fiscale ne démontre pas que les prix facturés par la société PPLV Trading à la société requérante étaient supérieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de tous liens de dépendance. Par suite, aucune présomption de transfert indirect de bénéfices ne peut être retenue à l'encontre de la société requérante sur le fondement des dispositions précitées de l'article 57 du code général des impôts.

8. Enfin, et alors qu'il résulte de ce qui vient d'être exposé que l'administration fiscale n'a pas eu recours à la méthode comparative requise, celle-ci, qui se borne à exposer que l'intégration de la redevance annuelle d'exploitation des brevets a conduit à majorer les prix de vente des produits facturés à la société Alphadif, n'établit par aucun élément l'existence d'un écart injustifié entre les prix pratiqués par la société PPLV Trading et la valeur vénale des produits cédés à la société Alphadif. Dès lors, elle ne démontre pas que les biens ou les prestations auraient été facturés à la société Alphadif à un prix excessif et que la requérante aurait ainsi consenti une libéralité.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la régularité du jugement ou sur les autres moyens de la requête, que la société Alphadif est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2010 à 2012 et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes. Il y a lieu, par suite, de la décharger des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2010 à 2012 et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Sur les frais liés au litige :

10. En l'absence de dépens relatifs à l'instance d'appel, les conclusions de la société Alphadif tendant à ce qu'ils soient mis à la charge de l'Etat doivent, en tout état de cause, être rejetées.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Alphadif et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1800937 du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Toulon est annulé.

Article 2 : La société Alphadif est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices 2010 à 2012 et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012, ainsi que des pénalités correspondantes.

Article 3 : L'Etat versera à la société Alphadif une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alphadif et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au directeur de contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer.

Délibéré après l'audience du 8 décembre 2022, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- M. Taormina, premier conseiller,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 décembre 2022.

2

N° 20MA03015


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20MA03015
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-04-02-01-04 Contributions et taxes. - Impôts sur les revenus et bénéfices. - Revenus et bénéfices imposables - règles particulières. - Bénéfices industriels et commerciaux. - Détermination du bénéfice net.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : LUCIANI

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-12-16;20ma03015 ?
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