Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A..., agissant en qualité de liquidateur de la société à responsabilité limitée (SARL) La Maison Rose, a demandé au tribunal administratif de Marseille à titre principal, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013, ainsi que des pénalités correspondantes, de prononcer la restitution des impositions en litige assortie des intérêts moratoires et, à titre subsidiaire, d'ordonner la désignation d'un expert ayant pour mission de donner une estimation de la valeur vénale des biens immobiliers cédés par la SARL La Maison Rose.
Par un jugement n° 1804123 du 19 février 2020, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 16 juin 2020, 23 novembre 2020 et 19 février 2021, la SARL La Maison Rose, représentée par la Selarl Gillibert et associés, son mandataire ad hoc, et ayant pour avocat la société d'avocats Lamartine Conseil, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du 19 février 2020 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) à titre principal, de prononcer la décharge ou la réduction des impositions en litige et des pénalités correspondantes ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'expertise ordonnée par le tribunal judiciaire de Gap ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de désigner un expert afin de procéder à une estimation de la valeur vénale des biens immobiliers en litige ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement, qui n'a pas répondu au moyen tiré du défaut de motivation des pénalités infligées sur le fondement du a. de l'article 1729 du code général des impôts, est entaché d'irrégularité ;
- les cessions en litige ne sont pas intervenues à des prix significativement inférieurs à la valeur vénale des biens en cause ;
- le terme de comparaison retenu par l'administration fiscale n'est pas pertinent dès lors que les biens que la société a vendus à ses associés n'étaient pas achevés et ont été cédés hors d'eau et hors d'air ;
- il convient d'une part, de prendre en compte le coût réel des travaux nécessaires à la réhabilitation complète des biens, justifiés par la production de factures et d'autre part, d'appliquer un correctif de 15 % aux valeurs vénales pour tenir compte de la valeur ajoutée apportée aux biens à la suite de leur rénovation ;
- elle justifie que les prix des biens litigieux étaient parfaitement conformes à la réalité du marché au regard de la nature de ces biens ;
- l'administration fiscale ne démontre pas que les cessions n'ont pas été réalisées dans son intérêt ;
- elle a rencontré des difficultés de financement du projet initial l'obligeant à céder les biens en litige ;
- les pénalités pour manquement délibéré ne sont pas fondées.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 juillet 2020 et 1er décembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Weller, représentant la SARL La Maison Rose.
Une note en délibéré et des pièces présentées pour la SARL La Maison Rose ont été enregistrées les 9 et 13 décembre 2022.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL La Maison Rose, qui exerçait une activité de marchand de biens immobiliers et dont l'EURL Vision d'Avenir et la société LDC Finances sont associées à hauteur de 50 % chacune, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale, faisant application de la procédure de rectification contradictoire, a rehaussé ses bénéfices imposables au titre des exercices clos en 2012 et 2013. Elle a, en conséquence, été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de ces mêmes exercices. La SARL La Maison Rose, représentée par son mandataire ad hoc, relève appel du jugement du 19 février 2020 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été ainsi assujettie et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. A l'appui de sa demande devant le tribunal administratif, la SARL La Maison Rose contestait les pénalités pour manquement délibéré en faisant valoir, notamment, qu'elles n'étaient pas motivées. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'est pas inopérant.
3. Le jugement doit, par suite, être annulé en tant qu'il statue sur les conclusions relatives aux pénalités pour manquement délibéré. Il y a lieu d'évoquer dans cette mesure et de statuer sur le surplus des conclusions de la requête dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
5. Il résulte de l'instruction que la SARL La Maison Rose a acquis, par acte notarié du 27 juillet 2011, une maison à usage d'habitation au prix de 250 000 euros située 31, rue du Centre, hameau de Chantemerle à Saint-Chaffrey (05330). Après avoir effectué des travaux de réhabilitation de la maison d'habitation et créé trois lots distincts au sein de celle-ci, elle a revendu chacun des lots à trois acquéreurs différents. Elle a cédé le 21 décembre 2012, le premier étage d'une superficie de 53 m² à M. A..., son gérant, pour un prix de 110 000 euros, le 30 janvier 2013, le rez-de-chaussée d'une superficie de 51 m² à la société LDC Finances pour un prix de 110 000 euros, et le 14 février 2013, les deuxième et troisième étages, correspondant à un duplex d'une superficie de 97 m² ayant fait l'objet d'une rénovation, à des particuliers pour un prix de 515 000 euros. Au cours des opérations de vérification dont la SARL La Maison Rose a fait l'objet, le service vérificateur a considéré qu'en cédant le rez-de-chaussée et le premier étage à leur prix de revient au bénéfice de personnes qui lui étaient liées, la société avait commis un acte anormal de gestion. Dans le cadre de la procédure de rectification en matière de droits d'enregistrement, la commission départementale de conciliation des Hautes-Alpes a, dans son avis du 3 octobre 2017, déterminé la valeur vénale des biens litigieux en tenant compte, non pas du prix de marché médian établi à 6 767 euros le m² selon les termes de comparaison retenus par l'administration, mais du prix de vente au m² du duplex soit 5 309 euros, auquel a été appliquée une réfaction tenant compte du coût des travaux, établissant l'écart de prix correspondant à la minoration du prix de vente de ces lots à 141 379 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 s'agissant de la vente du premier étage à M. A... et à 134 698 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013, s'agissant de la vente du rez-de-chaussée à la société LDC Finances. L'administration fiscale a accepté, à la suite de la réclamation préalable de la SARL La Maison Rose, de tenir compte de ces nouveaux montants de bénéfices rectifiés dans le cadre de cette procédure distincte et a, en conséquence, dégrevé la SARL à hauteur de 30 236 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 et à hauteur de 28 156 euros au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2013 ainsi que ses associés.
6. La société appelante soutient que le terme de comparaison finalement retenu, le duplex créé dans la maison, n'est pas pertinent dès lors qu'il présente des caractéristiques différentes des biens cédés, notamment sa superficie, qu'il dispose d'un garage fermé, qu'il bénéficie d'un meilleur ensoleillement, d'une vue dégagée sur le domaine skiable de Serre-Chevalier, alors que les biens litigieux ont été cédés hors d'eau et hors d'air donc non habitables. Toutefois, le duplex reste un bien de comparaison similaire dès lors qu'il se situe dans le même immeuble bénéficiant ainsi de la même situation géographique. La circonstance qu'il soit d'une superficie supérieure ne s'oppose pas à ce qu'il soit pris en compte pour l'évaluation de la valeur vénale des biens en cause. En outre, il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a tenu compte, pour la détermination du prix au m², des travaux d'aménagement intérieur auxquels ont procédé les acquéreurs, dont le montant a été déterminé en concertation avec M. A... au cours du débat oral et contradictoire, soit 511 euros par m² s'agissant du rez-de-chaussée et 566 euros par m² s'agissant du premier étage. Si la SARL La Maison Rose fait valoir qu'il convient d'évaluer à la somme de 1 959,84 euros par m² le coût des travaux de rénovation de second œuvre par comparaison avec les travaux réalisés au sein du duplex, les factures produites à cet égard ne comportent pas toutes des mentions permettant de justifier que les travaux et matériaux correspondants sont relatifs au seul duplex. Par ailleurs, la société appelante ne justifie pas de l'application d'un correctif de 15 % qu'elle revendique, pour tenir compte de la valeur ajoutée apportée aux biens en litige à la suite de leur rénovation. Enfin, les lots cédés à M. A... et à la société LDC Finances, évalués par l'administration respectivement à 251 379 euros et 244 698 euros, ont été revendus environ trois ans après à des prix très proches de l'évaluation réalisée, soit 255 000 euros et 247 000 euros. Par suite, l'administration fiscale doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe de ce que la SARL La Maison Rose a cédé les biens en litige à un prix significativement minoré par rapport à leur valeur vénale.
7. Pour apporter la preuve de ce que les ventes en cause, portant sur des éléments de stock de la société qui exerçait l'activité de marchand de biens, sont intervenues dans des conditions étrangères à une gestion commerciale normale, l'administration fiscale relève, outre l'écart significatif entre les prix de cession et la valeur vénale, la circonstance que M. A... est également le gérant de droit de la SARL La Maison Rose, qu'il est également le gérant et l'unique associé de l'EURL Vision d'Avenir, elle-même associée à 50 % de la SARL La Maison Rose, les 50 % restants étant détenus par la société LDC Finances, dont le gérant et associé majoritaire est M. B..., et dont il résulte de l'instruction que ce dernier était co-gérant de fait de la SARL La Maison Rose, ce qui laisse présumer l'intention libérale du cédant à l'égard des cessionnaires.
8. Pour contester cette présomption de libéralité et justifier l'existence de contreparties, la société appelante soutient qu'en raison de difficultés financières, elle a dû opter pour la seule réhabilitation du duplex, à charge pour ses associés d'acquérir les deux autres appartements sur leurs fonds propres, ces appartements n'étant pas vendables en l'état. Toutefois, elle n'établit pas la réalité des difficultés financières qu'elle allègue en se bornant à fournir un courrier de la Banque Populaire des Alpes du 30 juillet 2014, postérieur aux opérations de contrôle, aux termes duquel il est seulement précisé que la société avait présenté un projet de rénovation " sur Serre Chevalier en octobre 2011 " et que " le projet initial était trop important pour que [la banque] puisse l'accompagner ". Ainsi, l'administration doit être regardée comme démontrant que la SARL La Maison Rose s'est délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt en procédant aux ventes, dans ces conditions, d'éléments de son actif circulant à un prix significativement minoré, témoignant ainsi de l'existence d'un acte anormal de gestion. Par suite, c'est à juste titre que l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la SARL La Maison Rose le montant des libéralités correspondantes.
Sur les pénalités :
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
10. Le vérificateur a suffisamment motivé, en droit et en fait, l'application de la majoration pour manquement délibéré en faisant notamment état, dans la proposition de rectification du 23 juin 2014, de ce que, selon les indications de M. A... dans le cadre du débat oral et contradictoire, la société avait dès l'origine l'intention de réserver la vente des deux appartements à la société LDC Finances et à M. A... pour un prix correspondant au coût de revient, que M. A... et M. B... ne pouvaient ignorer acquérir ces lots par le biais de la SARL La Maison Rose, dont ils étaient co-gérants de fait, à un prix non-conforme à celui du marché immobilier et que la SARL ne pouvait ignorer qu'elle commettait une irrégularité en cédant des biens à des personnes liées pour un prix très inférieur à la valeur du marché. Eu égard à ces éléments, qui sont établis, l'administration doit être regardée comme justifiant du bien-fondé de l'application à la SARL La Maison Rose de la majoration pour manquement délibéré prévue par les dispositions du a. de l'article 1729 du code général des impôts.
11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise sollicitée qui ne revêtirait pas de caractère utile ni de surseoir à statuer, que la SARL La Maison Rose, représentée par son mandataire ad hoc, n'est pas fondée à demander la décharge des pénalités pour manquement délibéré dont ont été assorties les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, ni à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 19 février 2020 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il a omis de se prononcer sur le moyen tiré du défaut de motivation des pénalités pour manquement délibéré.
Article 2 : La demande présentée par la SARL La Maison Rose devant le tribunal administratif tendant à la décharge des pénalités pour manquement délibéré et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée La Maison Rose représentée par son mandataire ad hoc et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Carotenuto, première conseillère,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 décembre 2022.
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N° 20MA01993