Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société monégasque pour l'exploitation du tournoi de tennis (Smett) a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 pour un montant, en droits et pénalités, de 195 515 euros.
Par un jugement n° 1801722 du 26 février 2021, le tribunal administratif de Nice, par l'article 1er, a déchargé la Smett des impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 et par l'article 2, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par un recours, enregistré le 3 juin 2021 et régularisé par des mémoires, enregistrés les 24 et 28 octobre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 26 février 2021 du tribunal administratif ;
2°) de remettre à la charge de la Smett l'imposition déchargée à tort.
Il soutient que :
- l'administration n'a, à aucun moment, accepté une nouvelle méthode de répartition des charges induisant une exclusion de la charge constituée par la quote-part de rémunération versée à l'administrateur de la société B... rendant déficitaire la société ;
- en outre, les seuls tableaux établis par la société intimée, non validés par l'administration, ne justifient pas la nouvelle répartition des charges ;
- le résultat dégagé par la Smett au titre de l'exercice clos en 2011 s'avère bénéficiaire et le rehaussement de la base d'imposition du bénéfice réalisé constitue un revenu réputé distribué au bénéfice de la société C... non réinvesti en France et doit, par conséquent, être soumis à la retenue à la source sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 septembre 2021, la Smett, représentée par Me Froissac, demande à la Cour de rejeter le recours et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens du recours ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Foissac, représentant la Smett.
Considérant ce qui suit :
1. La société monégasque pour l'exploitation du tournoi de tennis (Smett) organise en France au travers d'un établissement stable sis sur la commune de Roquebrune Cap Martin, le tournoi de tennis de Monte Carlo sur des installations données en location par la société monégasque C... et du cercle des étrangers, dont elle est associée. A la suite de la vérification de comptabilité de l'établissement stable français de la Smett, portant sur les exercices clos en 2011, 2012 et 2013, l'administration fiscale l'a assujettie notamment à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés. En outre, la société a été assujettie à des rappels de retenue à la source sur le fondement des articles 115 quinquies et 119 bis du code général des impôts, à raison des résultats réputés distribués à des associés n'ayant ni leur domicile fiscal ni leur siège social en France. La Smett a saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à la décharge des impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011. Par jugement du 26 février 2021, le tribunal administratif a, par l'article 1er, déchargé la Smett de ces impositions et par l'article 2, mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le ministre relève appel de ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article 115 quinquies du code général des impôts, applicable à la période d'imposition en litige : " 1. Les bénéfices réalisés en France par les sociétés étrangères sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, à des associés n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France. (...) / 2. Toutefois, la société peut demander que la retenue à la source exigible en vertu des dispositions du 1 et de l'article 119 bis 2 fasse l'objet d'une nouvelle liquidation dans la mesure où les sommes auxquelles elle a été appliquée excèdent le montant total de ses distributions effectives. / L'excédent de perception lui est restitué. / Il en est de même dans la mesure où elle justifie que les bénéficiaires de ces distributions ont leur domicile fiscal ou leur siège en France, et qu'elle leur a transféré les sommes correspondant à la retenue. / 3. Les dispositions du 1 ne s'appliquent pas lorsque la société étrangère remplit les conditions suivantes : / a) Avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne ; / b) Y être passible de l'impôt sur les sociétés, sans possibilité d'option et sans en être exonérée ". D'autre part, aux termes du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts : " Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que dans le cas, où des sociétés étrangères, sans avoir leur siège social en France, y réalisent des bénéfices, elles sont, de ce seul fait, tenues de s'acquitter dans les délais et selon les modalités prévus par lesdites dispositions, de la retenue à la source exigible, en vertu du 1 de l'article 115 quinquies et du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, sur lesdits bénéfices, lesquels sont réputés distribués à des associés n'ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France.
3. Le service vérificateur a remis en cause, au titre de l'exercice clos en 2011, la déductibilité de la fraction de la rémunération, affectée à l'exploitation française, versée à la société C... pour un montant de 946 000 euros, qualifiée par la société " d'indemnité d'administrateur " et, à raison du rehaussement du bénéfice réalisé au titre de cet exercice, a assujetti la Smett au prélèvement à la source prévu par les dispositions précitées pour la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011. Le tribunal administratif a considéré que l'administration fiscale avait admis la nouvelle répartition des charges entre établissement français et siège monégasque, impliquant de rattacher cette somme de 946 000 euros au siège monégasque et de substituer un résultat déficitaire égal à 2 535 226 euros au résultat excédentaire déclaré de 415 029 euros au titre de l'établissement français, et qu'en l'absence de bénéfices réalisés en France réputés distribués, la Smett était fondée à demander la décharge des impositions établies en matière de retenue à la source.
4. Il résulte de l'instruction que la société intimée, qui a son siège social à Monaco et dispose d'un établissement stable en France, tient une comptabilité unique pour l'ensemble de son activité. Pour la détermination de son résultat imposable en France, elle a déduit des résultats des exercices clos de 2011 à 2013 les charges calculées au prorata du chiffre d'affaires réalisé en France par rapport au chiffre d'affaires total. Il résulte des termes de la lettre du 18 juin 2015 adressée à la Smett à la suite du recours hiérarchique, que l'administration a retenu, dans son principe, les observations de la société quant à la détermination des charges déductibles en matière d'impôt sur les sociétés, à savoir le rattachement des dépenses affectables à chacun des établissements, français ou monégasque, et au prorata du chiffre d'affaires pour le surplus. Par lettre du 31 juillet 2015, l'interlocuteur interrégional a admis les nouvelles modalités d'affectation des charges, a abandonné les rappels effectués au titre de l'affectation d'une partie des produits et des charges à l'établissement français et a indiqué que les résultats déclarés au titre de la période vérifiée n'étaient pas modifiés sur ce point. Les conséquences financières, relatives aux exercices clos en 2011, 2012 et 2013, qui ont été notifiées à la société à la suite de l'interlocution interrégionale, par lettre du 8 septembre 2015, tiennent compte de cette nouvelle répartition des charges.
5. Si l'administration a admis, dans son prinicipe, la nouvelle affectation des charges sollicitée par la Smett, en revanche, elle a toujours remis en cause la déductibilité de la somme de 946 000 euros au motif qu'elle ne satisfaisait pas aux conditions prévues par le 1° du 1 de l'article 39 du code général des impôts, la société n'ayant pas justifié la comptabilisation de cette charge dans l'intérêt direct de son exploitation. La seule référence au procès-verbal du conseil d'administration du 16 juin 2011 mentionnant que cette somme vise à rémunérer la société C... pour son " apport de nouveaux sponsors et dans le domaine juridique ", qui ne permet pas de déterminer la nature exacte des prestations en cause, est, à cet égard, insuffisante. De même, l'attestation de la société Rolex du 5 février 2015, communiquée au service vérificateur, exposant le rôle joué par la société C... avec la Smett en 2006, dans la conclusion des contrats de sponsoring, ne saurait justifier le versement de cette rémunération en 2011. Par suite, la Smett n'apporte pas la preuve que cette dépense de 946 000 euros a été engagée dans l'intérêt direct de son exploitation. Ainsi, c'est à bon droit que le service a refusé de la prendre en compte pour la détermination de ses résultats. Par ailleurs, par la seule production de tableaux, censés retracer les opérations de ses établissements pour les exercices contrôlés, et que l'administration conteste avoir validés, en l'absence de tout autre élément exposant notamment les modalités d'affectation des charges entre les deux établissements, la Smett ne justifie pas les charges qui ne seraient imputables qu'à l'exploitation française ni qu'il conviendrait de substituer un résultat déficitaire au résultat excédentaire déclaré. Contrairement à ce que soutient l'intimée, le seul libellé des charges et l'indication du numéro de compte sont insuffisants pour justifier précisément l'affectation desdites charges, dont la somme de 946 000 euros. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction de cette somme de 946 000 euros et rehaussé le bénéfice imposable de la Smett. Le ministre est fondé à soutenir que le tribunal administratif ne pouvait, pour ce motif, prononcer la décharge des impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011.
6. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la Smett devant le tribunal administratif et devant la Cour.
7. En premier lieu, à supposer que la société intimée puisse bénéficier, ainsi qu'elle le soutient, de la correction de son erreur comptable quant à la méthode de répartition des charges, en tout état de cause, elle ne conteste pas efficacement, par la seule production de tableaux censés retracer les opérations de ses établissements et qui ne justifient pas, à eux seuls, la nouvelle affectation des charges, les nouvelles conséquences financières qui lui ont été adressées. La Smett n'est ainsi pas fondée à soutenir qu'un résultat déficitaire doit être substitué au résultat excédentaire déclaré au titre de l'exercice 2011.
8. En deuxième lieu, la Smett entend se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, des termes de la lettre du 18 juin 2015 par laquelle le supérieur hiérarchique aurait admis la nouvelle méthode de répartition des charges entre l'établissement français et le siège monégasque impliquant de rattacher la somme de 946 000 euros au siège monégasque et de substituer un résultat déficitaire au résultat excédentaire déclaré au titre de l'établissement français. Toutefois, les contribuables ne sont en droit d'invoquer, sur le fondement du premier alinéa de l'article L. 80 A ou de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, lorsque l'administration procède à un rehaussement d'impositions antérieures, que des interprétations ou des appréciations antérieures à l'imposition primitive. Par suite, les opinions émises par les agents des services fiscaux lors d'une procédure d'imposition conduisant à l'établissement d'impositions supplémentaires ne peuvent, en tout état de cause, être invoquées à l'encontre de ces impositions supplémentaires, dès lors que les opinions dont il s'agit ne sont pas antérieures aux impositions primitives. Tel est le cas en l'espèce de la lettre du supérieur hiérarchique du 18 juin 2015.
9. En troisième lieu, la société intimée n'est pas davantage fondée à se prévaloir de la doctrine référencée BOI-INT-DG-20-20-10 du 12 septembre 2012 qui est, en tout état de cause, postérieure à la période d'imposition en litige.
10. En dernier lieu, il est constant que la Smett, société de droit monégasque, dispose d'un établissement stable en France dont elle tire des bénéfices. En raison de la réintégration de la somme de 946 000 euros dans son résultat imposable au titre de l'exercice 2011, les bénéfices réalisés par la Smett en France au titre de cet exercice sont réputés distribués. La Smett fait valoir qu'elle a démontré, lors des opérations de contrôle, qu'elle n'a procédé à aucune distribution auprès de ses actionnaires au cours de la période vérifiée. Toutefois, l'absence de distribution des bénéfices initialement déclarés ne fait pas obstacle, en l'absence de toute disposition contraire de la convention franco-monégasque, à ce que l'administration puisse asseoir la retenue à la source sur le rehaussement de la base imposable du bénéfice réalisé résultant de la réintégration de cette somme de 946 000 euros. Par suite, la société intimée n'est pas fondée à soutenir que l'administration ne pouvait faire application de la retenue à la source prévue par les dispositions citées au point 2.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge des impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011 pour un montant de 195 515 euros. Il y a lieu d'annuler ledit jugement.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la Smett demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 26 février 2021 est annulé.
Article 2 : Les impositions établies en matière de retenue à la source au titre de la période du 1er juillet 2010 au 30 juin 2011, pour un montant de 195 515 euros, dont le tribunal administratif de Nice a prononcé la décharge par le jugement du 26 février 2021 sont remises à la charge de la Smett.
Article 3 : Les conclusions présentées par la Smett en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société monégasque pour l'exploitation du tournoi de tennis et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- Mme Carotenuto, première conseillère
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er décembre 2022.
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N° 21MA02105